Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours IX.
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Discours IX.
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Un homme, du monde, un élégant, vient
de m’écrire une lettre qui devroit être imprimée en caracteres
d’or, & affichée au coin des rues, à la porte des
spectacles, des cafés, pour servir, par son ridicule, d’antidote
aux maximes hardies, indécentes & dangereuses, que la
fatuité & la corruption ont répandues dans le monde. S’il
est vrai que le dernier excès de l’égarement & de la
déraison puisse éclairer les esprits non encore absolument
égarés, cette lettre est un vrai spécifique pour le mal dont
elle nous force à gémir. En voici le sujet.
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Allgemeine Erzählung
Une Comédienne célébre par ses
charmes & ses talens, a écrit une lettre pleine
d’honnêteté & de raison à un galant homme qui
soupire pour elle ; elle ne peut aimer cet homme, &
elle a le courage de le lui dire, & de
refuser les offres. Cette lettre confiée à un
commissionnaire étourdi, & n’ayant pas une
suscription bien lisible, a été portée à une autre
personne que celle à qui elle étoit adressée. Celui qui
l’a reçue croit devoir me l’envoyer avec ses réflexions,
pour venger le sens commun, blessé, dit-il, par une
conduite aussi irréguliere. Il prétend qu’une
Commédienne doit s’interdire toutes les délicates
distinctions dont les honnêtes-femmes font la regle de
leurs procédés ; & que ses faveurs appartenant de
droit au public, elle est censée revêche & infidelle
à la loi commune de son état si elle les refuse, sous
quelque prétexte que ce puisse être, dès qu’on offre de
les lui payer. Il va plus loin ; car la fatuité se
distingue par l’abondance des paradoxes, & sçait en
hazarder quelquefois de si hardis, qu’elle attrape
par-là la réputation d’esprit. Il soutient que dans une
fille de théâtre, un refus fondé uniquement
sur le défaut de goût pour l’objet qui se présente, est
orgueil & arrogance, parce qu’il n’appartient qu’aux
femmes de qui on ne peut rien exiger sans amour, de
consulter leur cœur avant que de se rendre. Il fait sur
cela les raisonnemens les plus hardis & les plus
ingénieux ; & s’il étoit possible que l’erreur &
le libertinage eussent jamais des paradoxes vainqueurs,
le bon sens courroit risque ici d’être en défaut en
voulant combattre un esprit aussi inventif & aussi
déterminé. Heureusement nous avons nos principes pris
dans la nature, & confirmés tous les jours par le
respect & le touchant intérêt que nous inspirent la
bonne foi qui refuse, & la vérité qui couronne les
faveurs de l’amour, & jamais les brillantes maximes
de l’esprit ne prévaudront à cet égard contre le cri
sacré du cœur. Mais si jamais ce fatal prodige pouvoit
s’opérer, l’homme qui m’écrit auroit droit
d’y prétendre. J’ai pris la liberté de lui répondre. Il
me menace de me persiffler rigoureusement s’il ne voit
pas dans mes réflexions un ton de censure qui parte
d’une certaine estime pour son systême. Je lui déclare
que son sifflet que je crois déjà entendre, loin de
m’épouvanter, m’anime au combat, & ne retentit dans
mon oreille que comme le cor bruyant, dont l’effet est
d’exciter le chasseur à la poursuite du cerf audacieux.
Je crois devoir faire connoître la lettre de la
Demoiselle. Je la prie de croire que si elle m’étoit
connue elle-même, j’aurois aisément sacrifié le plaisir
de louer publiquement son procédé, que j’admire, à la
discrétion, qu’elle m’eût peut-être demandé.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, « Je suis
mortifiée de ne vous avoir pas encore fait de
réponse. Il m’a été impossible d’écrire plutôt,
n’ayant pas quitté les répétitions depuis quelques
jours. Je suis bien fâchée de ne pouvoir souscrire
à votre demande à l’égard de ma loge, mais je n’ai
guere que ces momens-là pour songer à mon métier.
Ne croyez pas que ce soit humeur, ni manque de
l’amitié que je vous ai promise, & que je vous
dois, Monsieur, par votre façon de penser à mon
égard : ce sera toujours avec plaisir, que je vous
verrai au théâtre, & mon accueil se ressentira
toujours de cette même amitié. Ne croyez pas non
plus que l’on me fasse agir ; si cela étoit, ma
façon de penser & de me conduire ne pourroit
pas m’engager au secret. Loin d’être barbare,
comme vous me menacez de m’en accuser, c’est un service que je vous rends,
& dont vous sentirez le prix quelque jour. Ne
pouvant répondre aux sentimens qui vous agitent,
je suis résolu de ne point sortir de ceux que je
vous ai promis, ausquels je serai toujours
fidelle ; & je vous conjure de ne pas insister
davantage pour ma loge. J’espere que loin de céder
aveuglément à vos transports, la raison vous
rendra plus calme, & vous connoîtrez alors
toute la délicatesse de mon procédé. » J’ai
l’honneur d’être, &c.