Citazione bibliografica: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Ed.): "Article XIV.", in: Le Philosophe nouvelliste, Vol.1\020 (1735), pp. 221-234, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2287 [consultato il: ].


Livello 1►

Article XIV.

Du Mardi 10. au Jeudi 12. Mai. 1709.

Livello 2► J’en n’en sais point mystere. Si mon bon Ange ne me fût pas apparu l’autre jour de la maniere que je le [222] racontai, je n’aurois eu rien à dire & j’étois au bout de mon rollet. Mais il me rendit le courage qui alloit me manquer, & me recommanda fort de suivre mon premier dessein, de censurer le Vice en épargnant les personnes. Livello 3► Dialogo► « Car, dit-il, nous vivons dans un Siècle où l’on prend toujours les Portraits en mauvaise part. Quand vous peignez en beau, personne ne s’en fait une application si particuliere à soi-même, qu’on vous en ait obligation. Mais quand vous peignez en laid, s’il vous arrive d’avoir quelqu’un en vûe, tout le monde vous en voudra du mal, parce qu’il n’y aura personne qui n’appréhende de paroître à son tour dans votre Satire. » ◀Dialogo ◀Livello 3 Je le remerciai fort de ses bonnes leçons, & lui promis sur le champ de demander pardon à l’Auteur de l’Avis aux Poëtes1 de quelques petits traits qui m’échapperent, il y a quelque [223] tems, contre lui. Je pourrois dire pour mon excuse, que je ne me proposois en cela que de faire sentir à tout le monde en général, que, lors qu’on a autant d’Esprit, qu’en a cet Auteur, c’est une grande saute que de former des Plans d’Ouvrage qui ne sauroient faire honneur. Mais sans insister là dessus, je crois après tout, que je ne dis rien alors qui péche contre les loix de la Politesse, & qu’un Homme de ma Profession, c’est-à dire un Jurisconsulte, ne puisse dire à un Medecin. Après cette explication, je déclare qu’à l’avenir personne ne doit plus appréhender ma plume. Lorsque je ne trouverai rien à louer, je garderai le silence, & tout Réformateur que je suis, je ne veux point établir ici de Tribunal d’Inquisition.

Il seroit à souhaiter que tout le monde, & moi le premier, pût avoir toûjours devant les yeux l’exemple de2 [224] Verus & le suivre. Ce sage Magistrat n’avoit pas moins de mépris pour le Vice, que de courage pour le réprimer. Il donnoit la même attention à ne le chercher point où il n’étoit pas, qu’à ne l’épargner point où il le trouvoit. Le caractere qui lui paroissoit le plus odieux étoit celui d’un Homme qui n’aïant aucune vertu, vouloit aquerir la reputation d’en avoir, en affectant une severité impitoïable pour les Personnes vicieuses. Verus connoissoit à fond toutes les Loix de l’Etat, & en étoit lui-même religieux observateur. Il consideroit la Justice plutôt comme une vertu morale, dont la pratique doit être commune à tous les Hommes, que comme une affaire de Mêtier qui fût particuliere à l’office de Juge. Aussi son Equité ne paroissoit jamais avec plus d’éclat que dans les tems & dans les lieux où elle paroissoit revêtue de plus de pouvoir. Assis sur le Tribunal,3 il étoit le Conseiller des [225] prévenus, & les prévenus respectoient avec confiance, en sa personne,4 la Patrie qui devoit les juger, & dont il étoit, en quelque sens, le Pere. Quelque embarrassés qu’ils fussent par le sentiment de leur crime, & quelque incapacité qu’ils eussent à bien parler pour se défendre, ils étoient assurés que du peu de choses qu’ils diroient, ou qu’ils diroient mal, le Magistrat tireroit tout ce qui pouvoit leur être favorable, & qu’il seroit également soigneux de ne faire violence à aucune Loi pour les perdre, ou de ne leur en cacher aucune de celles qui pourroient les sauver.

Pendant que Verus vivoit, il y eut5 [226] certaines gens qui avoient quelque part à l’administration de la Justice. Ils digéroient les choses, & les mettoient en ordre avant qu’elles fussent portées au Tribunal. Ces gens-là ressembloient au Juge, comme les Singes ressemblent aux Hommes. D’un côté ils lui ressembloient assez pour que l’on s’y pût méprendre, & de l’autre, ils lui ressembloient si peu qu’on auroit eu honte de s’y être mépris. Ce fut à leur occasion que l’on dit alors, & que l’on a dit souvent depuis ce tems-là, Qui nous fera justice des Juges ? Verus le fit. Il en traita deux selon leur mérite. Leurs Noms ne font rien à la chose ; mais il est bon de savoir qu’ils faisoient tous deux grande ostentation de rigueur dans l’exécution de leur Office. L’un étoit la terreur des Filoux, & l’autre étoit l’effroi des Coureuses. Tout cela n’auroit pas été mauvais, s’il n’y avoit eu dans leur fait une criante acception de personnes. Le premier partageoit le profit avec les Chevaliers d’industrie, pendant qu’il étoit inflexible pour les petits Voleurs qui s’attachent aux Gands & aux Mouchoirs. Le second ne faisoit point de quartier à ces malheureuses qui ne [227] se perdent souvent que par un excès de misere, pendant qu’il témoignoit une extrême indulgence pour ces Femmes libertines qui ne s’abandonnent que par un esprit de débauche. Celui-ci faisoit mettre en cage comme un vagabond le miserable passant qui venoit dans la Paroisse demander le couvert, & celui-là y saisoit renfermer de même toutes les pauvres Filles qu’il voïoit passer le sein découvert & en simple Jupon, sous prétexte que la legereté de leurs habits étoit une marque de la legereté de leur conduite. Ce qu’il y avoit de plaisant, c’est que ces deux Hommes s’entendoient mal entre eux, ou s’entendoient trop bien. L’un envoïoit en prison les gens que l’autre laissoit en liberté, ou relâchoit ceux que son Confrere avoit emprisonnés. Verus, qui fut informé du desordre, en arrêta le cours en punissant les coupables, & considerant ce que demandoit une exacte Justice, il ne mit aucune difference entre des Criminels qui étoient debout aux pieds de son Tribunal & des Criminels qui étoient assis à ses côtés sur le Siege des Juges.

[228] Du Caffé de Guillaume, le 11 de Mai.

Hier au soir on joua6 le Comte Essex. Nous n’avons guere de Tragédie qui soit si mal écrite, & cependant on ne l’a jamais représentée qu’elle n’ait arraché des larmes à la plupart des Spectateurs. Cela prouve que ce ne sont pas tant les mots qui touchent que les choses. Quoi que cette Pièce soit du genre le plus médiocre, & pour les pensées où il regne une stérilité surprenante, & pour les expressions qui ne conviennent nullement aux Personnages, il y a néanmoins je ne sai quoi de si bien ménagé dans les incidens principaux de l’Action, qu’il est presque impossible que l’Imagination n’en soit émue, & que le cœur ne s’en trouve un peu ébranlé. J’avouë que cet ef-[229]fet ne peut être général. Il doit être insensible pour les personnes intelligentes & délicates, qui ne se prêtent au plaisir qu’après avoir examiné scrupuleusement si ce qu’on leur présente est en droit de plaire. Mais les gens qui ne connoissent pas assez la Nature, ne résistent point à ses premiers mouvemens. Il faut dire aussi que la personne, & l’action de Wilks ne sont pas les choses qui contribuent le moins au succès de cette Tragédie, & que c’est peut-être tout ce qui la fait paroître si touchante à la multitude. La présence & les maniéres d’un bel Homme intéressent, en sa faveur, le cœur de toutes les Dames. Quand on le voit sur le point de finir tristement ses jours dans la fleur de son âge, & d’une maniere tragique, il n’est point de Belles que ce Spectacle n’attendrisse, & qui dans ce moment ne soit toute disposée à faire grace à cet Amant infortuné, quand même il ne diroit rien pour la mériter.

Ce soir on a représenté le Chimiste. C’est une Comédie de Ben-Johnson qui y a merveilleusement exprimé la vaste étenduë de son Génie, & la grande connoissance qu’il avoit des Passions, & de la Sottise des Hommes. La Scène du. IV. Acte, où tous [230] les gens qui ont été trompez s’opposent à celui qui travaille à les desabuser, est sur tout inimitable, & marque bien la main de Maître qui l’a écrite. L’adresse que le Poëte a euë de montrer que l’Avarice est le grand mobile des Hommes ; que toutes leurs vûës, quoique diverses en apparence, tendent au même point ; & que c’est à quoi visent également les Marchands, les Joueurs, les Libertins, & les Dévots ; cette adresse, dis-je, fait voir qu’il possedoit en perfection le discernement des Caracteres, sans quoi l’on ne peut exceller dans le Genre Comique.

Du Caffé de White, le 11. Mai.

Nous sommes souvent la dupe de nos propres desirs, & l’ardeur avec laquelle nous souhaitons les choses est d’ordinaire une espece d’enchantement qui nous entraîne au malheur que nous voulons éviter. On en voit tous les jours des Exemples, & je viens d’en apprendre un tout nouveau qui mérite d’être sû du Public. Nous avons ici un Diseur de bonne avanture, qui passe, en fait de Prédic-[231]tions, Partridge, moi-même, & le 7 Docteur qui n’est pas né. Il ne répond que par signes aux Questions qu’on lui fait. Cependant toutes les personnes, qui le consultent, trouvent qu’il fait merveilles, & le Drôle se fait payer tout ce qu’il veut, des grimaces que les intéressez interpretent chacun à sa fantaisie. Racconto generale► Une jeune Veuve alla l’autre jour lui rendre visite. C’est une riche Bourgeoise qui n’a perdu son Mari que depuis six semaines. Soit aversion pour la solitude, ou curiosité naturelle, il lui tardoit de savoir si elle en auroit un second, & c’est ce qui la menoit chez le Devin. Entrant chez lui, & voulant lui parler la même Langue dans laquelle on devoit lui répondre, elle leva deux doigts ouverts sur son front en guise de Cornes. Le sorcier répondit à cela par le même signe, mais fait des deux mains à la fois. Ces doubles Cornes embarrasserent la Belle qui ne sut ce qu’elles vouloient dire. Elle crut donc qu’il valoit mieux se servir de la Langue qu’elle [232] avoit apprise de sa Mere, & pour éviter l’équivoque, elle pria l’Oracle de s’expliquer, si c’est qu’après avoir eu un Mari, elle en auroit un autre, ou si elle devoit encore en avoir deux nouveaux. Voilà mon Homme qui fait des postures de Démoniaque. Babet, Confidente & Soubrette, tire sa Maîtresse par la manche, & lui conseille tout bas de donner une seconde Guinée. On la donne, & le Devin plus tranquille fit alors connoître assez intelligiblement que la Dame pousseroit jusqu’à un troisiéme ; mais enfin, par quelques branlemens de tête & sécouant les deux oreilles, il lui fit comprendre que ces deux derniers Maris ne feroient pas de vieux os, & qu’elle auroit bientôt le chagrin de les mettre en terre. Cette triste nouvelle fit pousser quelques soupirs à la Veuve, & ne l’empêcha pas de donner une demi Guinée à celui qui venoit de la lui annoncer.

Instruite ainsi de son sort, elle se hâte de le remplir, & pour faire de promptes conquêtes, elle est venue se loger du côté de la Cour. Elle a déja pour Soupirans deux Hommes qu’elle prend pour des gens de conséquenec, & qu’elle croit être l’un & l’autre à la liberté de son choix. Je les [233] connois tous deux, parce qu’ils fréquentent ce Caffé. Ils passent pour des Gentilshommes accomplis auprès des personnes qui ne s’y connoissent pas. Ils en attrapent assez l’air & les maniéres, & je ne serois point surpris qu’ils s’en fussent aquis la réputation, s’il ne falloit qu’avoir envie de le paroître, pour l’être véritablement. Mais nous vivons dans un Siécle où l’on ne se laisse point tromper par les apparences, & ces Meisseurs ne peuvent passer tout au plus que pour de jolis Hommes. Ce sont deux Caracteres opposez. L’un outre l’exactitude, & l’autre porte la négligence à l’excès. Lorsque le dernier veut aller en compagnie, il consulte soigneusement son Miroir pour se mettre dans un desordre dont il soit lui-même content. Il met sa Perruque de travers ; il chiffonne sa Cravate, & peu s’en saut qu’il ne se deshabille. Le premier au contraire est d’un si grand propre dans ses ajustemens, il y est si attentif, & si difficile, que tout le tems qu’il est en visite se passe à y raccommoder quelque chose. Celui-ci n’auroit pas la préference, si j’avois à prononcer sur le different mérite ; car au moins un Homme qui se dérange par étude a bien-tôt fait son affaire. [234] La Veuve qui considere les choses d’un autre côté ne sait lequel des deux lui sera le plus propre. L’un se ménage si fort, qu’elle craint qu’il ne vive trop longtems : Mais elle appréhende aussi que l’autre ne se ménage pas assez pour une Femme qui se porte bien. Veut-on que je peigne en un mot ces deux Originaux ? Je dirai que celui-ci est un Fat, & que celui-là est un petit glorieux. Belles ressources pour une Femme éveillée, & qui cherche une condition plus douce que le Veuvage ! On se dit pourtant à l’oreille que la Soubrette a dessein de faire épouser à sa Maîtresse, un certain Mr. du Tonnerre, Joueur de profession. Cet Homme a déja ruïné tant de Femmes, qu’il ne faut point douter qu’il ne réussisse auprès de celle-ci, si une fois il y peut être reçû sur le pied de Galant. Car chez le beau Sexe, rien ne flatte plus la vanité, que la gloire que l’on se propose en attrapant des Hommes qui ont attrapé d’autres Femmes, &c. &c. Desunt multa. ◀Racconto generale Metatestualità► On ne m’a pas apris la fin de l’histoire. ◀Metatestualità ◀Livello 2 ◀Livello 1

1Voy. ci-dessus le III. Art. L'Auteur esperoit dans les commencemens d'être inconnu, & il en étoit plus libre. Mr. le Chevalier Richard Blackmore prit fort mal les railleries de cet Ouvrage, quand il en connut l'Auteur. Tout le monde sait que ce Chevalier étoit Medecin, & grand Ecrivain.

2L'Auteur veut parler du Chevalier Holt ; premier Juge du Roïaume sous Guillaume III. & quelques années après la Mort de ce Prince. D'autres prétendent qu'il s'agit ici de Mylord Cowper, alors Grand Chancelier du Roïaume, & que l’histoire des deux Juges à paix est réelle.

3C’est une douceur particuliere aux Loix Angloises, que, pendant que l’on plaide, le Juge donne au Criminel les éclaircissemens & les avis qu'il lui demande & que souvent même il le conduit par les questions qu’il lui fait, à donner à son affaire le tour le plus avantageux.

4On demande aux prévenus comment ils veulent être jugés ; à quoi ils répondent by my Country, c'est-à-dire, par ma Patrie : ce qui renferme toutes les formalités de la Loi commune d’Angleterre.

5L'Auteur veut ici parler de ceux que l'on appelle ordinairement, Justices of the Peace, c'est-à dire Juges à Paix. Cette Commission se donne avec si peu de choix à tant de petites gens, qu'elle est assez mal exécutée, & encore plus décriée. A peine trouve t on à présent des personnes de quelque naissance qui veuillent s'en charger.

6Cette Piece est vieille, & l'Auteur s'appelloit Banks. Le Comte d'Essex fut un des favoris de la Reine Elisabeth, pour lequel on prétend que cette Princesse eut l'inclination la plus tendre. Elle lui rit trancher la tête sur le prétexte de quelque crime d'Etat.

7C'étoit un Charlatan qui disoit être venu au monde par l'operation Cesarienne, & qui débitoit là dessus au petit peuple qu'il avoit des qualitez occultes, en vertu de sa naissance extraordinaire.