J’en n’en sais point mystere. Si mon
bon Ange ne me fût pas apparu l’autre jour de la maniere que je
le racontai, je n’aurois eu rien à dire &
j’étois au bout de mon rollet. Mais il me rendit le courage qui
alloit me manquer, & me recommanda fort de suivre mon
premier dessein, de censurer le Vice en épargnant les personnes.
Livello 3
Dialogo
« Car, dit-il, nous vivons dans
un Siècle où l’on prend toujours les Portraits en
mauvaise part. Quand vous peignez en beau, personne ne
s’en fait une application si particuliere à soi-même,
qu’on vous en ait obligation. Mais quand vous peignez en
laid, s’il vous arrive d’avoir quelqu’un en vûe, tout le
monde vous en voudra du mal, parce qu’il n’y aura
personne qui n’appréhende de paroître à son tour dans
votre Satire. »
Je le remerciai fort de ses bonnes leçons, & lui
promis sur le champ de demander pardon à l’Auteur de l’Avis aux
Poëtes
1de quelques petits traits qui
m’échapperent, il y a quelque tems, contre lui. Je
pourrois dire pour mon excuse, que je ne me proposois en cela
que de faire sentir à tout le monde en général, que, lors qu’on
a autant d’Esprit, qu’en a cet Auteur, c’est une grande saute
que de former des Plans d’Ouvrage qui ne sauroient faire
honneur. Mais sans insister là dessus, je crois après tout, que
je ne dis rien alors qui péche contre les loix de la Politesse,
& qu’un Homme de ma Profession, c’est-à dire un
Jurisconsulte, ne puisse dire à un Medecin. Après cette
explication, je déclare qu’à l’avenir personne ne doit plus
appréhender ma plume. Lorsque je ne trouverai rien à louer, je
garderai le silence, & tout Réformateur que je suis, je ne
veux point établir ici de Tribunal d’Inquisition. Il seroit à
souhaiter que tout le monde, & moi le premier, pût avoir
toûjours devant les yeux l’exemple de
2Verus & le suivre. Ce sage Magistrat n’avoit
pas moins de mépris pour le Vice, que de courage pour le
réprimer. Il donnoit la même attention à ne le chercher point où
il n’étoit pas, qu’à ne l’épargner point où il le trouvoit. Le
caractere qui lui paroissoit le plus odieux étoit celui d’un
Homme qui n’aïant aucune vertu, vouloit aquerir la reputation
d’en avoir, en affectant une severité impitoïable pour les
Personnes vicieuses. Verus connoissoit à fond toutes les Loix de
l’Etat, & en étoit lui-même religieux observateur. Il
consideroit la Justice plutôt comme une vertu morale, dont la
pratique doit être commune à tous les Hommes, que comme une
affaire de Mêtier qui fût particuliere à l’office de Juge. Aussi
son Equité ne paroissoit jamais avec plus d’éclat que dans les
tems & dans les lieux où elle paroissoit revêtue de plus de
pouvoir. Assis sur le Tribunal,
3il étoit le
Conseiller des prévenus, & les prévenus
respectoient avec confiance, en sa personne,
4la Patrie qui devoit les juger, &
dont il étoit, en quelque sens, le Pere. Quelque embarrassés
qu’ils fussent par le sentiment de leur crime, & quelque
incapacité qu’ils eussent à bien parler pour se défendre, ils
étoient assurés que du peu de choses qu’ils diroient, ou qu’ils
diroient mal, le Magistrat tireroit tout ce qui pouvoit leur
être favorable, & qu’il seroit également soigneux de ne
faire violence à aucune Loi pour les perdre, ou de ne leur en
cacher aucune de celles qui pourroient les sauver. Pendant que
Verus vivoit, il y eut
5certaines gens qui avoient
quelque part à l’administration de la Justice. Ils digéroient
les choses, & les mettoient en ordre avant qu’elles fussent
portées au Tribunal. Ces gens-là ressembloient au Juge, comme
les Singes ressemblent aux Hommes. D’un côté ils lui
ressembloient assez pour que l’on s’y pût méprendre, & de
l’autre, ils lui ressembloient si peu qu’on auroit eu honte de
s’y être mépris. Ce fut à leur occasion que l’on dit alors,
& que l’on a dit souvent depuis ce tems-là, Qui nous fera
justice des Juges ? Verus le fit. Il en traita deux selon leur
mérite. Leurs Noms ne font rien à la chose ; mais il est bon de
savoir qu’ils faisoient tous deux grande ostentation de rigueur
dans l’exécution de leur Office. L’un étoit la terreur des
Filoux, & l’autre étoit l’effroi des Coureuses. Tout cela
n’auroit pas été mauvais, s’il n’y avoit eu dans leur fait une
criante acception de personnes. Le premier partageoit le profit
avec les Chevaliers d’industrie, pendant qu’il étoit inflexible
pour les petits Voleurs qui s’attachent aux Gands & aux
Mouchoirs. Le second ne faisoit point de quartier à ces
malheureuses qui ne se perdent souvent que par un
excès de misere, pendant qu’il témoignoit une extrême indulgence
pour ces Femmes libertines qui ne s’abandonnent que par un
esprit de débauche. Celui-ci faisoit mettre en cage comme un
vagabond le miserable passant qui venoit dans la Paroisse
demander le couvert, & celui-là y saisoit renfermer de même
toutes les pauvres Filles qu’il voïoit passer le sein découvert
& en simple Jupon, sous prétexte que la legereté de leurs
habits étoit une marque de la legereté de leur conduite. Ce
qu’il y avoit de plaisant, c’est que ces deux Hommes
s’entendoient mal entre eux, ou s’entendoient trop bien. L’un
envoïoit en prison les gens que l’autre laissoit en liberté, ou
relâchoit ceux que son Confrere avoit emprisonnés. Verus, qui
fut informé du desordre, en arrêta le cours en punissant les
coupables, & considerant ce que demandoit une exacte
Justice, il ne mit aucune difference entre des Criminels qui
étoient debout aux pieds de son Tribunal & des Criminels qui
étoient assis à ses côtés sur le Siege des Juges.
Du Caffé de Guillaume, le 11 de Mai.
Hier au soir on joua
6le Comte Essex. Nous n’avons guere de Tragédie
qui soit si mal écrite, & cependant on ne l’a jamais
représentée qu’elle n’ait arraché des larmes à la plupart des
Spectateurs. Cela prouve que ce ne sont pas tant les mots qui
touchent que les choses. Quoi que cette Pièce soit du genre le
plus médiocre, & pour les pensées où il regne une stérilité
surprenante, & pour les expressions qui ne conviennent
nullement aux Personnages, il y a néanmoins je ne sai quoi de si
bien ménagé dans les incidens principaux de l’Action, qu’il est
presque impossible que l’Imagination n’en soit émue, & que
le cœur ne s’en trouve un peu ébranlé. J’avouë que cet effet ne peut être général. Il doit être insensible
pour les personnes intelligentes & délicates, qui ne se
prêtent au plaisir qu’après avoir examiné scrupuleusement si ce
qu’on leur présente est en droit de plaire. Mais les gens qui ne
connoissent pas assez la Nature, ne résistent point à ses
premiers mouvemens. Il faut dire aussi que la personne, &
l’action de Wilks ne sont pas les choses qui contribuent le
moins au succès de cette Tragédie, & que c’est peut-être
tout ce qui la fait paroître si touchante à la multitude. La
présence & les maniéres d’un bel Homme intéressent, en sa
faveur, le cœur de toutes les Dames. Quand on le voit sur le
point de finir tristement ses jours dans la fleur de son âge,
& d’une maniere tragique, il n’est point de Belles que ce
Spectacle n’attendrisse, & qui dans ce moment ne soit toute
disposée à faire grace à cet Amant infortuné, quand même il ne
diroit rien pour la mériter. Ce soir on a représenté le
Chimiste. C’est une Comédie de Ben-Johnson qui y a
merveilleusement exprimé la vaste étenduë de son Génie, & la
grande connoissance qu’il avoit des Passions, & de la
Sottise des Hommes. La Scène du. IV. Acte, où tous les gens qui ont été trompez s’opposent à celui qui travaille
à les desabuser, est sur tout inimitable, & marque bien la
main de Maître qui l’a écrite. L’adresse que le Poëte a euë de
montrer que l’Avarice est le grand mobile des Hommes ; que
toutes leurs vûës, quoique diverses en apparence, tendent au
même point ; & que c’est à quoi visent également les
Marchands, les Joueurs, les Libertins, & les Dévots ; cette
adresse, dis-je, fait voir qu’il possedoit en perfection le
discernement des Caracteres, sans quoi l’on ne peut exceller
dans le Genre Comique.
Du Caffé de White, le 11.
Mai.
Nous sommes souvent la dupe de nos propres
desirs, & l’ardeur avec laquelle nous souhaitons les choses
est d’ordinaire une espece d’enchantement qui nous entraîne au
malheur que nous voulons éviter. On en voit tous les jours des
Exemples, & je viens d’en apprendre un tout nouveau qui
mérite d’être sû du Public. Nous avons ici un Diseur de bonne
avanture, qui passe, en fait de Prédictions,
Partridge, moi-même, & le
7Docteur qui n’est pas né. Il ne répond
que par signes aux Questions qu’on lui fait. Cependant toutes
les personnes, qui le consultent, trouvent qu’il fait
merveilles, & le Drôle se fait payer tout ce qu’il veut, des
grimaces que les intéressez interpretent chacun à sa fantaisie.
Racconto generale
Une jeune Veuve alla l’autre
jour lui rendre visite. C’est une riche Bourgeoise qui n’a
perdu son Mari que depuis six semaines. Soit aversion pour
la solitude, ou curiosité naturelle, il lui tardoit de
savoir si elle en auroit un second, & c’est ce qui la
menoit chez le Devin. Entrant chez lui, & voulant lui
parler la même Langue dans laquelle on devoit lui répondre,
elle leva deux doigts ouverts sur son front en guise de
Cornes. Le sorcier répondit à cela par le même signe, mais
fait des deux mains à la fois. Ces doubles Cornes
embarrasserent la Belle qui ne sut ce qu’elles vouloient
dire. Elle crut donc qu’il valoit mieux se servir de la
Langue qu’elle avoit apprise de sa Mere, &
pour éviter l’équivoque, elle pria l’Oracle de s’expliquer,
si c’est qu’après avoir eu un Mari, elle en auroit un autre,
ou si elle devoit encore en avoir deux nouveaux. Voilà mon
Homme qui fait des postures de Démoniaque. Babet, Confidente
& Soubrette, tire sa Maîtresse par la manche, & lui
conseille tout bas de donner une seconde Guinée. On la
donne, & le Devin plus tranquille fit alors connoître
assez intelligiblement que la Dame pousseroit jusqu’à un
troisiéme ; mais enfin, par quelques branlemens de tête
& sécouant les deux oreilles, il lui fit comprendre que
ces deux derniers Maris ne feroient pas de vieux os, &
qu’elle auroit bientôt le chagrin de les mettre en terre.
Cette triste nouvelle fit pousser quelques soupirs à la
Veuve, & ne l’empêcha pas de donner une demi Guinée à
celui qui venoit de la lui annoncer. Instruite ainsi de son
sort, elle se hâte de le remplir, & pour faire de
promptes conquêtes, elle est venue se loger du côté de la
Cour. Elle a déja pour Soupirans deux Hommes qu’elle prend
pour des gens de conséquenec, & qu’elle croit être l’un
& l’autre à la liberté de son choix. Je les connois tous deux, parce qu’ils fréquentent ce Caffé. Ils
passent pour des Gentilshommes accomplis auprès des
personnes qui ne s’y connoissent pas. Ils en attrapent assez
l’air & les maniéres, & je ne serois point surpris
qu’ils s’en fussent aquis la réputation, s’il ne falloit
qu’avoir envie de le paroître, pour l’être véritablement.
Mais nous vivons dans un Siécle où l’on ne se laisse point
tromper par les apparences, & ces Meisseurs ne peuvent
passer tout au plus que pour de jolis Hommes. Ce sont deux
Caracteres opposez. L’un outre l’exactitude, & l’autre
porte la négligence à l’excès. Lorsque le dernier veut aller
en compagnie, il consulte soigneusement son Miroir pour se
mettre dans un desordre dont il soit lui-même content. Il
met sa Perruque de travers ; il chiffonne sa Cravate, &
peu s’en saut qu’il ne se deshabille. Le premier au
contraire est d’un si grand propre dans ses ajustemens, il y
est si attentif, & si difficile, que tout le tems qu’il
est en visite se passe à y raccommoder quelque chose.
Celui-ci n’auroit pas la préference, si j’avois à prononcer
sur le different mérite ; car au moins un Homme qui se
dérange par étude a bien-tôt fait son affaire. La Veuve qui considere les choses d’un autre côté ne sait
lequel des deux lui sera le plus propre. L’un se ménage si
fort, qu’elle craint qu’il ne vive trop longtems : Mais elle
appréhende aussi que l’autre ne se ménage pas assez pour une
Femme qui se porte bien. Veut-on que je peigne en un mot ces
deux Originaux ? Je dirai que celui-ci est un Fat, & que
celui-là est un petit glorieux. Belles ressources pour une
Femme éveillée, & qui cherche une condition plus douce
que le Veuvage ! On se dit pourtant à l’oreille que la
Soubrette a dessein de faire épouser à sa Maîtresse, un
certain Mr. du Tonnerre, Joueur de profession. Cet Homme a
déja ruïné tant de Femmes, qu’il ne faut point douter qu’il
ne réussisse auprès de celle-ci, si une fois il y peut être
reçû sur le pied de Galant. Car chez le beau Sexe, rien ne
flatte plus la vanité, que la gloire que l’on se propose en
attrapant des Hommes qui ont attrapé d’autres Femmes,
&c. &c. Desunt multa.
Metatestualità
On ne m’a pas apris la fin de
l’histoire.