Zitiervorschlag: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Hrsg.): "Article XIII.", in: Le Philosophe nouvelliste, Vol.1\019 (1735), S. 212-221, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2286 [aufgerufen am: ].


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Article XIII.

Du Samedi 7. au Mardi 9. de Mai 1709.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Quelques occupations serieuses m’ont rendu si rêveur, que ne me sentant pas disposé à me trouver en compagnie, j’ai cru mieux faire de chercher quelque Promenade. J’ai donc été au Jardin de Lincoln’s Inn. Après y avoir fait deux ou trois tours d’allée, je me suis reposé sur un Siege, dont un bout étoit déja occupé par un venerable Vieillard que je ne connoissois point. C’est la coutûme de ne faire point de façon là-dessus. A peine ai-je été assis que cet Inconnu m’a dit d’un air fort obligeant : Ebene 3► Dialog► « Mr. Bickerstaff, je m’estime fort heureux de vous [213] rencontrer ici. Monsieur, lui ai-je répondu, je ne crois pas avoir jamais eu l’honneur de vous voir. C’est un effet de mon malheur, a-t-il repliqué ; mais je vous assure que depuis quelques années je vous ai rendu de bons services. Il faut ou que vous ne vous soïez pas aperçu de la part que j’ai prise à vos affaires, ou que, si vous en avez eu quelque soupçon, vous m’aiez évité comme un ennemi. Si cela est, je vous le pardonne. Condamné que je suis à m’intéresser aux choses du monde, tel est mon sort que je ne dois pas me rebuter d’y faire du bien, quelques duretés que j’aie à souffrir de la part des personnes même que j’oblige le plus. » ◀Dialog ◀Ebene 3 Ces dernieres paroles ne m’ont pas peu surpris, & je n’ai pû m’empêcher d’y faire cette reflexion mentale, que le bon Homme avoit plus de générosité que de prudence ; puis que voulant faire du bien, il ne savoit pas placer ses bienfaits. Il a compris à mon air que je n’approuvois pas sa maniere d’obliger les gens, & pour me tirer d’embarras, il m’a fait son Histoire à peu près en ces mots : Ebene 3► Dialog► « Sachant, Monsieur, que vous êtes versé dans les Sciences occultes, je ne pren-[214]drai point de détours pour vous instruire de ce que vous savez déja, qu’il y a des Etres aëriens qui prennent le même soin de conduire les Hommes, que les Nourrices en donnent aux Enfans qui ne peuvent pas encore se conduire d’eux-mêmes. Ces Etres font ordinairement appellés parmi vous des Anges Gardiens, & je dois vous avertir, Mr. Bickerstaff, que je suis à présent le vôtre, & que je le serai encore pour quelque tems. Nos ordres veulent que nous changions de tems en tems de poste ; & que nous passions successivement de la direction d’une personne à celle de quelque autre. Mais nous avons la liberté de prendre la forme qui nous paroît la plus convenable pour amener à la Vertu les gens qui sont commis à nos soins. Vous êtes si difficile à mener, & vous m’avez donné depuis peu tant d’affaires, que j’ai enfin trouvé à propos de me rendre visible pour vous prier de me donner moins de peine, & de ne me tenir pas toujours dans la nécessité de veiller sur vos actions. Monsieur, ai-je repondu, ce que vous venez de me dire me fera prendre de plus près garde à moi-même : [215] mais, pour confirmer la leçon que vous me donnez, faites-moi la grace de m’instruire à quoi vous vous occupez, & quels sont les plaisirs ou les peines de votre Emploi. » ◀Dialog ◀Ebene 3 Metatextualität► Voici la réponse qu’il m’a faite. ◀Metatextualität

Ebene 3► Dialog► Allgemeine Erzählung► « Pour vous faire voir à combien de petites choses il faut que nous nous prêtions, je ne vous entretiendrai que des trois derniers Postes que j’ai occupés. Le premier jour d’Avril de cette année, on me mit auprès d’une Belle, chez qui je ne demeurai qu’une semaine. De-là j’allai chez un Jureur, & je passai ensuite chez un Joueur.

En arrivant chez la Dame, je trouvai que ce que j’avois à faire étoit de veiller sur ses yeux & sur ses oreilles. Mais elle étoit environnée de tant de flateurs, & sa Maison, meublée à la moderne, étoit si remplie de Miroirs, que je ne pouvois presque être sûr d’elle que lorsqu’elle étoit endormie. D’abord que nous sortions, à droite & à gauche ce n’étoit qu’ennemis. Paroissoit-il quelque Homme bien fait ? On le regardoit en face, & cela servoit à grossir le nombre des soupirans. Le sixiême du Mois, sur la fin du jour, la [216] Dame, assise sur un lit de repos, lisoit les Epîtres d’Ovide, & au moment qu’elle en étoit à1 ces Vers de la Lettre d’Helene à Paris :

Zitat/Motto► En silence, & des yeux seulement se défendre,

Aux desirs d’un Amant c’est à moitié se rendre. ◀Zitat/Motto

Dans ce moment, dis-je, entra Philandre, de tous les Hommes le plus adroit en galanterie. Imaginez-vous, & c’est tout dire, qu’il a porté à la perfection l’art de parler aux Femmes en Amant infortuné, & d’agir auprès d’elles en Amant heureux. Je m’apperçus que Dictine rougissoit en le voïant entrer. Cette rougeur m’allarma. Mais elle & moi nous nous rassurames par la maniere dont Philandre entama la conversation. Il lui fit des complimens sur l’occupation dans laquelle il l’avoit trouvée. A l’Etude ! [217] Un Livré à la main ! La chose étoit rare dans les personnes de son Sexe. Elle ne lui en paroissoit que plus glorieuse, & les Dames ne pouvoient le faire d’amusement plus honnëte. Comptez qu’il parla si bien, qu’il endormit la Belle, & moi-même je ne me défiois plus de rien, lorsque je vis que cet Homme dangereux tourna le discours sur les ajustemens ; loua la propreté de ceux de Dictinne ; & se répandit en douceurs sur le bon goût de son deshabillé. Pour le coup je tremblai. Je connoissois les Femmes. J’en avois eu d’autres sous ma direction ; & je sai combien est redoutable auprès d’elles, un Homme d’Esprit qui peut se résoudre à parler de bagatelles. Je pris donc la résolution de redoubler ma vigilance. Je prévins Dictinne contre tout ce que le Galant pouvoit lui dire, & de sa personne, & de ses habits. Mais je ne pûs tenir ensuite devant lui. Le nouveau tour qu’il prit rompit toutes mes mesures. Il l’entretint de ses Parentes & de ses Amies, & ne manqua pas d’en dire du mal. Selon lui, Flore avoit un peu de beauté, & beaucoup d’esprit ; mais point de grace, & puis quel rire ? [218] Pastorelle n’étoit point vicieuse. Mais ne faut-il que cela pour avoir du mérite ? Ce n’est point assez pour être vertueuse, que de n’être point coupable. Ensuite il tomba sur le front d’une telle, sur la bouche d’une autre, sur les dents d’une voisine, sur la gorge d’une Parente. II faut voir le plaisir qu’il fit à la Belle ; car toutes les Femmes estiment qu’on leur donne ce qu’on ôte aux autres. Pour finir mon histoire, Philandre l’emporta sur mes soins ; je fus congedié, & il y paroîtra en neuf mois à compter du sixiême d’Avril.

En sortant de chez elle, j’allai chez un Jureur déterminé. Je ne saurois vous exprimer l’embarras où je fus lorsque j’examinai son cerveau. La moitié en étoit usée, & ne contenoit que des Particules explétives, qui n’avoient rien de commun avec les autres parties du tissu. Le matin, par exemple, il appelloit son Valet pour l’habiller. Jean ne répondoit point. Je renie, crioit-il. Personne là ! Que la peste t’étouffe ! Hola ! Oh ! Jean ! Chien, Paresseux au Diable ! Par la Mort ! Je ne pus imaginer de voie [219] pour le guérir que d’écrire ce qu’il disoit de la sorte, & de mettre le Billet sur la toilette, afin qu’il l’y trouvât quand il viendroit mettre sa cravate. Dans le dernier Billet, où j’avois couché tout ce qu’il avoit dit une demie heure auparavant, il y avoit ces mots : Qu’est-ce ? La peste m’étouffe. Où est la Savonnette ? Appelle les Porteurs. Le Diable les emporte. Je gage qu’ils sont à grenouiller au Cabaret . Sang bleu. Fussent-ils au fin fond des Enfers ! Quand il vint à son miroir il vit le Billet ; il l’ouvrit ; Oh ! oh ! dit-il en le lisant, voici un Gaillard qui fait pis que moi ; il écrit ses juremens & renie sur le papier ! Mais en continuant la lecture, il s’apperçut que c’étoit ses dernieres paroles. Mon stratagême réussit. Il devint un autre Homme, & à l’heure qu’il est, il apprend à parler sans jurer ; ce qui fait qu’il parle encore fort peu. Car, comme je vous l’ai déja dit, le cerveau du Jureur ne contient aucune idée du côté où les Juremens sont placés ; c’est pourquoi mon Eléve est encore fort concis dans ses discours, reduit qu’il est à substituer des mots qui ne signi-[220]fient rien à ceux qu’il veut quitter. Lors que je sortis de chez lui il en étoit à, De vrai ! Oui dà ! Le Drole ! & autres semblables. J’en augurai bien de sa guérison.

J’allai donc ensuite chez le Joueur. Je dois vous dire que la premiere chose que je fais quand je suis auprès d’un Homme, est la dissection de son Pericrane. Je ne trouvai dans celui-ci aucunes traces de pensée. Ce n’étoit que forte passion, que desirs violens, qui avoient tout mis dans le plus triste dérangement. Le passage subit des conditions y avoit tout bouleversé. Il n’y avoit point d’état mitoien, c’étoit ou le triomphe d’un Prince, ou la misere d’un Gueux. Je n’ai demeuré qu’un jour avec lui. C’étoit hier. A midi nous avions 4. mille Livres Sterlin, à trois heures nous étions montés à 6. mille ; une demie heure après, nous descendimes à mille ; à quatre heures, il ne nous en restoit que 200. à cinq heures, notre Capital fut reduit à 50 ; à six heures, il le fut à 5. Livres ; à sept heures, nous avions encore une Guinée, & sur la premiere carte, nous perdimes, jus-[221]qu’au dernier sou. Ce matin, mon Homme a emprunté un demi-écu de la Servante qui nettoie ses souliers. Avec cet argent, il va jouer parmi les Polissons pour des deniers & des Oranges. Il y gagnera peut-être dix ou douze Ecus ; avec quoi vous le verrez encore au Caffé de White figurer avec les plus honnêtes gens de la Ville. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Dialog ◀Ebene 3

Notre conversation finit en cet endroit, & j’espere que l’on me pardonnera de n’avoir pas appris plus de choses dans une premiere entrevûe. Il est assez vraisemblable, qu’à la seconde il m’en dira qui ne seront pas moins curieuses ; car pour un Esprit, il n’est pas méchant. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1On chercheroit inutilement ceci dans la Lettre qu'Ovide a supposée d'Helene à Paris. Il faut que le Traducteur Anglois l’ait placée à l’occasion des vers 89 & 90. Credere me tamen hoc oculo renuente negavi. Hei mihi ! jam didici sic quoque posse loqui.