Le Philosophe nouvelliste: Epitre dedicatoire du Traducteur
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Epitre dedicatoire du
Traducteur, à Mr. De F. ** Letter/Letter to the editor
Monsieur, En qualité d’Interprête du Sr.
Bickerstaff, je souhaiterois d’ê-[II]tre aussi bien entré
par tout dans son esprit, que je le fais en vous dédiant mon
Travail. Il crut ne pouvoir choisir de Patron plus
convenable au sien, qu’en jettant les yeux sur un de ses
Amis, parfaitement galant homme, que le discernement &
la probité rendoient excellent Juge en cette sorte
d’Ouvrages. Agissant dans les mêmes vues, je me flatte
d’avoir aussi bien rencontré que lui. Le plaisir que vous
avez toujours pris, Monsieur, à la lecture de l’Original,
devroit me faire appréhender de vous en offrir la
Traduction. Cette derniere a de grands desavantages. On ne
[III] prend plus le même interêt à la plûpart des choses. On
a perdu certaines idées qui faisoient découvrir de la
finesse où l’on n’en voit presque plus. On ne sauroit douter
que toutes les Langues n’ayent des beautés qui leur sont
particuliéres, & dans cette grande diversité de tours
& de stiles, tant en Prose qu’en Vers, quelle apparence
qu’un Traducteur puisse se prêter & se plier à tout
également ? Oserai-je pourtant vous l’avancer, Monsieur ?
S’il n’y avoit à dire que cela dans mon travail, je ne
redouterois pas tant ni le jugement du Public ni le vôtre.
Mais comment excuser quelques libertés que j’ai prises,
& que des Lecteurs sévéres ne [IV] manqueront pas de
traiter d’Attentat ? Des espèces de Paraphrases en quelques
endroits, des Rétranchemens en d’autres ; ici des
Transpositions arbitraires & là des Transitions
ajoutées. Me pardonnera-t-on cette audace ? S’il me falloit
plaider ma Cause, je pourrois représenter que les Ouvrages
purement d’esprit ne demandent, ni ne permettent pas même
une Traduction si gênée que le doit être celle d’une
Histoire, par exemple, ou d’un Systême de Philosophie ; Que
nos François exigent tant de carté dans le discours, qu’il
faut bien se donner des licences, pour leur rendre
intelligibles des Etrangers qui quelquefois ne parlent qu’à
[V] demi-mot, ou qui quelquefois aussi se chargent de
Synonymes, de Parentheses, & de Périodes d’une grande
longueur ; & qu’enfin, si je suis coupable, c’est
peut-être pour avoir trop déféré, en ceci, à l’exemple de
quelques-uns de nos plus grands Maîtres, que j’ai, sans
doute, mal imités. Je ne sai si ces raisons seroient
goûtées ; mais je sai bien que personne ne peut être plus
disposé, que je le suis, à recevoir des avis, & à en
profiter. C’est principalement pour cela, Monsieur, que je
m’adresse à vous ; quoique d’ailleurs je sois charmé d’avoir
une occasion de vous témoigner publiquement l’estime sincère
que je fais de votre Mérite, & de vo-[VI]tre Amitié. Je
suis avec le plus parfait attachement. Monsieur, Votre
très-humble & très obéissant Serviteur A.D.L.C.
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Epitre dedicatoire du
Traducteur,
Letter/Letter to the editor
Monsieur, En qualité d’Interprête du Sr.
Bickerstaff, je souhaiterois d’ê-[II]tre aussi bien entré
par tout dans son esprit, que je le fais en vous dédiant mon
Travail. Il crut ne pouvoir choisir de Patron plus
convenable au sien, qu’en jettant les yeux sur un de ses
Amis, parfaitement galant homme, que le discernement &
la probité rendoient excellent Juge en cette sorte
d’Ouvrages. Agissant dans les mêmes vues, je me flatte
d’avoir aussi bien rencontré que lui. Le plaisir que vous
avez toujours pris, Monsieur, à la lecture de l’Original,
devroit me faire appréhender de vous en offrir la
Traduction. Cette derniere a de grands desavantages. On ne
[III] prend plus le même interêt à la plûpart des choses. On
a perdu certaines idées qui faisoient découvrir de la
finesse où l’on n’en voit presque plus. On ne sauroit douter
que toutes les Langues n’ayent des beautés qui leur sont
particuliéres, & dans cette grande diversité de tours
& de stiles, tant en Prose qu’en Vers, quelle apparence
qu’un Traducteur puisse se prêter & se plier à tout
également ? Oserai-je pourtant vous l’avancer, Monsieur ?
S’il n’y avoit à dire que cela dans mon travail, je ne
redouterois pas tant ni le jugement du Public ni le vôtre.
Mais comment excuser quelques libertés que j’ai prises,
& que des Lecteurs sévéres ne [IV] manqueront pas de
traiter d’Attentat ? Des espèces de Paraphrases en quelques
endroits, des Rétranchemens en d’autres ; ici des
Transpositions arbitraires & là des Transitions
ajoutées. Me pardonnera-t-on cette audace ? S’il me falloit
plaider ma Cause, je pourrois représenter que les Ouvrages
purement d’esprit ne demandent, ni ne permettent pas même
une Traduction si gênée que le doit être celle d’une
Histoire, par exemple, ou d’un Systême de Philosophie ; Que
nos François exigent tant de carté dans le discours, qu’il
faut bien se donner des licences, pour leur rendre
intelligibles des Etrangers qui quelquefois ne parlent qu’à
[V] demi-mot, ou qui quelquefois aussi se chargent de
Synonymes, de Parentheses, & de Périodes d’une grande
longueur ; & qu’enfin, si je suis coupable, c’est
peut-être pour avoir trop déféré, en ceci, à l’exemple de
quelques-uns de nos plus grands Maîtres, que j’ai, sans
doute, mal imités. Je ne sai si ces raisons seroient
goûtées ; mais je sai bien que personne ne peut être plus
disposé, que je le suis, à recevoir des avis, & à en
profiter. C’est principalement pour cela, Monsieur, que je
m’adresse à vous ; quoique d’ailleurs je sois charmé d’avoir
une occasion de vous témoigner publiquement l’estime sincère
que je fais de votre Mérite, & de vo-[VI]tre Amitié. Je
suis avec le plus parfait attachement. Monsieur, Votre
très-humble & très obéissant Serviteur A.D.L.C.