Metatestualità
J’ai promis, dans un
1endroit de cet Ouvrage, d’expliquer
quelques Faits qui regardent les Personnes dont j’y ai voulu
parler, & d’apprendre au Public qui sont les Amis de qui
j’ai reçu quelque assistance. Je le ferai en peu de mots ;
car lorsque l’on n’a rien à dire que la vérité toute pure,
on peut dire beaucoup de choses en peu de paroles.
Dans l’Epitre dédicatoire du I.Volume, je témoignai l’obligation
que j’avois au Dr. Swift, dont les Ecrits divertissans, publiez
sous le faux nom d’Isaac Bickerstaff, avoient prévenu le monde
en faveur de tout ce qui auroit paru sous ce titre. A présent je
dois avouer quelque chose de plus. Lors que j’entrepris cet
Ouvrage, la fréquentation d’un Homme si enjoué me
fut d’un grand secours. Le talent qu’il a de penser d’une
certaine maniére qui n’est rien moins que vulgaire, & de
donner à la Conversation un tour fort singulier, ce talent,
dis-je, mettoit en jeu mon Imagination, qui n’avoit à rouler que
sur des sujets très-communs, mais qu’il falloit traiter d’une
façon peu commune. Les Vers, où il a décrit un
2Orage de pluie, &
3le Matin dans la Ville,
prouvent la facilité de son génie, qui, d’une matiere qui
paroîtroit sterile à tout autre, a sû tirer tant de jolies
pensées. Avant que de perdre de vûe les Bickerstaffs, je ne dois
pas oublier que l’Arbre
4Généalogique de cette Famille, que l’on
m’envoya par la Poste, a été écrit par Mr. Twisden, à ce que
j’ai appris depuis ce tems-là. Ce galant Homme fut tué à la
Bataille de Mons, & on lui a érigé, dans l’Abbaïe
d’Westminster, un Monument qui marque l’estime où il étoit &
du côté du Cœur, & du côté de l’Esprit. Il y a
aussi dans cet Ouvrage quantité d’autres petits Morceaux que je
tiens de Personnes qui me sont inconnues. Il faut mettre en ce
rang,
5le Remede pour les Dames, la
6Lettre de Mr. Downes, & plusieurs Pièces
semblables, que le Public a reçues très-favorablement. Le seul
secours que j’ai eu de plus est celui d’un Bel Esprit qui ne
veut pas me permettre que je le nomme. Il ne sauroit pourtant
trouver mauvais que je le remercie des fréquens services qu’il
m’a rendus. Il est vrai que je n’ai dû en attendre, avec autant
de raison, de qui que ce soit que d’une Personne avec qui j’ai
été lié très-intimement dès l’enfance, & à qui d’ailleurs
les plus belles choses ne coûtent presque rien. Peu s’en faut
que sa générosité ne m’ait été nuisible. Il regne, dans tout ce
qu’il écrit, tant d’invention, d’enjoûement, d’esprit, & de
savoir, qu’il m’en a pris comme aux Princes que le malheur de
leurs affaires oblige à implorer la protection d’un puissant
Voisin. J’ai été presque détruit par mon Protecteur, & après
l’avoir appellé à mon secours, il n’y a plus eu moyen de me soûtenir sans lui. C’est de sa main que viennent ces
Portraits si finis d’Hommes & de Femmes, sous les differens
titres,
7des Instrumens
de Musique, de
8l’Embarras des
Nouvellistes,
9de
l’Inventaire du Théatre, de la
10description du Thermomêtre, qui font, à mon avis,
les principales beautez de cet Ouvrage. Voilà tout ce que je
trouve à propos de dire des habiles gens qui m’ont fourni
quelque chose. On peut juger par-là du prix de mon travail ;
& ce n’est rien moins que par Modestie que je fais ici
l’aveu public de ce que je dois à ces Messieurs. Ce que l’on
tient de l’estime, & de l’amitié des Hommes distinguez par
un grand mérite, fait infiniment plus d’honneur que tout ce que
l’on pourroit tirer de son propre fonds. Cependant tout l’esprit
que ces illustres Personnes m’ont prêté, n’a pû expier, auprès
de certaines gens, la faute qu’ils m’attribuent de lâcher, en
faveur de Mr. Hoadley, quelques mots qui tournent en ridicule ses Adversaires. Mais où est le mal ? Ce
11Mr. Hoadley, qui
témoigne tant de zèle pour la liberté de l’Etat, n’est-il pas le
même Homme qui a défendu, avec tant d’érudition, le Gouvernement
de l’Eglise Anglicane ? En quoi consiste donc la partialité que
l’on me reproche ? Si l’on veut me rendre justice, on verra que
j’ai loué le vrai mérite par tout où je l’ai trouvé ;
c’est-à-dire, dans les Personnes même qui sont le plus
contraires au Parti pour lequel je me suis déclaré. En faut-il
des preuves ? Que l’on examine le Caractére avantageux
12du Dr. Smalridge que j’ai peint sous
le nom supposé de Favonius, et le Portrait d’un Doïen, que l’on
sait à présent être le
13Dr. Atterbury. Je
puis dire avec confiance que j’en ai toujours usé en Homme
d’honneur, & que j’ai été sensiblement affligé de ce que
l’on a pû penser le contraire. L’esprit me paroit
la plus frivole, & la plus méprisable de toutes les
qualitez, lorsqu’on en abuse ; & j’aurois honte du peu que
la Nature m’en auroit donné, si j’avois eu le malheur de m’en
être servi pour de mauvaises fins. Quant à ce dernier point,
j’en appelle aux soins que j’ai pris pour combattre la fureur du
Jeu & des Duels. Jamais Heros de Roman ne se porte avec plus
de chaleur contre les Géans, & même à l’heure qu’il est,
semblable aux Chevaliers errans, je ne puis penser à ces
Monstres, que mon imagination n’en soit échauffée. Je briserai
donc tout court là-dessus, puis que je possede encore mon sens
froid, & que je ne suis pas d’humeur d’aller, comme Don
Quichotte, attaquer des Moulins à vent. Je dois pourtant me
vanter d’avoir été le seul, qui, malgré la force de la coûtume
& des Préjugez, ai déploré la condition des Gentilshommes
Anglois, dont le bien & la vie ne sont plus en sûreté. Par
une fausse idée de Justice, leur bien passe à des Brélandiers de
profession, & par un faux point d’honneur, leur vie est à la
merci de quelques Faquins de Breteurs. J’ai tant
parlé des prémiers, que je n’ai plus rien à en dire ; & pour
les autres, je conclurrai ce que j’en ai dit, en leur appliquant
ce que le Docteur South a dit quelque part du Menteur, qu’il
craint les Hommes, & qu’il brave Dieu.