1L’Epouse Campagnarde a été représentée ce
soir sur le Théatre de Drurylane, pour le profit de la Bignall.
Cette Actrice y a joué elle-même le personnage qui donne le nom
à la Piéce. Elle s’est tirée fort joliment d’affaire, & a
paru entrer, comme il falloit, dans l’esprit de son Rolle. Le
Mari qu’on lui donne, dans la Comédie, est un de ces vieux
Débauchez, qui songent enfin à se marier, lorsque la débauche ne
les accommode plus. Celui-ci, qui connoit la corruption du
siècle, choisit une Femme qui ne la connoit point du tout, &
compte que son honneur est fort assuré entre les mains de cette
ignorante. En plusieurs endroits où la bienséance des Caracteres
le soufre, le Poëte fait très-bien sentir que l’on ne peut mieux se défendre du Vice, que par le mépris, & dans
le tableau d’une Agnès qui, de degré en degré, se laisse
conduire, par sa propre simplicité, à l’entier oubli de son
devoir, il montre les acheminemens insensibles qui corrompent,
& qui perdent enfin les personnes de qualité lorsqu’une
bonne éducation ne les soutient pas contre les piéges de la
séduction. Les impertinences de la Jalousie y sont aussi
dépeintes d’une maniére très-fine, & très agréable, dans
l’inquiétude d’un Fat qui commence à se tourmenter par les
fausses maximes qu’il s’étoit faites pour son repos, & qui
travaille à se confirmer dans l’opinion de son malheur par les
paroles même où il voit toute la naïveté d’une pauvre Innocente.
Le Caractere de
2Horner nous représente au naturel
les mœurs du temps,
3auquel la
Pièce fut composée. L’Amour, mais un Amour déréglé, faisoit
alors la principale occupation de la vie, &, pour être vu de
bon oeil à la Cour, il falloit posseder l’Art de corrompre les
Femmes. Si ce n’étoit pour cette raison, l’on ne
comprendroit pas qu’un Homme d’honneur & de bon sens,
4tel qu’étoit Mr. Wicherley,
ait pu représenter les insultes faites au lit conjugal, sans
peindre cet attentat criminel des noires couleurs qu’il mérite.
Mais un galant Homme introduit sur la Scène avec de tels
scrupules auroit alors passé pour un Monstre, & les Poëtes
qui seroient avisés, dans ce temps-là, de donner de semblables
délicatesses aux gens du beau monde, auroient paru ne connoître
pas mieux la Cour dans laquelle ils vivoient, que l’on ne
connoîtroit à présent la
5nôtre, si l’on croyoit la
divertir par l’éloge de ces Infidelitez. Quoiqu’il en soit, la
Bignall a joué son Rolle fort heureusement, & répandu sur sa
simplicité rustique des graces, qui nous font esperer que nous
trouverons en elle de quoi nous consoler de la perte de la
Verbruggen. Mes bons Amis, & mes Associez
6les Réformateurs
des Mœurs, ont, à mon avis, porté trop loin la severité de leur
jugement contre le Théatre, & contre les Personnes qui le
fréquentent. Pour moi, je reconnois qu’une bonne Pièce,
représentée devant une Assemblée d’honnêtes-gens, ne peut que
fournir de puissans motifs à se bien conduire, & qu’il n’y a
guere de moïen plus prompt & plus efficace pour donner, à la
Jeunesse quelque teinture de bon goût & de Politesse. Cette
Reflexion me rappelle que je suis Historien. Je soutiendrois mal
ce Caractere, si je ne rapportois pas fidelement les choses. Je
ne dois donc pas perdre cette occasion d’avertir un jeune
Seigneur qui étoit pris de boisson, lorsqu’il vint hier au soir
se placer dans les Loges, de l’avertir, dis-je, que tous ses
Amis eurent honte pour lui de l’état où il parut. Les Dames furent dans une appréhension continuelle d’entendre
des paroles qui choquent les oreilles chastes, & les
Messieurs ne s’en firent pas moins de peine, soit qu’ils
compatissent secrétement à l’embarras de ces Dames, ou que
peut-être ils fussent indignez de l’affront qu’on leur faisoit
en paroissant, devant elles, dans un état qui sent si peu le
respect que l’on doit au Beau Sexe. Pour cette fois, on pardonne
à ce jeune Seigneur, parce qu’il ne lui échappa point de
grossieretez ; mais qu’il n’ait pas l’audace d’y revenir. Je
viens d’insinuer que je suis Membre de la Societé qui travaille
à la Réformation des Mœurs. Dans cette Societé l’on ne met pas à
tout des Personnes aussi considerables que le font les
Bickerstaffs. Je tiens au-dessous de moi, de censurer les grands
défauts, & de flétrir publiquement l’abandon au Vice. Mais
quand il s’agit de corriger des fautes d’Indécence ; de ces
fautes que l’on commet par un oubli de son rang, & qui
viennent de ceux dont l’exemple influe sur le Peuple ; c’est un
soin qui me regarde ; je m’en suis chargé d’office, & j’ai
des Espions dans tous les lieux d’assemblée qui me donnent avis
de tout ce qui s’y passe. Que l’on se le tienne donc pour dit :
Si quelque Dame du bel air s’avise de rire à la
glise, ou si quelque petit Maître se présente soû à la Comédie,
ils peuvent compter de se voir exposez dans ma premiére Feuille
volante, qui paroîtra ensuite de leur action ; puis qu’en
qualité de simple honnête-Homme qui a quelque politesse, je ne
saurois soufrir de pareils excès. Au sortir de la Comédie, mes
Amis & moi nous rendons d’ordinaire à ce Caffé dans
l’esperance d’y trouver quelque nouveau Poëme, ou quelque autre
Pièce divertissante, entre les Gens d’esprit & les agréables
Débauchez, dont le nombre est fort petit aujourd’hui. Mais il
est étonnant qu’il y ait si peu d’Ecrivains, lors que l’Art de
faire des Livres est devenu purement méchanique, & que l’on
peut s’y rendre habile par des règles aussi certaines &
infaillibles que vous pouvez devenir Charpentier ou Masson. Ce
qu’un Colporteur vient de crier, il n’y a qu’un moment, nous en
fournit un bon Exemple ; il débite des Instructions à
7Vander Bank, Suite de l’Avis
aux Poëtes.
8Poeme, sur les glorieux succès
des Armes de Sa Majesté, l’année derniére en Flandre, sous le
Commandement du Duc de Marlborough. Il faut que vous sachiez
que, l’Auteur s’étant apperçû que les Poëtes ne vouloient pas
recevoir ses Avis, il ne se mêle plus de leur en donner ; mais
il a trouvé un certain Vander Bank, qui fait de très-belles
Tapisseries de haute lice : De sorte que, pour célébrer le Héros
de notre siécle, il vous ramasse tout ce que l’on peut dire d’un
Homme de ce Métier-là, & qu’il lui adresse le discours à peu
près en ces termes :
Citazione/Motto
Eleve de
Minerve, admirable Ouvrier, Qu’un chef-d’œuvre aujourd’hui
sorte de ton Métier. Si tes savantes mains expriment la
nature ; Tissent les passions, filent une avanture ; Ne
pourrois-tu, de fils, ménagez par tes doigts, Des ombres
& du jour suivant toutes les lois, D’un triomphe
éclatant représenter la gloire Ou décrire un Combat suivi de
la victoire ?
Eh bien, que doit faire ensuite cet
Ouvrier ? Afin qu’il connoisse toute la grandeur du
Héros, qu’il doit représenter, le Poëte le munit d’un très-bon
cheval,
Citazione/Motto
Qui, fier, rongeant son
mors, saute, bondit, & ruë, La tête haut levée & la
queuë étenduë.
Pour ce qui regarde l’intrépidité, le
calme, la présence d’esprit, & l’application constante de
cet illustre Capitaine, il n’est pas nécessaire que l’Ouvrier
s’en mêle ; vous n’avez qu’à lui ordonner en gros, qu’il l’éleve
aussi haut qu’il pourra, & s’il ne le fait pas, tant pis
pour lui. Mais recommandez-lui sur tout,
Citazione/Motto
Que de joie à l’envi, l’une & l’autre animée,
La Victoire paroisse avec la Renommée, Qui volant sous la
nue, & touchant presque aux Cieux, D’un doux battement
d’aile & d’un ris gracieux,Le couronnent en l’air
&c.
Il ne seroit pas plus difficile de tenir tout
prêt pour la Campagne suivante, un Poëme entier de cet ordre,
qu’il l’est de laisser un vuide dans le Canevas d’une Tapisserie
pour la Figure principale ; pendant qu’on travaille au reste.
Desorte qu’à dire le vrai, celui qui se mêle de donner des avis à l’Artisan ne fait que le copier. Voilà, si
je ne me trompe, une méthode qui doit être d’un grand avantage
pour les Novices. L’invention en est si fort à la portée de tout
le monde, que desormais on pourra donner la Recette d’un Poëme,
comme on donne celle d’une Médecine. Toute la finesse consiste,
comme on le voit, à ramasser tout ce que l’on peut dire de la
Profession dont on veut se servir. Waller & Denham avoient
épuisé les Avis au Peintre. Notre Auteur a taillé de la besogne
à d’autres Ouvriers, & donné ses Avis aux Poëtes,
c’est-à-dire, aux Tourneurs de Vers, ainsi qu’il les appelle.
Autre sujet épuisé. Il s’adresse donc aujourd’hui aux
Tisserands, & il leur ordonne une nouvelle Tenture de
Tapisserie à l’honneur de la derniére Campagne de Flandres. Il
faut avouer que cette Invention me plait beaucoup, & qu’on
pourrait la rendre utile à l’avancement de nos Manufactures.
Supposé, par exemple, qu’un Homme d’Esprit adressât un tel
Poëme, en forme d’Avis, à nos Imprimeurs de Toile ; croyez-vous
qu’il y ait aucune Fille en Angleterre, qui voulût porter autre
chose que la Prise de l’Isle, ou la Bataille
d’Oudenarde ? A coup sûr, ces deux Evénemens seroient la grande
Mode, & la seule, jusqu’à ce que nos Heros eussent taillé de
nouveaux Patrons à nos Ouvriers. Il me semble que de petites
Escarmouches pourroient servir pour les Jupes de dessous ;
pourvû qu’il y eût un Siége à celles de dessus. Si les Avis de
notre Poëte étoient bien executez, cela donneroit de l’émulation
à quantité de Personnes industrieuses. II y a déja une semaine
que le petit Mr. Dactile, qui est actuellement dans cette
Chambre, & qui a composé autrefois une Chanson & demie,
est occupé à un fort joli Ouvrage dans le même goût : Il
travaille à une Epigramme, qu’il adresse à une jeune Demoiselle,
qui tricotte en perfection, & où il lui conseille, (c’est
grand dommage qu’il soit Jacobite) de tricotter, dans les coins
d’une paire de bas, toutes les actions du Prétendant, & du
Duc de Bourgogne, pendant la derniére Campagne. Je ne finirois
pas, si je voulois compter toutes les Personnes, & toutes
les Professions qui pourroient être mises en œuvre, par les
Poëtes de la tournure de ce donneur d’Avis. J’y penserai à
loisir, & je consulterai même là-dessus, un Homme fort expert, employé à la Douane, pour savoir
quelle Taxe, dans ce tems où nous en avons si grand besoin, il
seroit à propos de mettre sur les Couteaux, les Cachets, les
Bagues, les Tentures, les Lits brodez, les Robes, & les
Jupes, où l’n grave, ou trace quelque Dévise, ou que l’on
travaille sur un Fonds Poëtique.