Article IX. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Klara Gruber Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 30.11.2015 o:mws.3858 Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Seconde Edition revue & corrigée. Tome Premier. Amsterdam: François Changuion 1735, 157-169, Le Philosophe nouvelliste 1 015 1735 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Erziehung und Bildung Educazione e Formazione Education and Formation Educación y Formación Éducation et formation Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme United Kingdom Oxford Oxford -1.25596,51.75222 Netherlands The Hague The Hague 4.29861,52.07667 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 France Paris Paris 2.3488,48.85341 France 2.0,46.0

Article IX.

Du Jeudi 28. au Samedi 30. Avril 1709.

On nous a donné ce soir la Comédie qui s’appelle C’est une Pièce de Mr. Congreve. On dit que la représentation en réussit extrémement bien sur le Théatre Anglois ; mais je ne saurois dissimuler que la lecture m’en a toûjours choqué, tant j’y trouve de grossieretez dans les paroles, & dans les pensées.le vieux Garçon, qui mérite bien la reputation qu’el-le s’est aquise. Le Caractere du Personage, qui donne le nom à la Pièce, est parfaitement celui d’un vieux Débauché, qui ne se resout que de fort mauvaise grace à subir un joug qui engage à l’ordre, & à la bienséance. Son amour n’est ni flamme, ni langueur ; ce n’est que mauvaise humeur, & qu’emportement. Les autres Personnages à qui l’on donne une conduite plus réguliere sont peints d’une maniere bien entenduë & tres-spirituelle. On y ouvre la Scène par une conversation qui roule sur un sujetCe sujet est de débaucher des Femmes, & de faire des Maris Cocus. Tout ce qu'il y a de singulier, c’est qu'on y propose de prendre l'habit d'un homme d'Eglise pour mieux tromper un homme dévot. qui n’est pas commun, mais qui est traité d’une façon très-naturelle. On ne peut mieux attraper le ridicule de l’amour qu’un Vieillard cassé témoigne pour une Femme jeune & fringante, qu’il l’est dans cette Comédie.

L'Auteur prend ici un détour pour donner un coup de dent au Dr. Swift qu'il appelle son parent, à cause du nom commun de Bickerstaff qu'ils avoient pris tous deux. Les vers suivans sont de ce Docteur. La verification de l'original est assurément très-aisée ; mais la plupart des idées n'en peuvent être ni plus petites ni plus indignes de la gravité de l’Auteur, ou plutôt de son Caractere.Vous diriez que la race des Poëtes, qui ont fait des Ouvrages tel que celui-ci, est éteinte. Il y a je ne sai combien de temps que nous sommes tourmentez de certains Insectes qui rampent sur le Parnasse sous le nom de jolis Ecrivains ; ils se piquent d’une veine aisée, & ce qu’ils en disent est peut-être plus vrai qu’ils ne pensent. Wicherley en disoit un jour avec beaucoup de raison, « que ce que ces Messieurs appellent écrire d’une maniére aisée, est en effet ce que tout le monde peut aisément écrire ». Le ridicule de ces petits Barbouilleurs de papier, dans les Sonnets qu’ils font à l’honneur de Chloris, & dans les impertinentes descriptions qu’ils y fourrent ; ce ridicule, dis-je, est si sensible, qu’un de mes Parens, homme d’esprit, a tant fait pour l’éviter, qu’il s’est fraiê une route toute nouvelle. Son art consiste à décrire les choses exactement comme elles sont. Il n’ira pas vous mettre des Champs, ni des Nymphes, ni des Bôcages, là où il n’y en a point. Mais aussi comptez qu’il ne manque rien à la fidélité de ses Portraits : il peint tout jusqu’aux plus petites bagatelles, de peur qu’on ne l’accuse d’être mauvais Peintre. Je vais vous en donner un exemple tiré d’un Manuscrit que je lui ai derobé. C’est une Description du Matin ; mais du Matin tel qu’il paroit dans la Ville, & du côté de la Cour.

Description du Matin. Les Coches à présent clair-semés dans la rue,

De l’Aurore naissante annoncent la venue ;Alix, qui veut passer pour Servante de bien,Sort du lit de son Maître, & va fouler le sien.Les souliers en pantoufle, & les bas en andouille,L’Apprenti vient d’ouvrir sa boutique qu’il mouille.Jeanne, avec son faubert, & retroussant ses bras,De la maison nettoie & le haut & le bas.Avec un vieux balai, Georget, pour l’eau puante,Dans les ruisseaux bourbeux facilite une pente.Déja du Charbonnier la voix, en faux bourdon,Le cede au Ramonteur, qui éleve d’un ton.Déja de Créanciers l’importune cohorteDe ce Seigneur dormant vient assieger la porte. Le Geolier fripon fait rentrer dans leur nidLes Voleurs qu’il avoit lâchés pendant la nuit.Le Sergent affamé, pour attraper sa proie,Se poste en un détour, de peur qu’on ne le voie ;Et l’Enfant, à l’Ecole allant avec chagrin,Pour abreger le temps, prend le plus long chemin.

Tout ce que j’apprehende en publiant ces Vers, est que mon petit Cousin ne s’en fâche ; non, qu’il doive rougir de les avoir faits ; mais parce qu’il peut craindre les Copistes, cette engeance funeste à tous les bons Ouvrages. Pour l’en garantir, je défens à qui que ce soit, de rien faire sur ce modelle, à peine de ne rien faire qui vaille. Qu’on n’aille pas nous donner, par exemple, des Descriptions du Soir, où l’on diroit que c’est à cette heure-là que l’on crie les pois gris tout chauds, & que les Nymphes commodes vont faire leur ronde au Parc de St. James ; ou bien, des Descriptions du Midi, dans lesquelles on s’aviseroit de marquer que c’est alors que les Belles, & les petits Maîtres, qui logent près de la Cour, sortent du lit en baaillant, & se montrent aux fénêtres dans la même posture. J’avertis tout le monde qu’il est dangereux d’imiter mon Parent, que quiconque aura l’audace de l’entrerprendre, s’expose au danger de faire une Pièce de fort mauvais goût. Son Art est un secret de famille, qui sait tout notre Capital, & nous ne permettons point que personne vienne chasser sur nos terres. LeAnderson étoit un Ecossois, Médecin des deux Rois Charles I. & II. Ses Héritiers vendent encore des Pillules qui portent son nom, & qui sont fort connues. Dr. Anderson, & ses héritiers ont les Pillules purgatives ; le ChevalierGuill Read, étoit un Oculiste qui ne savoit ni lire ni écrire, & qui cependant a fait de belles cures. Il est mort il y a 6 ou 7. ans. Guillaume Read guerit les maux d’yeux, & Roselli est mort depuis quelques années à la Haye. On le connoit assez par le Roman de sa Vie composé par lui-même. Au temps que Mr. Steele écrivoit ceci, cet homme vint en Angleterre, & se vanta d’avoir des specifiques contre la Goute ; mais ses Experiences ne lui réussirent pas. Roselli n’a de specifiques que pour la Goûte. Nous leur abandonnons ce qui leur appartient de droit & de raison. Mais quand il s’agit de décider du bel assortiment des choses, & des personnes ; quand il faut dire à un homme, seduit par son amour propre, qu’il n’est pas ce qu’il croit être ; quand il faut distinguer le vrai mé-rite de celui qui est faux, ou qui n’est qu’apparent ; je le repete, c’est un privilege qui appartient en propre à notre Famille, & qui y est entré par le mariage de l’un de nos Ancêtres avec une fille deScoggin étoit un Bouffon fameux sous le regne de Jacques I. Scoggin fameux Baladin du dernier Siécle. Que l’on ne me dispute pas ce droit, & je laisse aux autres tous leurs secrets & tous leurs spécifiques.

Je ne veux pas dire pourtant que je renonce aux priviléges naturels qui m’appartiennent en qualité d’Anglois. Je prétens aussi en faireC’étoit un Acte de Parlement pour naturaliser sans fraix tous les Protestans Etrangers. La revocation de cet Acte fut un des premiers soins du Ministere du Comte d’Oxford. une Loi pour naturaliser les Etrangers, je me crois fondé, en justice, à adopter les pensées Françoises qui me paraîtront dignes d’entrer dans mes Ouvrages. Mr.de la Bruyere est, entre autres, un Auteur dont je me servirai au besoin. Le dernier Caractere que j’y ai lû, est celui de Timon.J’ai cherché ce passage dans les Caracteres de Mr. De la Bruyere, sans l’y pouvoir trouver. Mr. Steele lui a prêté ces paroles pour mieux cacher la censure indirecte qu’il adressoit apparemment à quelques Gentilshommes Anglois. Bien des gens soupçonnerent qu’il désignoit le Duc d’Ormond, dont tous les Domestiques se sont enrichis à ses dépens. « Timon, dit-il, est le plus généreux de tous les hommes. Mais il se presse trop à répandre ses faveurs. Ne consultant que son inclination liberale, il fait du bien à tout le monde sans choix & sans prudence. Disons mieux, il fait du bien à tout le monde, sans que personne lui en ait obligation. Mille gens indignes de ses bontez, ne démêlant point le principe qui le fait agir, prennent de lui comme une dépouille, ce qu’ils devroient en recevoir comme une grace. L’autre jour en allant à Paris, je rencontrai Timon qui en sortoit à cheval, & n’ayant qu’un seul Valet pour tout équipage. Je fus touché de voir un si petit train à un homme si digne d’une grande fortune, & qui l’avoit toujours porté fort beau. Je passai par hazard devant sa Maison. J’y vis son Carosse de cérémonie, qui étoit à la porte, brisé en piéces. Par une espece d’enchantement les morceaux s’en convertirent en plusieurs autres Voitures. La premiére étoit le Sécretaire. La seconde étoit un peu plus pesante, & dans celle-ci étoit l’Intendant. Du corps et des rouës du Carosse sortirent des Chaises roulantes qui emporterent les Nourrices, & le reste des bas Domestiques. Ce qui surprend le plus dans ce dérangement des affaires de Timon, c’est qu’il a beaucoup plus de sens que les gens qui le trompent, & que l’on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, ou la négligence du Maître, ou l’audace des Serviteurs. »

Du Caffé de White le 29. Avril

Le changement inopiné qui vient de se faire dans la conduite de Pastorelle, confond tous les Galans, & tous les Lorgneurs de la Ville. Ils en cherchent tous la raison, & personne ne peut la deviner. Cette Belle ne pouvoit tenir en place jusqu’à l’âge de dix-huit ans, qu’elle n’a passé que depuis deux mois. Elle est élevée par une Tante qui n’a pas toujours été d’une humeur aussi severe qu’elle l’est à présent. Mais cette Tante a si bien connu, par une longue expérience, & la fragilité de son Sexe, & la malice des Hommes, qu’elle a pris toutes les précautions imaginables pour garantir sa Nièce de la surprise de ses propres passions, ou de celles de ses Adorateurs. Sachant bien qu’un Temperament vif ne peut être corrigé que par la douceur, & que la contrainte y est plus dangereuse qu’utile, elle a pris le sage parti de conduire insensiblement son Eléve à reconnoître ses vrais intérêts, en lui épargnant la mortification des censures. Or il faut savoir que parmi ses autres défauts. Pastorelle avoit aussi celui d’être fort curieuse. Personne ne savoit mieux toutes les Nouvelles du quartier. Parisatis, c’est le nom de la Tante, connossoit la curiosité de sa Nièce, & resolut d’en profiter. Un jour elle se renferma dans sa chambre, & fit sonner bien haut le bruit de la clef pendant qu’elle fermoit la porte. Par le trou de la Serrure on pouvoit entrevoir du dehors ce qui se faisoit en dedans. La Belle, qui étoit aux écoutes, courut aussi-tôt pour épier sa Tutrice. Elle la vit à genoux, & prêtant l’oreille, elle entendit distinctement ces paroles, qui vinrent après quelques momens d’éjaculations mentales : « O Dieu, pour ce qui regarde cette chere Enfant que tu as commise à mes soins, fai qu’elle se comporte avec tant de prudence, & que sa conduite soit si bien réglée, que ce grand Seigneur, qui est épris de sa beauté, n’ait pour elle que des desirs legitimes ! » Parisatis sentit sa Nièce au trou de la serrure ; elle s’y étoit bien attendue. Elle continua donc de la sorte : « Oui, mon Dieu, rends-la Mére d’une Famille nombreuse & florissante ; & donne-lui une conduite si modeste et si sage, que ce jeune Seigneur se puisse promettre toutes les benedictions d’un Mariage heureux, dans la possession d’une Femme qui sera si vertueuse, pendant qu’il y a si peu de vertu dans le monde ! » Pastorelle n’en voulut pas ouïr davantage. Le coup avoit porté. La crainte d’être découverte lui fait prendre la fuite. Elle court à son miroir, se coeffe plus modestement, tire son tour de gorge, & pour tout dire en un mot, se met précisement comme la sage Lindamire a coûtume de se mettre. La conversion est parfaite, parce qu’elle est sincere. Il ne manque plus rien, à cette aimable Fille, de ce qui peut faire considerer une Dame jeune & très bien faite, & à l’heure qu’il est, il se présente, actuellement à son choix, deux ou trois Partis semblables à celui que la bonne Tante supposoit dans sa Priere. L’adresse de Parisatis à ménager l’humeur, & à diriger au bien l’inclination vicieuse d’une jeune personne ne peut être assez admirée. Il n’est pas ordinaire aux vieilles gens d’avoir tant d’égards pour les foiblesses du premier âge. Les Exemples n’en sont pas communs, & je ne me souviens que d’un autre approchant de celui que je viens de citer. C’est celui de notre fameuxMr. Noy étoit un fameux Jurisconsulte sous le regne de Charles I. Il fut Avocat Général de ce Prince. Mylord Clarendon en a peint le Caractere, dans son I. Livre de l’Histoire de la Guerre civile. Noy. Son extrême douceur alla jusqu’au point de ne censurer qu’après sa mort les deréglemens de son fils. Ce Fils, grand dissipateur, ne fut ce que son Pére avoit pensé de lui, qu’en entendant lire cette clause de son Testament : « Pour le reste de mon bien, je le laisse à mon fils Edouard, que je constitue mon principal Heritier, & l’Exécuteur de ma derniere volonté ; je le lui laisse, dis-je, afin qu’il le dissipe à sa fantaisie. Tel est mon dessein en le lui donnant, & je n’en attends point autre chose. » Un généreux dépit, & quelques reflexions sur les bontez d’un Pére dont il étoit indigne, changerent tout à coup ce jeune homme, & d’un franc scelerat qu’il étoit, en firent un des Sujets les plus accomplis du Royaume.

Article IX. Du Jeudi 28. au Samedi 30. Avril 1709. On nous a donné ce soir la Comédie qui s’appelle C’est une Pièce de Mr. Congreve. On dit que la représentation en réussit extrémement bien sur le Théatre Anglois ; mais je ne saurois dissimuler que la lecture m’en a toûjours choqué, tant j’y trouve de grossieretez dans les paroles, & dans les pensées.le vieux Garçon, qui mérite bien la reputation qu’el-le s’est aquise. Le Caractere du Personage, qui donne le nom à la Pièce, est parfaitement celui d’un vieux Débauché, qui ne se resout que de fort mauvaise grace à subir un joug qui engage à l’ordre, & à la bienséance. Son amour n’est ni flamme, ni langueur ; ce n’est que mauvaise humeur, & qu’emportement. Les autres Personnages à qui l’on donne une conduite plus réguliere sont peints d’une maniere bien entenduë & tres-spirituelle. On y ouvre la Scène par une conversation qui roule sur un sujetCe sujet est de débaucher des Femmes, & de faire des Maris Cocus. Tout ce qu'il y a de singulier, c’est qu'on y propose de prendre l'habit d'un homme d'Eglise pour mieux tromper un homme dévot.qui n’est pas commun, mais qui est traité d’une façon très-naturelle. On ne peut mieux attraper le ridicule de l’amour qu’un Vieillard cassé témoigne pour une Femme jeune & fringante, qu’il l’est dans cette Comédie. L'Auteur prend ici un détour pour donner un coup de dent au Dr. Swift qu'il appelle son parent, à cause du nom commun de Bickerstaff qu'ils avoient pris tous deux. Les vers suivans sont de ce Docteur. La verification de l'original est assurément très-aisée ; mais la plupart des idées n'en peuvent être ni plus petites ni plus indignes de la gravité de l’Auteur, ou plutôt de son Caractere.Vous diriez que la race des Poëtes, qui ont fait des Ouvrages tel que celui-ci, est éteinte. Il y a je ne sai combien de temps que nous sommes tourmentez de certains Insectes qui rampent sur le Parnasse sous le nom de jolis Ecrivains ; ils se piquent d’une veine aisée, & ce qu’ils en disent est peut-être plus vrai qu’ils ne pensent. Wicherley en disoit un jour avec beaucoup de raison, « que ce que ces Messieurs appellent écrire d’une maniére aisée, est en effet ce que tout le monde peut aisément écrire ». Le ridicule de ces petits Barbouilleurs de papier, dans les Sonnets qu’ils font à l’honneur de Chloris, & dans les impertinentes descriptions qu’ils y fourrent ; ce ridicule, dis-je, est si sensible, qu’un de mes Parens, homme d’esprit, a tant fait pour l’éviter, qu’il s’est fraiê une route toute nouvelle. Son art consiste à décrire les choses exactement comme elles sont. Il n’ira pas vous mettre des Champs, ni des Nymphes, ni des Bôcages, là où il n’y en a point. Mais aussi comptez qu’il ne manque rien à la fidélité de ses Portraits : il peint tout jusqu’aux plus petites bagatelles, de peur qu’on ne l’accuse d’être mauvais Peintre. Je vais vous en donner un exemple tiré d’un Manuscrit que je lui ai derobé. C’est une Description du Matin ; mais du Matin tel qu’il paroit dans la Ville, & du côté de la Cour. Description du Matin. Les Coches à présent clair-semés dans la rue, De l’Aurore naissante annoncent la venue ;Alix, qui veut passer pour Servante de bien,Sort du lit de son Maître, & va fouler le sien.Les souliers en pantoufle, & les bas en andouille,L’Apprenti vient d’ouvrir sa boutique qu’il mouille.Jeanne, avec son faubert, & retroussant ses bras,De la maison nettoie & le haut & le bas.Avec un vieux balai, Georget, pour l’eau puante,Dans les ruisseaux bourbeux facilite une pente.Déja du Charbonnier la voix, en faux bourdon,Le cede au Ramonteur, qui éleve d’un ton.Déja de Créanciers l’importune cohorteDe ce Seigneur dormant vient assieger la porte.Le Geolier fripon fait rentrer dans leur nidLes Voleurs qu’il avoit lâchés pendant la nuit.Le Sergent affamé, pour attraper sa proie,Se poste en un détour, de peur qu’on ne le voie ;Et l’Enfant, à l’Ecole allant avec chagrin,Pour abreger le temps, prend le plus long chemin. Tout ce que j’apprehende en publiant ces Vers, est que mon petit Cousin ne s’en fâche ; non, qu’il doive rougir de les avoir faits ; mais parce qu’il peut craindre les Copistes, cette engeance funeste à tous les bons Ouvrages. Pour l’en garantir, je défens à qui que ce soit, de rien faire sur ce modelle, à peine de ne rien faire qui vaille. Qu’on n’aille pas nous donner, par exemple, des Descriptions du Soir, où l’on diroit que c’est à cette heure-là que l’on crie les pois gris tout chauds, & que les Nymphes commodes vont faire leur ronde au Parc de St. James ; ou bien, des Descriptions du Midi, dans lesquelles on s’aviseroit de marquer que c’est alors que les Belles, & les petits Maîtres, qui logent près de la Cour, sortent du lit en baaillant, & se montrent aux fénêtres dans la même posture. J’avertis tout le monde qu’il est dangereux d’imiter mon Parent, que quiconque aura l’audace de l’entrerprendre, s’expose au danger de faire une Pièce de fort mauvais goût. Son Art est un secret de famille, qui sait tout notre Capital, & nous ne permettons point que personne vienne chasser sur nos terres. LeAnderson étoit un Ecossois, Médecin des deux Rois Charles I. & II. Ses Héritiers vendent encore des Pillules qui portent son nom, & qui sont fort connues.Dr. Anderson, & ses héritiers ont les Pillules purgatives ; le ChevalierGuill Read, étoit un Oculiste qui ne savoit ni lire ni écrire, & qui cependant a fait de belles cures. Il est mort il y a 6 ou 7. ans.Guillaume Read guerit les maux d’yeux, & Roselli est mort depuis quelques années à la Haye. On le connoit assez par le Roman de sa Vie composé par lui-même. Au temps que Mr. Steele écrivoit ceci, cet homme vint en Angleterre, & se vanta d’avoir des specifiques contre la Goute ; mais ses Experiences ne lui réussirent pas.Roselli n’a de specifiques que pour la Goûte. Nous leur abandonnons ce qui leur appartient de droit & de raison. Mais quand il s’agit de décider du bel assortiment des choses, & des personnes ; quand il faut dire à un homme, seduit par son amour propre, qu’il n’est pas ce qu’il croit être ; quand il faut distinguer le vrai mé-rite de celui qui est faux, ou qui n’est qu’apparent ; je le repete, c’est un privilege qui appartient en propre à notre Famille, & qui y est entré par le mariage de l’un de nos Ancêtres avec une fille deScoggin étoit un Bouffon fameux sous le regne de Jacques I. Scoggin fameux Baladin du dernier Siécle. Que l’on ne me dispute pas ce droit, & je laisse aux autres tous leurs secrets & tous leurs spécifiques. Je ne veux pas dire pourtant que je renonce aux priviléges naturels qui m’appartiennent en qualité d’Anglois. Je prétens aussi en faireC’étoit un Acte de Parlement pour naturaliser sans fraix tous les Protestans Etrangers. La revocation de cet Acte fut un des premiers soins du Ministere du Comte d’Oxford.une Loi pour naturaliser les Etrangers, je me crois fondé, en justice, à adopter les pensées Françoises qui me paraîtront dignes d’entrer dans mes Ouvrages. Mr.de la Bruyere est, entre autres, un Auteur dont je me servirai au besoin. Le dernier Caractere que j’y ai lû, est celui de Timon.J’ai cherché ce passage dans les Caracteres de Mr. De la Bruyere, sans l’y pouvoir trouver. Mr. Steele lui a prêté ces paroles pour mieux cacher la censure indirecte qu’il adressoit apparemment à quelques Gentilshommes Anglois. Bien des gens soupçonnerent qu’il désignoit le Duc d’Ormond, dont tous les Domestiques se sont enrichis à ses dépens. « Timon, dit-il, est le plus généreux de tous les hommes. Mais il se presse trop à répandre ses faveurs. Ne consultant que son inclination liberale, il fait du bien à tout le monde sans choix & sans prudence. Disons mieux, il fait du bien à tout le monde, sans que personne lui en ait obligation. Mille gens indignes de ses bontez, ne démêlant point le principe qui le fait agir, prennent de lui comme une dépouille, ce qu’ils devroient en recevoir comme une grace. L’autre jour en allant à Paris, je rencontrai Timon qui en sortoit à cheval, & n’ayant qu’un seul Valet pour tout équipage. Je fus touché de voir un si petit train à un homme si digne d’une grande fortune, & qui l’avoit toujours porté fort beau. Je passai par hazard devant sa Maison. J’y vis son Carosse de cérémonie, qui étoit à la porte, brisé en piéces. Par une espece d’enchantement les morceaux s’en convertirent en plusieurs autres Voitures. La premiére étoit le Sécretaire. La seconde étoit un peu plus pesante, & dans celle-ci étoit l’Intendant. Du corps et des rouës du Carosse sortirent des Chaises roulantes qui emporterent les Nourrices, & le reste des bas Domestiques. Ce qui surprend le plus dans ce dérangement des affaires de Timon, c’est qu’il a beaucoup plus de sens que les gens qui le trompent, & que l’on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, ou la négligence du Maître, ou l’audace des Serviteurs. » Du Caffé de White le 29. Avril Le changement inopiné qui vient de se faire dans la conduite de Pastorelle, confond tous les Galans, & tous les Lorgneurs de la Ville. Ils en cherchent tous la raison, & personne ne peut la deviner. Cette Belle ne pouvoit tenir en place jusqu’à l’âge de dix-huit ans, qu’elle n’a passé que depuis deux mois. Elle est élevée par une Tante qui n’a pas toujours été d’une humeur aussi severe qu’elle l’est à présent. Mais cette Tante a si bien connu, par une longue expérience, & la fragilité de son Sexe, & la malice des Hommes, qu’elle a pris toutes les précautions imaginables pour garantir sa Nièce de la surprise de ses propres passions, ou de celles de ses Adorateurs. Sachant bien qu’un Temperament vif ne peut être corrigé que par la douceur, & que la contrainte y est plus dangereuse qu’utile, elle a pris le sage parti de conduire insensiblement son Eléve à reconnoître ses vrais intérêts, en lui épargnant la mortification des censures. Or il faut savoir que parmi ses autres défauts. Pastorelle avoit aussi celui d’être fort curieuse. Personne ne savoit mieux toutes les Nouvelles du quartier. Parisatis, c’est le nom de la Tante, connossoit la curiosité de sa Nièce, & resolut d’en profiter. Un jour elle se renferma dans sa chambre, & fit sonner bien haut le bruit de la clef pendant qu’elle fermoit la porte. Par le trou de la Serrure on pouvoit entrevoir du dehors ce qui se faisoit en dedans. La Belle, qui étoit aux écoutes, courut aussi-tôt pour épier sa Tutrice. Elle la vit à genoux, & prêtant l’oreille, elle entendit distinctement ces paroles, qui vinrent après quelques momens d’éjaculations mentales : « O Dieu, pour ce qui regarde cette chere Enfant que tu as commise à mes soins, fai qu’elle se comporte avec tant de prudence, & que sa conduite soit si bien réglée, que ce grand Seigneur, qui est épris de sa beauté, n’ait pour elle que des desirs legitimes ! » Parisatis sentit sa Nièce au trou de la serrure ; elle s’y étoit bien attendue. Elle continua donc de la sorte : « Oui, mon Dieu, rends-la Mére d’une Famille nombreuse & florissante ; & donne-lui une conduite si modeste et si sage, que ce jeune Seigneur se puisse promettre toutes les benedictions d’un Mariage heureux, dans la possession d’une Femme qui sera si vertueuse, pendant qu’il y a si peu de vertu dans le monde ! » Pastorelle n’en voulut pas ouïr davantage. Le coup avoit porté. La crainte d’être découverte lui fait prendre la fuite. Elle court à son miroir, se coeffe plus modestement, tire son tour de gorge, & pour tout dire en un mot, se met précisement comme la sage Lindamire a coûtume de se mettre. La conversion est parfaite, parce qu’elle est sincere. Il ne manque plus rien, à cette aimable Fille, de ce qui peut faire considerer une Dame jeune & très bien faite, & à l’heure qu’il est, il se présente, actuellement à son choix, deux ou trois Partis semblables à celui que la bonne Tante supposoit dans sa Priere. L’adresse de Parisatis à ménager l’humeur, & à diriger au bien l’inclination vicieuse d’une jeune personne ne peut être assez admirée. Il n’est pas ordinaire aux vieilles gens d’avoir tant d’égards pour les foiblesses du premier âge. Les Exemples n’en sont pas communs, & je ne me souviens que d’un autre approchant de celui que je viens de citer. C’est celui de notre fameuxMr. Noy étoit un fameux Jurisconsulte sous le regne de Charles I. Il fut Avocat Général de ce Prince. Mylord Clarendon en a peint le Caractere, dans son I. Livre de l’Histoire de la Guerre civile.Noy. Son extrême douceur alla jusqu’au point de ne censurer qu’après sa mort les deréglemens de son fils. Ce Fils, grand dissipateur, ne fut ce que son Pére avoit pensé de lui, qu’en entendant lire cette clause de son Testament : « Pour le reste de mon bien, je le laisse à mon fils Edouard, que je constitue mon principal Heritier, & l’Exécuteur de ma derniere volonté ; je le lui laisse, dis-je, afin qu’il le dissipe à sa fantaisie. Tel est mon dessein en le lui donnant, & je n’en attends point autre chose. » Un généreux dépit, & quelques reflexions sur les bontez d’un Pére dont il étoit indigne, changerent tout à coup ce jeune homme, & d’un franc scelerat qu’il étoit, en firent un des Sujets les plus accomplis du Royaume.