Article III. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Klara Gruber Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 30.11.2015 o:mws.3852 Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Seconde Edition revue & corrigée. Tome Premier. Amsterdam: François Changuion 1735, 90-100, Le Philosophe nouvelliste 1 009 1735 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Belgium Oudenaarde Oudenaarde 3.60891,50.85168 France 2.0,46.0 Belgium Bruges Bruges 3.22424,51.20892 Belgium Flanders Flanders 4.5,51.0

Article III.

Du Caffé de Guillaume, le 14. Avril, 1709.

C’est le titre d’une Comédie composée par Wicherley.L’Epouse Campagnarde a été représentée ce soir sur le Théatre de Drurylane, pour le profit de la Bignall. Cette Actrice y a joué elle-même le personnage qui donne le nom à la Piéce. Elle s’est tirée fort joliment d’affaire, & a paru entrer, comme il falloit, dans l’esprit de son Rolle. Le Mari qu’on lui donne, dans la Comédie, est un de ces vieux Débauchez, qui songent enfin à se marier, lorsque la débauche ne les accommode plus. Celui-ci, qui connoit la corruption du siècle, choisit une Femme qui ne la connoit point du tout, & compte que son honneur est fort assuré entre les mains de cette ignorante. En plusieurs endroits où la bienséance des Caracteres le soufre, le Poëte fait très-bien sentir que l’on ne peut mieux se défendre du Vice, que par le mépris, & dans le tableau d’une Agnès qui, de degré en degré, se laisse conduire, par sa propre simplicité, à l’entier oubli de son devoir, il montre les acheminemens insensibles qui corrompent, & qui perdent enfin les personnes de qualité lorsqu’une bonne éducation ne les soutient pas contre les piéges de la séduction. Les impertinences de la Jalousie y sont aussi dépeintes d’une maniére très-fine, & très agréable, dans l’inquiétude d’un Fat qui commence à se tourmenter par les fausses maximes qu’il s’étoit faites pour son repos, & qui travaille à se confirmer dans l’opinion de son malheur par les paroles même où il voit toute la naïveté d’une pauvre Innocente. Le Caractere de Mot formé de l’Anglois, pour dire un planteur de Cornes. Horner nous représente au naturel les mœurs du temps,Sous Charles II. auquel la Pièce fut composée. L’Amour, mais un Amour déréglé, faisoit alors la principale occupation de la vie, &, pour être vu de bon oeil à la Cour, il falloit posseder l’Art de corrompre les Femmes. Si ce n’étoit pour cette raison, l’on ne comprendroit pas qu’un Homme d’honneur & de bon sens,Wicherley participoit lui-même à toute la corruption de la Cour de Charles II. tel qu’étoit Mr. Wicherley, ait pu représenter les insultes faites au lit conjugal, sans peindre cet attentat criminel des noires couleurs qu’il mérite. Mais un galant Homme introduit sur la Scène avec de tels scrupules auroit alors passé pour un Monstre, & les Poëtes qui seroient avisés, dans ce temps-là, de donner de semblables délicatesses aux gens du beau monde, auroient paru ne connoître pas mieux la Cour dans laquelle ils vivoient, que l’on ne connoîtroit à présent laL’union de la Reine Anne avec le Prince George de Dannemarc a été fort exemplaire ; & cette Princesse a toujours tâché de répandre son exemple dans toute sa Cour. nôtre, si l’on croyoit la divertir par l’éloge de ces Infidelitez. Quoiqu’il en soit, la Bignall a joué son Rolle fort heureusement, & répandu sur sa simplicité rustique des graces, qui nous font esperer que nous trouverons en elle de quoi nous consoler de la perte de la Verbruggen.

Mes bons Amis, & mes AssociezC’est une Societé formée depuis assez longtems en Angleterre. Quelques-uns de ses Membres ont écrit contre le Théatre avec toute la severité qui regne dans les Ouvrages des Péres, & dans la Morale des Monasteres. Cette Societé se forma d’abord dans un bon dessein pour faire executer les Loix contre le Vice. Mais elle n’a pas été soutenue, parce qu’on s’apperçut bientôt qu’il s’y fourroit des scélerats, qui y entroient pour harceler d’honnêtes-gens & pour en excroquer de l’argent. les Réformateurs des Mœurs, ont, à mon avis, porté trop loin la severité de leur jugement contre le Théatre, & contre les Personnes qui le fréquentent. Pour moi, je reconnois qu’une bonne Pièce, représentée devant une Assemblée d’honnêtes-gens, ne peut que fournir de puissans motifs à se bien conduire, & qu’il n’y a guere de moïen plus prompt & plus efficace pour donner, à la Jeunesse quelque teinture de bon goût & de Politesse. Cette Reflexion me rappelle que je suis Historien. Je soutiendrois mal ce Caractere, si je ne rapportois pas fidelement les choses. Je ne dois donc pas perdre cette occasion d’avertir un jeune Seigneur qui étoit pris de boisson, lorsqu’il vint hier au soir se placer dans les Loges, de l’avertir, dis-je, que tous ses Amis eurent honte pour lui de l’état où il parut. Les Dames furent dans une appréhension continuelle d’entendre des paroles qui choquent les oreilles chastes, & les Messieurs ne s’en firent pas moins de peine, soit qu’ils compatissent secrétement à l’embarras de ces Dames, ou que peut-être ils fussent indignez de l’affront qu’on leur faisoit en paroissant, devant elles, dans un état qui sent si peu le respect que l’on doit au Beau Sexe. Pour cette fois, on pardonne à ce jeune Seigneur, parce qu’il ne lui échappa point de grossieretez ; mais qu’il n’ait pas l’audace d’y revenir. Je viens d’insinuer que je suis Membre de la Societé qui travaille à la Réformation des Mœurs. Dans cette Societé l’on ne met pas à tout des Personnes aussi considerables que le font les Bickerstaffs. Je tiens au-dessous de moi, de censurer les grands défauts, & de flétrir publiquement l’abandon au Vice. Mais quand il s’agit de corriger des fautes d’Indécence ; de ces fautes que l’on commet par un oubli de son rang, & qui viennent de ceux dont l’exemple influe sur le Peuple ; c’est un soin qui me regarde ; je m’en suis chargé d’office, & j’ai des Espions dans tous les lieux d’assemblée qui me donnent avis de tout ce qui s’y passe. Que l’on se le tienne donc pour dit : Si quelque Dame du bel air s’avise de rire à la glise, ou si quelque petit Maître se présente soû à la Comédie, ils peuvent compter de se voir exposez dans ma premiére Feuille volante, qui paroîtra ensuite de leur action ; puis qu’en qualité de simple honnête-Homme qui a quelque politesse, je ne saurois soufrir de pareils excès.

Au sortir de la Comédie, mes Amis & moi nous rendons d’ordinaire à ce Caffé dans l’esperance d’y trouver quelque nouveau Poëme, ou quelque autre Pièce divertissante, entre les Gens d’esprit & les agréables Débauchez, dont le nombre est fort petit aujourd’hui. Mais il est étonnant qu’il y ait si peu d’Ecrivains, lors que l’Art de faire des Livres est devenu purement méchanique, & que l’on peut s’y rendre habile par des règles aussi certaines & infaillibles que vous pouvez devenir Charpentier ou Masson. Ce qu’un Colporteur vient de crier, il n’y a qu’un moment, nous en fournit un bon Exemple ; il débite des Instructions àCe Vander Bank étoit inimitable dans sa profession, & jamais personne n’attrapa mieux que lui le naturel dans les Ouvrages de Tapisserie. Vander Bank, Suite de l’Avis aux Poëtes. Tout ceci regarde le Chevalier R. Blackmore. Poeme, sur les glorieux succès des Armes de Sa Majesté, l’année derniére en Flandre, sous le Commandement du Duc de Marlborough. Il faut que vous sachiez que, l’Auteur s’étant apperçû que les Poëtes ne vouloient pas recevoir ses Avis, il ne se mêle plus de leur en donner ; mais il a trouvé un certain Vander Bank, qui fait de très-belles Tapisseries de haute lice : De sorte que, pour célébrer le Héros de notre siécle, il vous ramasse tout ce que l’on peut dire d’un Homme de ce Métier-là, & qu’il lui adresse le discours à peu près en ces termes :

Eleve de Minerve, admirable Ouvrier,

Qu’un chef-d’œuvre aujourd’hui sorte de ton Métier. Si tes savantes mains expriment la nature ; Tissent les passions, filent une avanture ; Ne pourrois-tu, de fils, ménagez par tes doigts, Des ombres & du jour suivant toutes les lois, D’un triomphe éclatant représenter la gloire Ou décrire un Combat suivi de la victoire ?

Eh bien, que doit faire ensuite cet Ouvrier ? Afin qu’il connoisse toute la gran-deur du Héros, qu’il doit représenter, le Poëte le munit d’un très-bon cheval,

Qui, fier, rongeant son mors, saute, bondit, & ruë, La tête haut levée & la queuë étenduë.

Pour ce qui regarde l’intrépidité, le calme, la présence d’esprit, & l’application constante de cet illustre Capitaine, il n’est pas nécessaire que l’Ouvrier s’en mêle ; vous n’avez qu’à lui ordonner en gros, qu’il l’éleve aussi haut qu’il pourra, & s’il ne le fait pas, tant pis pour lui. Mais recommandez-lui sur tout,

Que de joie à l’envi, l’une & l’autre animée, La Victoire paroisse avec la Renommée, Qui volant sous la nue, & touchant presque aux Cieux, D’un doux battement d’aile & d’un ris gracieux,Le couronnent en l’air &c.

Il ne seroit pas plus difficile de tenir tout prêt pour la Campagne suivante, un Poëme entier de cet ordre, qu’il l’est de laisser un vuide dans le Canevas d’une Tapisserie pour la Figure principale ; pendant qu’on travaille au reste. Desorte qu’à dire le vrai, celui qui se mêle de donner des avis à l’Artisan ne fait que le copier. Voilà, si je ne me trompe, une méthode qui doit être d’un grand avantage pour les Novices. L’invention en est si fort à la portée de tout le monde, que desormais on pourra donner la Recette d’un Poëme, comme on donne celle d’une Médecine. Toute la finesse consiste, comme on le voit, à ramasser tout ce que l’on peut dire de la Profession dont on veut se servir. Waller & Denham avoient épuisé les Avis au Peintre. Notre Auteur a taillé de la besogne à d’autres Ouvriers, & donné ses Avis aux Poëtes, c’est-à-dire, aux Tourneurs de Vers, ainsi qu’il les appelle. Autre sujet épuisé. Il s’adresse donc aujourd’hui aux Tisserands, & il leur ordonne une nouvelle Tenture de Tapisserie à l’honneur de la derniére Campagne de Flandres.

Il faut avouer que cette Invention me plait beaucoup, & qu’on pourrait la rendre utile à l’avancement de nos Manufactures. Supposé, par exemple, qu’un Homme d’Esprit adressât un tel Poëme, en forme d’Avis, à nos Imprimeurs de Toile ; croyez-vous qu’il y ait aucune Fille en Angleterre, qui voulût porter autre chose que la Prise de l’Isle, ou la Bataille d’Oudenarde ? A coup sûr, ces deux Evénemens seroient la grande Mode, & la seule, jusqu’à ce que nos Heros eussent taillé de nouveaux Patrons à nos Ouvriers. Il me semble que de petites Escarmouches pourroient servir pour les Jupes de dessous ; pourvû qu’il y eût un Siége à celles de dessus.

Si les Avis de notre Poëte étoient bien executez, cela donneroit de l’émulation à quantité de Personnes industrieuses. II y a déja une semaine que le petit Mr. Dactile, qui est actuellement dans cette Chambre, & qui a composé autrefois une Chanson & demie, est occupé à un fort joli Ouvrage dans le même goût : Il travaille à une Epigramme, qu’il adresse à une jeune Demoiselle, qui tricotte en perfection, & où il lui conseille, (c’est grand dommage qu’il soit Jacobite) de tricotter, dans les coins d’une paire de bas, toutes les actions du Prétendant, & du Duc de Bourgogne, pendant la derniére Campagne.

Je ne finirois pas, si je voulois compter toutes les Personnes, & toutes les Professions qui pourroient être mises en œuvre, par les Poëtes de la tournure de ce donneur d’Avis. J’y penserai à loisir, & je consulterai même là-dessus, un Homme fort expert, employé à la Douane, pour savoir quelle Taxe, dans ce tems où nous en avons si grand besoin, il seroit à propos de mettre sur les Couteaux, les Cachets, les Bagues, les Tentures, les Lits brodez, les Robes, & les Jupes, où l’n grave, ou trace quelque Dévise, ou que l’on travaille sur un Fonds Poëtique.

Article III. Du Caffé de Guillaume, le 14. Avril, 1709. C’est le titre d’une Comédie composée par Wicherley.L’Epouse Campagnarde a été représentée ce soir sur le Théatre de Drurylane, pour le profit de la Bignall. Cette Actrice y a joué elle-même le personnage qui donne le nom à la Piéce. Elle s’est tirée fort joliment d’affaire, & a paru entrer, comme il falloit, dans l’esprit de son Rolle. Le Mari qu’on lui donne, dans la Comédie, est un de ces vieux Débauchez, qui songent enfin à se marier, lorsque la débauche ne les accommode plus. Celui-ci, qui connoit la corruption du siècle, choisit une Femme qui ne la connoit point du tout, & compte que son honneur est fort assuré entre les mains de cette ignorante. En plusieurs endroits où la bienséance des Caracteres le soufre, le Poëte fait très-bien sentir que l’on ne peut mieux se défendre du Vice, que par le mépris, & dans le tableau d’une Agnès qui, de degré en degré, se laisse conduire, par sa propre simplicité, à l’entier oubli de son devoir, il montre les acheminemens insensibles qui corrompent, & qui perdent enfin les personnes de qualité lorsqu’une bonne éducation ne les soutient pas contre les piéges de la séduction. Les impertinences de la Jalousie y sont aussi dépeintes d’une maniére très-fine, & très agréable, dans l’inquiétude d’un Fat qui commence à se tourmenter par les fausses maximes qu’il s’étoit faites pour son repos, & qui travaille à se confirmer dans l’opinion de son malheur par les paroles même où il voit toute la naïveté d’une pauvre Innocente. Le Caractere de Mot formé de l’Anglois, pour dire un planteur de Cornes.Horner nous représente au naturel les mœurs du temps,Sous Charles II.auquel la Pièce fut composée. L’Amour, mais un Amour déréglé, faisoit alors la principale occupation de la vie, &, pour être vu de bon oeil à la Cour, il falloit posseder l’Art de corrompre les Femmes. Si ce n’étoit pour cette raison, l’on ne comprendroit pas qu’un Homme d’honneur & de bon sens,Wicherley participoit lui-même à toute la corruption de la Cour de Charles II.tel qu’étoit Mr. Wicherley, ait pu représenter les insultes faites au lit conjugal, sans peindre cet attentat criminel des noires couleurs qu’il mérite. Mais un galant Homme introduit sur la Scène avec de tels scrupules auroit alors passé pour un Monstre, & les Poëtes qui seroient avisés, dans ce temps-là, de donner de semblables délicatesses aux gens du beau monde, auroient paru ne connoître pas mieux la Cour dans laquelle ils vivoient, que l’on ne connoîtroit à présent laL’union de la Reine Anne avec le Prince George de Dannemarc a été fort exemplaire ; & cette Princesse a toujours tâché de répandre son exemple dans toute sa Cour.nôtre, si l’on croyoit la divertir par l’éloge de ces Infidelitez. Quoiqu’il en soit, la Bignall a joué son Rolle fort heureusement, & répandu sur sa simplicité rustique des graces, qui nous font esperer que nous trouverons en elle de quoi nous consoler de la perte de la Verbruggen. Mes bons Amis, & mes AssociezC’est une Societé formée depuis assez longtems en Angleterre. Quelques-uns de ses Membres ont écrit contre le Théatre avec toute la severité qui regne dans les Ouvrages des Péres, & dans la Morale des Monasteres. Cette Societé se forma d’abord dans un bon dessein pour faire executer les Loix contre le Vice. Mais elle n’a pas été soutenue, parce qu’on s’apperçut bientôt qu’il s’y fourroit des scélerats, qui y entroient pour harceler d’honnêtes-gens & pour en excroquer de l’argent.les Réformateurs des Mœurs, ont, à mon avis, porté trop loin la severité de leur jugement contre le Théatre, & contre les Personnes qui le fréquentent. Pour moi, je reconnois qu’une bonne Pièce, représentée devant une Assemblée d’honnêtes-gens, ne peut que fournir de puissans motifs à se bien conduire, & qu’il n’y a guere de moïen plus prompt & plus efficace pour donner, à la Jeunesse quelque teinture de bon goût & de Politesse. Cette Reflexion me rappelle que je suis Historien. Je soutiendrois mal ce Caractere, si je ne rapportois pas fidelement les choses. Je ne dois donc pas perdre cette occasion d’avertir un jeune Seigneur qui étoit pris de boisson, lorsqu’il vint hier au soir se placer dans les Loges, de l’avertir, dis-je, que tous ses Amis eurent honte pour lui de l’état où il parut. Les Dames furent dans une appréhension continuelle d’entendre des paroles qui choquent les oreilles chastes, & les Messieurs ne s’en firent pas moins de peine, soit qu’ils compatissent secrétement à l’embarras de ces Dames, ou que peut-être ils fussent indignez de l’affront qu’on leur faisoit en paroissant, devant elles, dans un état qui sent si peu le respect que l’on doit au Beau Sexe. Pour cette fois, on pardonne à ce jeune Seigneur, parce qu’il ne lui échappa point de grossieretez ; mais qu’il n’ait pas l’audace d’y revenir. Je viens d’insinuer que je suis Membre de la Societé qui travaille à la Réformation des Mœurs. Dans cette Societé l’on ne met pas à tout des Personnes aussi considerables que le font les Bickerstaffs. Je tiens au-dessous de moi, de censurer les grands défauts, & de flétrir publiquement l’abandon au Vice. Mais quand il s’agit de corriger des fautes d’Indécence ; de ces fautes que l’on commet par un oubli de son rang, & qui viennent de ceux dont l’exemple influe sur le Peuple ; c’est un soin qui me regarde ; je m’en suis chargé d’office, & j’ai des Espions dans tous les lieux d’assemblée qui me donnent avis de tout ce qui s’y passe. Que l’on se le tienne donc pour dit : Si quelque Dame du bel air s’avise de rire à la glise, ou si quelque petit Maître se présente soû à la Comédie, ils peuvent compter de se voir exposez dans ma premiére Feuille volante, qui paroîtra ensuite de leur action ; puis qu’en qualité de simple honnête-Homme qui a quelque politesse, je ne saurois soufrir de pareils excès. Au sortir de la Comédie, mes Amis & moi nous rendons d’ordinaire à ce Caffé dans l’esperance d’y trouver quelque nouveau Poëme, ou quelque autre Pièce divertissante, entre les Gens d’esprit & les agréables Débauchez, dont le nombre est fort petit aujourd’hui. Mais il est étonnant qu’il y ait si peu d’Ecrivains, lors que l’Art de faire des Livres est devenu purement méchanique, & que l’on peut s’y rendre habile par des règles aussi certaines & infaillibles que vous pouvez devenir Charpentier ou Masson. Ce qu’un Colporteur vient de crier, il n’y a qu’un moment, nous en fournit un bon Exemple ; il débite des Instructions àCe Vander Bank étoit inimitable dans sa profession, & jamais personne n’attrapa mieux que lui le naturel dans les Ouvrages de Tapisserie.Vander Bank, Suite de l’Avis aux Poëtes. Tout ceci regarde le Chevalier R. Blackmore.Poeme, sur les glorieux succès des Armes de Sa Majesté, l’année derniére en Flandre, sous le Commandement du Duc de Marlborough. Il faut que vous sachiez que, l’Auteur s’étant apperçû que les Poëtes ne vouloient pas recevoir ses Avis, il ne se mêle plus de leur en donner ; mais il a trouvé un certain Vander Bank, qui fait de très-belles Tapisseries de haute lice : De sorte que, pour célébrer le Héros de notre siécle, il vous ramasse tout ce que l’on peut dire d’un Homme de ce Métier-là, & qu’il lui adresse le discours à peu près en ces termes : Eleve de Minerve, admirable Ouvrier, Qu’un chef-d’œuvre aujourd’hui sorte de ton Métier. Si tes savantes mains expriment la nature ; Tissent les passions, filent une avanture ; Ne pourrois-tu, de fils, ménagez par tes doigts, Des ombres & du jour suivant toutes les lois, D’un triomphe éclatant représenter la gloire Ou décrire un Combat suivi de la victoire ? Eh bien, que doit faire ensuite cet Ouvrier ? Afin qu’il connoisse toute la gran-deur du Héros, qu’il doit représenter, le Poëte le munit d’un très-bon cheval, Qui, fier, rongeant son mors, saute, bondit, & ruë, La tête haut levée & la queuë étenduë. Pour ce qui regarde l’intrépidité, le calme, la présence d’esprit, & l’application constante de cet illustre Capitaine, il n’est pas nécessaire que l’Ouvrier s’en mêle ; vous n’avez qu’à lui ordonner en gros, qu’il l’éleve aussi haut qu’il pourra, & s’il ne le fait pas, tant pis pour lui. Mais recommandez-lui sur tout, Que de joie à l’envi, l’une & l’autre animée, La Victoire paroisse avec la Renommée, Qui volant sous la nue, & touchant presque aux Cieux, D’un doux battement d’aile & d’un ris gracieux,Le couronnent en l’air &c. Il ne seroit pas plus difficile de tenir tout prêt pour la Campagne suivante, un Poëme entier de cet ordre, qu’il l’est de laisser un vuide dans le Canevas d’une Tapisserie pour la Figure principale ; pendant qu’on travaille au reste. Desorte qu’à dire le vrai, celui qui se mêle de donner des avis à l’Artisan ne fait que le copier. Voilà, si je ne me trompe, une méthode qui doit être d’un grand avantage pour les Novices. L’invention en est si fort à la portée de tout le monde, que desormais on pourra donner la Recette d’un Poëme, comme on donne celle d’une Médecine. Toute la finesse consiste, comme on le voit, à ramasser tout ce que l’on peut dire de la Profession dont on veut se servir. Waller & Denham avoient épuisé les Avis au Peintre. Notre Auteur a taillé de la besogne à d’autres Ouvriers, & donné ses Avis aux Poëtes, c’est-à-dire, aux Tourneurs de Vers, ainsi qu’il les appelle. Autre sujet épuisé. Il s’adresse donc aujourd’hui aux Tisserands, & il leur ordonne une nouvelle Tenture de Tapisserie à l’honneur de la derniére Campagne de Flandres. Il faut avouer que cette Invention me plait beaucoup, & qu’on pourrait la rendre utile à l’avancement de nos Manufactures. Supposé, par exemple, qu’un Homme d’Esprit adressât un tel Poëme, en forme d’Avis, à nos Imprimeurs de Toile ; croyez-vous qu’il y ait aucune Fille en Angleterre, qui voulût porter autre chose que la Prise de l’Isle, ou la Bataille d’Oudenarde ? A coup sûr, ces deux Evénemens seroient la grande Mode, & la seule, jusqu’à ce que nos Heros eussent taillé de nouveaux Patrons à nos Ouvriers. Il me semble que de petites Escarmouches pourroient servir pour les Jupes de dessous ; pourvû qu’il y eût un Siége à celles de dessus. Si les Avis de notre Poëte étoient bien executez, cela donneroit de l’émulation à quantité de Personnes industrieuses. II y a déja une semaine que le petit Mr. Dactile, qui est actuellement dans cette Chambre, & qui a composé autrefois une Chanson & demie, est occupé à un fort joli Ouvrage dans le même goût : Il travaille à une Epigramme, qu’il adresse à une jeune Demoiselle, qui tricotte en perfection, & où il lui conseille, (c’est grand dommage qu’il soit Jacobite) de tricotter, dans les coins d’une paire de bas, toutes les actions du Prétendant, & du Duc de Bourgogne, pendant la derniére Campagne. Je ne finirois pas, si je voulois compter toutes les Personnes, & toutes les Professions qui pourroient être mises en œuvre, par les Poëtes de la tournure de ce donneur d’Avis. J’y penserai à loisir, & je consulterai même là-dessus, un Homme fort expert, employé à la Douane, pour savoir quelle Taxe, dans ce tems où nous en avons si grand besoin, il seroit à propos de mettre sur les Couteaux, les Cachets, les Bagues, les Tentures, les Lits brodez, les Robes, & les Jupes, où l’n grave, ou trace quelque Dévise, ou que l’on travaille sur un Fonds Poëtique.