Metatestualità
Une affaire de conséquence
ayant obligé mon Frere à sortir de Londres, il m’a
laissé le soin d’écrire cette feuille, & m’a permis
d’y arranger tout à ma mode. Il a bien cru que le Public
pardonneroit quelque chose à un Ecrivain de mon Sexe ;
& pour moi, j’ai été charmée de l’emploi qu’il m’a
donné.
La Curiosité, qui nous est naturelle, y a
trouvé la premiére son compte ; j’ai visité à
souhait le Cabinet de mon Frere, en commençant par les
Papiers qu’il avoit mis sur la table pour m’en servir au
besoin. Le premier qui s’est trouvé sous ma main, est un
Discours qui traite de l’empire de la Beauté, & de
l’influence qu’elle a partout sur les actions publiques
& privées des Hommes, avec un Appendix, qu’il appelle,
Plan d’un Garçon pour gouverner sa Femme quand il en aura.
La premiére règle du Plan que ce Garçon se propose de
suivre, est d’obliger sa Femme à renoncer à son Sexe ; car
il veut qu’elle ait en aversion les Opera, les Bals, &
les Visites ; qu’elle croie que la compagnie d’un Mari
suffit pour remplir agréablement tout le vuide de la vie,
& qu’il n’y a point d’homme au Monde qui lui paroisse
avoir autant ou plus de savoir, de bravoure, & d’esprit
que ce Mari. Pour le second point, il prétend qu’il lui soit
permis de faire des infidelitez à sa Femme, sans que cela
tire à conséquence & aquiere à cette Femme aucun droit
d’en faire à son tour ; car il déclare fort sechement qu’il
n’entendra point raillerie sur les entorses qu’elle pourroit
donner à la foi conjugale. Il s’étend fort ici sur la
conduite prudente, & circonspecte qu’il veut que sa Femme tienne, lorsqu’elle s’appercevra de ses
infidelitez. Tout cet Appendix me paroit du dernier
ridicule. Le projet en est detestable, & n’en pouvant
digerer l’impertinence extrême, je retourne au corps même de
l’Ouvrage. Ici, mon Frére tire de l’Amour, la raison
secrette, le grand mobile de toutes les Révolutions
humaines. Dans la Préface, il répond à une espéce de
reproche que l’on nous fait ordinairement, qu’il n’arrive
point de querelle qu’il n’y ait quelque Femme au fonds de
l’affaire. Je le crois bien, dit-il ; c’est qu’il n’y a rien
au Monde qui vaille tant la peine de se quereller. Vous
noterez en passant que mon Frére est d’une humeur galante.
Tout ce qu’il pense, & tout ce qu’il dit se ressent un
peu de ce doux penchant. C’est sans doute ce qui lui a
ouvert les yeux sur notre mérite, & qui lui a fait
appercevoir que nous ne sommes pas les créatures aussi peu
considerables, dans le Monde, que quelques Esprits mal faits
le prétendent. Il observe très-bien que tout Homme, qui veut
se mettre en train de faire quelque figure, ou qui souhaite
de parvenir, doit commencer par le désir de plaire à quelque
Belle : Aussi-tôt qu’il en a formé le dessein, il plait à
tout le monde en chemin faisant. Cette
passion se répand sur toute sa conduite. Avant que le
Colonel Ranter eût vû la jeune Modish, il ne pouvoit dire un
mot sans faire des juremens effroyables. Depuis qu’il lui
fait la cour, ce n’est plus le même Homme. Sa Politesse
s’étend jusqu’à son Valet ; quand il a quelque ordre à lui
donner, il ne le commande plus, il le prie. On ne craint
plus dans les Auberges de l’y voir entrer. Il demande
obligeamment aux Garçons comment ils se portent. Autrefois
il n’affirmoit rien de si faux ou de si douteux, que ce ne
fût avec un D. me damne, si la chose n’est comme je le dis.
A présent son honnêteté va peut-être à l’excès ; sur les
faits qu’il connoît le mieux, sur les veritez les plus
claires : Je puis me tromper, dit-il, je suis, à la vérité,
d’un autre avis, mais je cede, & je ne veux pas
disputer. Il n’y a que des hommes, dépouillez de tout
sentiment, & sans goût, qui ne puissent être ni animés
ni adoucis par les charmes de la Beauté. Nous en avons un de
cette espéce qui nous rend quelques Visites ; c’est un
Garçon assez bien fait ; mais on diroit que c’est un Corps
sans Ame. Depuis un An que je travaille à lui donner quelque sorte de vie, j’y ai perdu mon tems, &
ma peine, & il est encore aussi neuf que s’il ne faisoit
que sortir de Nourrice. Il passe tout notre Sexe dans les
défauts, qu’on nous impute ; car, s’il faut l’en croire, il
fait par choix ce que nous faisons par temperament. Il est
indolent par systême, & paresseux par principe.
Metatestualità
Vous en jugerez par le discours
qu’il me tint hier au soir de fraiche date. Voici de
quelle maniére il se peignit lui-même.
Livello 4
Dialogo
« Mademoiselle, me dit-il,
je regarde avec la derniere indifference tout ce qui
se fait parmi les Hommes ; je me donne aussi
rarement la peine de me trouver dans leur
compagnie ; mais quand cela m’arrive, je suis
toujours le même que vous me voyez. Les heures de
mon existence, ou, si vous voulez, les heures que je
suis éveillé, sont depuis onze du matin jusqu’à onze
du soir ; j’en donne la moitié à moi-même ; je la
passe à me nettoyer les dents, à me laver les mains,
à me rogner les ongles, & à me regarder au
Miroir. Les Railleurs m’appellent, Quid nunc ? Pour
marquer peut-être que je suis un Zéro dans le Monde.
Mais leur Quolibet est Latin, & je
ne m’embarrasse guere, de ce qu’il signifie. La
derniere comparution que je fais, est le soir, au
Caffé de St. James. Qui que ce soit que j’y trouve,
je m’entretiens avec lui ; mais toujours sans
disputer sur quoique ce puisse être. Mon Esprit est
incapable de cette fatigue : il reçoit tous les
Objets sans en retenir aucun. La vie active est tout
ce que je crains, & que j’évite. C’est que j’ai
un parfait mépris pour le Monde, & que je suis
parvenu par indolence au point de perfection où l’on
prétend que la Dévotion seule peut atteindre ».
N’en déplaise à ce Nigaud, si les Femmes osoient
aller aux Caffés, & s’y mêler aux Conversations, nous le
déconcerterions bien lui, & ses semblables qui renoncent
à leur Sexe pour prendre le nôtre. Quoi qu’il en soit, nous
aurons bientôt le plaisir de les voir traiter comme ils le
méritent. Car mon Frére a dessein de nous donner une fidelle
Rélation de tout ce qui se passe dans les Caffés qu’il y a
depuis St. James jusqu’à la Bourse. Il y peindra, au
naturel, les beaux Raisonneurs de la premiére volée qui ne
manquent point à ces Rendez-vous de Politique. Il commencera par le
1Caffé de Smyrne, & il
entamera la peinture de cette Maison par ce groupe d’habiles
gens qui se sont mis en possession du côté gauche de la
Cheminée en s’étendant vers la porte. Nous aurons un Journal
exact de ce qui se dit & se fait dans ces illustres
Assemblées ; ce qui sera fort utile pour toutes les Femmes
en général, & pour moi en particulier, puis que je dois
être chargée de publier cette curieuse Gazette, & que le
profit en doit être le fonds de ma dépense pour mes menus
plaisirs.
Metatestualità
Mais parlons d’autre
chose. J’apperçois ici un Livre nouveau qui est imprimé
par Jacob Tonson. C’est le sixiéme Tome des Pièces
choisies de nos meilleurs Poëtes. Mon Frére y a écrit de
sa main que ce Volume n’est en rien inferieur aux
précedens. J’y trouve un Recueil des plus belles Poësies
Pastorales qu’on ait faites en Angleterre. Le Dialogue
de Sylvie & de Dorinde écrit par un
2Auteur de
mon Sexe, est, à mon avis, d’une beauté qui efface tout
le reste. Nos petites foiblesses y sont
merveilleusement bien dépeintes ; jamais les Hommes ne
les ont attrappées d’une maniere si fine & si
délicate.
Citazione/Motto
Oui, la Beauté du Sexe est le
bien & l’idole. Pendant qu’elle fleurit, ou
lorsqu’elle s’envole,
Le plaisir le plus doux à
notre vanité,
C’est d’être belle encore, ou de
l’avoir été.
Cette reflexion me rappelle à mon
premier sujet. Il se rencontre par tout des preuves de notre
empire. On nous en a donné ce soir une bien illustre dans la
Tragédie que l’on a jouée.
3Elle a pour
titre, l’Amour fait tout faire, ou, la perte au Monde bien
placée. On y voit tout le pouvoir de la Beauté, dans sa plus
grande étenduë. L’amoureux Antoine sacrifie & gloire
& souveraineté à Cleopatre, & cette aimable Reine
trouve en ses seuls appas les armes qui défendent son Throne
contre un Peuple d’ailleurs invincible. Il est si naturel
aux Femmes de parler d’elles-mêmes, que j’espere que l’on me
pardonnera de n’avoir parlé d’autre chose. J’ose au moins me flatter que les Dames ne le trouveront
pas mauvais, & lorsqu’on a le bonheur de leur plaire, on
doit se mettre peu en peine des autres Lecteurs. Si je ne me
trompe, je vois sur le Journal d’Esprit de mon Frére,
quelques vers Latins qui marquent beaucoup de mépris pour
les Critiques.
Citazione/Motto
………
4Tristitiam &
metus
Tradam protervis in mare Creticum
Portare
ventis.