Le Philosophe nouvelliste: Article II.

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Nível 1

Article II.

Du Caffé de Guillaume,

le 13. Avril, 1709.

Nível 2

Metatextualidade

La Pièce suivante a demeuré tout le soir sur la table ; le sujet en est intéressant pour les Familles, & si je m’y connois, elle vaut la peine d’être communiquée au Public. L’Auteur y a joint les embellissemens d’une Imagination Poétique ; mais le fonds est pris d’une Avanture arrivée actuellement à des personnes de ma connoissance.

Narração geral

Un jeune Gentilhomme fort riche devint éperdument amoureux d’une Demoiselle parfaitement belle, & d’une des plus grandes Maisons du Royaume. Cette jeune Beauté toujours flattée, & depuis long-tems maîtresse de ses volontés n’étoit rien moins que d’une humeur accommodante & facile à plier. Mais le Galant l’épousa en Homme de qualité, c’est-à-dire sans l’avoir assez fréquentée pour la bien connoître, & sans avoir pu même lui donner un baiser, jusqu’à ce que la bienséance ne lui permettoit plus d’en conter à une autre. On sait que la Beauté perd beaucoup de son prix dans la possession. L’Epoux cesse bien-tôt d’être Amant, & celui-ci auroit voulu trouver de la complaisance où il n’avoit cherché d’abord que des charmes. Il se trompa dans son attente, & pour s’en consoler, il eut recours à la Bouteille. La consolation du Mari ne faisoit pas celle de la Femme : Elle s’imagina qu’il faisoit par dédain, ce qu’il ne faisoit que par une espéce de desespoir. Aussi ne manquoit-elle pas les occasions de lui en faire de cruels reproches. Il ne pouvoit rentrer chez lui qu’il n’eût sujet de se repentir d’avoir quitté si-tôt ses Amis. C’étoit toujours le même accueil.

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Diálogo

« Quoi ! Vous avez pu sortir du Cabaret de si bonne heure ! N’y avoit-il plus d’Ivrognes à vous y tenir tête ? Que je suis malheureuse ! Vous ai-je donc préféré à tout le monde pour être ainsi traitée, lui repliquoit-il, y eut-il jamais d’impertinence égale à la vôtre ! »
En un mot ce Couple étoit l’Exemple du Mariage le plus mal assorti du monde & de ses plus funestes suites. Lasse enfin de gronder inutilement, la Dame alla faire ses plaintes à un de ses Oncles, qui, après l’avoir entendue, lui remit entre les mains une Bouteille remplie d’une certaine liqueur & lui dit...

Metatextualidade

Mais il me semble que je ne suis pas en train de conter, & il n’y a rien de plus dèsagréable, que des Contes faits de mauvaise grace. Il vaut donc mieux laisser parler notre Poëte, qui s’exprime ainsi :

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Citação/Lema

Recette pour les Femmes grondeuses, qui veulent gagner le cœur de leurs Maris.
Si, pour rendre un Epoux heureux, Il ne falloit qu’une Epouse charmante ;
Gregoire rencontra des mieux.
Nul appas ne manquoit à la Beauté naissante,
Qu’en nom de Femme il prit à soi :
Elle étoit faite au tour, & le je ne sai quoi,
Celui qui plaît, s’entend, abondoit chez la Belle :
Mais avare, emportée & grondeuse éternelle,
Sur des riens, & souvent contre toute raison,
De cris elle faisoit retentir la Maison.
Et du soir au matin c’étoit même musique ;
Ce dernier point n’est que fort rarement,
Ou plutôt n’est jamais découvert à l’Amant,
On réserve à l’Epoux ces fleurs de Rhetorique.
Jeanne avoit tant d’attraits, & d’ailleurs tant de bien,
Que Gregoire amoureux ne s’apperçut de rien ;
On crut qu’il suffisoit des beautés de sa Femme
Pour immortaliser son bonheur & sa flamme.
Cette flamme finit... & son bonheur aussi.
Les premiers jours, tout alloit à merveilles ;
Des deux côtez on n’eut d’autre souci
Que de se témoigner des tendresses pareilles ;
Le même cœur sembloit animer les deux Corps ;
C’étoit une union d’Amant & de Maîtresse.
Peu de tems épuisa cette belle tendresse,
Et tous deux à la fois reconnurent alors
Que les liens étroits du Mariage
Unissent foiblement les cœurs,
Si le doux rapport des humeurs
N’en cimente pas l’assemblage.
Jeanne ne deboursoit un sou qu’en enrageant
Et lesinoit sur tout, à l’excès ménagere.
Gregoire aimoit le vin, la bonne chere,
Et pour se regaler prodiguoit son argent.
De sa passion favorite
Chacun dans la dispute exaltoit le mérite,
La querelle bientôt causa de grands débats.
Les Esprits s’échauffant, ce ne fut que fracas ;
Mais l’Epouse sur tout entêtée, arrogante,
Le prend sur un ton de hauteur,
Et ses discours, remplis & de fiel & d’aigreur,
Sont soutenus d’une voix si bruyante,
Que Gregoire étourdi, pour fuir ce Démon,
N’habite presque plus dans sa propre Maison ;
Le Cabaret devient sa demeure ordinaire ;
Il y passe le jour, & la nuit presque entiere.
Mais lorsqu’il faut enfin retourner au Logis,
Il ne peut y rentrer, qu’il ne trouve sa Femme
Debout, & l’attendant pour lui chanrer sa game.
Dieu sait le vacarme & les cris !
« Un peu trop tôt, Monsieur, vous avez su vous rendre,
Encore une heure ou deux, vous deviez bien attendre
Que le Soleil levé vous montrât le chemin.
Voilà pour une Femme un ragoût admirable
Qu’un Estomac puant le tabac & le vin !
Le bel état ! ô la Figure aimable !
Et c’est pour cet Original,
Pour son beau nez que je suis faite,
Et que je souffre tant de mal !
Voyez un peu ce Mignon de couchette ;
Il lui faut de l’esprit, du bien, de la beauté,
De la vertu sur tout ! Eh quoi ! pour une Bête,
Qui ne fait aucun cas d’un thrésor si vanté,
Qui le laisse inutile… » Ah ! vous me rompez la tête,
Dit Gregoire, à la fin de colére enflamé,
Mais par le vin encôr plus animé ;
« Entendrai-je toujours la même impertinence ?
Ai-je exigé de vous que vous passiez la nuit ?
Ne puis-je me coucher qu’avec votre assistance ?
Dans la Maison, je croi, nous avons plus d’un lit.
Eh bien ! prenons chacun le nôtre ;
Ne venez pas au mien, je n’irai point au vôtre ;
Ainsi nous serons tous contens ;
De l’odeur de mon vin vous ne pourrez vous plaindre ;
Et moi, je n’aurai plus à craindre
Votre sotte harangue, &.vos airs insultans.
Sans doute il falloit que Gregoire
Eût perdu tout à fait le sens & la Raison,
S’il eut la foiblesse de croire
Qu’un tel dessein rendront la paix à sa Maison
Le mal en devint pire, & Jeanne dépitée
N’en fut que plus méchante, & que plus emportée.
Elle en étourdissoit ses intimes Amis.
Dans ce nombre elle avoit un Oncle, homme très-sage,
Et qui dans tout le Voisinage,
Passoit pour un Oracle en fait de bons avis
Elle alla le trouver, lui dit sa doléance,
Et lui fit de ses maux entiere confidence.
Ingenûment elle lui conta tout.
Tout…sans taire le point qui la poussoit à bout.
« Chere Niéce, vos maux ne sont pas sans reméde,
Lui dit-il ; si plutôt vous m’eussiez consulté,
Par un thrésor que je posséde,
Je pouvois, en un mois, avec facilité,
Vous rendre le repos de toute votre vie.
Dans mon Jardin coule un foible ruisseau,
Dont la source presque tarie
Pour mouiller le gravier donne à peine assez d’eau.
Cette eau, rare en tout sens, a la vertu puissante
De rétablir la paix entre Femme & Mari.
De cet effet admirable, inouï,
La cause est aussi surprenante.
Cette eau, beaucoup mieux que le vin,
Par une qualité secrette,
D’un Esprit inquiet dissipe le chagrin ;
Au milieu des douleurs rend l’ame satisfaite ;
Des sombres passions arrête les transports ;
Réveille au fond du cœur les plaisirs & la joye,
Et, ma Niéce, pour vous le meilleur que j’y voie,
C’est que l’effet heureux s’en répand au dehors,
Et que sa vertu sympathique
Par l’Epouse à l’Epoux toujours se communique.
Prenez cette Bouteille, & si tôt que chez vous
Vous verrez rentrer votre Epoux,
De cette excellente Eau remplissez-vous la bouche :
Sans l’avaller, tenez l’y quelque temps,
Et, quand on vous diroit quelque mot qui vous touche,
Attendez bien à desserrer les dents
Que l’operation du Reméde commence ;
Une minute, ou deux d’effort, de patience,
C’est tout ce qu’il vous faut, pendant un Mois entier.
Commencez dès ce soir, & j’ose parier
Que dès ce soir votre Mari plus tendre
Sentira tout le feu qu’il doit à vos appas.
Au reste le secret que vous venez d’entendre
Est connu de moi seul ; ne le divulguez pas ;
J’en réserve aux Amis l’utile confidence.
Si le Public en avoit connoissance,
Ma source ne suffiroit point
Pour tous ceux qui voudroient en avoir au besoin »
Si Jeanne avec plaisir reçut la Médécine,
Et si son cœur sans peine endura le délai
Du temps marqué pour en faire l’essai,
Je ne le dirai pas ; chacun se l’imagine.
La nuit, à son avis, venoit trop lentement.
Jeanne étoit curieuse ; & puis une autre cause,
Plus forte encor chez ce Sexe charmant,
L’intéressoit tendrement à la chose.
Le Mari vient ; il heurte à sa porte en tremblant,
Et s’étonne fort qu’en entrant
Il trouve tout chez lui dans un profond silence.
Point de bruit, point de cris. Oh ! oh ! dit-il, je pense.
Que ma Femme est défunte. Et d’où vient que ce soir
Je n’entends pas ici le sabbat ordinaire ?
Dans ce moment Madame se fait voir.
Elle avoit pris l’eau salutaire ;
Sa bouche en étoit pleine : Et du geste & des yeux
Supléant au discours, pour suivre l’Ordonnance,
Même au delà, d’une humble reverence
Elle accompagne un soûris gracieux.
Gregoire confondu de semblables merveilles
N’en croyoit point encor ses yeux ni ses oreilles.
« Qu’est-ceci ? cria-t-il Se moque-t-on de moi ? »
Nouveau soûris ; Reverence nouvelle.
Avec attention considerant la Belle,
Il soûrit a son tour ; il l’embrasse, « Et, ma foi,
Je ne sai, lui dit-il, ce que ceci veut dire ;
Mais je sens en mon cœur les plus doux mouvemens ;
Vos yeux & vos habits me paroissent charmans :
Pardonnez le passé. Que ne puis-je ! » ...Il soupire,
Il lui serre la main, & lui-même à son lit
Avec l’émotion d’un Amant la conduit.
Pendant les trente jours que la Bouteille dure,
Avec même succès on tente l’avanture ;
Ce fut un mois de Paradis.
Mais, ce tems expité, recommencent les cris,
Le lit à part, & toute la sequelle
De la précedente querelle.
Jeanne retourne à l’Oncle, & lui conte avec soin
Et sa joye passée, & son présent besoin.
La cure est difficile, & de l’Eau sans pareille
Il lui faut une autre Bouteille.
« Ma Niéce, voulez-vous, lui dit-il gravement,
Que je vous parle franchement ?
L’Eau que je vous donnai n’est que de l’Eau commune,
Et non plus que les autres eaux,
Pour la guérison de vos maux,
Elle n’a ni vertu, ni sympathie aucune.
C’est de vous-même & de votre Raison
Que dépend cette guérison.
De tant d’appas le Ciel vous a pourvue,
Que si, de quelque adresse à la faire valoir,
Cette beauté se trouvoit soutenue,
Sur le cœur le plus dur vous auriez tout pouvoir.
A ces charmes divins joignez la complaisance ;
Apprenez, quand il faut, à garder le silence,
Et comptez qu’il n’est point de si bizarre Epoux
Qui n’ait de la tendresse, ou du respect pour vous.

De mon Cabinet, le 13. Avril

1La connoissance de l’Astrologie m’a été d’un grand secours, depuis que je me suis érigé en Nouvelliste. Elle m’a instruit à ne pas divulguer certaines choses qui pourroient déplaire à quelques Grands qu’il y a dans le Monde. Cependant on ne doit pas s’attendre que je sacrifie la vérité à la discretion dans les cas où je puis faire valoir ma Science sans faire tort à ma Patrie. C’est sur ce pied, que je prends la hardiesse de donner un démenti formel aux Nouvellistes Anglois, qui ne nous parlent plus que des malheurs de la France, & de la Mortalité qui en ravage toutes les Provinces. Je veux donc que tout le monde sâche ce que j’ai appris de mon Correspondant de Bruxelles. Il m’assûre que l’honnête-Homme, qui écrit la Gazette de Paris, & qui est bien informé de tout, lui a certifié que, depuis que le Roi a passé sa 63. année, ou sa grande climacterique, il n’est mort personne dans le Royaume qui fût plus jeune que le Monarque, si l’on en excepte peut-être quelques gens qui furent emportés de mort subite près du Village de Hochstet en Allemagne, & quelques autres qui, ne trouvant point de Logis à Ramelies, allerent perir sur le grand chemin qui méne de Gand à Bruges. Les Alliez font aussi courir certains bruits que je ne leur pardonne pas, & dont il est honteux à une Nation conquérante, comme la nôtre, de se prévaloir. On dit, par exemple, que tout est en confusion dans la Monarchie Françoise & que tout le Peuple y murmure. Quelle apparence y a-t-il à cela ? Je sai, moi qui parle, ou qui écris, & je le sai fort bien, qu’il n’y eut jamais de meilleure intelligence que celle qui regne à présent parmi les François, & que l’on n’y mange pas un seul morceau de Pain, qui ne se vende, & ne s’achette à crédit.

1Cet Article est une raillerie des Prédictions du Docteur Swift. Ce Dr. s’étoit servi de sa prétendue Astrologie pour tourner en ridicule les Whigs qui exageroient les malheurs de la France au commencement de 1703, sans dire presque un mot de la bataille d’Almanza & du mauvais succès de l’expédition de Toulon en 1707. Mr. Steele se sert du même prétexte de l’Astrologie pour tourner en ridicule les Toris en 1709. ne parloient encore que de la grandeur & du pouvoir de la France, malgré le triste état où cette Monarchie étoit alors.