Le Philosophe nouvelliste: Article XIII.
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Article XIII.
Du Samedi 7. au Mardi 9. de Mai 1709.
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Racconto generale
Quelques occupations serieuses
m’ont rendu si rêveur, que ne me sentant pas disposé à me
trouver en compagnie, j’ai cru mieux faire de chercher
quelque Promenade. J’ai donc été au Jardin de Lincoln’s Inn.
Après y avoir fait deux ou trois tours d’allée, je me suis
reposé sur un Siege, dont un bout étoit déja occupé par un
venerable Vieillard que je ne connoissois point. C’est la
coutûme de ne faire point de façon là-dessus. A peine ai-je
été assis que cet Inconnu m’a dit d’un air fort obligeant :
Ces dernieres paroles ne m’ont pas peu surpris, &
je n’ai pû m’empêcher d’y faire cette reflexion mentale, que
le bon Homme avoit plus de générosité que de prudence ; puis
que voulant faire du bien, il ne savoit pas placer ses
bienfaits. Il a compris à mon air que je n’approuvois pas sa
maniere d’obliger les gens, & pour me tirer d’embarras,
il m’a fait son Histoire à peu près en ces mots :
Notre conversation finit en cet endroit, &
j’espere que l’on me pardonnera de n’avoir pas appris plus
de choses dans une premiere entrevûe. Il est assez
vraisemblable, qu’à la seconde il m’en dira qui ne seront
pas moins curieuses ; car pour un Esprit, il n’est pas
méchant.
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Dialogo
« Mr. Bickerstaff, je
m’estime fort heureux de vous rencontrer ici. Monsieur, lui ai-je répondu, je ne
crois pas avoir jamais eu l’honneur de vous voir.
C’est un effet de mon malheur, a-t-il repliqué ;
mais je vous assure que depuis quelques années je
vous ai rendu de bons services. Il faut ou que vous
ne vous soïez pas aperçu de la part que j’ai prise à
vos affaires, ou que, si vous en avez eu quelque
soupçon, vous m’aiez évité comme un ennemi. Si cela
est, je vous le pardonne. Condamné que je suis à
m’intéresser aux choses du monde, tel est mon sort
que je ne dois pas me rebuter d’y faire du bien,
quelques duretés que j’aie à souffrir de la part des
personnes même que j’oblige le plus. »
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Dialogo
« Sachant, Monsieur, que
vous êtes versé dans les Sciences occultes, je ne
prendrai point de détours pour vous
instruire de ce que vous savez déja, qu’il y a des
Etres aëriens qui prennent le même soin de conduire
les Hommes, que les Nourrices en donnent aux Enfans
qui ne peuvent pas encore se conduire d’eux-mêmes.
Ces Etres font ordinairement appellés parmi vous des
Anges Gardiens, & je dois vous avertir, Mr.
Bickerstaff, que je suis à présent le vôtre, &
que je le serai encore pour quelque tems. Nos ordres
veulent que nous changions de tems en tems de
poste ; & que nous passions successivement de la
direction d’une personne à celle de quelque autre.
Mais nous avons la liberté de prendre la forme qui
nous paroît la plus convenable pour amener à la
Vertu les gens qui sont commis à nos soins. Vous
êtes si difficile à mener, & vous m’avez donné
depuis peu tant d’affaires, que j’ai enfin trouvé à
propos de me rendre visible pour vous prier de me
donner moins de peine, & de ne me tenir pas
toujours dans la nécessité de veiller sur vos
actions. Monsieur, ai-je repondu, ce que vous venez
de me dire me fera prendre de plus près garde à
moi-même : mais, pour confirmer la
leçon que vous me donnez, faites-moi la grace de
m’instruire à quoi vous vous occupez, & quels
sont les plaisirs ou les peines de votre Emploi. »
Metatestualità
Voici la réponse qu’il m’a
faite.
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Dialogo
Racconto generale
« Pour vous faire
voir à combien de petites choses il faut que nous
nous prêtions, je ne vous entretiendrai que des
trois derniers Postes que j’ai occupés. Le premier
jour d’Avril de cette année, on me mit auprès
d’une Belle, chez qui je ne demeurai qu’une
semaine. De-là j’allai chez un Jureur, & je
passai ensuite chez un Joueur. En arrivant chez la
Dame, je trouvai que ce que j’avois à faire étoit
de veiller sur ses yeux & sur ses oreilles.
Mais elle étoit environnée de tant de flateurs,
& sa Maison, meublée à la moderne, étoit si
remplie de Miroirs, que je ne pouvois presque être
sûr d’elle que lorsqu’elle étoit endormie. D’abord
que nous sortions, à droite & à gauche ce
n’étoit qu’ennemis. Paroissoit-il quelque Homme
bien fait ? On le regardoit en face, & cela
servoit à grossir le nombre des soupirans. Le
sixiême du Mois, sur la fin du jour, la Dame, assise sur un lit de repos, lisoit
les Epîtres d’Ovide, & au moment qu’elle en
étoit à1ces Vers de
la Lettre d’Helene à Paris : Dans ce moment, dis-je, entra
Philandre, de tous les Hommes le plus adroit en
galanterie. Imaginez-vous, & c’est tout dire,
qu’il a porté à la perfection l’art de parler aux
Femmes en Amant infortuné, & d’agir auprès
d’elles en Amant heureux. Je m’apperçus que
Dictine rougissoit en le voïant entrer. Cette
rougeur m’allarma. Mais elle & moi nous nous
rassurames par la maniere dont Philandre entama la
conversation. Il lui fit des complimens sur
l’occupation dans laquelle il l’avoit trouvée. A
l’Etude ! Un Livré à la main ! La
chose étoit rare dans les personnes de son Sexe.
Elle ne lui en paroissoit que plus glorieuse,
& les Dames ne pouvoient le faire d’amusement
plus honnëte. Comptez qu’il parla si bien, qu’il
endormit la Belle, & moi-même je ne me défiois
plus de rien, lorsque je vis que cet Homme
dangereux tourna le discours sur les ajustemens ;
loua la propreté de ceux de Dictinne ; & se
répandit en douceurs sur le bon goût de son
deshabillé. Pour le coup je tremblai. Je
connoissois les Femmes. J’en avois eu d’autres
sous ma direction ; & je sai combien est
redoutable auprès d’elles, un Homme d’Esprit qui
peut se résoudre à parler de bagatelles. Je pris
donc la résolution de redoubler ma vigilance. Je
prévins Dictinne contre tout ce que le Galant
pouvoit lui dire, & de sa personne, & de
ses habits. Mais je ne pûs tenir ensuite devant
lui. Le nouveau tour qu’il prit rompit toutes mes
mesures. Il l’entretint de ses Parentes & de
ses Amies, & ne manqua pas d’en dire du mal.
Selon lui, Flore avoit un peu de beauté, &
beaucoup d’esprit ; mais point de grace, &
puis quel rire ? Pastorelle n’étoit
point vicieuse. Mais ne faut-il que cela pour
avoir du mérite ? Ce n’est point assez pour être
vertueuse, que de n’être point coupable. Ensuite
il tomba sur le front d’une telle, sur la bouche
d’une autre, sur les dents d’une voisine, sur la
gorge d’une Parente. II faut voir le plaisir qu’il
fit à la Belle ; car toutes les Femmes estiment
qu’on leur donne ce qu’on ôte aux autres. Pour
finir mon histoire, Philandre l’emporta sur mes
soins ; je fus congedié, & il y paroîtra en
neuf mois à compter du sixiême d’Avril. En sortant
de chez elle, j’allai chez un Jureur déterminé. Je
ne saurois vous exprimer l’embarras où je fus
lorsque j’examinai son cerveau. La moitié en étoit
usée, & ne contenoit que des Particules
explétives, qui n’avoient rien de commun avec les
autres parties du tissu. Le matin, par exemple, il
appelloit son Valet pour l’habiller. Jean ne
répondoit point. Je renie, crioit-il. Personne
là ! Que la peste t’étouffe ! Hola ! Oh ! Jean !
Chien, Paresseux au Diable ! Par la Mort ! Je ne
pus imaginer de voie pour le guérir
que d’écrire ce qu’il disoit de la sorte, & de
mettre le Billet sur la toilette, afin qu’il l’y
trouvât quand il viendroit mettre sa cravate. Dans
le dernier Billet, où j’avois couché tout ce qu’il
avoit dit une demie heure auparavant, il y avoit
ces mots : Qu’est-ce ? La peste m’étouffe. Où est
la Savonnette ? Appelle les Porteurs. Le Diable
les emporte. Je gage qu’ils sont à grenouiller au
Cabaret . Sang bleu. Fussent-ils au fin fond des
Enfers ! Quand il vint à son miroir il vit le
Billet ; il l’ouvrit ; Oh ! oh ! dit-il en le
lisant, voici un Gaillard qui fait pis que moi ;
il écrit ses juremens & renie sur le papier !
Mais en continuant la lecture, il s’apperçut que
c’étoit ses dernieres paroles. Mon stratagême
réussit. Il devint un autre Homme, & à l’heure
qu’il est, il apprend à parler sans jurer ; ce qui
fait qu’il parle encore fort peu. Car, comme je
vous l’ai déja dit, le cerveau du Jureur ne
contient aucune idée du côté où les Juremens sont
placés ; c’est pourquoi mon Eléve est encore fort
concis dans ses discours, reduit qu’il est à
substituer des mots qui ne signifient rien à ceux qu’il veut quitter. Lors que
je sortis de chez lui il en étoit à, De vrai ! Oui
dà ! Le Drole ! & autres semblables. J’en
augurai bien de sa guérison. J’allai donc ensuite
chez le Joueur. Je dois vous dire que la premiere
chose que je fais quand je suis auprès d’un Homme,
est la dissection de son Pericrane. Je ne trouvai
dans celui-ci aucunes traces de pensée. Ce n’étoit
que forte passion, que desirs violens, qui avoient
tout mis dans le plus triste dérangement. Le
passage subit des conditions y avoit tout
bouleversé. Il n’y avoit point d’état mitoien,
c’étoit ou le triomphe d’un Prince, ou la misere
d’un Gueux. Je n’ai demeuré qu’un jour avec lui.
C’étoit hier. A midi nous avions 4. mille Livres
Sterlin, à trois heures nous étions montés à 6.
mille ; une demie heure après, nous descendimes à
mille ; à quatre heures, il ne nous en restoit que
200. à cinq heures, notre Capital fut reduit à
50 ; à six heures, il le fut à 5. Livres ; à sept
heures, nous avions encore une Guinée, & sur
la premiere carte, nous perdimes, jusqu’au dernier sou. Ce matin, mon Homme a
emprunté un demi-écu de la Servante qui nettoie
ses souliers. Avec cet argent, il va jouer parmi
les Polissons pour des deniers & des Oranges.
Il y gagnera peut-être dix ou douze Ecus ; avec
quoi vous le verrez encore au Caffé de White
figurer avec les plus honnêtes gens de la Ville. »
Citazione/Motto
En silence, & des yeux seulement se
défendre, Aux desirs d’un Amant c’est à moitié se
rendre.
1On chercheroit inutilement ceci dans la Lettre qu'Ovide a supposée d'Helene à Paris. Il faut que le Traducteur Anglois l’ait placée à l’occasion des vers 89 & 90. Credere me tamen hoc oculo renuente negavi. Hei mihi ! jam didici sic quoque posse loqui.