On nous a donné ce soir la Comédie qui
s’appelle
1le vieux Garçon, qui mérite bien la
reputation qu’elle s’est aquise. Le Caractere du
Personage, qui donne le nom à la Pièce, est parfaitement celui
d’un vieux Débauché, qui ne se resout que de fort mauvaise grace
à subir un joug qui engage à l’ordre, & à la bienséance. Son
amour n’est ni flamme, ni langueur ; ce n’est que mauvaise
humeur, & qu’emportement. Les autres Personnages à qui l’on
donne une conduite plus réguliere sont peints d’une maniere bien
entenduë & tres-spirituelle. On y ouvre la Scène par une
conversation qui roule sur un sujet
2qui n’est pas commun, mais qui est traité d’une
façon très-naturelle. On ne peut mieux attraper le ridicule de
l’amour qu’un Vieillard cassé témoigne pour une Femme jeune
& fringante, qu’il l’est dans cette Comédie.
3Vous diriez
que la race des Poëtes, qui ont fait des Ouvrages
tel que celui-ci, est éteinte. Il y a je ne sai combien de temps
que nous sommes tourmentez de certains Insectes qui rampent sur
le Parnasse sous le nom de jolis Ecrivains ; ils se piquent
d’une veine aisée, & ce qu’ils en disent est peut-être plus
vrai qu’ils ne pensent. Wicherley en disoit un jour avec
beaucoup de raison,
Nivel 3
Cita/Lema
« que ce que ces Messieurs
appellent écrire d’une maniére aisée, est en effet ce
que tout le monde peut aisément écrire ».
Le ridicule de ces petits Barbouilleurs de papier, dans
les Sonnets qu’ils font à l’honneur de Chloris, & dans les
impertinentes descriptions qu’ils y fourrent ; ce ridicule,
dis-je, est si sensible, qu’un de mes Parens, homme d’esprit, a
tant fait pour l’éviter, qu’il s’est fraiê une route toute
nouvelle. Son art consiste à décrire les choses exactement comme
elles sont. Il n’ira pas vous mettre des Champs, ni des Nymphes,
ni des Bôcages, là où il n’y en a point. Mais aussi
comptez qu’il ne manque rien à la fidélité de ses Portraits : il
peint tout jusqu’aux plus petites bagatelles, de peur qu’on ne
l’accuse d’être mauvais Peintre.
Metatextualidad
Je vais vous en donner un exemple tiré d’un Manuscrit que je
lui ai derobé. C’est une Description du Matin ; mais du
Matin tel qu’il paroit dans la Ville, & du côté de la
Cour.
Nivel 3
Cita/Lema
Description du Matin. Les
Coches à présent clair-semés dans la rue, De l’Aurore
naissante annoncent la venue ;
Alix, qui veut passer
pour Servante de bien,
Sort du lit de son Maître,
& va fouler le sien.
Les souliers en pantoufle,
& les bas en andouille,
L’Apprenti vient
d’ouvrir sa boutique qu’il mouille.
Jeanne, avec son
faubert, & retroussant ses bras,
De la maison
nettoie & le haut & le bas.
Avec un vieux
balai, Georget, pour l’eau puante,
Dans les
ruisseaux bourbeux facilite une pente.
Déja du
Charbonnier la voix, en faux bourdon,
Le cede au
Ramonteur, qui éleve d’un ton.
Déja de Créanciers
l’importune cohorte
De ce Seigneur dormant vient
assieger la porte.
Le Geolier fripon
fait rentrer dans leur nid
Les Voleurs qu’il avoit
lâchés pendant la nuit.
Le Sergent affamé, pour
attraper sa proie,
Se poste en un détour, de peur
qu’on ne le voie ;
Et l’Enfant, à l’Ecole allant
avec chagrin,
Pour abreger le temps, prend le plus
long chemin.
Tout ce que j’apprehende en publiant ces Vers, est que
mon petit Cousin ne s’en fâche ; non, qu’il doive rougir de les
avoir faits ; mais parce qu’il peut craindre les Copistes, cette
engeance funeste à tous les bons Ouvrages. Pour l’en garantir,
je défens à qui que ce soit, de rien faire sur ce modelle, à
peine de ne rien faire qui vaille. Qu’on n’aille pas nous
donner, par exemple, des Descriptions du Soir, où l’on diroit
que c’est à cette heure-là que l’on crie les pois gris tout
chauds, & que les Nymphes commodes vont faire leur ronde au
Parc de St. James ; ou bien, des Descriptions du Midi, dans
lesquelles on s’aviseroit de marquer que c’est alors que les
Belles, & les petits Maîtres, qui logent près de la Cour,
sortent du lit en baaillant, & se montrent aux fénêtres dans
la même posture. J’avertis tout le monde qu’il est dangereux
d’imiter mon Parent, que quiconque aura l’audace de
l’entrerprendre, s’expose au danger de faire une Pièce de fort
mauvais goût. Son Art est un secret de famille, qui sait tout
notre Capital, & nous ne permettons point que personne
vienne chasser sur nos terres. Le
4Dr. Anderson, & ses
héritiers ont les Pillules purgatives ; le Chevalier
5Guillaume Read guerit les
maux d’yeux, &
6Roselli n’a de specifiques que pour la
Goûte. Nous leur abandonnons ce qui leur appartient de droit
& de raison. Mais quand il s’agit de décider du bel
assortiment des choses, & des personnes ; quand il faut dire
à un homme, seduit par son amour propre, qu’il n’est pas ce
qu’il croit être ; quand il faut distinguer le vrai mérite de celui qui est faux, ou qui n’est
qu’apparent ; je le repete, c’est un privilege qui appartient en
propre à notre Famille, & qui y est entré par le mariage de
l’un de nos Ancêtres avec une fille de
7Scoggin
fameux Baladin du dernier Siécle. Que l’on ne me dispute pas ce
droit, & je laisse aux autres tous leurs secrets & tous
leurs spécifiques. Je ne veux pas dire pourtant que je renonce
aux priviléges naturels qui m’appartiennent en qualité
d’Anglois. Je prétens aussi en faire
8une Loi pour
naturaliser les Etrangers, je me crois fondé, en justice, à
adopter les pensées Françoises qui me paraîtront dignes d’entrer
dans mes Ouvrages. Mr.de la Bruyere est, entre autres, un Auteur
dont je me servirai au besoin. Le dernier Caractere que j’y ai
lû, est celui de Timon.
9Nivel 3
Cita/Lema
« Timon, ditil,
est le plus généreux de tous les hommes. Mais il se
presse trop à répandre ses faveurs. Ne consultant que
son inclination liberale, il fait du bien à tout le
monde sans choix & sans prudence. Disons mieux, il
fait du bien à tout le monde, sans que personne lui en
ait obligation. Mille gens indignes de ses bontez, ne
démêlant point le principe qui le fait agir, prennent de
lui comme une dépouille, ce qu’ils devroient en recevoir
comme une grace. L’autre jour en allant à Paris, je
rencontrai Timon qui en sortoit à cheval, & n’ayant
qu’un seul Valet pour tout équipage. Je fus touché de
voir un si petit train à un homme si digne d’une grande
fortune, & qui l’avoit toujours porté fort beau. Je
passai par hazard devant sa Maison. J’y vis son Carosse
de cérémonie, qui étoit à la porte, brisé en piéces. Par
une espece d’enchantement les morceaux s’en convertirent
en plusieurs autres Voitures. La premiére
étoit le Sécretaire. La seconde étoit un peu plus
pesante, & dans celle-ci étoit l’Intendant. Du corps
et des rouës du Carosse sortirent des Chaises roulantes
qui emporterent les Nourrices, & le reste des bas
Domestiques. Ce qui surprend le plus dans ce dérangement
des affaires de Timon, c’est qu’il a beaucoup plus de
sens que les gens qui le trompent, & que l’on ne
sait ce qu’il faut admirer le plus, ou la négligence du
Maître, ou l’audace des Serviteurs. »
Du Caffé de White le 29. Avril
Relato general
Retrato ajeno
Le changement inopiné qui
vient de se faire dans la conduite de Pastorelle,
confond tous les Galans, & tous les Lorgneurs de la
Ville. Ils en cherchent tous la raison, & personne
ne peut la deviner. Cette Belle ne pouvoit tenir en
place jusqu’à l’âge de dix-huit ans, qu’elle n’a passé
que depuis deux mois. Elle est élevée par une Tante qui
n’a pas toujours été d’une humeur aussi severe qu’elle
l’est à présent. Mais cette Tante a si bien connu, par
une longue expérience, & la fragilité de son Sexe,
& la malice des Hommes, qu’elle a pris
toutes les précautions imaginables pour garantir sa
Nièce de la surprise de ses propres passions, ou de
celles de ses Adorateurs. Sachant bien qu’un Temperament
vif ne peut être corrigé que par la douceur, & que
la contrainte y est plus dangereuse qu’utile, elle a
pris le sage parti de conduire insensiblement son Eléve
à reconnoître ses vrais intérêts, en lui épargnant la
mortification des censures. Or il faut savoir que parmi
ses autres défauts. Pastorelle avoit aussi celui d’être
fort curieuse. Personne ne savoit mieux toutes les
Nouvelles du quartier. Parisatis, c’est le nom de la
Tante, connossoit la curiosité de sa Nièce, &
resolut d’en profiter. Un jour elle se renferma dans sa
chambre, & fit sonner bien haut le bruit de la clef
pendant qu’elle fermoit la porte. Par le trou de la
Serrure on pouvoit entrevoir du dehors ce qui se faisoit
en dedans. La Belle, qui étoit aux écoutes, courut
aussi-tôt pour épier sa Tutrice. Elle la vit à genoux,
& prêtant l’oreille, elle entendit distinctement ces
paroles, qui vinrent après quelques momens
d’éjaculations mentales :
Diálogo
« O Dieu, pour ce qui regarde cette chere Enfant que
tu as commise à mes soins, fai qu’elle
se comporte avec tant de prudence, & que sa
conduite soit si bien réglée, que ce grand Seigneur,
qui est épris de sa beauté, n’ait pour elle que des
desirs legitimes ! »
Parisatis sentit sa
Nièce au trou de la serrure ; elle s’y étoit bien
attendue. Elle continua donc de la sorte :
Diálogo
« Oui, mon Dieu, rends-la
Mére d’une Famille nombreuse & florissante ;
& donne-lui une conduite si modeste et si sage,
que ce jeune Seigneur se puisse promettre toutes les
benedictions d’un Mariage heureux, dans la
possession d’une Femme qui sera si vertueuse,
pendant qu’il y a si peu de vertu dans le monde ! »
Pastorelle n’en voulut pas ouïr davantage. Le
coup avoit porté. La crainte d’être découverte lui fait
prendre la fuite. Elle court à son miroir, se coeffe
plus modestement, tire son tour de gorge, & pour
tout dire en un mot, se met précisement comme la sage
Lindamire a coûtume de se mettre. La conversion est
parfaite, parce qu’elle est sincere. Il ne manque plus
rien, à cette aimable Fille, de ce qui peut faire
considerer une Dame jeune & très bien faite, & à
l’heure qu’il est, il se présente, actuellement à son
choix, deux ou trois Partis semblables à
celui que la bonne Tante supposoit dans sa Priere.
L’adresse de Parisatis à ménager l’humeur, & à
diriger au bien l’inclination vicieuse d’une jeune
personne ne peut être assez admirée. Il n’est pas
ordinaire aux vieilles gens d’avoir tant d’égards pour
les foiblesses du premier âge. Les Exemples n’en sont
pas communs, & je ne me souviens que d’un autre
approchant de celui que je viens de citer. C’est celui
de notre fameux
10Noy. Son extrême douceur
alla jusqu’au point de ne censurer qu’après sa mort les
deréglemens de son fils. Ce Fils, grand dissipateur, ne
fut ce que son Pére avoit pensé de lui, qu’en entendant
lire cette clause de son Testament :
Diálogo
« Pour le reste de mon bien, je le laisse
à mon fils Edouard, que je constitue mon principal
Heritier, & l’Exécuteur de ma derniere volonté ;
je le lui laisse, dis-je, afin qu’il le dissipe à sa
fantaisie. Tel est mon dessein en le lui donnant,
& je n’en attends point autre
chose. »
Un généreux dépit, & quelques
reflexions sur les bontez d’un Pére dont il étoit
indigne, changerent tout à coup ce jeune homme, &
d’un franc scelerat qu’il étoit, en firent un des Sujets
les plus accomplis du Royaume.