Le Philosophe nouvelliste: II. Piece.

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II. Piece.

Citazione/Motto

Metatestualità

Accomplissement de la Prédiction de Mr. Bickerstaff, ou, Relation de la Mort de Mr. Partridge, le faiseur d’Alamanachs, arrivée le 29. de ce Mois. Lettre écrite à un Seigneur en 1708.

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Lettera/Lettera al direttore

Mylord, Pour obéir à vos ordres, autant que pour satisfaire ma propre curiosité, je me suis enquis avec soin, pendant quelques jours, de l’état de Mr. Partridge, dont Mr. Bickerstaff avoit prédit la Mort pour le 29. du mois sur les onze heures du soir. Je connoissois personnellement ce Mr. Partridge, dès le temps que j’avois quelque Emploi dans les Finances. Il faisoit toûjours présent de son Almanach à notre Bureau, & il n’y perdoit pas. Je le vis encore par hazard dix ou douze jours avant sa Mort ; son visage me parut défait, & je lui trouvai l’air d’un déterré, quoique ses Amis ne s’en apperçussent presque pas. Il y a deux ou trois jours qu’il se trouva mal à ne pouvoir sortir de sa Chambre : A peine y fut-il confiné, qu’il falut le mettre au lit, où le1Dr. Case, & la Veuve Kirleus lui rendirent visite, & lui prescrivirent quelques remedes. Là-dessus, j’en voyai, trois fois par jour, un de mes Domestiques pour s’informer de son état. J’appris hier, sur les quatre heures après midi, qu’il tiroit à sa fin, & je ne le sus pas plutôt, que je me déterminai à l’aller voir, en partie par un principe de compassion, & sur tout, s’il faut l’avouer, par un motif de curiosité. Il me reconnut, & surpris de la civilité que je lui faisois, il m’en fit compliment du mieux qu’il put, dans l’état où il se trouvoit. Les gens qui le soignoient m’informerent que le Malade avoit eu quelques momens de délire ; mais, lors que je le vis, il paroissoit avoir autant de bon-sens que je lui en aie jamais connu : Il avoit la voix nette, & la parole libre, sans qu’il fît aucun effort pour se faire entendre. Après lui avoir témoigné le chagrin que j’avois de le voir si bas, je le priai de me dire ingenûment, si par hazard les Prédictions du Sieur Bickerstaff n’avoient point frappé son Imagination ? Il me confessa, qu’elles lui avoient souvent roulé dans la tête ; mais qu’elles ne l’avoient point étonné, si ce n’est depuis quinze jours, qu’il n’avoit pû écarter de son Esprit cette triste idée, & qu’il croyoit en vérité, que ceci étoit la cause naturelle de sa Maladie ;

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Dialogo

« Quoique je sois bien persuadé, ajouta-t-il, & que j’aie de bonnes raisons qui m’obligent de croire que Mr. Bickerstaff n’en a parlé qu’à l’avanture, & qu’il ne sait, non plus que moi, ce qui doit arriver cette année. »
Je lui répondis, que j’étois surpris de ce que je venois d’entendre, & que je souhaiterois qu’il se portât assez bien pour me pouvoir dire les raisons qui lui faisoient croire que Mr. Bickerstaff est un Ignorant.

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Dialogo

« Je ne suis moi-même, me repliqua-t-il, qu’un pauvre homme sans lettres. Vous savez quelle a été ma premiére Profession. Il en est à peine de plus basses. J’ai néanmoins assez de lumieres pour savoir que l’Astrologie n’est qu’un jeu d’imposture. La preuve en est facile. Les gens sages & éclairez, qui sont les seuls qui peuvent savoir si cette Science est solide, s’accordent tous à s’en moquer. Il n’y a que le sot & crédule Vulgaire qui en fasse quelque estime ; & sur quoi la fonde-t-il ? Sur l’autorité de quelques pauvres Ignorans comme moi, qui ne sais presque ni lire ni écrire. »
Alors je lui demandai, pourquoi il n’avoit pas calculé sa Nativité pour voir si elle se rencontroit avec la Prédiction du Sieur Bickerstaff ? A cette question, il branla la tête, & me dit ;

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Dialogo

« Oh ! Monsieur, il n’est plus tems de rire. A l’heure qu’il est, je dois me repentir de toutes ces badineries, & je m’en repens du plus profond de mon cœur. Je dois donc conclurre, lui dis-je, que les Observations & les Prédictions, que vous faisiez imprimer dans vos Almanachs, n’étoient que des Chansons pour tromper le Peuple, & pour en attraper l’argent. N’en doutez point, me répondit-il, & c’est cela même qui grossit le compte que j’ai à rendre. Nous avons, entre nous, un Formulaire constant pour toutes les choses. Quand il s’agit de prédire le tems qu’il doit faire, nous ne nous en embarrassons point. Nous laissons ce soin à l’Imprimeur, qui copie tout cela sur quelque Almanach de vieille date. J’inventois le reste à plaisir pour faire mieux débiter mon Ouvrage. Que vouliez vous que je fisse ? C’est un pauvre mêtier que celui de coudre des Savates. J’avois une femme à entretenir, & je n’avois d’autre gagne-pain que ma Charlatanerie. Et plût à Dieu que je n’aie pas fait plus de mal par ma Médecine que par mon Astrologie ! J’avois pourtant quelques bonnes Recettes que je tenois de ma Grandemere, & mes Drogues avoient au moins cela de bon, que, si elles ne faisoient pas de bien, elles ne pouvoient point faire de mal. »
Nous dimes encore quelques autres choses que j’ai oubliées, & que je ne repeterois pas quand je m’en souviendrois, parce, Mylord, que je crains de n’avoir déja que trop abusé de votre patience. Je ne dois pourtant pas omettre cette circonstance fort remarquable, qu’un Prédicant fanatique a reçu les derniers soupirs de l’Astrologue, & que Partridge a déclaré, en mourant, qu’il étoit Nonconformiste. Je me retirai après une demie heure de conversation. La chambre étoit si renfermée, qu’il s’en fallut peu que je n’y suffoquasse. Je compris que le Malade ne pouvoit aller loin, & pour être à portée d’en savoir des nouvelles, j’entrai dans un Caffé du voisinage. Mais j’eus la précaution de laisser un Valet chez le mourant, avec ordre de m’avertir d’abord qu’il auroit rendu l’esprit. Environ deux heures après, mon Valet vint m’annoncer sa Mort. Je regardai à ma Montre, & je vis qu’il étoit alors sept heures sept minutes ; de sorte que Mr. Bickerstaff s’étoit trompé de près de quatre heures ; mais il avoit attrapé assez juste les autres particularitez. Savoir s’il a été la cause de la Mort de ce pauvre Homme, comme il en a été le Prophete, c’est ce que je laisse à d’autres à décider. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’Avanture ne peut être plus singuliére, à quelque cause qu’on l’attribue ; soit au jeu du Hazard, ou à celui de l’Imagination. Je ne sais plus qu’en penser, quoiqu’il n’y aît point d’Homme moins crédule que moi, cependant j’attens avec impatience & même, si je l’ose dire, avec quelque certitude, l’accomplissement de la seconde Prédiction de Mr. Bickerstaff, qui regarde la Mort du Cardinal de Noailles fixée au 4. d’Avril. Si celle-ci se vérifie comme la précedente, j’avouë que ma surprise sera extrême, & que je ne douterai plus que tout le reste ne s’accomplisse avec la même justesse.

1Ces deux Personnes ont été, pendant plusieurs Années, les Médécins de la Canaille, pour les Maladies Veneriennes & autres semblables.