Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours V.", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.6\005 (1759), S. 157-376, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2252 [aufgerufen am: ].


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Discours V.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Une Dame de ma connoissance ; je dois plus dire, de mes amies, m’envoya prier, il y a trois jours, de passer chez elle si j’en avois le tems. J’y allai, & la trouvai disposée & toute prête à partir pour la Bretagne d’où elle étoit absente depuis deux ans. Dialog► Je suis charmée de vous voir, me dit-elle, je serois allée vous trouver si vous n’aviez pas pû venir, car je pars dans deux heures. Vous partez ? lui dis-je ; je vais donc être bien fâché de vous avoir connue ? je m’étois accoutumé à jouir tous les jours, en vous, du plus aimable esprit du monde ; je m’instruisois en vous écoutant ; je vais perdre ce plaisir, Madame. . . . . Non, vous ne le perdrez point. Voilà, dit-elle, ◀Dialog en tirant un paquet de lettres de sa cassette, Dialog► voilà mon esprit & mon cœur [158] que je vous laisse. Vous avez voulu vingt fois m’engager à vous faire part des réflexions que me fournissoient les choses presqu’incompréhensible dont j’étois frappée tous les jours dans ce pays ; vous étiez jaloux que ma chere amie eût toute ma confiance, & jouît seule de mes découvertes & de mes étonnemens ! Vous ne serez plus jaloux, & vous ne gronderez plus : voilà tout ce que j’ai pensé & tout ce que j’ai senti depuis deux ans. ◀Dialog J’y joins, comme vous verrez, ce qu’elle a pensé elle-même ; elle est bien digne de la trahison que je lui fais. Elle est paresseuse, & ne me répondit pas toujours exactement, mais peu & bon, vaut mieux que rien du tout. . . . Je reçus ce présent avec transport. Dialog► Sans doute que vous me permettez d’en disposer à mon gré ? lui dis-je : oui, répondit-elle ; mais de bonne foi, croyez-vous que cela puisse valoir la peine d’être imprimé ! Dans tout ce que vous lirez, [159] vous verrez que nous ne nous sommes jamais piquées d’écrire ; & il faut penser que le public qui ne lit pas dans des sentimens d’amitié, juge impitoyablement tous ces petits écrits que le sentiment a trop évalué. ◀Dialog Je la rassurai autant qu’il me fut possible ; & quoique je n’eusse jamais lu douze lignes de ces lettres, j’étois persuadé que je ne risquois rien à lui promettre d’avance l’estime du public. . . . . Il survint du monde qui nous empêcha de continuer ; & un moment après on vint l’avertir que tout étoit prêt pour son départ. Avouerai-je que je ne fus pas fâché de voir hâter le moment de notre séparation ! Je brûlois de me retirer chez moi, & de pouvoir y jouir des richesses que je venois d’acquérir. Ce sentiment est assez naturel. L’amitié m’abusa peut-être, & je ne prétends pas donner mon plaisir pour un jugement sans appel ; mais il est certain que tout ce que je lus m’en fit beau-[160]coup. D’autres seront plus difficiles que moi ; les esprits sont différens ; & je ne me flatte pas de faire un présent à tous mes lecteurs, en leur donnant ces lettres : je dirai seulement que je serois fâché qu’on les lût avec indifférence ; que ma prévention m’est chere, & que pour me prouver qu’elles ne sont pas bonnes, & qu’elles n’ont pas dû réussir, il faudroit m’en procurer d’excellentes qui réussissent beaucoup. Metatextualität► On va juger jusqu’à quel point je mérite qu’on se prévienne pour les objets de ma prédilection. ◀Metatextualität ◀Allgemeine Erzählung [161]

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Lettres.

Metatextualität► Madame de la B * * *, à la Marquise de T * * *. *MT

Allgemeine Erzählung► Il y a longtems, Madame, que j’aurois dû vous faire mon compliment, 1 & vous m’avez trouvé certainement bien injuste & bien indifférente ! Mais vous me rendrez toute votre estime, lorsque vous sçaurez le motif qui m’a retenue. Dans l’heureux événement que vous venez d’éprouver, j’ai bien pensé que tout le monde s’empresseroit à signaler sa joie & son amitié ; j’ai pensé aussi avec non moins de raison que, placée à plus de cent lieues de vous, mes tendresses, arrivant trop tard, auroient un air de siecle passé : il m’a donc fallu remplacer par le singulier, ce qui m’échappoit du côté nu neuf ; [162] or ce singulier, tel que je l’imaginois, étoit d’une très-difficile exécution : je voulois vous envoyer des vers de ma façon ; eh ! comment faire aisément des vers, quand on ne s’est jamais piqué de folie ! Le talent ne se commande point ; j’ai bien éprouvé toute la vérité de cette maxime. Enfin après avoir beaucoup sué, beaucoup frappé des pieds, beaucoup rongé mes ongles, je suis parvenue à rimer. Vous allez voir le fruit de mes veilles cruelles.

Zitat/Motto► Lorsque Vénus, aux champs de Cytherée,

Sous un berceau par les graces orné,

Donna naissance, au Dieu trop fortuné,

Par qui vous êtes adorée ;

Ce fut un jour de fêtes, de concerts ;

Les talens, à l’envi, par un concours magique,

Répandirent dans l’Univers

Tous les plaisirs d’une fête publique.

Ce jour, de prodiges divers,

Ce jour si beau, n’est plus unique ; [163]

Puisqu’une autre Vénus, sous le ciel Britannique,

Nous donne un autre amour, & m’inspire des vers. ◀Zitat/Motto

Voilà, Madame, les premieres pensées qui me sont venues ; la naissance de votre Chevalier, que je dois appeler le nôtre, est un de ces événemens, qui portent dans tous les esprits une joie qui fait que tout le monde a de l’esprit. Mais il m’est venu d’autres pensées, après celle-là, qui ne sont pas tout-à-fait aussi agréables. Vous voilà comme Vénus, mere d’amour (pardon si je donne le nom d’amour au cadet, au préjudice de l’aîné, vous sçavez que les Chevaliers sont les amours des femmes) n’aurez-vous pas, comme elle, la fantaisie de lui donner des freres ! Cette question vous paroît triste ! Vous pressentez des conseils ! Eh, bien Madame, vous avez deviné ; oui, j’ai l’audace de souhaiter que vous ne fassiez plus d’enfans ; vous me ré-[164]pondrez que vous avez des charmes à perdre ; à la bonne heure ; mais n’avez-vous pas des plaisirs à ménager ! Vous sçavez qu’une complaisance, ou si vous voulez qu’une fantaisie qui ne dure qu’un moment, vous retient dans un fauteuil pendant neuf mois ! Dans un fauteuil ! pouvez-vous soutenir cette pensée, vous à qui les graces ont cédé l’honneur de conduire un char dans la plaine, qui effacez Diane à poursuivre un cerf rapide, que Terpicore même a formée à la danse, & qu’elle ne voit plus danser qu’avec envie ! Vous enfin. . . Mais je dois m’arrêter ; vous m’accuseriez de flatterie, & je sçais qu’il faut l’employer le moins qu’on peut quand on aime. Il seroit plaisant que je vous conseillasse de consulter votre mari : je m’imagine pourtant qu’il seroit de mon avis : je me fonde sur son goût pour les talens aimables ; lorsqu’on les aime comme lui & qu’on les possede, on aime mieux [165] les conserver à sa femme que lui faire des enfans qui les détruiroient. Je vous prie de lui dire que j’aurai grand soin de faire réparer sa musette. Il s’est bien adressé : quel instrument à confier à une femme. Elle sera bien tendre & bien douce. Quel bonheur pour moi & pour vous-même, lorsque de mes mains passant dans les siennes, nous pourrons en répéter les sons enchanteurs ! Sur le bord d’un étang ou d’une claire fontaine, nous deviendrons tous trois Bergers ; accoutumés à penser ensemble, nos sentimens suivront nos pensées, & nous formerons des concerts charmants, lui de sons, nous de soupirs.

Zitat/Motto► Les plaisirs de la bergerie

Sont l’amusement des cœurs vrais ;

Ils embellissent les attraits

De la femme la plus jolie.

Quand sur les fleurs de la prairie

On peut unir les accens de la voix,

Aux accords pleins de mélodie, [166]

D’une champêtre simphonie,

On est plus heureux que les Rois. ◀Zitat/Motto

Hélas ! je parle de ce tems, comme s’il n’étoit pas loin encore. Je ne finis rien ici. J’y ai trouvé un usage établi auquel j’ai vû qu’il falloit que je me conformasse ; c’est de n’aller aux affaires que par les plaisirs ; & vous voyez que dans un pays où l’esprit invente sans cesse pour l’amusement, cela doit faire une longueur extrême. Tous les gens à qui vous m’avez adressée, ont voulu commencer par me donner des fêtes avant que de m’entendre : des fêtes ! En est-il loin de vous & loin des bois, quand on ne peut être sensible qu’au vrai mérite, & aux vrais plaisirs ! Adieu, Madame ; je serai à l’avenir plus exacte à vous écrire ; j’ai commencé tard à remplir des engagemens qui m’étoient chers, n’en augurez rien pour la suite ; vous sçavez que je suis paresseuse & fidelle ; & [167] ce que je fus toujours pour les autres, il est bien juste que je le sois pour vous. ◀Allgemeine Erzählung ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse.

J’étois fâchée contre vous, mais je l’ai été bien davantage, quand j’ai lu, Madame, à la premiere ligne de votre lettre. Il ne falloit pas moins que votre indifférence & votre politesse, pour me donner de l’humeur contre la personne du monde que j’aime le plus ; mais je vous assure que l’une & l’autre y ont suffi. Je vois bien, Madame, que tu ne te souviens plus qu’un jour dans mon parc, assise sur l’herbe, & badinant avec mon chien, plus familier, plus tendre & plus juste que vous, je te dis que mon titre de Marquise me déplaisoit fort, depuis que j’avois une amie qui n’étoit, ni Baronne, ni Comtesse. Cet aveu étoit une dispense éternelle de cérémonie entre nous, une priere de me regarder comme [168] votre très-humble servante ; il disoit tout, & vous parûtes l’avoir bien compris, puisque vous m’embrassâtes tendrement ; mais vous l’avez oublié dans l’absence, & moi je me souviendrai toujours que j’ai eu cette raison de me plaindre de toi.

Lorsque nous étions aux Saintes-Maries ensemble, me parliez-vous ainsi ! Songiez-vous à me faire des complimens en vers ; vous me connoissiez, & vous vous seriez bien gardée de mettre ma sensibilité à cette épreuve. Je me souviens du jour de la mort de ma vieille tante que je ne connoissois pas ; vous vîntes me trouver dans ma chambre, je dormois, vous m’appellâtes, & vous me dîtes, éveille-toi, Adelaïde, je te fais présent de dix-mille livres de rente, car ta tante te les laisse pour en disposer à ton gré, & tu me les donnerois si je te les demandois. Je me levai promptement ; j’écrivis sur une feuille de papier, que [169] je vous donnois à perpétuité tous les biens dont je venois d’hériter. Je signai cette donation, de mon sang, je vous le présentai, vous la refusâtes, malgré mes vives instances, & elle a fait depuis la différence de nos fortunes. Si vous l’aviez acceptée, je ne serois pas Marquise & vous le seriez. Je fus longtems incapable de vous pardonner l’opiniâtreté de vos refus ; vous en rïez toujours, mais vous fûtes enfin obligée de consoler un cœur que vous avez blessé, & vous me promîtes de ne jamais me faire apercevoir de la différence extérieure que cet héritage pouvoit un jour mettre entre nous, pour le rang & les titres. Voilà vos engagemens ; les avez-vous remplis ! Madame ! Madame ! Et toujours Madame, pendant une lettre de quatre pages ! Eh, puis, des vers où l’on me traite de Vénus, de mere des amours, de personne merveilleuse ! En vérité, petite, vous méritez mon courroux ; & [170] je sçais bon gré la Providence d’avoir mis entre nous, une distance de cent lieues pour m’épargner les petites vivacités dont je serois capable.

Cependant votre lettre & vos vers m’ont fait grand plaisir : à la maniere près, qui quelquefois vous condamne, vous agissez toujours bien. J’ai ri à l’article des conseils, & dans cet endroit surtout où vous dites que si je consultois M. de T * * *, il seroit de votre avis. Ne croyez pas cela, ma chere. Malgré sa tendresse pour moi, c’est un homme tout comme les autres ; il préfére son plaisir à tout ce qui peut l’en priver ; & je vous assure qu’il aimera toujours mieux me faire des enfans, que m’entendre jouer de la guitare. Quant à moi je vous proteste que je serois ravie que vous pussiez lui donner des idées plus nobles ; mais je n’entreprendrai nullement sa conversion, parce que je sçais qu’il m’accuseroit très-sérieusement d’indifférence pour [171] lui : nous devons toujours nous en tenir au bien, quand le mieux peut nous rendre suspectes d’injustice. Les hommes en se persuadant que nous devons toujours obéïr, se sont mis dans le cas de ne plus concevoir qu’il puisse y avoir de la différence entre nos délicatesses & nos refus ; & je me garderai bien de risquer que le noble desir d’avoir voulu éclairer celui qui m’est tombé en partage, me coûtât un jour tout mon bonheur. Vous ferez sur cela toutes les plus mauvaises plaisanteries que vous voudrez ; vous les accumulerez dans des lettres insultantes. Je souffrirai & me tairai.

Au lieu de tout ce bavardage, vous deviez me parler de vos plaisirs, de vos liaisons, de vos découvertes. Vous avez craint que tout cela ne vous coutât quelques petites réfléxions ! Car il faut en convenir, ma chere, vous n’aimez pas à réflechir. Depuis deux mois à Paris, & pas une nouvelle, pas une [172] épigramme, pas une confidence ! Vous qui voyez si vîte, & vous taisez si peu ! N’y auriez-vous encore rien apperçû de choquant ou d’agréable ! Quand vous n’y auriez été frappée que du bruit qui y regne, c’étoit toujours une chose à me dire, & cela valoit mieux que des conseils qui n’ont pas même le sens commun nécessaire pour me paroître prudens. Je me flatte que vous réparerez le mauvais ordre de votre lettre, & que vous en remplirez les vuides. J’attendrai votre nouvelle épître avec impatience, & ce sera encore une raison de vous gronder si vous retombez dans les mêmes fautes. . . . . . Periny est venu me voir ce matin ; il m’avoit demandé cent fois de vos nouvelles, & j’ai crû lui faire un grand cadeau de lui montrer votre lettre. Ma galanterie, ou pour mieux dire mon attention pour vous a mal réussi, & vous avez presque perdu votre protecteur. Son petit esprit sans façon a trouvé [173] très-ridicule que vous m’écrivissiez avec tant de cérémonie. Oh, oh, a-t’il dit, des vers, de la rhétorique, de la prétention ! Ceci devient sérieux ; je m’étois toujours bien douté qu’elle finiroit par être une Virtuosa ; mais je ne croyois pas sa derniere heure si avancée. . . . . Ensuite il s’est mis à peser vos grands mots, à mesurer vos syllabes, & a fini par jetter votre lettre sur ma table avec beaucoup d’humeur. C’en est fait, a-t’il dit, je ne la défends plus, je la livre aux plus mauvais plaisans de la Province ; elle s’en tirera comme elle pourra. Il n’y a plus moyen de pouvoir me faire décemment des affaires pour elle. . . . Il se promenoit à grands pas dans ma chambre ; ensuite il venoit s’asseoir auprès de moi, puis il se levoit, puis il reprenoit machinalement la lettre, puis il marchoit, & le tout en sifflant, car vous sçavez qu’il siffle. Il est sorti, après avoir levé bien tristement les [174] yeux au Ciel ; je l’ai rappellé ; il a tourné la tête ; & me regardant avec des yeux qui vous auroient convertie, adieu, Madame, je pars pour vous épargner des reproches ; vous avez voulu qu’elle fît ce fatal voyage, vous n’avez pas voulu prévoir que Paris, dévoué au galimatias, à l’affectation, au bel esprit, aux airs, acheveroit ce que la nature avoit trop bien commencé ! Vous êtes cause de sa perte, & de ma douleur, & voilà le fruit de l’amitié inconsidérée. . . . . Il est parti, tout de bon, en prononçant ces derniers mots, & il me semble qu’il a voulu m’avertir par un dernier regard que je ne le reverrois de longtems.

Vous êtes cause de cette désertion, ma chere ; je vous ordonne d’en réparer bientôt le dommage. Vous n’aimez point Periny, & vous êtes assez méchante pour vous applaudir en secret des sottises de votre lettre, puis-[175]qu’elles ont produit sa fuite & votre délivrance ; mais je vous avertis que je l’aime beaucoup malgré son radotage, & que je ne vous pardonnerois pas de m’avoir ravi le plaisir de me mettre deux fois par jour en colere contre lui : les vivacités périodiques sont nécessaires à la circulation de mon sang, vous le sçavez, & il seroit atroce que vous n’eussiez pas plus d’égards pour un homme qui m’est aussi véritablement utile.

Mon mari n’a pas lû votre lettre, & je me donnerai bien de gardes de la lui montrer ; il est, comme Periny, grand ennemi du style sérieux ; il y répondroit par une élégie, & vous sçavez que je n’aime, ni les sentimens tristes, ni les mauvais vers. Ne vous ayant point lûe, & vous croyant toujours digne de ses regrets, il vous fait mille complimens très-flatteurs & très-simples, & moi je vous rends ces complimens avec toute la fidélité possible, [176] voulant oublier que vous n’en êtes pas digne, & esperant qu’un si beau procédé pourra vous toucher.

Adieu. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Lettre II.

Metatextualität► à la Marquise. ◀Metatextualität

Je n’ai jamais fait de crimes, & j’ignorois le trouble qui les suit ; mais je commence à comprendre que quand on s’en est rendu coupable, on doit être cruellement tourmentée. Vous jugez que je dois cette belle expérience à vos reproches. Vous êtes impitoyable, & réellement je croirois avoir fait des choses bien horribles, si pour juger de ma conscience, je ne consultois que la triste agitation de mon cœur. Vous attendez cette lettre, & moi j’en attends la réponse ; je suis troublée, triste, fâchée contre moi, je me suppose des torts puisque vous vous plaignez, & je demeure confon-[177]due d’avoir pû déplaire à une personne pour qui je n’eus jamais que des intentions dont je puis hardiment prendre le Ciel à témoin. Je m’examine pourtant, & j’aurois la tentation de me croire innocente, si je pouvois jamais appeller de vos jugemens. Me pardonneriez-vous de vous dire que vous avez lû ma lettre avec prévention ! Vous pouvez pousser l’indulgence jusques-là, si je vous assure surtout, que ce n’est pas vous que j’accuse de cette petite injustice ; c’est ce coquin de Periny qui a tout fait ; & c’est à lui que je vais m’en prendre ; vous n’aviez peut-être qu’une légére disposition à la plainte, & il est venu vous y exciter par ses grands éclats. Je le connois, avec son zèle indiscret & sot, & ce ne seroit pas la premiere fois que son amitié m’auroit nui ; mais je ne veux pas même imputer sa faute à ce noble sentiment ; je gage qu’il fut jaloux en lisant ma lettre pleine de tendresse pour vous [178] & le cher compagnon ; & que le désespoir de n’y pas voir son nom, fut cause de tout le tintamarre qu’il fit. Je suis plus que convaincue de la justice de mes soupçons ; c’est un homme haïssable & curieux ; accoutumé à me faire de ces tours-là ; persuadé qu’il ne peut jamais me plaire qu’en me rendant des services auprès de vous ; & il a certainement imaginé de nous brouiller, afin que je l’employasse au raccommendement. Je l’ai surpris dans ces sortes d’infamies ; il n’a pû s’empêcher de m’en faire l’aveu, & quelque jour il me fera encore celui de la détestable duplicité dont je l’accuse aujourd’hui. Je me représente l’incommode Saint-Evremond auprès de la crédule Hortense ; lui toujours rusé, elle toujours tracassée, toujours trompée par une amitié artificieuse qui n’avoit d’autre objet que le barbare plaisir de présider de force aux actions d’une personne assez malheureuse pour le toucher, & [179] assez raisonnable pour ne vouloir pas aimer un radoteur. C’est la même situation ; mais je n’aurai pas la même constance ; & je ferai sentir à un homme importun & désagréable, que Saint-Evremond fut trop épargné.

Je reviens à vos murmures, & je vous demande pardon de les avoir excités, je conviens que je vous ai traitée trop majestueusement ; c’est le maléfice de Paris où la politesse est symmétrisée, & où le sentiment doit être froid pour paroître décent ; mais je retourne aux Saintes-Maries, dans cette chambre où je vous jurai solemnellement la familiarité ; & ce n’est plus que de là que je veux vous écrire. A l’égard des vers, ne les reprochez point à mon esprit ; c’est le cœur qui a tout fait. L’enthousiasme qui y regne, est le pur ouvrage de la passion. Periny en dira tout ce qu’il voudra. Un homme froid & faux, ne doit point croire qu’on puisse dire beaucoup & sentir davan-[180]tage ; mais une femme charmante doit être convaincue qu’en lui donnant des louanges mêlées de transports, on est dans le vrai, & l’on n’a que le petit mérite de s’acquitter avec plaisir.

Je passe aux nouvelles que vous me demandez. Je suis déjà en fond ; mais par où commencer. J’entends un bruit confus dans mes oreilles, & la même confusion regne dans mon esprit. Si j’avois l’ordre & le sang froid du Spectateur, je retiendrois tout & je mettrois tout à la place malgré l’abondance. Mais il faut un esprit, un caractere exprès, & je n’ai rien de tout cela. Vous le lisez le Spectateur ? Le Marquis m’a marqué que sur le peu que je vous en avois écrit, vous l’aviez fait venir. Mais ce Marquis toujours injuste & toujours absolu, se plaint déjà de ce que les femmes n’y sont pas aussi maltraitées que dans ses discours. Je prévois qu’il ne le lira pas longtems ; à cause de cet énorme défaut ; [181] & sur cela je dirois ici volontiers des sottises aux hommes qui ressemblent presque tous à ce mauvais esprit ; je leur demanderois pourquoi ils veulent tant abaisser ce qu’ils sont obligés de trouver aimable ? Il me semble que l’amour & la méchanceté sont des sentimens bien contradictoires. Veulent-ils nous punir du petit empire que nous avons quelquefois sur eux ? Mais cet empire a fondé leur bonheur, & ils seroient bien fâchés, je crois, de ne pas nous trouver aimables, de ne pas céder aux charmes & aux plaisirs qui les subjuguent, car alors ils ne sentiroient plus rien, & ne pourroient plus faire ces distinctions orgueilleuses qui les élévent si fort à leurs yeux au-dessus des plantes, & des reptiles. Réellement il y a de l’extravagance & de la brutalité dans cette fureur de mordre. Nous aurons beau le leur dire, ils n’en croiront rien, mais je sens dans ma conscience que je ne les juge [182] point avec trop de rigueur. Nous avons d’ailleurs tant à répondre à ces satyres audacieuses : vous avez fait nos défauts, Messieurs ; ils sont presque tous nés, ou du desir de vous plaire, ou de la nécessité de vous punir ; notre incorrigibilité (puisque ce mot vous plaît tant) est certainement votre ouvrage : en voyant le singulier plaisir que vous preniez à nous critiquer, nous avons dû penser que vous n’étiez sévéres que par malice ou par orgueil ; nous avons condamné vos motifs, & dèslors vos conseils n’ont dû faire qu’un vain bruit dans nos oreilles ; nous n’avons été attentives qu’à vos injures qui nous ont paru justifier d’avance jusqu’aux défauts que nous pourrions joindre à ceux que nous avions déjà, dans l’intention de punir des êtres superbes, aussi inhabiles à se déguiser, qu’incapables de se connoître.

Voilà un écart & un libelle tout ensemble ; l’un fera passer l’autre, chere [183] amie, car vous devez être piquée : c’est votre cause que je viens de plaider. Quand on attaque les femmes, c’est vous que l’on offense. Si l’immense légion des femmes vouloit reconnoître une supériorité de mérite, vous seriez déclarée Reine, & ce seroit vous seule que votre mari auroit offensée. Quant à moi je suis placée si bas, que je ne dois point murmurer contre les traits qu’il lance ; ils ne peuvent me blesser ; mais ma chere amie y est absolument exposée ; & c’est à cause d’elle que j’ai pris la liberté de me mettre en colere.

Mais vous me demandez des nouvelles & je vous fais trop long-tems attendre. J’aurois tort de me rejetter sur le défaut de provisions ; assurément ce seroit mentir à la providence qui m’a mise en état, à cet égard, de vous satisfaire pleinement. Je crois même vous l’avoir déjà dit, c’est l’abondance qui m’embarrasse. Il y a trop [184] de choses à retenir ici ; on se sent suffoqué : je sçais que la mémoire est un gouffre, & que tout peut s’y placer ; mais quand l’abondance est extrême, on ne peut empêcher la confusion. Je crois que pour parvenir à débrouiller toutes ces richesses, il faut que je commence par vous dire ce que j’ai vû hier.

J’étois dans une maison ; un caractere m’y déplut : c’est un de ces hommes toujours jaloux du mérite des autres, toujours envieux de leur bonheur ; toujours avides de nouvelles tristes ; toujours empressés d’annoncer le malheur des particuliers ; toujours prompts à accuser l’innocence ; & qui figureroient si bien parmi le peuple, lorsqu’assemblé confusément dans une place publique pour y voir expirer un criminel sur la roue, il montre un intérêt barbare. Il y a beaucoup de ces gens-là dans le monde ; il y en a même dans le monde poli ; & c’est l’envie qui [185] les a fait naître & qui les multiplie. Celui que j’ai vû hier mérite d’être connu particulierement ; je vais le représenter tel qu’il m’a paru, & tel qu’il est sans doute ordinairement.

Tersandre vient faire visite dans une maison : on lui apprend qu’un honnête homme, un homme estimé, vient d’obtenir une place, une marque d’honneur, une récompense ; il se contraint un instant ; il dissimule sa rapide fureur, mais il pâlit bientôt : qui l’examineroit, verroit qu’il est désespéré. Il s’est fait violence, pour paroître décemment applaudir au procédé de la fortune, mais il étouffe, & il va se trouver mal, s’il ne se venge de son horrible contrainte : il ne dit d’abord que quelques mots sur l’homme qu’il va bientôt calomnier ouvertement ; mais il compte sur ces esprits, par-tout répandus, qui n’oseroient pas commencer une satyre, même juste, parce qu’ils sont timides & poltrons, [186] mais qui saisissent jusqu’au plus petit trait, pour en faire une libelle, parce qu’ils sont méchans. Après qu’il les a bien écoutés, bien excités, il prend la parole, & met la derniere main à ce maudit chef-d’œuvre par des doutes, des si, des mais, des oui dire, d’autant plus meurtrier, qu’il paroît à peine les hazarder. Car voilà la magie de ces sortes de gens ; ils en disent toujours assez pour intéresser la malice humaine, toujours charmée de pouvoir saisir une proie qu’elle peut décemment immoler ; mais ils sçavent s’arrêter & prévenir les représentations que la conscience feroit bientôt contre eux, à ceux qui les croiroient, s’ils en disoient trop.

Cet homme me rappella des portraits que nous trouvâmes un jour dans un Livre que nous lisions au bord de votre jolie fontaine. Vous devez vous en souvenir comme moi. L’Auteur feint que s’étant un jour endormi, un [187] esprit lui apparut & lui montra plusieurs cœurs conservés dans des bouteilles, un de ces cœurs est ainsi représenté, si ma mémoire est fidelle. Ebene 4► Fremdportrait► « Il étoit remarquable par sa petitesse : il se tenoit en repos au fond de la bouteille, & à peine pus-je appercevoir qu’il battît : le germe en étoit tout-à-fait noir, & s’étoit presque répandu dans toute la masse. Ce cœur, me dit mon interprete, est celui de Sombrieu, qui n’a jamais soupiré qu’après l’argent : malgré tous ses efforts, il est toujours pauvre. C’est ce qui l’a jetté dans une affreuse mélancolie. L’envie & l’oisiveté le dévorent ; & qui l’examine bien, voit tout ce qu’il souffre. » ◀Fremdportrait ◀Ebene 4

Cette ingénieuse fiction s’est retracée à propos à mon esprit ; je n’aurois pû mieux rendre l’objet affreux que je voulois peindre à vos yeux, malgré l’horreur qu’il m’a inspirée. Mais il me semble que ma lettre est assez longue, [188] & que si je ne la terminois promptement, il n’y auroit pas assez de tems pour la lire & pour y répondre avant le départ du courier. Je finis par une petite priere que vous ne devez point mépriser. C’est de ne dire à votre mari qu’avec le plus de précaution que vous pourrez imaginer, la petite satyre que j’ai osé faire contre lui. Vous sçavez son despotisme & sa pétulence ! Il ne manqueroit pas de monter sur ses grands chevaux, & de courir sur moi ; il faut m’épargner tout ce qui pourroit m’en arriver ; je n’aime point à me mesurer avec lui : je triomphe toujours, mais j’ai toujours peur, & la poltronerie invincible ne permet pas de jouir des fruits de la victoire. Vous me direz que je vous fais un mauvais tour, & je me le dis moi-même d’avance ; je vous prive du plaisir de voir un combat, & vous aimez fort la guerre ! Ce n’est point là l’amitié, & je vous prouve qu’elle a ses défauts comme tous les [189] autres sentimens ! Mais pour obvier bien vîte aux suites de cette fatale conclusion, je me hâte de vous sacrifier Periny, & de vous permettre de lui lire tout l’article qui le regarde dans ma lettre ; vous verrez un homme doucereusement furieux, humilié, déconcerté, ne sçachant comment dissimuler les injures qu’il voudroit me dire, & n’osant néanmoins les hazarder. Vous lui verrez prendre un air ricaneur, une contenance composée, un sérieux doux & travaillé, & ce spectacle vaudra bien celui que ma pusillanimité vous fait perdre. Adieu, je crois que voilà bien du bavardage. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse

Metatextualität► de la Marquise. ◀Metatextualität

Il n’y aura jamais du bavardage dans vos lettres ; mon mari tout au plus vous en accusera. Je commence par [190] vous parler de lui, parce que cette conscience que vous avez nommée dans votre charmante epître, me reproche d’avoir trop peu respecté les ordres que vous m’y donniez. Vous devinez que je vous ai trahie ! Le Marquis sçait tout, & vous entendrez certainement parler de lui. C’est un horrible procédé que le mien, mais je vous assure que mon mari m’a fait violence. Il est entré dans ma chambre pendant que je lisois votre lettre ; le plaisir me trahissoit ; il a reconnu d’abord votre écriture, & a voulu lire avec moi ; j’ai résisté long-tems, mais vous le connoissez ; il s’est fâché, s’est emparé du papier, & m’a menacé de le déchirer si je ne cédois ; il a fallu céder enfin. Je vous jure que je me le suis fait dire plus d’une fois ; mon cœur me prescrivoit la résistance, mais cette résistance alloit me coûter une lettre qui devoit m’être sacrée ; & une vertu s’armoit contre l’autre. Enfin, il a lû, & tout lû ; & à présent que je me [191] suis accusée, je vous dirai comment tout cela s’est passée. Vous eussiez ri de voir sa naïve colere : il a laissé échapper quelque sermens de vengeance qui m’auroient fait trembler pour vous si je n’avois connu vos forces ; & quand il a lû cette phrase où vous dites, qu’il ne manqueroit pas de monter sur ses grands chevaux, & de courir sur vous, il s’est écrié comme un certain Gascon, je pars. Je ne doute pas que vous n’entendiez bientôt parler de lui. Il ne m’a rien dit qui doive me le faire penser, mais il est sorti de ma chambre furieux, & je gagerois qu’il est allé vous écrire.

Quant à Periny, j’ai usé pleinement du droit que vous me donniez, & je puis dire que je me suis vengée sur lui. Vous n’avez jamais vû une si bonne figure. Il étoit rouge & jaune. Il levoit les yeux au Ciel d’un air de résignation admirable, en serrant de toute sa force la pomme de sa canne. Je lisois dans [192] son ame hypocrite ; & quoique je conserve un peu de foible pour lui, je m’amusois beaucoup de son tourment. Après un quart-d’heure d’extase ou d’invocation aux Anges, il s’est tourné vers moi, & me regardant d’un air faussement contrit : Qu’avez-vous fait ! Madame ; vous m’avez perdu : vous avez armé contre moi sa haine & mon crime : elle m’a toujours haï, vous le sçavez ; avez-vous voulu jouir du barbare plaisir de contempler sa bonne grace à immoler des victimes ? Je lui ai dit que nous n’en étions pas encore au sacrifice, & qu’il trouveroit bien le moyen de se justifier. Non, Madame, il n’y a point de moyen de désabuser une femme de son caractere. Vous avez toujours vû qu’elle me faisoit un crime de mon zèle ; irai-je lui dire que c’est ce même zèle qui m’a rendu coupable ! Je n’ai de recours qu’en sa pitié ; mais quelle foible ressource que la pitié, quand on est haï ! [193]

Voyez, ma chere, si l’on peut pousser la fourberie plus loin, car vous m’avez parfaitement éclairée sur son caractere. A l’entendre & à le voir, on eût crû qu’il étoit cruellement tourmenté. Le mouvement de ses yeux ne discontinuoit pas, il ne les ramenoit quelquefois vers la terre, que pour la prier, pour ainsi dire, de s’ouvrir & de le recevoir. En cet état il eût trompé le Ciel même. Que voilà bien les hommes ? Oui, on peut les juger sur cet exemple. Le traître, au fond, jouissoit de toute cette scene ; il me croyoit touchée, & se disoit, elle lui parlera pour moi, & je l’aurai trompée. Il portoit ses vûes plus loin ; il espéroit de vous toucher vous-même, & il se disoit encore, je dompterai son caractere impétueux, j’abaisserai son humeur altiere, je la forcerai de convenir qu’elle me traita toujours avec trop de rigueur ; & ce que mes soins n’ont pu produire, mes crimes le produiront. [194]

Telles étoient ses pensées, n’en doutez pas. Il est bien fin, mais il n’y a point de finesse qu’on ne puisse démasquer quand on sort de la prévention ; hier j’aurois été sa dupe, aujourd’hui il est la mienne. Je vous conseille néanmoins de vous tenir sur vos gardes. Vous voilà instruite des motifs, & c’est beaucoup ; mais les moyens, qui sont encore à venir, il faut les deviner, & cela est difficile avec un homme qui sçait se servir de tout. A votre place, je me défierois généralement de tout ce qu’il pourra faire, ou dire, ou écrire.

Il faudroit livrer à la critique du Spectateur l’homme méprisable dont vous m’avez si bien dessiné le portrait. Ce Tersandre ne m’est pas inconnu, ou du moins j’ai vû à Paris quelqu’un qui lui ressemnloit beaucoup. Je vous assure, ma chere, que je ne me ferois pas scrupule de haïr ces gens-là devant Dieu & devant les hommes ; & [195] si l’on me soutenoit qu’il ne faut haïr personne, je dirois, par rapport à foi à la bonne heure ; mais quand l’intérêt personnel n’y entre pour rien ; quand c’est le pur amour de la justice qui forme ces sortes de haine, il est permis de s’y livrer.

Je vous régalerai, à mon tour, d’une certaine peinture qui, quoiqu’inférieure à la vôtre, ne laissera pas que d’avoir son prix ; & j’entre en matiere tout d’un coup, tant je me sens pressée de châtier le vice & le ridicule outré. Il nous est arrivé, depuis quelques jours, un original siéfait <sic>, qui m’a plus excédée que trente sots dont j’aurois été obligée d’essuyer les complimens & les rébus. C’est un de ces merveilleux qui n’estiment qu’eux & ne parlent que d’eux. Nous connoissons l’une & l’autre, un homme de bon sens dont l’habitude est de dire, je n’estime que moi ; c’est un homme poli, aimable, instruit, qui ne prétend à rien, dont [196] les mœurs sont exemplaires, qui ne s’estime, à l’exclusion des autres, que parce qu’il adore la justice, qu’il se sent juste, & qu’il déteste les iniquités de la terre : il juge comme il sent, & ce que les sots croiroient orgueil en lui, n’est que sentiment ; s’il venoit à rencontrer un homme plus juste que lui, il ne s’estimeroit plus tant, & ce ne seroit plus que cet homme-là qu’il estimeroit. Vous sçavez qui je veux dire, sans que je le nomme. Le fat dont je veux parler, n’a si bonne opinion de lui, que parce qu’il a la plus prodigieuse disette de sens commun & d’esprit, & une abondance d’orgueil & de jalousie qui passe l’imagination. Vous avez entendu parler d’un certain Cardinal2 , qui disoit toujours, moi & mon Roi : mon homme s’exprimeroit surement de même s’il étoit Ministre. Il n’y a que son avis qui puisse valoir [197] quelque chose ; pour bien juger, dit-il, il faut que l’esprit, la raison, le goût, l’expérience, soient réunis dans une même personne, & il n’y a que lui qui ait tout cela à la fois ; le reste des hommes a été indignement partagé ; aussi est-il la ressource des uns, la lumiere des autres, & le guide de tous ; il ne s’est rien fait depuis dix ans qu’il n’y ait eu part : ce qui arriva hier, il l’avoit prévu ; & il seroit arrivé pis, s’il n’avoit eu la bonté de se donner la peine de penser pour des gens qui ne pensent point. Il a passé sa vie à prêter de l’argent, à donner des conseils, à rétablir des affaires ruinées, à réunir des amis brouillés, mais sa grande bienfaisance ne lui a pas donné plus d’amitié pour les hommes ; ces coquins-là ne méritent pas le moindre sentiment, dit-il, & c’est pour s’amuser qu’il veut bien leur être si singulierement utile ; il a tant de mépris pour eux, qui si quelqu’un pouvoit penser que c’est par bonté qu’il est si [198] bon, il fermeroit sa porte demain, & personne n’auroit plus l’honneur de l’étourdir de ses affaires.

Vous n’avez pas oublié cet Officier Provençal qui nous disoit plaisamment, qu’il ne mentoit jamais que lorsqu’il en avoit besoin ! Je n’ai pas trouvé la même discrétion dans l’impudent dont je vous trace les traits. C’est peu pour lui de mentir toujours ; il dédaigne même l’indispensable précaution de mentir adroitement. Il a, par exemple, la bêtise de vouloir faire croire que tous les bons mots que l’on dit devant lui, il les a dits le premier. Cela est d’une sottise impardonnable, aussi en a-t’il été puni l’autre jour chez moi. Il nous disoit qu’étant à dîner chez Madame de S * * *, il avoit eu telle pensée ingénieuse, telle repartie vive, & sur-tout qu’il avoit fait tel mauvais compliment à telle personne qui vouloit se donner des airs avec lui. Le petit Baron qui l’écoutoit, & [199] qui avec sa mine froide ne laisse pas que d’être très-peste, lui demanda ironiquement si ce bon mot étoit de lui ; oui, Monsieur, il est de moi ; soyez-en persuadé. . . . Je ne l’aurois pas crû, reprit le Baron, je m’imaginois qu’il étoit fort ancien. Il ne dit rien de plus ; toute la compagnie prit son silence pour un aveu de sa conviction, & l’imposteur eut le plaisir de jouir effrontément de son triomphe ; mais le lendemain, le Baron ayant remis la conversation sur la même matiere, & l’autre ne répondant plus qu’avec toute la morgue que l’impunité peut donner à un fat ; le premier tira le Livre des Bons Mots de sa poche, & nous fit voir, à tous, la fourberie insigne de cet impudent. Vous jugez qu’il ne fut pas épargné ! Le Baron dédaigna de le punir, mais nous étions-là trois ou quatre fiers Dragons, que la générosité du vainqueur ne put amollir. [200]

Voilà, ma chere, un caractere bien haïssable. C’est encore à ce Periny que j’ai la fatale obligation de le connoître ; car c’est un cruel homme pour m’amener de certaines gens ; je crois, en vérité, qu’il y met du dessein, & que craignant toujours d’être effacé, il remplit exprès ma maison des plus détestables originaux, afin qu’il n’y ait plus de place pour les honnêtes-gens. S’il continue, & s’il ne prend pas la peine de se corriger, je crois que j’écrirai au Spectateur pour le lui recommander. A propos du Spectateur, je vous assure que je lis son Livre avec grand plaisir, malgré les sarcasmes de mon mari contre lui. Je voudrois, comme vous, le connoître, & jouir de sa conversation ; je m’imagine qu’il est honnête-homme, & c’est tout dire, avec de l’esprit. Il y a plusieurs de ses discours que j’ai relu deux fois, non pas pour les comprendre, mais pour en jouir. Vous jugez bien quels sont [201] ceux que je puis préférer. J’entrevois dans toute sa morale un germe de bonheur pour les hommes, s’ils vouloient en profiter ; mais jen <sic> formerois vainement le vœu, & je veux prendre désormais le parti de philosopher sur leurs défauts avec le plus de sang froid qu’il me sera possible. N'en déplaise à mon mari, je ne trouve pas que les femmes y soient si prodigieusement épargnées : il voudroit donc qu’on nous cassât bras & jambes ? c’est un vœu bien cruel ; mais il n’existe pas dans son cœur ; il n’est que sur le bord de ses levres. Jugeons mieux de lui qu’il ne mérite ; croyons même que tous les hommes lui ressemblent en cela, & tiennent les mêmes propos sans avoir une méchanceté & des intentions plus déterminées. Quels monstres ce seroient, si leur plaisir étoit véritablement de nous avilir, avec autant de penchant, de nous aimer ! c’est le ton du jour, & vous qui avez lû, vous sçavez que tous [202] les tems ont leur ton ; autrefois c’étoient les fadeurs ; aujourd’hui ce sont les injures : le siecle à venir verra sans doute un autre excès ; & tous ces tons succéderont à d’autres non moins ridicules, sans qu’à cet égard les hommes en soient plus méprisables aux yeux des bons juges.

Mais revenons aux femmes qu’on veut qui aient tant à se louer de votre ami. Je vous assure qu’il ne me paroît pas que leurs ennemis doivent crier comme à la représentation d Atilla.3 J’en ai même trouvé de très-maltraitées ; il est vrai que ce sont de monstrueux caracteres. Quelle méchante créature, entr’autres, que cette Bironet ! & je vous garantis que cette femme existe : les prudes sont capables de tout, & nullement impossibles. Sa criminelle fausseté ne m’a point fait oublier la charmante Princesse du Nord ; vous sçavez que je suis plus sensible au [203] beau qu’au laid. Quel caractere que celui de cette Princesse ! quelle tendresse, quelle constance, quelle grandeur d’ame ! je suis tentée de croire que c’est une fiction ; & ce n’est point l’amour propre qui fait mon incrédulité ; c’est le regret qu’il n’y ait pas beaucoup de pareils prodiges sur la terre pour notre édification & pour le bien des hommes. Nous avons ici un Prédicateur très-habile & très-estimé ; il vient me voir quelquefois, & dit obligeamment qu’il veut perfectionner ses Sermons auprès de moi. Je lui prêtai il y a quelque jours le premier volume dans lequel est cette histoire touchante ; en me la rapportant, je lui demandai ce qu’il pensoit de ma Princesse ? Je n’en puis pas dire du bien, répondit-il, mais elle m’a fait grand plaisir. . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’ai été obligé de m’interrompre, ma chere, pour donner audience à mon mari qui est venu m’apporter une [204] lettre ou plutôt une assignation pour vous. J’avois bien prévû qu’il ne resteroit pas tranquille ! Et sans doute il y a de belles choses dans ce papier mystérieux ! Je dis mystérieux, car il n’a pas voulu m’en laisser prendre lecture, & a eu l’audace de le cacheter devant moi. Vous voilà en dispute reglée avec lui ! Rassurez-vous & triomphez ; je vous laisse avec ce vœu, qui n’est pourtant qu’un conseil, car certainement vous triompherez si vous voulez. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 [205]

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Lettre

Metatextualität► Du Marquis de T * * *, à Madame de la B * * *. ◀Metatextualität

J’ai lû, Madame, que le grand Empereur d’un très-petit pays faisoit crier tous les jours par un faquin de sa Cour, j’ai dîné, que les autres Princes de la terre dînent. J’ai lû encore que Charles XII. étant prisonnier en Turquie, s’amusoit à déchirer avec ses éperons les beaux sofas d’un Bacha à trois queues qui étoit son maître. Voilà bien de l’orgueil, sans doute, bien de la morgue, bien de l’audace ! Voici quelque chose où il y en a encore plus : j’ai lû hier dans une lettre, écrite par une femme, que les hommes étoient des especes d’animaux très-haïssables, très-méchans, très-ingrats ; & d’autres choses non moins insultantes, & j’ai très-bien compris que la fiere beauté [206] qui s’étoit donné la peine de tracer ces douces paroles, avoit été de très-bonne foi en les écrivant. Sur cela, Madame, il faut que je vous dise mon petit sentiment. Vous ête <sic> quatre fois plus effrontée dans votre procédé, que le grand Empereur, ni le Roi du Nord ne l’ont été dans le leur. Ce sont des Rois, Madame, & la morgue dans les Rois, est toujours une qualité éblouissante. Mais sans l’excuse d’une couronne, elle devient un outrage pour nous, & s’attire nos vengeances. Les miennes sont toutes prêtes, & je me charge encore de celles des hommes, qui vous pardonneroient, parce que vous êtes jolie. Je sçais que je puis m’y livrer, quoique vous le redoutiez : la compassion de votre terreur ne serviroit qu’à perpétuer le cours de votre audace ; & la raison ici prononce contre l’humanité.

Apprenez donc, Madame, que nous n’avons pas les défauts que vous nous [207] reprochez, mais apprenez sur-tout que le droit de nous les reprocher, n’appartiendroit qu’à la perfection, s’il pouvoit exister. Or êtes-vous parfaite ? Si vous l’avez crû, si les hommes ont conspiré, par leurs fadeurs, contre le cri de la conscience, il faut vous détromper. Vous ne fûtes jamais foible, il est vrai ; la sagesse éclata dans votre conduite, & sur cela l’on a pensé, vous avez crû vous-même, que vous étiez une femme bien admirable ! Mais disons que votre indifférence ne fut que de l’orgueil ; vous craignîtes l’inconstance des amans, & votre beauté voulut éviter un outrage que l’excessif amour propre lui eût exagéré tous les jours. Vous sçûtes bien d’ailleurs lui rendre par votre manége, ce que vous lui coûtiez pas votre crainte ; vous ne rejettâtes que les sentimens, qui n’ajoutent rien au triomphe de la beauté ; vous acceptâtes les hommages qui sont la vraie réputation quand ils sont sans [208] espoir. Ainsi votre indifférence fut un défaut, parce qu’il faut des sentimens dans le monde ; elle fut un vice, parce qu’il faut être de bonne foi dans toutes ses actions ; elle fut un crime parce qu’elle coûta la liberté, le repos, la raison, à mille gens qui vous auroient aimée à moins de frais, si vous aviez été moins cruelle.

Vous n’êtes pas plus parfaite en amitié ; le malheur de ma femme en est une preuve évidente. Vous aimez avec art, & cet art emprunte jusqu’aux transports, pour subjuguer un cœur dont le refroidissement vous humilieroit, parce que vous mettez de la vanité à tout. Pour enchaîner ce cœur, vous employez toutes sortes de manéges ; vous le refroidissez à dessein, & le réchauffez ensuite. Vous faites des sottises, & vous les réparez ; vous dites des injures, & vous les faites oublier. Vous diversifiez tout cela par des caresses, par des soins enchan-[209]teurs ; il faut bien que l’on vous aime : pour ne pas vous aimer, il faudroit n’être sensible, ni au plaisir, ni à la douleur.

A l’égard de l’esprit, vous l’avez très-fin, très-instruit, très-agréable, & pour séduire, il n’auroit pas même besoin du charme que le son de votre voix lui prête ; son touchant, son délicieux, & qu’on peut comparer, sans hyperbole au doux murmure des airs. Mais vous l’employez toujours plus aux desseins qu’aux plaisirs ; vous ne vous y livrez jamais, parce que vous êtes sans passions ; vous sçavez toujours ce que vous dites, parce que ce que vous dites est toujours pensé par des motifs antérieurs, pour ainsi dire, à vos idées ; & a toujours un but où vous êtes sûre d’atteindre, à force d’art, d’éloquence & de modération.

Voilà, Madame, les véritables traits de la femme qui a osé peindre si [210] rigoureusement les nôtres. Elle s’est emportée contre nous, malgré la modestie que devoient lui imposer ses imperfections, & c’est la premiere fois qu’elle se soit oubliée dans la dispute. Pour la premiere fois l’amour propre a perdu le droit de maîtriser son ame : elle est connue, & nous sommes vengés. Que diront à présent les femmes ? Que feront-elles ? Leur modele dans l’art de feindre a perdu le prestige qui nous déroboit le fond de ses idées & de ses sentimens. Ce moment les a toutes démasquées, nous ne pouvons plus douter qu’elles ne se connoissent & ne se rendent justice, puisque celle de toutes qui avoit toujours caché le mieux cette connoissance humiliante, n’a pû éviter de recourir à l’emportement, & vient de justifier nos accusations par des injures. Croiront-elles pouvoir nous étourdir encore par des tons, & nous offusquer par des airs ? L’adroit courroux, le [211] feint mépris, les bruyans anathêmes leur paroîtront-ils encore de sûres armes ? Non, elles ont perdu toute leur ressource, en perdant leur exemple ; vous recommencerez à vous modérer comme vous avez toujours fait ; vous reprendrez votre premier ton ; mais elles verront que vous ne nous en imposez plus ; vous les avez éclairées elles-mêmes en vous trahissant, & vous n’avez plus, ni l’art, ni le droit de les former à l’imposture.

Nous voilà donc paisibles possesseurs d’une supériorité reconnue ; nous voilà juges naturels d’un sexe que le moindre arrêt offensoit ; il nous a placé lui-même sur le trône des loix, & le parquet est à nos pieds. Que j’aime à le voir dans cette posture humiliante ! Que je triomphe en mon particulier ! Femmes obéïssez : la Sentence est prononcée. Reconnoissez des juges & respectez vos maîtres.

J’ai l’honneur d’être, Madame, [212] malgré tout cela, votre très-humble & très-obéssant <sic> serviteur, le Marquis de T * * *. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse

Metatextualität► A la Marquise. ◀Metatextualität

Je vous envoie la lettre de votre impertinent mari; quand vous l’aurez lue, dites-lui, que ces juges qu’il veut que nous reconnoissions, sont encore nos esclaves après leurs arrêts, quand nous le voulons bien ; & qu’il faut qu’il prenne garde à lui : franchement je suis dans une colere qui l’exposeroit à tout, s’il n’étoit défendu par l’immense considération que j’ai pour vous. Il y a compté, ma chere, croyez qu’il y a compté ; & je gage que si je perdois de vûe cette considération puissante ; si je feignois de l’attaquer en forme, par des regards bien tendres, par des agaceries bien positives, il trembleroit [213] d’être obligé d’humilier son orgueil. Il n’est brave & insolent que parce qu’il connoît mes entraves. Combien de ces rodomonts dans le monde, en tous les genres ! Il fourniroit un second volume à une histoire assez plaisante, que l’on me conta hier.

Un faux brave avoit insulté un galant homme froid, mais sensible ; celui-ci le rencontrant seul, lui donna quelques coups de pieds qui furent reçus avec une résignation sans exemple. Après cette expédition, il alla trouver un homme estimé, qu’il aimoit beaucoup, & qui malheureusement portoit le même nom. Nous sommes amis, lui dit-il, & je vous dois des excuses d’une chose que je viens de faire malgré moi, & que vous serez obligé de me pardonner malgré vous. . . . . . . Il lui conta le fait, & son ami le rassura en lui disant, j’en aurois fait tout autant que vous, & je n’aurois peut-être pas pensé à le réparer par un procédé aussi [214] honnête. Après cette explication, l’ami alla trouver son parent & lui fit de très-vifs reproches de sa lâcheté. Ce dernier entra dans une colere épouvantable, & lui jura mille & mille fois, que rien n’étoit moins vrai que tout ce qu’on lui avoit conté, & qu’il auroit raison d’une accusation aussi injurieuse, & d’une insolence aussi manifeste ; il sortit même à l’instant avec lui, pour aller chercher son accusateur. Le hazard le lui fit rencontrer à vingt pas de la maison, & la maniere dont il le traita, fut si pleine d’audace, que le tiers, étonné & confondu, crut de bonne foi, que son ami étoit un fourbe & lui en avoit imposé. Il fallut tout ce qui arriva ensuite, pour le guérir de sa prévention. Le vainqueur souffrit toutes les injures, toutes les menaces du vaincu, il ne répondit pas un seul mot, & son silence étoit si composé qu’on ne ne <sic> pouvoit l’attribuer qu’à une extrême confusion. Cette scene singuliere [215] dura près d’un quart-d’heure. Enfin l’audacieux rodomont finit par mettre l’épée á la main ; son adversaire vit alors qu’il devoit songer à sa défense ; il y songea, en effet, mais en brave homme, & le petit téméraire eut la douleur de recevoir encore vingt coups de canne, & d’être roué très-sérieusement, sans qu’on voulût lui faire l’honneur de tirer l’épée contre lui.

Cette histoire n’eut d’autre suite que les éclats de rire qu’elle occasionna. La nôtre ne lui ressemblera point en cela, car elle ne fera rire personne. Je ne crois pas du mois que vous rïez de l’audace d’un petit homme que je ferois trembler par un regard, & qui abuse si étrangement de l’obstacle qu’un terrein immense & mes égards pour vous mettent à ma vengeance. Je vous avouerai pourtant que je trouve sa lettre divinement écrite ; je conviens de cela malgré mon courroux ; car ma [216] chere, il faut haïr les hommes & jouir cependant de ce qu’ils ont d’agréable. Je connois un galant homme qui méprise très-souverainement un bel esprit dont le nom est peut-être parvenu jusqu’à vous, & qui est néanmoins le premier à saisir & à publier un trait agréable qui se trouvera dans ses productions. C’est la bonne philosophie ; celle que je vous ai toujours souhaitée, & que vous n’aurez peut-être jamais. Je vous ai vû des ressentimens, des haines, qui m’ont fait juger que vous sentiez trop vivement, & que dans un objet déplaisant ou méprisable, vous ne voyez jamais que la masse des vices ou des défauts qui le distinguoient. Nous avons eu quelquefois de petites querelles ensemble, à ce sujet, & c’est peut-être aujourd’hui, ce que votre mari veut me reprocher, quand il dit que je suis le tyran de mes amies. L’ingrat oublie qu’il me remercia cent fois de mon zele pour vous, & que je [217] travaillois pour lui en m’occupant á vous rendre capable d’une distinction & d’une indulgence si favorables aux sujets imparfaits ou médiocres comme lui : mais il faut s’attendre à l’iniquité des hommes, pour peu qu’on ait de droit à leur reconnoissance. Vous jugez que je ne lui ferai pas l’honneur de lui répondre ; une réponse est toujours une faveur ; il faudroit d’ailleurs que nous nous mesurassions tout-à-fait, & vous connoissez sur cela ma prudence ! vous pouvez cependant lui communiquer mes réflexions sur son procédé : en l’assurant bien que je ne m’en plaindrai jamais à lui-même, vous le punirez, je crois, de la seule façon qui puisse lui être sensible. Il y a apparence qu’il ne récidivera plus ; & faire taire quelqu’un, c’est bien le faire repentir.

En suivant fidelement l’ordre de votre lettre, je dois vous parler de l’hypocrite Periny. Il me paroît qu’il a [218] très-bien senti mes petites hostilités. Malgré cela, c’est-à-dire, quoiqu’il fût très-humilié lorsqu’il sortit de chez vous, je gagerois qu’il avoit les sentimens & les idées que vous lui supposez, & je trouve cet endroit de votre lettre admirablement pensé, & plus admirablement écrit. Il faut avouer que la nature vous a donné un merveilleux talent pour la divination & pour la peinture ; car c’est son ame toute entiere que vous m’avez montrée, en disant que le traître, malgré ses yeux levés au ciel, jouissoit méchamment de la pitié qu’il croyoit vous inspirer : & certainement il faut de la divination, pour découvrir ses mysteres d’horreur dans une ame si accoutumée & si habile à se déguiser. Il faut espérer, chere amie, qu’il m’écrira & qu’il sera confondu par mon énergique réponse. Je trouve, très-sage & très-prudent, en lui-même, le conseil que vous me donnez de me défier de tout ce qu’il [219] pourra dire ou faire ; mais dussai-je vous paroître aussi vaine que la sublimité de votre raison m’oblige à paroître modeste, j’oserai vous dire qu’il ne doit m’être redoutable dans aucune circonstance. Les gens pour qui nous ne pouvons jamais prendre des sentimens, ne peuvent jamais nous tendre des pieges dangereux. Periny est dans ce cas avec moi : je ne l’aimai ni ne l’aimerai jamais. Ce n’est pas, comme d’autres que vous, qui me connoîtroient moins, pourroient le penser, ses soixante ans qui ont fait & font mon invincible répugnance : à tout âge on peut intéresser un cœur & même le surprendre ; Ninon à quatre-vingt ans donna un rendez-vous, & fit un heureux ; Saint-Evremond, s’il avoit été vrai, & Fontenelle, s’il avoit été sensible, auroient, au même âge, fait des miracles & recueilli des lauriers ; Saint-Aulaire tout octogénaire qu’il étoit, eût enflammé [220] l’auguste personne qui vouloit être sa Muse ; si, quoi qu’il en dise, il n’avoit pas été sans amour pour elle.4 Les graces, l’esprit, l’amour, ne vieillissent jamais, & Anacréon ne fut jamais vieux. Mais Periny est faux & froid ; il fut toujours l’un & l’autre, n’aima jamais que lui-même ; dans tout ce qu’il fait pour une femme, il a toujours de vues qui ne sont pas flatteuses pour elle ; il n’aspire qu’à sa défaite, & l’on voit par le peu qu’il fait pour se l’assurer, qu’il ne croit pas même que la séduction soit jamais nécessaire pour réussir. Un homme de ce caractere est affreux, & l’on n’en peut at-[221]tendre que des offenses avant & après le triomphe.

Vous m’obligerez de lui montrer ces lignes non mystérieuses. C’est le cœur qui les a dictées, & le cœur aime à jouir du mal qu’il fait. Il en sera ulcéré ; eh tant mieux, ma chere ; je ne cherche qu’à le fâcher ; c’est un sentiment si formé, si absolu, que la facilité que j’ai toujours trouvée à le satisfaire, n’en a jamais pu affoiblir l’ardeur.

Vous me parlez du Spectateur en termes si obligeans, que je voudrois de bon cœur vous le faire connoître. Certainement ce seroit une meilleure connoissance à vous donner que celle du présomptueux menteur dont vous me dessinez si fidelement le portrait dans votre lettre. Mais aussi, suis-je une autre personne que M. de Periny, me connois-je mieux en mérite, ou n’ai-je pas, comme ce fourbe intéressé, des vues d’amour propre & [222] de jalousie qui dirigent toutes mes actions. La société du Spectateur vous conviendroit fort, & certainement la vôtre lui conviendroit beaucoup ; il la cultiveroit avec soin, quoiqu’un assez grand éloignement du monde où il a beaucoup vêcu, le rende aujourd’hui presqu’incapable d’une certaine constance. Je gage que ce signe de bon goût augmente, en ce moment, l’envie que vous m’avez montrée, peut-être sans le vouloir, de le connoître un peu particulierement ! Cette curiosité est naturelle, & j’y applaudis d’autant plus que je puis la satisfaire. Il m’a mise, lui-même, en état de remplir vos vœux à cet égard, & je m’empresse à partager avec vous le présent qu’il a daigné me faire.

Vous rappellez-vous, chere amie, le portrait d’un honnête homme que nous lûmes dans le Mercure il y a près de quatre ans ? Eh bien, c’étoit le sien ; il n’en convient ni n’en conviendra [223] jamais, mais ma prévention se fonde sur deux choses dont la réunion fait preuve. 1°. Il faisoit alors le Mercure conjointement avec feu M. de Boissy, & sans doute il y inséra lui-même ce portrait, où sa main est reconnoissable par la même maniere qu’il a toujours employée dans les autres portraits qu’il a faits. 2°. (Et cet indice est encore plus fort) je l’avois prié de se montrer à moi dans le jour le plus vrai, c’est-à-dire, de me faire une peinture générale & absolue de ses sentimens, de ses maximes, de son caractere, & il m’apporta un jour ce même portrait. Il ne me croyoit pas aussi bien instruite que je l’étois ; je le plaisantai, & lui dis que ce n’étoit pas la peine de se faire tant prier pour ne m’accorder qu’une faveur qu’il avoit accordée au public plusieurs années auparavant. Il comprit très-bien ce que je voulois lui dire, & m’assura que j’étois dans l’erreur. [224] Il est très-vrai que ce portrait a paru dans le Mercure, me dit-il, mais il est faux que j’en sois l’auteur, comme vous le croyez. Celui qui s’y est représenté me ressemble parfaitement ; & j’ai crû devoir me dispenser de prendre une peine que cette ressemblance rendoit inutile ; mais je vous proteste qu’il n’y a pas une ligne de moi dans les dix pages que vous avez lûes ; j’ignore même à qui nous avons obligation d’un écrit, ou d’un portrait, si vous voulez, qui est fait avec beaucoup d’esprit & de soin.5

A son air sincere, je l’eusse crú s’il n’y avoit pas des préventions qu’on ne peut jamais perdre ; quoi qu’il en soit, ce portrait est le sien, & comme je me souviens que le volume du [225] Mercure dans lequel il est inséré, vous fut volé, dans le tems, par ce Lieutenant d’Infanterie qui vous dit qu’il connoissoit l’original & qu’il vouloit ajouter à la copie quelques traits qu’on avoit omis ; je vais vous le transcrire ici, afin que vous ayez devant les yeux un homme dont l’ouvrage vous amuse & vous intéresse. Si vous pensez comme moi, & c’est ce dont je ne doute nullement, vous trouverez beaucoup plus de plaisir à le lire, en le connoissant mieux ; & je dirai à propos de cela, qu’il seroit à souhaiter pour le public & pour les gens de lettres eux-mêmes, que chaque Auteur d’Ouvrages de caracteres, comme le Spectateur, par exemple, fût peint & représenté fidelement à la tête de son Livre. Vous en devinez les raisons, sans que je le dise. . . . . . j’aurois pû sans me donner la peine de co-[226]pier, vous envoyer tout uniment le volume dans lequel ce morceau a été inséré ; mais vous sçavez que je suis délicate & minutieuse dans mes dons, & j’ai voulu que vous pussiez tenir de moi le portrait de votre ami. Ce ne sera d’ailleurs qu’un peu de peine qu’il me coûtera, & j’aimerai toujours à en prendre pour vous. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 [227]

Ebene 3► Fremdportrait► Portrait

Metatextualität► d’un honnête homme. ◀Metatextualität

C’est moi-même qui me dépeins ici, non pas par ostentation, mais par franchise : aussi ce n’est pas l’esprit, mais le cœur seul, qui a part à ce portrait. Je commence où j’ai commencé à être homme.

Nous apportons tous en naissant une espece de vertu ; les uns plus, les autres moins. Cette vertu est sauvage ; il faut la rectifier par le goût, & la plier aux mœurs du siecle, si on veut faire membre dans la société. La vertu que le ciel m’a donnée en partage, est un fonds de bonté inaltérable. Si j’avois eu une éducation telle que je me sens en état de la donner, j’aurois connu ce caractere, & je ne me serois pas égaré dans ma philosophie. J’ai eu des passions que je prenois sans doute pour des goûts, & [228] des caprices que j’appellois peut-être vivacité d’esprit ; ajoutons à ces défauts une inconstance invincible, un dégoût inexplicable pour ce que j’avois le plus aimé. Avec de telles imperfections, je n’étois guere bon à rien de solide, ni d’agréable. Mais comment avec de la vertu, de la bonté, du génie & de l’esprit, n’être d’aucun avantage pour la société ni pour soi ? On trouvera cela singulier : aussi mon caractere est-il un vrai paradoxe.

Ce que j’avois de bon est resté en friche : le mauvais a pris le dessus, & m’a entraîné. Les sciences ont eu de l’attrait pour mon esprit. Je m’y suis livré sans jugement. Je les dévorois. Je les ai effleurées presque toutes. Mais enfin j’en ai connu le vuide. Ma raison a paru & a dissipé ce goût prématuré. A présent, c’est dans le fond de mon cœur que je cherche la nature : c’est là où se place le vrai bonheur. J’ai proscrit mes livres de sciences ; je ne lis [229] que ceux qui peuvent me former le cœur & l’esprit.

Je me suis fait un systême de bonheur : aimer & être aimé. J’ai crû qu’il étoit facile de se faire aimer, quand on aimoit facilement. J’agissois en conséquence. J’aimois dans toute la franchise de mon cœur, & je n’étois pas aimé, parce que j’aimois trop. C’est quelquefois un défaut de laisser voir le fond de son cœur, quand il péche par un excès de bonté.

Comme je n’ai ni ambition, ni prudence, ni politique, on me tourne comme l’on veut. On me trompe sans que je m’en apperçoive. Je ne sçais pas primer ; je n’ai jamais pu attraper ce ton d’importance, ces airs suffisans, enfans de la sublime vanité, cet art délicat de se faire craindre & desirer tout à la fois.

Cependant ces petits défauts galans, ce mérite ridicule est essentiel pour la société. (La belle société s’entend ; ce [230] qu’on appelle le grand monde.) J’eusse brillé, si j’avois voulu cesser d’être bon, & acquérir un peu de fausseté & d’amour propre ; mais ce ne pouvoit être qu’aux dépens des biens que la nature a mis dans mon cœur. Que le Ciel me punisse, si jamais je sacrifie ces trésors précieux ! On m’appellera bizarre, misantrope, sauvage : j’aurai toujours quelques amis qui penseront comme moi, & à qui je m’ouvrirai sans paroître ridicule. Je négligerai ma fortune, il est vrai. Hé ! n’est-on pas assez riche, quand on sçait se contenter ? Je n’ai point l’art de donner, ni de recevoir, ni de demander ; cela empêche-t’il que je ne sois libéral, reconnoissant ? &c.

Avec un cœur si tendre, on pense bien que j’ai senti quelquefois les impressions de l’amour ; mais on pense aussi que je ne suis pas un homme à bonnes fortunes. Ce n’est plus l’amour qui fait les intrigues amoureuses. Je [231] pense trop, pour être aimé des femmes, & je suis trop digne d’en être aimé pour en être haï. Avare de mon tems, je néglige l’art des mines, & j’avoue tout net que je ne suis pas galant. Je ne laisse pourtant pas que d’essayer la galanterie avec succès, surtout quand l’humeur m’y porte. Ce n’est pas par goût, mais le devoir social l’exige : il m’est sacré. Ainsi je sçais me conformer aux usages les plus frivoles, sans les adopter.

Je ne suis pas pédant, mais j’ai du bon sens ; je ne suis pas bel esprit, mais j’ai des saillies heureuses. Tout ce que je dis est utile : je ne sçais pas employer les termes inutilement : je m’en apperçois lorsque je suis obligé de flatter une femme, & de lui faire une déclaration d’amour sans l’aimer.

Ma conversation avec les Petits-Maîtres, tarit tout de suite, parce que je ne sçais pas médire & saisir les ridicules : mon caractere est un emblême [232] pour eux ; ils y voyent une bonté qu’ils ne connoissent pas. Au contraire, je me plais avec le Philosophe, & il se plaît avec moi : c’est ce qui m’a fait voir que je l’étois moi-même.

Je parle également à l’homme de lettres comme au fat, au riche comme au pauvre, à l’heureux comme au malheureux : il n’y a que le sot vraiment sot, & le fou vraiment fou, que j’évite soigneusement.

Je ne me flatte jamais ; au contraire, il m’en coûte, pour convenir de mon mérite. C’est pas par modestie, mais par défaut d’amour propre. Que sçais-je ? Peut-être que je vaux bien des gens qui valent quelque chose. A l’âge de trente-deux ans,6 on ne s’est point encore assez connu, on n’a pas appris tout ce qu’on doit sçavoir, la raison [233] n’a pas atteint son dégré de vigueur, on n’a pas encore formé son caractere. La trop grande fougue des passions, le desir trop violent d’avoir du plaisir, font qu’on néglige la science de la raison, & qu’on court après la perte du tems. On cherche à s’ensevelir dans la volupté, non pas dans les réflexions. Ce n’est pas à mon âge que Platon réfléchissoit si bien. Il fut Peintre & Poëte, & sans doute voluptueux, avant que d’être Philosophe. Je l’imite peut-être, sans m’en appercevoir. Quand on a des semences de bonté, qu’on desire la vertu, & qu’on suce de bons principes, la sagesse se glisse insensiblement dans le cœur, & l’on est tout surpris de se sentir embrasé de ce feu divin.

Cependant je ne suis pas en tout point l’homme que j’ai nommé. Le bonheur qu’il propose, me paroît équivoque, à moins que certains plaisirs, que je me permets, ne soient les gra-[234]des requis pour parvenir à son bonheur. En vain je m’abîme dans l’étude, en vain j’approfondis mon cœur, & je tâche d’y déchirer le voile qui m’en dérobe la connoissance, ce cœur se refuse toujours à mes réflexions : je me trouve caché à moi-même dans la profondeur que j’y creuse. On connoît la matiere dont la nature se sert, pour créer les différens êtres, on apperçoit cette sage mere, jusques dans l’insecte le plus abject ; on découvre tous les jours des portions de notre globe, on découvre des nouveaux globes dans le Ciel ; notre cœur seul nous est inconnu, & le sera toujours, selon toute apparence, à moins que la bonté souveraine ne prenne pitié de notre misere.

La morale que j’avois embrassée, m’entraînoit dans une mélancolie trop funeste, pour ne pas m’en dégager. Mais en sortant de ce labyrinthe, il falloit craindre un contraire. Le pas [235] est glissant, comme on sçait. L’homme en quittant un extrême, tombe dans un autre extrême. La raison qui l’avoit guidé pour se débarrasser d’une vertu trop austere, le quitte dans le beau chemin ; il craint, s’égare, chancele, tombe dans le tolérantisme.

Peut-être fais-je là le récit de mon crime. Je puis protester du moins que j’ai fait mon possible pour m’assurer dans ce sentier étroit, qui se trouve entre les deux gouffres. Les amis de la vertu pourront m’avertir si j’ai failli : il leur importe autant qu’à moi que je sois parfait.

Dorénavant je suivrai volontiers Montagne. Ce sage voluptueux pénétre mon ame d’une rosée qui me rend toujours content. Je puise chez lui, (du moins je le crois) des sentimens élevés, dont le progrès m’étonne. Voici la maniere d’être heureux, qu’il m’a comme insinuée : ni Stoïcien, ni parfait Epicurien ; je regarde le malheur [236] d’un œil stoïque, & le bonheur d’un œil épicurien. Plus sensible au plaisir qu’à la peine, & plus à la pitié qu’au plaisir, je sçais jouir de ce dernier, mais jamais aux dépens de la vertu : je sçais m’en arracher quand mon devoir l’exige. Je fuis la peine & cherche le plaisir : mais pour moi, la privation du plaisir n’est pas une peine, & l’exemption de la peine est un plaisir. Je ne connois que les plaisirs du cœur & de l’esprit ; je suis assez Epicurien pour les préparer, les composer, les étudier, les raffiner. Quelquefois le sens s’y mêle, mais ce n’est que comme agent de l’ame : je ne cherche que la tranquillité de la mienne, & je crois que le plaisir en est la compagne inséparable ; il faut en calculer les dégrés de vivacité, suivant sa propre sensibilité. Quoique je sois extrême (par rapport à l’imagination) un petit plaisir varié à propos & avec goût, me tient dans la sérénité qui me convient. Pour rendre un peuple par-[237]faitement heureux, il devroit y avoir dans l’Etat une constitution fondamentale, qui commît des Philosophes pour combiner ce rapport du climat au plaisir, & en dispenser au peuple une quantité gratuite. Je sçais par ma propre expérience, que ce plaisir au lieu d’énerver l’ame, l’éleve au contraire, & la rend plus propre à ses devoirs. Suivant ce plan, je suis à l’abri des traits de la fortune. Sans m’assujettir à la méthode des voluptueux du siecle, je trouve le moyen de diminuer mes peines, & de doubler mes plaisirs ; & par-là, je me rapproche de la pureté de la nature. Enfin, je respecte la vertu, la patrie, la société ; j’adore la justice, l’égalité, la liberté ; j’aime la santé, les plaisirs, mes amis ; & ne hais que le vice.

Il y a dans ce portrait, ma chere, mille choses que l’on retrouve bien visiblement dans la conduite & dans les [238] écrits du Spectateur ; & quand il veut m’assurer que ce n’est pas lui-même qui s’y est peint, il me croit beaucoup plus facile à persuader que je ne suis. Mais son entêtement & sa manie ne changent rien au fonds des choses, & ne nous font rien perdre : c’est son portrait que vous souhaittez, & que je voulois que vous eussiez, & vous pouvez vous vanter de l’avoir, puisqu’il convient, du moins, que la ressemblance est parfaite. La premiere fois que je vous écrirai, j’acheverai de vous le faire connoître par quelques petits traits particuliers. Je n’en ai pas le tems aujourd’hui, & je n’en aurois pas l’esprit. Je suis fatiguée d’écrire, l’heure me presse, & j’ai besoin d’ailleurs d’une lettre qui est dans ses mains, pour pouvoir exécuter mon projet. Adieu, chere amie, je finis en vous priant de rechef de ne pas épargner Periny. Devenez l’organe par qui je confonds son orgueil & son impu-[239]dence. J’envie le plaisir que vous goûterez à voir son humiliation, & à admirer les ressources que son hypocrisie lui fournira pour jouer la résignation & le repentir, avec ce certain air de douceur qui cache toujours tant de courroux. Adieu. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse

Metatextualität► de la Marquise. ◀Metatextualität

Jouissez de votre victoire, chere amie, & jugez de l’honneur qu’elle vous fait à mes yeux, par le plaisir que je goûte à vous l’annoncer. Periny est battu, battu pour jamais, il ne s’en relevera de la vie ; il n’a plus de ressources, ni même d’espoir, & j’ai compris tout cela en l’entendant parler. Je ne vous détaillerai point une conversation très-longue, trop longue, & dans laquelle, d’ailleurs, il n’y a rien que vous ne deviniez aisément, par le peu [240] qui précéde. Le mot battu entendu ici dans toute sa signification, est une masse de lumieres qui se répand sur toutes ses pensées, & vous découvre jusqu’au fond de l’abyme où son esprit alloit chercher ses innombrables impostures. Je souhaite à présent qu’il vous écrive. Vous verrez sa plume à vos pieds.

Mon mari n’est pas si facile à battre. La raison en est qu’il n’a pas, comme Periny, des intérêts qui puissent commander à l’esprit. Car je ne crois pas que celui-ci, maître de sa force & de son génie, fût moins invincible que l’autre ; mais il vous aime, & vous n’avez pas oublié qu’Hercule fila aux pieds d’Omphale ! Je pourrois faire sur cela de très-beaux raisonnemens ; mais je renonce à la gloire qui m’en reviendroit, pour vous parler de quelque chose qui me touche davantage. Me pardonnerez-vous ma curiosité, & daignerez-vous la satisfaire si je vous demande quel est le motif, quel est le [241] sentiment qui attache Kremur à mes pas depuis votre absence ! Je le voyois très-peu autrefois, vous sçavez même que je me plaignois du peu de goût qu’il paroissoit avoir pour ma maison, & aujourd’hui il est presque mon ombre chez moi, & je le trouve par-tout ! D’où peut naître cette différence de goût ? Vous devez en sçavoir quelque chose. Soyez de bonne foi avec votre amie. Vous sçavez l’intérêt que je prends à tout ce qui peut être pour vous un objet de plaisir ou de peine ! Cédez à la tendre amitié, & que celle qui m’apprit à la connoître, ne m’apprenne pas qu’avec beaucoup d’esprit & de délicatesse, on peut cependant y manquer. Si j’ai bien vû, Kremur vous adore & vous déplaît ! De ces deux choses il n’y en a qu’une, qui me paroisse naturelle & croyable ; Kremur est peut-être l’homme le plus accompli de toute la Bretagne ; il vous aime d’ailleurs ; peut-on haïr un objet en [242] qui se réunissent le mérite, l’amour, & ce sentiment délicat qui fait que l’on se dissimule à soi-même la valeur de ses titres, lorsqu’on aime tendrement ; & la légitimité d’une plainte honnête, lorsqu’avec beaucoup d’amour, on est haï ! Car le voilà lui-même ; il ne m’a rien dit, rien avoué ; mais j’ai lû dans son ame, malgré sa mystérieuse discrétion, & j’y ai lû votre condamnation. Mais ai-je bien vû, après tout ! Vous êtes une petite personne très-dissimulée, & il se pourroit bien que ce que je prens pour injustice de votre part dans la malheur de Kremur, ne fût que les efforts d’une raison à qui la vanité donne le pouvoir d’être cruelle, contre les vœux du cœur. Je voudrois que ce que je suppose ici, fût vrai ; Kremur m’en paroîtroit moins à plaindre, & je vous dirai que pensant sur son compte comme je fais, je ne pourrai jamais m’empêcher de vous rendre responsable de [243] ses maux. C’est un honnête-homme encore une fois ; un homme aimable & tendre ; il réunit la fortune & la naissance, & il joint à tout cela la sublime modestie, & la touchante résignation. Que voulez-vous de plus ? Vous êtes libre ; voudrez-vous vous exposer à la critique de toutes celles qui souhaiteroient de l’être pour l’épouser ? . . . Je vais trop loin, & vous croirez peut-être que je suis soufflée ; j’ai déjà tâché de vous rassurer à cet égard ; il ne m’a rien dit, rien demandé, & c’est ce qui fait peut-être que je m’intéresse tant à lui. Un homme qui souffre & qui se tait, quand le crime de parler seroit si pardonnable, est fait pour inspirer de la pitié aux cœurs les plus durs. Il n’y auroit d’ailleurs aucun crime à cesser de se taire, à crier même, puisqu’il est malheureux ; mais vous me demanderez ce qui m’a si bien éclairée, & en cela vous m’attraperez ; il est certain qu’il ne m’a fait aucune con-[244]fidence ; je ne sçais que ce qui s’est venu présenter à mon esprit : il est vrai que depuis le premier soupçon, j’ai toujours tâché de pénétrer plus avant ; je l’ai examiné, & j’ai vû qu’il vous adoroit en vain. Comprendre, pressentir, entrevoir, ne sont pas les mots propres ; j’ai vû positivement ; j’ai entendu des soupirs, tantôt en regardant votre portrait que j’ai fait transporter dans mon salon, tantôt en me demandant de vos nouvelles, tantôt en me parlant de son indifférence pour toutes les femmes, car vous n’avez pas oublié que c’est son propos favori. Je prenois il y a un an ce refrein pour un raffinement de coquetterie, & cent fois je l’en ai plaisanté devant vous, comme d’un petit essai de fatuité ; mais à présent je n’y suis plus trompée, & j’ai très-bien compris qu’en cela, comme en bien d’autres choses, toutes les fois que je le croyois fat, il n’étoit que discret. Ce qui m’a fourni de plus [245] sûres lumieres, ce sont des soupirs échappés dans quelques circonstances dont je vais vous faire part. Il étoit l’autre jour chez moi, il tenoit les Œuvres de Chaulieu qu’il avoit trouvées sur ma cheminée, il feuilleta pendant quelque tems de l’air de quelqu’un qui cherche, & ensuite il lut tout haut.

Zitat/Motto► Hélas ! que le sort des humains

Est plein d’un étrange caprice !

Nous quittons les plus beaux chemins ;

Et sur des fleurs le pied nous glisse,

Pour tomber dans des précipices

Où notre liberté n’est plus entre nos mains. ◀Zitat/Motto

Je devinai qu’il y avoit quelque chose là-dessous, quelque petit trait de douleur qui partoit de votre souvenir : & en effet je lui parlai de vous, & il soupira beaucoup. Ma conscience me reprocha ma curiosité. Pour réparer le mal que je venois de lui causer, je recommençai à parler de ma chere amie, mais en termes si touchans, avec une [246] admiration si grande, une tendresse si vive, que je le forçai de s’enivrer de l’encens que je brûlois devant vous ; ce doux parfum calma sa triste agitation, il quitta le second tome de Chaulieu dans lequel sont les vers que vous venez de lire ; prit le premier qu’il feuilleta encore, en me parlant de votre absence ; & après avoir cherché pendant un demi-quart d’heure, toujours en traitant le même sujet & en l’assaisonnant de soupirs, il lut ces nouveaux vers.

Zitat/Motto► Votre absence me cause un plus cruel martyre,

Que toutes vos rigueurs ne m’en ont fait souffrir ;

Au milieu des plaisirs, sans cesse je soupire,

Et loin de vos beaux yeux, je ne sçaurois guérir.

Mon Iris, cependant, pour finir ma souffrance,

Garde-toi d’avancer d’un moment ton retour ; [247]

Laisse un peu durer une absence,

Qui me fait sentir tant d’amour. ◀Zitat/Motto

Tout cela, ma chere, signifie de l’amour d’un côté, & de la cruauté de l’autre ; mettez la main sur la conscience, & n’ajoutez pas au crime dont je vous soupçonne, le crime le plus grand d’en disconvenir avec une amie dont la pénétration est ici un bonheur pour vous. Songez que je puis vous éclairer par des conseils éternellement utiles. Je crains que vous ne laissiez échapper le bonheur d’épouser un honnête-homme, & je ne veux pas que vous fassiez ce tort à l’amie que j’aime si tendrement : ce seroit une perte & un malheur irréparables, car j’ai toujours vû que les femmes qu’un véritable amour n’avoit pû toucher, finissoient par être dupes d’une imagination séduite ; & malheureuses pour jamais. Parlez-moi sur tout cela avec la confiance que vous me devez ; ne croyez pas que rien [248] puisse vous en dispenser. Si les reproches que je viens de vous faire, ne sont fondés que sur une fausse prévention, vour <sic> devez me rassurer, & sacrifier à ma tranquillité la ridicule honte d’avouer des sentimens que la raison même vous conseille ; si vous les avez mérités, si même vous vous sentez un invincible penchant à les mériter toujours, vous devez souffrir au moins que l’amitié remplisse sa charge auprès de vous, & se fasse une consolation de son zèle. De toutes façons vous devez parler & m’entendre. J’espere que vous ne me réduirez pas à vous le prouver par de longs raisonnemens. Si j’étois obligée d’y recourir, leur meilleur effet même me laisseroit encore à me plaindre d’une horrible disproportion entre les sentimens qui nous attachent l’une à l’autre.

J’ai lû avec un sensible plaisir le portrait de votre ami ; j’attends avec [249] impatience les traits particuliers que vous m’annoncez. Cet homme m’intéresse, & je vous prie de le lui dire autant de fois qu’il faudra pour le lui persuader. J’aime cette façon de parler de soi ; j’aime qu’on ose dire ce qu’on y condamne & ce qu’on y approuve ; cela fait une société : on sçait d’ailleurs avec qui l’on vit, & vous avez bien raison de dire, qu’il seroit à souhaiter que chaque Auteur se montrât avec cette bonne foi intéressante, lorsqu’il commence à se répandre, dans le public, par des ouvrages où l’on est en droit d’exiger que sa façon de penser soit développée sans artifice. Mais, ma chere, il en est bien peu qui fussent capables de ce courage, & bien peu encore à qui ce courage ne fût pas nuisible. On prétend qu’en général ces panégyristes de la vertu, ces exterminateurs du vice, ne sont pas les plus honnêtes gens du monde ; ma cousine, [250] c’est-à-dire, votre Déesse, les appelle des Don Quichottes imposans. Je n’ai jamais voulu avoir grande communication avec eux ; mais le peu que j’en ai entrevû m’a paru, du moins, bien ridicule. Je vous laisse le soin de traiter cette matiere ; j’ai perdu de vûe ces Messieurs depuis long-tems ; vous vivez parmi eux ; & de la façon dont je vous connois, avec un très-grand talent pour découvrir des vices, & une très-grande impuissance de les pardonner, vous devez avoir des matériaux tout prêts. Pour vous mettre en train, je me contenterai de vous dire ce que je me rappelle d’avoir lû dans je ne sçais quel livre. « On pourroit représenter les Auteurs sous la figure d’un corps qui a trop de membres, & à qui cette multiplicité de parties nuit excessivement par le défaut d’harmonie qu’elle occasionne entre eux. » Il est certain qu’il y a trop d’Auteurs [251] & qu’on écrit trop : j’en juge, d’un côté, par la parfaite inutilité de tous les livres de morale & de philosophie, & de l’autre, par les misérables brochures dont nous sommes inondés tous les mois dans notre pauvre Ville.

Adieu, très-chere & très-aimable amie ; songez, je vous prie, à tout ce que je vous ai dit au sujet de Kremur ; je reviens à lui, parce qu’il m’intéresse plus que toute chose au monde, par rapport à vous. Si vous tortillez7 en me parlant de lui, je le ferai parler lui-même, & alors vous ne trouverez plus la moindre tolérance en moi. Vous sçavez avec quelle vivacité je suis capable de saisir la douce occasion de me plaindre, quand je suis piquée ! Je n’en dirai pas davantage. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 [252]

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse

Metatextualität► à la Marquise. ◀Metatextualität

J’admire dans votre lettre un ton de supériorité que je ne souffris jamais qu’on prît avec moi & qui me subjugue : c’est le génie de l’amitié qui me donne cette facilité à plier devant des volontés ; eh comment n’être pas entraînée par un sentiment qui vous entraîne vous-même ! Votre courage y contribue aussi infiniment ; vous me connoissiez, vous sçaviez que je ne cédai jamais, qu’il n’en coûtât cher à ceux qui m’y forçoient, & vous avez bravé tous les hazards pour m’être utile, pour satisfaire le penchant d’un cœur qui vous demande toujours des bontés pour moi ? J’admire & me rends ; mais je ne puis me taire néanmoins sur les conséquences de votre généreuse opiniâtreté : vous n’avez jamais vû mon [253] cœur qu’en amitié ; vous ignorez si l’amour ne peut pas devenir un poison pour lui, & vous me conseillez d’aimer, vous me faites un crime d’une indifférence qui n’existe peut-être pas, parce que vous voyez pour moi un bonheur à me rendre aux sentimens d’un homme aimable ! Tout ce procédé est admirable, si l’amour peut être un plaisir pour moi, si l’indifférence peut m’exposer à plus d’ennui que de douceur, si mon cœur enfin est fait comme celui des autres ; mais si rien de tout cela n’existe ou n’est possible ; si mon imagination s’est fait de l’amour un Dieu redoutable ; si pour être heureuse en aimant, il faut que je puisse trouver toujours dans mon cœur cette confiance, cette volupté que des regards & des sermens séducteurs y auront fait naître une fois ; s’il faut enfin que ce que j’ai senti un moment je le sente toujours ; que ce qu’on m’a promis, on me le tienne ; que mon mari [254] ne se refroidisse jamais ; croyez-vous que je ne sois pas autorisée à me plaindre de votre zèle, & à murmurer contre le charme d’une aimable séduction ? Vous en conviendrez encore mieux quand je vous aurai assuré que le cœur que je viens de me supposer, est précisément le cœur que la nature m’a fait. C’est la premiere fois que j’aie consenti à en faire l’aveu : jusqu’à présent on a cru que la froideur du sang & de l’imagination, faisoit mon indifférence ; on m’a donné des conseils que je n’ai pas écoutés ; on m’a fait des reproches ausquels je n’ai pas répondu ; j’ai trompé tout le monde sur cela, & j’aurois conservé toujours cette dissimulation prudente, si je n’avois trouvé en vous des raisons d’être moins discrete. Je n’ai connu que vous qui méritât de sçavoir par quels principes je me conduisois ; ce n’est pas qu’il n’y ait quelques honnêtes-gens, quelques esprits faits, pour respecter les sug-[255]gestions de la raison ; mais le monde est généralement si corrompu, & cette corruption me fut toujours si odieuse, malgré mon ton léger & quelquefois comique, qu’il est assez naturel qu’une certaine répugnance à confier mon secret, m’ait empêché de distinguer les personnes qui pouvoient peut-être mériter de l’apprendre. . . . . . à présent vous sçavez que je ne suis pas incapable d’aimer ; mais vous n’aurez pas la générosité de vous contenter de cet aveu ; vous voudrez me forcer à prendre des sentimens ; Kremur vous a touchée, & rien n’est plus importun que les femmes qu’un amant malheureux a sçu intéresser à ses soupirs, & qui s’érigent bénignement en protectrices d’un amour désespéré ! Vous m’écrivez de nouveau, vous me tourmenterez ! Il vaut autant que je cede de bonne grace, & que j’aie du moins, pour consolation de la violence que vous me faites, le plaisir d’avoir fait [256] quelque chose pour vous. Apprenez donc que votre protégé ne m’est rien moins qu’indifférent. Vous sçavez que je ne suis pas née aveugle, & que je me connois en mérite tout aussi-bien, peut-être mieux qu’une autre ! J’ai vû en lui des qualités très-aimables, très-estimables ; mais je me suis conduite comme si je n’y avois vû que ce je ne sçais quoi, qui doit faire naître plus d’allarmes que de plaisir, quand on a une raison à perdre : mes principes m’arrêtoient toujours quand je voulois rassurer un esprit que j’épouvantois par mes rigueurs ; & leur empire n’est encore rien moins que détruit, quoique je prenne un certain plaisir à flatter votre amitié, en vous faisant l’aveu de ma passion. Toute l’importance de l’amour se manifeste à mes yeux en ce moment ; je comprends mieux que jamais combien il est dangereux de ne pas assurer un engagement sur de solides appuis. Il n’est [257] point de fondemens inébranlables, & il en faudroit ; mais il en est du moins de durables, & les plus solides sont ceux que l’on imagine soi-même d’après la façon de penser de l’objet aimé. Kremur a vêcu ; les femmes lui ont appris à ne se jamais tromper aux motifs de la facilité, & il lui faut aujourd’hui des rigueurs pour aimer constamment. C’est sur cette connoissance (que je dois à ses propres aveux) que j’ai reglé ma conduite avec lui ; il les oublie aujourd’hui, il oublie qu’ils ont dû me faire un courage victorieux, parce qu’il m’aime & qu’il croit qu’un amour tendre a suffi pour le rendre constant ! Mais il me reprocheroit demain de les avoir méprisés, parce qu’il ne m’aimeroit plus, & ce reproche qui prouveroit que j’aurois pû le conserver si j’avois été assez prudente pour cela, me couvriroit de honte à mes yeux. Prévenons un malheur auquel il n’y a point de fin, quand on a [258] assez de raison pour être capable de compter de bonne foi avec soi-même ; épargnons-nous l’amertume de nos propres jugemens ; hélas ! il ne reste encore que trop de reproches à se faire, quand on n’est plus aimée, quelque précaution qu’on ait pû prendre pour être irréprochable.

Je vous confie ici tout mon secret ; je ne veux pas que Kremur sçache qu’il m’a affectée de sentimens tendres. Laissez-moi conduire cette affaire prudemment ; vous voyez par le sérieux que je prends, qu’elle est très-serieuse pour moi ! Et certainement vous risqueriez tout pour lui & pour moi-même, si vous donniez plus à la pitié qu’à la raison. Cette espece 8 que la nature fit pour nous plaire & pour nous tourmenter ; cette espece volage & perfide, que nous ne connoissons pas assez & que nous flattons trop, a besoin que nous inventions des chaînes pour la [259] lier. Cette précaution paroît d’abord cruelle ; mais si les ingrats nous reprochent insolemment une facilité qui n’est que foiblesse, ne sommes-nous pas dispensées de nous justifier d’une rigueur dont ils doivent recueillir le premier fruit ? Il m’importe d’ailleurs de n’être point la dupe & la victime d’un attachement dont mon bonheur peut être la seule excuse. Le public, l’amour propre, ce juge si cruel & si éclairé, me demanderoient compte d’une raison qui me fit tant d’honneur. Qu’aurois-je à répondre si je devenois malheureuse ? Je résistai toujours à l’amour, & je dus employer ce tems à connoître les hommes : or, si je tombois sottement dans un piege, on diroit que je ne songeai jamais à faire des réflexions, & que je ne fus si longtems indifférente que par orgueil ou par froideur.

Si Kremur vous parle & s’explique avec vous sur mes rigueurs, laissez-lui [260] croire qu’elles sont sinceres : à présent que vous sçavez ce qui en est, il doit vous être facile de supporter le spectacle de ses peines ; & votre fermeté, en cela, aura un jour sa récompense dans le bonheur que je prévois pour lui. Enfin, je ne penserai, ni ne me conduirai jamais autrement que je ne fais ; il m’en coûte assez de contrainte, pour mériter que vous croïez que j’y ai bien réflechi, & cela dit tout pour ma justification ; car certainement la réflexion ne peut abuser quelqu’un à qui elle enleve le plaisir de se livrer à son penchant. Je sçais qu’il y a quelque chose de surnaturel dans mon obstination, mais faites-en honneur à la raison & non au caprice ; le caprice est détruit par l’amour, & conseille le plaisir quand le cœur est véritablement touché. Ce qui pourroit ici vous faire prendre le change, c’est la sottise & l’inconséquence ordinaire des femmes, qui, se livrant à leur penchant sans [261] précaution & sans résistance, ont presque fait de la facilité une loi naturelle, ou font du moins que la réflexion doit paroître caprice ou cruauté. Jugez-les maintenant sur la conduite de votre amie, loin de la condamner elle-même ; & croyez encore au contraire, qu’elle seule mérite d’inspirer des sentimens durables.

Mais je vous fais des leçons, & j’oublie que la nature ne m’a donné qu’une très-petite portion de sens commun, en comparaison de celui que j’admire tous les jours en vous. Créature orgueilleuse, direz-vous ; vous aurez raison & je me tairai. Cependant croyez que vous devez excuser ma petite présomption, en faveur de la nécessité où je suis de vous justifier ma conduite, & du vif desir que j’eus toujours de mériter votre suffrage.

Passons à des matieres moins sérieuses ; il me semble que si vous ne m’aimez pas beaucoup, je dois vous avoir [262] beaucoup ennuiée ; & je jugerai de ce qui en est, par l’impression qu’aura faite sur vous mon bavardage, ou si vous voulez mon long raisonnement.

Vous m’avez ravie en m’apprenant que vous souhaitiez que je misse la derniere main au portrait du Spectateur. Il ne m’en coûtera pas beaucoup pour vous satisfaire. C’est lui-même, pour ainsi dire, qui va parler. Il vint me voir il y a quelques jours ; j’étois heureusement seule, (ce qui arrive rarement dans ce pays, où il y a tant de gens qui n’ont d’autre occupation que d’importuner les autres.) Il me parla du portrait que vous avez déjà lû, & me trouva, contre son attente, très-peu disposée à croire que ce portrait n’étoit pas l’ouvrage de son pinceau. Il croyoit m’avoir persuadée la premiere fois, & se plaignit de mon ridicule entêtement. Vous ne me persuaderez jamais, lui dis-je, & je me livre sur cela [263] à votre critique. Eh bien, répondit-il, je me bornois à l’honneur de vous détromper ; j’abandonne le parti de la modération & je veux vous confondre. Connoissez-vous le receuil du Marquis de Lassay. Non, lui dis-je ; je sçais qu’il a paru il y a quelques années, mais je ne l’ai jamais lû. Ordonnez à un de vos gens de l’aller chercher, reprit-il ; je veux que vous lisiez des reflexions que le Marquis a faites sur lui-même, dans lesquelles vous me retrouverez tout entier, & encore mieux que dans le portrait dont vous voulez me faire honneur. Quand vous verrez la plus parfaite ressemblance & une main si différente de la mienne, persisterez-vous dans votre prévention, & sera-t’il impossible de vous persuader que je n’ai nulle part au premier portrait ! Je convins qu’il raisonnoit juste, & que je serois obligée de me rendre, si cela étoit. Mon laquais étoit parti, il appporta ce livre & nous lû-[264]mes. Je vous avouerai que je fus convaincue, & vous le serez vous-même en lisant ces réflexions du Marquis de Laffay ; je vais vous les copier quoiqu’un peu longues ; je n’ai heureusement rien à faire aujourd’hui : d’ailleurs, la ressemblance dont je parle n’y est point aussi générale que parfaite ; mon Philosophe, en les lisant, eut soin de me faire remarquer les endroits où elle est plus exacte, (soin dont il auroit pû se dispenser tant il m’est bien connu) & j’aurai l’attention de souligner ces endroits en transcrivant. Vous verrez combien peu, en toute occasion, il faut se fier aux apparences ; car j’étois convaincue qu’il ne m’avoit pas dit vrai ; & si cette réflexion s’imprime dans votre esprit, comme elle s’est déjà gravée dans le mien, nous pourrons en tirer d’utiles secours pour apprendre à bien juger de ce que nous avons vû, & de ce que nous verrons encore. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 [265]

Ebene 3► Fremdportrait► Portrait

Metatextualität► du Marquis de Lassay, par lui-même, ressemblant au Spectateur. ◀Metatextualität

Une des choses qui me plaisent le plus dans les hommes, c’est que les préventions ne puissent rien sur eux ; qu’ils voient un Roi, un Prince, un Ministre, un homme élevé en dignité, tel qu’il est. Les louer bassement, m’inspire du mépris ; les blâmer sans raison, me cause de l’indignation. Je veux aussi que la réputation d’esprit, la mode, le bel air, les cabales, les opinions de la multitude, la haine, l’envie, la manière dont les grands vivent avec eux, ne puissent rien sur leur jugement : en un mot, je veux qu’un discernement juste, & un cœur noble, leur fassent voir les choses comme elles sont en elles-mêmes, & que la justice & la vérité servent de regle à toutes [266] leurs pensées & à toutes leurs actions. Quand je découvre dans quelqu’un avec qui je suis en commerce, qu’il n’a pas ces qualités, je sens que mon estime pour lui & mon goût, s’en vont quasi malgré moi, & cette malheureuse délicatesse m’a réduit à la triste condition de n’avoir quasi que des connoissances ; encore faut-il que je les choisisse entre un petit nombre de personnes ; car les autres pensent trop bassement. (Il ajouta ici : il y a une sorte de bassesse que j’excuserois pourtant, & qui ne m’empêcheroit pas de me lier jusqu’à un certain point avec un homme qui auroit d’ailleurs des qualités. C’est celle où la mauvaise fortune plonge par degrés des malheureux que la nature avoit destinés à plus d’élévation, en les condamnant à ramper devant l’orgeuil ou l’opulence. Je suppose cependant que cette dégradation ne s’étend pas jusqu’à favoriser le vice ou le libertinage, & encore moins à le servir par intérêt ; car si elle va jusques-là je [267] la méprise, & ne reconnois plus aucunes qualités dans des gens qui n’ont pas assez d’honneur & de probité pour lui préférer une misere honorable.)

Dans un certain étage & dans les Provinces, les noms, la qualité, les emplois peuvent tout ; on ne voit rien comme il est : les gens qui ont vêcu avec la bonne compagnie, sont presque les seuls avec qui on puisse vivre.

(Je l’interrompis ici par zèle pour notre chere ville. Je trouvai que le sévere Marquis s’exprimoit avec humeur sur la province, & je m’en plaignis à mon Philosophe. Le Marquis n’a pas précisément raison, me dit-il, mais il faut un peu entendre ce qu’il veut dire & s’y attacher un peu plus qu’à ce qu’il dit. Je devine sa pensée & je vais vous l’expliquer ; je raisonnai autrefois sur cette Province que vous protégez ; & il se trouve que j’ai pensé comme le Marquis, mais je crois avoir un peu [268] mieux développé mes idées que lui, & je vais vous en faire juge. Au reste je vous préviens que ma dissertation sera un peu longue, & que ce ne sera pas le seul écart que vous aurez à me pardonner, mais je crois qu’ici vous en serez dédommagée par le plaisant des objets, & la force du coloris. Nous sommes seuls, & vous ne voulez recevoir personne aujourd’hui ! Que ferions-nous de notre tems ! Employons-le à raisonner ; ce sera du moins le perdre avec quelque décence. . . . Je ris fort de cette métaphysique réflexion, dont je sentis cependant le vrai, & il continua en ces termes :

La Province offre deux objets à considérer. Les grandes villes où l’on voit les mêmes mœurs, les mêmes usages, le même amour, pour l’esprit, & presque le même esprit qu’à Paris. Les petites villes où tout est petit, où rien n’est senti, où les plaisirs même développent des défauts, où l’esprit tou-[269]jours contesté, toujours envié, toujours symmétrisé, est la victime éternelle de la calomnie & du pédantisme. La beauté, le plaisir & l’amour, objets très-rares, n’y ont que leur réalité propre : l’imagination ne leur prête rien, à peine permet-elle au cœur de les sentir. On n’y sçait rien, on n’y lit point ; & ceux qui ont précisément assez de tems à perdre pour feuilleter des livres, sentent si peu, conçoivent si peu, jugent si mal, sont si hardis à produire de mauvais vers sans rimes, & exigent tant d’hommage pour le plus sot talent de l’Univers, qu’on est contraint de voir tarir avec douleur les conversations sur les foins & les vendanges. Les jalousies y sont véritablement meurtrieres ; il est encore moins possible de s’en amuser que de s’en défendre. C’est toujours par les insultes les plus grossieres, & les calomnies les plus basses qu’elles se déclarent ; heureusement les raccommedemens n’y [270] sont différés que jusqu’à la derniere offense ; s’ils y étoient moins convenus, moins communs, le Spectateur délicat & sensible croiroit toujours avoir à trembler pour la petite société. Les saillies & les chansons y sont banies du meilleur soupé comme du plus mauvais ; & ce n’est pas ce que peut éprouver de plus ennuyeux, l’homme de goût qui y est invité : une voix fausse s’y fait quelquefois entendre, & alors il devient impossible de ne pas déserter. Ce sont, par exemple, des arriettes Italiennes, où l’Italien est converti en Arabe ; des monologues ; des scenes d’opéra entieres, où Quinault & Lulli sont impitoyablement deshonorés par des barbarismes & des heurlemens. Les maris, esclaves importuns de l’ancienne étiquette, y sont cloués à leurs femmes, à qui il est impossible de dire paisiblement deux mots ; mais il m’a semblé qu’ils n’y gagnoient rien, & que ces deux mots [271] suffisoient presque toujours. Ceux d’entr’eux qu’on distingue par l’amour de leurs cheres moitiés, s’y feroient horreur à eux-mêmes, s’ils se doutoient un peu plus des usages & de la pudeur ; il leur faut essuyer publiquement & à chaque moment, des caresses sans graces, sans décence, capables de dégoûter de toutes les femmes & de tous les plaisirs. Cette fureur incivile & burlesque dans les femmes de ce caractere, n’est pas toujours l’effet du sentiment ; j’en ai vû plus d’une s’y livrer avec un cœur très-infidele. . . . . . . Comment se représenter la fierté insultante de l’ennobli & du Seigneur de Château ! Pour la supposer possible, il faudroit avoir voyagé & séjourné dans quelques petites villes du Nord : on ne peut la croire que par expérience, & la juger que par comparaison. . . . Voilà la Province, me dit-il, en terminant sa dissertation. Je vous épargne mille choses & les détails sur-tout ; car je suis [272] sur que n’ayant jamais rien, vû des objets que je vous présente, vous finiriez par m’accuser d’imposture. . . . . . . Votre discrétion ne vous en sauve pas, lui dis-je ; oui, en cette occasion, je vous crois un imposteur. Cette chere Province que j’aime tant, comme vous la déchirez ! . . . Vous perdez de vûe ce que je vous ai dit d’abord, reprit-il ; je n’ai voulu parler que des petites villes ; faudra-t’il vous le répéter encore ? Non, & je vous promets de m’en souvenir, répondis-je ; car je vois que vous allez vous fâcher si je l’oublie ; mais convenez qu’un sentiment particulier a conduit votre pinceau ; que vous avez peint d’humeur, & qu’enfin vous n’aimez pas les petites villes. Cela est vrai jusqu’à un certain point, repartit-il ; mais toute cette aversion, toute cette mauvaise humeur, sont fondées sur une expérience qui les justifie. J’eus autrefois la fantaisie de passer quelque tems dans ces caucases habités ; tout ce [273] que j’y vis pendant mon séjour, m’y donna de l’humeur ; mais tout ce que j’en ai dit ensuite dans mon humeur, n’en est pas moins vrai. Comment ? repris-je, point d’exception à faire ! Personne à distinguer ! . . . Cela ne se peut pas, répondit-il, par-tout il y a d’honnêtes-gens, des gens faits pour être chéris ; dans un village, même dans une ferme, on trouve toujours une physionnomie, un caractere, quelqu’un enfin qu’on est bien-aise d’avoir connu ; mais cela ne se dit pas, parce qu’on doit le supposer. J’ai peint le général, & vous avouerez qu’au fond ma peinture est plaisante. . . . . Je convins de cela, & nous rîmes ensemble de quelques traits qu’il me cita encore. Voulez-vous que j’acheve de vous faire rire, me dit-il, je vois bien que c’est le seul moyen de me réconcilier avec vous ? Ecoutez une épître de ma façon au Baron de * * *, Chevalier des Ordres du Roi de * *, & Officier Gé-[274]néral. Il a une terre peu éloignée d’une de ces petites villes où je viens de vous dire que je fis autrefois quelque séjour, il étoit pour lors dans sa terre, je l’y avois vû plusieurs fois ; & l’hyver étant survenu, j’avois été obligé de m’enfouir dans le sein de mes lares : c’est pendant cette triste séparation, que je traçai les vers qui suivent. Je vous préviens que vous y trouverez quelques négligences ; mais je les fis sans soin, & je vous les lis sans prétention ; c’est assurément plus qu’il n’en faut pour m’excuser.

Zitat/Motto► Il est tems que je me raproche

Du Philosophe & du Guerrier,

Qui couronné de myrthe & de laurier,

Pense avec goût, vit sans reproche ;

Ennemi de la vanité,

dont tout Seigneur est entêté

Dans son château, de lui-même idolâtre ;

Plein de noblesse, & plein de probité ;

Prêt à boire, prêt à combattre,

Prêt à raisonner sçavamment, [275]

Goûtant tous les esprits, aimant tous les mérites,

N’ayant qu’un défaut seulement,

Celui d’abréger ses visites,

Et de digérer rarement.

Depuis un mois, la pluie impitoyable

M’enchaîne à mon triste foyer :

Mais dussai-je enfin me noyer,

Vous me verrez, Baron aimable,

Braver pour vous les éléments :

J’arriverai fait comme un diable ;

Car les frimats, & la pluie & les vents

Déchaînés dans notre hemisphere,

Nous réduisent depuis long-tems

A chercher des moyens de plaire

Etrangers aux ajustemens :

Mais aux yeux de l’homme qui pense ;

La parure n’est pas beauté.

J’irai donc avec l’assurance

D’être reçû mieux qu’un fat apprêté ;

Certain que vous serez flatté

De ce mépris pour l’élégance.

Je ne puis vous revoir trop tôt ;

L’humeur me gagne, & j’en sçais bien la cause :

Une affreuse métamorphose

Me rend chagrin & presque sot, [276]

Depuis que loin de la banniere

Du monde aimable & des esprits choisis,

Je passe dans une chaumiere

Des jours filés par les ennuis.

Plaisirs charmans que je regrette,

Plaisirs de la société,

Plaisirs de l’art & de la nouveauté,

Plaisirs d’une union secrette,

Plaisirs de l’infidélité,

Plaisirs d’une flame indiscrette,

Pourquoi par un songe emporté,

Me suis-je mis dans la nécessité

De regretter votre douceur parfaite !

Pourquoi me suis-je transplanté

Du sein de la félicité

Dans le néant de la retraite !

Un faux goût de tranquillité,

Un vain espoir de liberté,

Un peu d’inconstance, peut-être

On séduit mon esprit trop aisément tenté,

J’ai cru trouver la volupté

Dans une demeure champêtre,

Et dans le séjour si vanté

De l’innocence & de la vérité.

Vains desirs, fatales chimeres ;

On ne reconnoît plus les champs ; [277]

On ne voit plus de Bergers innocens,

Il n’est plus d’aimables Bergeres :

Le vice & la férocité

Ont chassé les graces légeres :

L’amour & la simplicité

Sont devenus des vertus étrangeres,

Parmi ce peuple, autrefois respecté,

Dont les mœurs, les chansons, & la délicatesse,

Etoient des leçons de tendresse,

Et des leçons d’humanité.

Si des champs je passe à la ville,

J’y revois l’affligeant tableau

Qu’a peint le sévere Rousseau

Dans le début de son Livre Inutile.

Nul plaisir, nulle aménité,

Nul sentiment, nulle société :

A la ville, comme au village,

On ne voit plus cette aimable union,

Ce Doux rapport d’esprit & d’inclination,

Cette sincérité de cœur & de langage

Que l’on vit sans exception

Dans les hommes au premier âge.

Mais taisons-nous ; il faut être prudent

Et résister à la critique,

Lorsqu’on prévoit & que l’on sent [278]

Que l’on seroit trop véridique.

L’homme trop vrai, devient méchant.

Hélas ! quelle fut ma folie,

Quel fut l’excès de mon égarement :

Mon sort étoit digne d’envie.

L’esprit le sentiment

Les arts & l’enjouement

Répandoient sur ma vie,

Les trésors de l’amusement,

De la raison & du génie.

Par Cidalise & par Lesbie,

Séduit & partagé ;

Je me rendois chez Emilie ;

J’y trouvois un jeu moins chargé,

Plus d’amour & plus de saillie.

Par elle mon cœur éclairé,

Goûtoit dans une douce chaîne

Ce bonheur que l’amour ramene

Après que l’on s’est égaré.

Tous les arts & toutes les belles

M’imprimoient des plaisirs nouveaux ;

N’épuisant rien, recherchant à propos ;

Passant souvent des bagatelles

Aux productions immortelles,

Et des bons livres, aux bons mots ;

Receuillant toutes les nouvelles, [279]

Parcourant toutes les ruelles,

Allant par-tout, excepté chez les sots,

C’est ainsi que de la journée,

Coupant le fil avec légereté,

Je voyois s’écouler l’année

Comme une belle nuit d’été.

Hélas ! que de ma destinée

Les Dieux ont bien changé le cours ;

Mon ame aux ennuis enchînée,

Est tristement abandonnée

Par les plaisirs & les amours.

Je ne vois plus, Cidalise & Lesbie,

Je n’entends plus Clairon ni Dumesni,

Je ne vois plus Puvigné ni Lani,

Je ne soupe plus chez Silvie,

Entre Jeliote& Gaussin.

La guitarre, le clavecin,

Les sons brillans de l’Italie,

Les beaux vers, les fruits du génie,

Tous les biens ont pour moi pris fin.

Vous près de qui je les retrouve

Dans le plaisir de me les rappellera

Vous qui les connoissez, qui sçavez en parler ;

Vous enfin, près de qui j’éprouve

Combien l’esprit peut consoler ;

Jugez si de votre présence [280]

Je puis me priver aisément,

Et combien pendant votre absence

J’ai dû voir croître mon tourment ! ◀Zitat/Motto

Après avoir un peu raisonné sur la situation d’un homme qui du sein des plaisirs, se trouve transplanté parmi les ours, nous revînmes à notre premier objet que vous nous reprochez peut-être d’avoir un peu trop perdu de vûe ; & il continua sa lecture.

Je sens que toute ma nature se révolte dès qu’on veut prendre quelqu’empire sur moi ; il n’y a aucune considération qui puisse me le faire souffrir. Ce sentiment est né avec moi, je l’ai eu dès mon enfance ; & à peine en étois-je sorti, que je secouai le joug de la domination paternelle, aux dépens de tout ce qui m’en pouvoit arriver ; & pendant plusieurs années je me réveillois avec un mouvement de joie que me donnoit la pensée de ne plus dépendre de personne. Je n’ai jamais voulu aussi contraindre ceux que [281] j’avois droit d’assujettir à mes volontés, femme, enfans, domestiques ; je regarde cela comme un trop grand mal pour le faire souffrir aux autres. Il est ordinaire de faire moins de cas des biens dont on jouit, que de ceux qui nous manquent ; cependant, quoique j’aie toujours manqué de bien & de santé, & que j’ai joui toute ma vie d’une grande liberté, je l’ai toujours préférée dans mon cœur aux richesses & à la santé.9 Ce n’est point l’austérité [282] des Couvents qui m’en auroit fait peur, c’est l’assujettissement à la volonté d’autrui ; & il est moins dur à [283] mon gré d’être renfermé dans une prison, où l’on fait au moins ce qu’on veut dans sa chambre, que de vivre [284] avec une personne qui vous contraint : je ne voudrois pour rien au monde, que me fortune dépendît de quelqu’un [285] & je préfére le peu de bien que j’ai, à un qui seroit plus considérable, & que j’aurois à cette condition. Je serois [286] très-faché aussi d’avoir de certaines obligations qui vous réduisent, où <sic> à la triste nécessité de paroître ingrat, à l’égard de celui de qui vous les avez reçues, ou d’être obligé de souffrir de son humeur. Je ne veux tenir à mes amis que par mon goût, & je pense encore plus de cette façon à l’égard des Princes.

Je suis doux, complaisant, facile dans la société, & dans les affaires ; je n’ai point d’humeur, & je ploie aisément mon esprit. Je me range sans peine à l’opinion des gens pour qui j’ai de la considération, ou à qui je veux plaire : ce n’est pas pour l’ordinaire que [287] je sois persuadé ; mais les choses dont il est question, ne m’intéressent pas assez pour hazarder de les fâcher en les contredisant ; & à l’égard de celles qui ne regardent ; comme je suis bien sûr de ne faire que ce qui me plaira, il me paroît que ce n’est pas la peine de disputer avec eux. Je ne me donne pas cette contrainte pour le reste du monde, & je soutiens fort bien mon opinion ; mais je suis très-attentif à ne blesser personne ; je ne prends jamais rien de travers, & pour m’offenser il faut en avoir envie. (Il ajouta ici, mais pour y réussir, il suffit d’avoir cette envie) Je rends avec plaisir des services à mes amis, & j’en reçois d’eux ; mais je ne me mêle point de leurs affaires, qu’autant qu’il leur convient ; je ne leur donne jamais de conseils, hors qu’ils m’en demandent, & j’aime qu’ils en usent de même à mon égard. Je ne sçaurois voir souffrir personne, pas même les [288] animaux : naturellement j’aime à faire du bien, & je ne comprends pas comment on peut faire du mal à ceux qui ne nous en font pas ; mais je comprends parfaitement comme on en fait à ceux qui nous ont attaqué injustement, & je reviens avec peine quand on m’a offensé.

La raison se rend maîtresse de ma haine & la contient ; la paresse vient encore à son secours ; mais le tems ne l’efface point, & je suis tout le reste d ma vie, pour les gens qui m’ont fait du mal injustement, comme on est à l’égard des animaux pour lesquels on a une aversion naturelle.

Des intérêts même considérables, ne sçauroient m’obliger à aller dans un lieu où je crains de n’être pas bien reçû, cela est trop opposé à ma nature, & je ne sçaurois me résoudre à me faire un si grand mal.

Les respects m’importunent à rendre [289] & à recevoir, & je hais de vivre avec les gens à qui j’en dois, ou qui m’en doivent.

J’ai un défaut effroyable pour les affaires, qui gâte & détruit tout ce que je pourrois avoir de bon ; c’est une grande paresse dans l’esprit : en de certaines occasions, je puis la surmonter par élans ; mais à la longue je prends trop sur moi & j’y retombe toujours ; si bien que je ne serois propre à penser, & encore plus à choisir & à rectifier ; car ce qu’il y a de meilleur en moi, c’est le discernement, mais il faudroit qu’un autre agît.10 [290]

La justice & la vérité ont un tel pouvoir sur moi, que je n’ai jamais pu être d’aucune cabale, trouvant que chacune [291] est injuste. Je ne suis pas non plus ce qu’on appelle dans le monde un bon ami ; car si mon ami a des défauts, ou s’il a tort dans une affaire, je ne puis m’empêcher de le voir, & je n’ai pas la force de parler contre la vérité, ni de le servir contre la justice, & je pourrois encore bien moins lui accorder des choses injus- [292] tes : je crois que c’est un défaut ; certainement c’est un malheur que d’être fait ainsi ; car cela fait que l’on se trouve seul de son parti sur la terre ; & si j’avois été dans les grands emplois, cela m’eût attiré beaucoup d’ennemis, & je me serois fait peu de créatures ; car la plûpart des graces qu’on nous demande sont des injustices qu’on veut nous faire commettre, & on n’en accorde gueres à un homme, qui ne soient aux dépens d’un autre. Connoissant tous les inconvéniens où me fait tomber cet amour déreglé pour la justice & pour la vérité, j’ai cent fois résolu de me corriger, & jusqu’ici je n’en ai pû venir à bout : il peut entrer dans cela un peu d’amour propre, qui fait que je suis point dupe, que je connois les choses comme elles sont.

Il y a des hommes qui dans la société prennent une sorte d’empire : ce [293] ne sont pas toujours ceux qui ont le plus d’esprit, ni les plus grands Seigneurs : on ne sçauroit bien dire comment cela se fait, ni ce qui leur donne cette supériorité ; presque tous les hommes sont conduits par ceux-là, & malheureusement je ne me suis trouvé ni de l’une ni de l’autre de ces especes : on ne prend point d’empire sur moi, & je n’en sçais pas prendre sur les autres ; ce qui me nuit beaucoup, car je blesse l’amour propre de ces maîtres du monde qui veulent que tout leur soit soumis ; & les autres estiment fort peu un homme qui est désapprouvé par ceux qui les font penser.

Voici ce qui me nuit encore : quand un homme me dit des choses qui ne me paroissent pas mériter d’attention, ou qu’il parle après que j’ai entendu ce qu’il vouloit dire, mon esprit s’en va malgré moi, & il lui est aisé de s’appercevoir que je ne l’écoute plus.

Je crois sçavoir à quelque point je [294] connois les choses ; il y en a que je sçais que je connois mal ; il y en a d’autres que je connois médiocrement ; mais celles que je sens que je connois bien, je les tiens si fermes, que l’opinion des autres hommes, en quelque nombre & de quelqu’autorité qu’ils soient, ne me donne pas seulement sujet de douter : on ne m’enleve point une vérité que j’ai saisie, & je peux dire que mon goût & le jugement que je porte d’un homme ou d’une chose, est mien & non emprunté.

J’oserois dire qu’il y a peu d’hommes qui aient l’esprit plus sage que le mien, il panche même du côté de la timidité : naturellement je choisis toujours le parti le plus sûr, & je prévois tant de choses, que j’ai beaucoup de peine à entreprendre une affaire.11 Je [295] puis dire encore que personne n’est plus ferme & moins changeant que moi dans ses résolutions. Cependant ma réputation a été d’être léger & capable de faire des folies ; & il est certain qu’on a eu lieu de le croire, car ma conduite a paru folle & légere en des occasions importantes. Je pourrois m’excuser sur l’âge dans lequel j’ai fait ces choses qu’on a blâmées : je crois pour-tant qu’il m’auroit été difficile de faire autrement. J’ai été réduit par la fortune à n’avoir que le choix de deux partis presqu’également mauvais ; & présentement que je suis moins jeune & de sang froid, & après y a voir bien pensé, je suis persuadé que si je me retrouvois dans la même situation où j’étois alors, je ferois encore ce que j’ai fait ; peut-être avec un peu plus de menagement. Ce qui est encore [296] assez bizarre, c’est que plusieurs personnes avec qui je me suis trouvé en liaison, avoient quelque chose de fou & d’extraordinaire : en faisant réflexion à toutes ces choses, j’ai pensé cent fois qu’en cela comme dans tout le reste, on est conduit par son étoile.

Je me résous avec peine à entreprendre une affaire, car je sçais que je ne peux, ni la suivre ni le vouloir foiblement : il m’est plus aisé de ne pas souhaiter ; je connois les maux que je me prépare, & que j’acheterois trop cher la chose que je poursuivrois, n’ignorant pas comme la fortune est à mon égard ; elle ne m’a jamais rien donné avec facilité.

Souvent je ne vois pas d’abord dans les choses tout ce qu’il y a à voir ; mais comme je suis sans cesse occupé de celles où mon cœur s’interesse, & que rien ne me distrait de mon objet ; à force d’y penser, de les tourner de tous côtés dans mon esprit, de faire des [297] questions, de m’instruire de ce que je ne sçais pas, de démêler le bon d’avec le mauvais, tant de ce que j’ai pensé, que de ce que j’ai appris, j’ose dire que je vois enfin à peu près ce qu’il y a à voir, & ce qu’on peut faire.

Je ne sçaurois jetter un regard fixe sur la mort des gens que j’aime ; j’en détourne ma pensée comme de quelque chose qui me fait trop de mal pour l’envisager.

Les personnes pour qui je sens du goût, dont l’esprit, les manieres, les mœurs me conviennent, font avec moi comme il leur plaît ; je fais les premiers pas avec vivacité, mais s’ils ne font pas les seconds je m’arrête : je suis pour eux ce qu’ils veulent que je sois. Ils ne trouveront point en moi, ni bizarrerie, ni finesses, ni envie, ni mauvais procédés. Mais qu’ils se gardent bien de me laisser voir qu’ils ne sont pas pour moi ce que je suis pour eux, car c’est le fonde- [298] ment de tout l’édifice : je ne suis point difficile ; je passe beaucoup de choses à mes amis, & sur-tout je les quitte de tous les soins qui ne vont qu’à contraindre, & à ôter la liberté ; mais je reviens difficilement d’une mauvaise finesse, d’un manque de confiance, & de tout ce qui me marque qu’ils ne prennent pas en moi un certain intérêt : ce n’est point sur des soupçons mal fondés que j’en juge ; il faut que cela soit bien vrai pour que je le croye, car je ne suis pas défiant : quand je suis convaincu qu’ils ne sont pas véritablement mes amis, je ne romps pas pour cela avec eux ; je continue d’y vivre ; mais dès ce moment je ne les regarde plus que comme des connoissances, & pour lors, personne n’est si facile que moi ; je ne suis plus blessé de rien & je m’accommode de tout.

Je connois mieux que personne du monde le prix de l’amitié, & j’ai un cœur fait pour aimer ; cependant je n’ai [299] pas eu d’amis à un certain point, 12 & il y a grande apparence que je mourrai sans en avoir. Cela vient peut-être de [300] ce qu’il y a peu d’hommes capables d’amitié : peut-être que c’est ma faute, & que je n’ai pas des qualités assez aimables pour me faire aimer ; peut-être que je suis trop difficile, & que je demande trop de perfection pour donner mon amitié ; peut-être aussi que c’est la faute de ma fortune, qui a toujours été si médiocre, que personne n’a eu envie de l’amitié d’un homme qui ne pouvoit ni nuire ni servir. [301]

Je ne souhaite, ni les grands biens, ni les emplois, ni la faveur. (Il ajouta ici. Les uns & les autres montrent trop souvent qu’on ne les mérite pas, & donnent plus souvent encore des sentimens & des travers qui en rendent indigne ;) mais je suis plus touché de la considération que personne. Je ne me soucie point d’être plus que les autres, mais je souffre impatiemment qu’on soit plus que moi. Otium Cum Dignitate a toujours été l’objet de mes desirs.

Le repos, la paix, l’arrangement, les commodités de la vie, un bien médiocre sans affaires, & pourtant assez considérable pour n’avoir besoin de personne ; de la santé, de l’indépendance, une société douce dans un beau séjour : (il ajouta encore, le succès de mon Ouvrage, & la réputation qu’il doit me faire parmi les honnêtes gens,) sont les seules choses que je souhaite présentement. [302]

Voilà, ma chere, le vrai portrait du Spectateur. Vous pouvez vous vanter à présent de le connoître aussi-bien qu’il se connoît lui-même. Si j’ajoute à ces détails, ses pensées ou maximes particulieres, mon amitié aura fait tout ce qui peut dépendre d’elle, & vous ne serez plus en droit d’envier le bonheur que j’ai de vivre avec lui, comme vous dites très-obligeamment.

Ces pensées que je vous annonce, ce n’est pas de lui précisément que je les tiens ; je les lui ai, pour ainsi dire, ravies. Dans nos disputes ou conversations, je les retenois à mesure qu’elles lui échappoient, & je les écrivois ensuite. Comme il parle fort vîte, toutes n’ont pas pu se conserver également dans ma mémoire, mais je crois n’avoir oublié que les plus indifférentes ; & je trouverai quelque jour l’occasion de me les restituer en le remettant sur les mêmes matieres : j’aurai alors l’at-[303]tention de vous les envoyer, afin que vous puissiez les joindre à celles que je vous envoie aujourd’hui. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Ebene 3► Pensées et Maximes.

Il y a des hommes que le plus jaloux des amans ne sçauroit craindre, & ce sont ceux-là qu’en général on doit craindre le plus.

L’art de cacher l’humiliation est un triomphe ; mais cet art ne peut naître que de l’habitude d’être humilié.

La sympathie est une confidence tacite.

Lorsque l’amour remplit une ame d’un sentiment qui la rend heureuse, cette ame jouit toujours : tous ses momens commencent un bonheur dont elle est déjà si remplie.

Il est des secrets qu’on ne doit confier qu’après avoir bien mérité l’estime de ceux à qui on ose les apprendre.

Le plaisir fait notre séduction, mai <sic> [304] l’art du plaisir peut seul faire notre félicité.

Le miroir le plus fidele rend moins les traits du visage, que les idées que l’on a lorsqu’on le consulte.

Lorsqu’on se voit généralement haï, on sçait toujours pourquoi on l’est.

Une jeune personne, née tendre, ne vit que pour aimer ; si elle n’aime pas, c’est une fleur qui se fane.

Dans la douleur imprévue on se fait des consolations de mille choses qui, un moment auparavant, auroient été des sujets de chagrin.

Une femme qui a des principes, croit ne pouvoir point, ou ne pouvoir plus avoir de foiblesse. La nature bienfaisante permet rarement que cette confiance ne soit pas une erreur.

Le protecteur de l’infortune a une vertu plus utile que le vengeur du crime.

Selon les femmes trop vertueuses, les hommes ne font que ce que l’ima-[305]gination les fait ; il n’ont sur les femmes aucun pouvoir réel ; on leur résiste quand on les fuit, & ils ne triomphent que parce qu’on aime à céder. Prévention dangereuse pour elles.

A juger de certaines femmes par leurs choix maussades & impertinens, on pourroit douter si l’esprit de systême n’y a pas plus de part que l’esprit de libertinage.

Il y a des femmes vives & jalouses à qui il est permis de croire que la délicatesse est un sentiment tranquille qui ne prouve point la passion.

Les vertus changent de nom lorsqu’on doit croire que ce sont des armes que l’on fournit à l’injustice.

Lorsque l’amour est simplement le prix de l’amour, on doit peu compter sur sa constance.

Combien d’hommes dans le sein des faveurs, n’ont pas encore autant de raisons d’aimer, qu’un refus en donne quelquefois. [306]

Une rupture d’éclat est quelquefois un bienfait.

Un infidele n’est plus coupable qu’à demi, lorsqu’il n’est pas un peu regretté.

Les jolies femmes sont aujourd’hui si accoutumées à s’entendre dire de jolies phrases, qu’on pourroit presque hazarder de parler à leur raison.

La constance des Grands est une infidélité que leur cœur fait à leur esprit.

Plus un déclamateur public dit d’injures au genre-humain, plus il peut être sûr de réussir auprès des hommes, s’il parle avec esprit.

Si j’interrogeois tout réformateur sur ses motifs, & qu’il fût de bonne-foi, il me répondroit, je veux régner.

Un sot avec la plus grande envie de devenir un méchant homme, ne parviendra jamais à l’être.

Ceux qui sont incapables de faire de grandes fautes sont peu capables de faire de grandes choses. [307]

On doit être consolé des fautes qu’on a faites, lorsqu’on songe combien on en pouvoit faire de plus grandes.

Une foiblesse peut faire tout le bonheur de la vie.

Il y a des femmes qui ont naturellement tant de sensibilité, que, sans aimer précisément, il leur est peut-être permis de se rendre.

Je ne m’étonne pas si l’esprit, qui, de toutes les qualités, devroit être la plus aimable, est aujourd’hui la plus suspecte. Quel usage fait-on de son esprit ? Une arme à feu est moins dangereuse. Si l’on pouvoit défendre par une loi d’avoir de l’esprit, je ne serois pas étonné qu’il fût un jour défendu d’en avoir comme il l’est de porter des pistolets.

Il y a un bonheur qui dépend de sçavoir céder à l’infortune.

Il y a des sentiments délicats qui subsistent toujours dans le plus grand chagrin de la passion, parce qu’ils sont [308] raisonnables ; il y en a d’autres qui finissent à la moindre douleur, parce qu’ils sont chimériques.

La plus belle femme doit se conduire avec son amant dans le plaisir, comme si elle avoit affaire à l’homme le plus difficile sur la beauté.

A la Cour, on se perd par les dupes que l’on fait si l’on n’a pas l’art d’en faire.

Il me semble, chere amie, que vous ne devez pas vous plaindre de moi, & que voilà une lettre assez longue. Si je l’avois commencée plus tard d’un quart d’heure, je n’aurois pû l’achever d’aujourd’hui, car voilà du monde qui m’arrive. Adieu, portez-vous bien, & revenez bientôt comme vous me le faites espérer par votre dernier billet. ◀Ebene 3 [309]

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse

Metatextualität► de la Marquise. ◀Metatextualität

Je vous ai la plus grande obligation de ce que vous venez de faire, chere amie; je ne vous aurois jamais cru capable d‘écrire, pour personne au monde, douze heures de suite ; & je vois que vous m’aimez beaucoup, que vous m’aimez plus que vous-même, puisque vous me sacrifiez votre paresse. La meilleure façon de vous en remercier, c’est de vous dire que toute votre lettre m’a fait un plaisir inexprimable : je suis à présent très-tranquille sur le compte de Kremur ; il ne souffrira pas longtems ; vous serez obligée de vous rendre aux sentimens d’un homme que la nature a fait naître estimable pour vous attirer vers lui. Croyez-moi, ma chere ; on ne conserve pas impunément sa liberté ; on ne donne pas plus impuné-[310]ment son cœur ; il faut un engagement dans la vie, & il est dangereux de le former. La nature nous place d’abord entre ces deux extrémités, & il semble que ce soit par un dessein cruel ; mais observez combien il est doux ensuite de vivre avec un objet dont tous les mouvemens tendent à notre plus grande félicité. Ce bonheur dépend de notre choix, & il ‘y a point de femme pour qui il n’y ait un honnête-homme sur la terre. S’il est difficile de le trouver, il est bien doux dans la suite de l’avoir choisi. Quelles sont les peines qui ne deviennent pas des plaisirs quand on pense qu’elles ont été les degrés par lesquels on est parvenue à un haut degré de bonheur ! Je sçais que Kremur a le défaut de la légéreté, mais il deviendra constant avec vous, parce qu’il ne trouvera dans votre cœur & dans votre esprit, que des choses qui confirment cette idée de perfection qu’il s’est formée de l’un & [311] de l’autre. Convenons-en, ma chere ; cette humeur volage que nous reprochons aux hommes, n’est ni un crime volontaire, ni un crime impardonnable ; ils seroient plus fideles s’il y avoit dans le monde moins d’objets aimables, & moins d’objets imparfaits. Depuis que vous êtes dans le monde avez-vous vû bien des femmes dignes de fixer un honnête-homme ? Vous les compteriez aisément ; mais en revanche vous ne compteriez pas celles qui méritent de toucher un moment. Nous donnons d’abord tout à l’art, & cet art est enchanteur ; il produit son effet ; on nous rend des hommages, on nous fait des sermens, & généralement ils sont sinceres ; voilà toutes les femmes convaincues qu’ellessont <sic> aimables, & jusqu’à un certain point même autorisées à exiger des gages constants de la vérité de leur triomphe ; mais comme c’est par l’art qu’elles ont plû, il faut du moins que cet art subsiste sans diminution, autrement [312] les hommes verront deux choses ; l’une qu’ils furent trompés ; l’autre, qu’on ne les juge plus même dignes de l’être, & alors ils seront dégagés de la fidélité que leurs sermens leur imposoient. Les femmes ne raisonnent point sur ce principe ; aussi leurs plaintes étourdissent les hommes inconstans, sans attirer dans leur parti les honnêtes-gens plus capables de solidité. On les quitte sans remords, parce qu’en amour ce n’est que le sentiment de l’ingratitude qui en donne, & qu’on n’est point ingrat dès qu’on ne doit plus croire qu’on est aimé. Kremur en trouvant chez vous mieux que cet art que je conseille, & en voyant se renouveller chaque jour les preuves du sentiment qu’il vous a inspiré, sera constant toute sa vie. Il me faisoit hier sa confession, & en remontant avec lui jusqu’aux sources de cette inconstance qui vous fait trembler, je découvris des preuves de la fidélité dont il est capable, dans la lé-[313]géreté que vous lui reprochez. Je vis qu’il n’avoit jamais changé que parce qu’il ne croyoit plus être aimé ; or vous avez de quoi le fixer pour jamais puisque vous êtes née si capable de constance ; & si vous veniez malheureusement à cesser de l’aimer, vous êtes assez honnête-femme pour mettre alors l’art à la place de l’amour, & de cette façon vous ne sçauriez jamais le perdre.

En rassemblant tout ce que je viens de dire, il devient nécessaire que vous cessiez de désesperer un homme qui vous adore. Vous avez fait tout ce que la prudence pouvoit exiger ; & si vous persistiez, ce seroit trop ; la raison prendroit le nom de barbarie. Toutes les vertus ont leur terme, après lequel est la folie ou l’inhumanité. Vous m’avez donné cent fois des conseils qui ne partoient pas d’un principe aussi certain ; je les ai respectés, & vous sçavez que pour les suivre j’ai quelque-[314]fois été obligée de sacrifier des sentimens très-doux & très-impérieux ; au lieu que dans cette occasion, tout le sacrifice qu’il y a à faire, c’est d’écouter des sentimens tendres que vous avez gravés dans le cœur. J’espere que vous vous rendrez à mes raisons & à mes prieres ; c’est pour votre bien que j’agis, vous ne me verrez jamais penser autrement ; mais vous ne me verrez jamais agir avec modération, lorsque je serai convaincue qu’une molle condescendance pour vos opinions, vous feroit perdre le fruit de mon amitié. Les vrais amis sont rares ; les amis utiles le sont encore plus ; c’est la faute de l’esprit qui est timide ou paresseux ; on craint de déplaire, ou l’on suit la peine d’importuner ; dans le premier cas, c’est un tort de l’amitié qui donne plus à la prudence qu’au sentiment ; dans le second c’est un trahison de l’amitié qui fait connoître par-là qu’elle ne veut être aimable que par l’agréable, [315] & qu’on ne doit point compter sur elle pour l’utile. J’aurai toujours d’autres sentimens, & les défauts que j’ai remarqués dans les amis jusqu’à présent, au lieu de me corrompre, me serviront de regle, & m’apprendront à mieux aimer.

Si j’étois capable de m’instruire & de devenir plus habile & meilleure que je ne suis, je ferois un grand profit de tout le détail que vous m’envoyez au sujet du Spectateur. Vous avez dû, en l’écrivant, penser mille fois à moi, & souhaiter que je pensasse comme lui. Certainement cet homme a la bonne philosophie : il ne fait pas plus d’honneur aux hommes qu’ils ne méritent, & l’on voit cependant qu’il n’est nullement ennemi de leur société. Il faut penser ainsi, ma chere, pour être heureux ; la haine est orgueil, & nul de nous n’est assez parfait pour avoir le droit de s’y livrer par un principe de mépris : elle est imprudence ; car nous [316] avons besoin les uns des autres, & souvent des personnages les plus odieux ; & certainement nous les animerons d’une cruelle fureur contre nous, si par notre mépris & notre aversion, nous venons à leur faire soupçonner qu’ils ne méritent pas des sentimens plus flatteurs. Les plus haïssables sont les plus vindicatifs. Les hommes en cela comme en tant d’autres choses, ressemblent parfaitement aux animaux. Parmi ces derniers, n’avez-vous pas remarqué que ce sont les plus dangereux, les plus horribles qui se révoltent & se vengent avec le plus de fureur, quand on veut les fouler ! La même chose chose <sic> doit vous avoir frappée dans l’espece humaine ; ainsi plus notre haine pour les hommes pourroit nous paroître raisonnable & légitime, plus elle est dangereuse pour nous ; & certainement cette réflexion doit nous rendre indulgent, ou nous forcer du moins à le paroître. [317]

Vous serez étonnée de me voir des idées si sages, après m’avoir vû résister si long-tems à la sagesse des vôtres : c’est votre Spectateur qui a fait ce miracle. Vous n’en serez pas jalouse ; vous m’aimez trop pour considerer autre chose que mon bien dans ce qui tend à me le procurer. Vous me verrez donc à l’avenir cette belle humeur que vous m’avez tant souhaitée ; je ne parviendrai peut-être d’abord qu’à pouvoir la feindre avec un certain art, mais insensiblement elle deviendra naturelle comme l’est la résolution qui me porter <sic> à m’y résoudre. Les bonnes maximes se gravent tôt ou tard dans le cœur, & alors il n’y a plus que du plaisir à les suivre ; l’essentiel est d’y reconnoître l’avantage qu’elles nous annoncent, & ma pénétration peut bien aller jusques-là. Vous me direz qu’elle a bien tardé à se développer ; je répondrai que pour la raison comme pour la fortune, il y a un moment qu’un je ne [318] sçais quoi, qu’un être indéfini recule autant qu’il veut ; mais que ce moment une fois arrivé, dure autant que la vie quand il est venu tard ; & j’aurai fait une réponse très-sensée, très-sincere & très-consolante pour vous, puisque mon intérêt vous touche si particulierement : soyez donc persuadée que vous ne me reconnoitrez plus quand vous reviendrez. Vous me verrez rire ou me taire du moins sur mille choses qui me donnoient de l’humeur, & vous serez convaincue qu’il n’est jamais inutile de parler raison à ceux qui ne sont point encore assez malades ou assez dépravés pour la regarder comme une tyrannie. Remerciez bien votre ami de l’abondance de bénédictions qu’il a répandues sur moi ; dites-lui, que quoique je me promette un très-grand plaisir à en profiter tout le reste de ma vie, mon intérêt ne m’occupe pas seul en ce moment ; & que je suis également occupée du desir de pouvoir [319] lui en montrer un jour ma reconnoissance, en lui confiant les choses qui pourront me frapper, à présent qu’il m’a appris à bien voir.

Pour m’acquitter envers vous de l’obligation que j’ai contractée en me félicitant de la longueur de votre épître, je vais vous griffonner quelques pages qui voudront peut-être la peine d’être lûes. Metatextualität► C’est une aventure que j’ai à vous raconter ; vous les aimez quand elles peignent des caracteres ? & je trouve comme vous que l’on gagne à s’en meubler la tête, parce qu’elles servent à faire connoître le <sic> hommes, mieux que tous les traités de morale.

Vous pouvez la regarder comme très-vraie ; ce n’est pas à vous que je voudrois faire des contes ; vous y reconnoîtrez d’ailleurs la vérité à chaque page. Avec ce caractere elle ne seroit pas échappée au Spectateur si elle étoit arrivée à Paris. Mais l’honneur en étoit réservé à notre ville ; & c’est ainsi que [320] presque toujours les choses paroissent être déplacées par un ordre de distribution auquel il est quelquefois impossible de rien concevoir. Voici le fait. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► La Marquise de Saint-Aulon étoit à sa campagne, & nous y avoit menées la petite Bofféte & moi. Vous connoissez peu la Marquise ! Mais croyez d’après une femme qui fut long-tems sans la pouvoir souffrir, qu’il n’y a pas deux femmes plus aimables dans le monde. Sans être prude, elle déteste la fatuité, & c’est un mérite dont on ne sçauroit trop la louer, car aujourd’hui les femmes sont ou prudes ou coquettes, & conséquemment insociables ou indécentes. Tous les hommes se plaisent avec elle sans espérer de lui plaire ; elle a le don de les amuser ; & ils n’exigent d’elle que sa présence. Elle n’a sur-tout jamais d’humeur ; il faudroit des intentions bien mauvaises & bien marquées pour lui en donner ; aussi est-elle exposée à plus d’impor-[321]tunité qu’une autre ; on l’accable quelquefois, on la tourmente ; il faudroit qu’elle pût être par-tout, & se reproduire sans cesse ; mais elle se prête à tout avec une patience si philosophique, que l’ennui même, en elle, devient agrément. Elle est quelquefois très-plaisante, & elle le seroit bien davantage & bien plus souvent, si une certaine humanité raisonnée ne la retenoit ; elle sçait & elle sent peut-être que la plaisanterie est comme un penchant qui conduit à la méchanceté, & elle se refuse mille choses charmantes pour ne pas risquer d’en dire qui cessent de le paroître. Elle fit quelque chose l’autre jour dont le récit vous amusera infiniment, & qui ne peut jamais lui attirer que des louanges ; j’ai vû qu’elle se le seroit reproché, si nous n’avions pas épuisé notre rhétorique à la rassurer. C’est précisément l’aventure que je vous ai annoncée, & je vais vous la raconter. [322]

Vous sçavez que nous avons ici un Régiment en garnison depuis votre absence ! Le Marquis de Saradon en est Colonel, & ce Marquis est un des chefs de cette secte maudite qu’on appelle fats en langue vulgaire, & que vous comparez ingénieusement à des canons braqués contre tout ce qui est honnêtes-femmes. Pour vous le peindre mieux, ou satisfaire, si vous voulez, à la fureur que j’ai de dire du mal de sa secte & de lui, c’est un de ces étourdis brillans qui toujours prévenus par les femmes, sont parvenus à croire que l’attaque la plus vive est la seule qui leur plaise. Leurs soins sont des offenses. Jamais sensibles, toujours ingrats, incapables de le borner aux conquêtes dont ils peuvent être flattés ; voulant tout séduire ; employant pour y réussir, plutôt même les défauts qu’ils n’ont pas, que les qualités qu’ils ont ; tyrans de leurs maîtresses ; plus cruels, plus redoutables encore pour les fem-[323]mes qui ont le courage de leur résister, que pour celles qui leur cedent ; affichant & les faveurs qu’on leur accorde, & celles qu’on leur refuse, mais se conduisant toujours de façon que le femme qu’ils épargnent le moins, est précisément celle qui par sa résistance s’est rendu digne d’un plus grand respect : tels enfin qu’on ne peut jamais se soustraire à leur méchanceté, & que la femme qui les déteste le plus, est souvent contrainte de céder à leur fatale envie, pour s’épargner de plus grands maux.

Parmi toutes les femmes qui pouvoient le tenter ici, il a sur-tout distingué Madame de Saint-Aulon, & nous avons tous vû cette distinction. Elle m’en fit part, & je me souviens que je lui répondis que pour rien au monde je ne voudrois être à sa place ; je lui disois ce que je pensois, mais ce que je pensois partoit d’une ame timide & paresseuse, qui ne voit que des [324] dangers dans ce qui peut troubler le repos, ou compromettre la vertu. Madame de Saint-Aulon plus courageuse que moi, parce qu’ayant été plus souvent attaquée, elle a mieux appris à se connoître, me rit au nez & me dit, cet homme-là n’est pas si redoutable que vous vous l’imaginez ; dans huit jours je vous aurai appris combien il est facile de lui résister. Elle m’a tenu parole, mais j’avoue que j’ai tremblé vingt fois pour elle. Je pourrois dire que c’est elle-même qui l’a attaqué ; le front audacieux qu’elle montroit le rendoit petit devant elle ; au bout de deux jours il n’avoit plus que la moitié de son talent ; cependant je la croyois exposée, parce que je m’imaginois que le Marquis plus inventif, plus maître de son ame, gardoit ses meilleures armes pour les derniers momens. Elle me disoit quelquefois, je vais rendre cet homme-là ridicule à jamais, il ne pourra plus se montrer, & j’en ai du regret, [325] car c’est lui faire un grand mal. Je riois tout haut avec elle ; mais tout bas, je me disois, il faut voir jusqu’à la fin : j’ai vû enfin, & mon admiration pour elle, est aujourd’hui si grande, que je la verrois prête à tomber dans les bras d’un homme, sans sentir la moindre allarme. Le Marquis lui demanda un rendez-vous, elle le lui accorda, & ce fut avec tant d’audace, que je crois, d’honneur, qu’elle le lui auroit offert. Elle me fit placer dans une petite piece voisine de son cabinet, & leur conversation fut si singuliere qu’elle mérite bien de vous être rapportée.

Eh bien, Madame, ce persiflage, cette méchanceté dont vous m’avez soupçonné, les croyez-vous encore réels ! Vous me voyez à vos genoux ; est-ce assez vous prouver que je vous aime ! Oui, Monsieur, par-tout ailleurs qu’ici je croirois que je <sic> vous m’aimez ; mais les lieux & les instans sont notre confiance ou notre crainte. Dans [326] mon salon, votre empressement me rassureroit ; dans mon cabinet je vous reproche d’en manquer. Je connois l’importance de ma démarche, je sçais qu’elle exige de moi d’humiliantes réflexions ; & quand vous m’y abandonnez, quand vous laissez au fatal honneur le droit de me déchirer, je dois vous accuser de mon trouble, & me repentir de ma facilité. Mais, Madame, il n’y a point de facilité en cela ; faut-il des siecles pour se rendre ? Faut-il des conditions écrites ? Nous nous plaisons ; voilà nos conditions ; elles sont écrites dans nos yeux, & nous n’avons point d’autres loix à reconnoître. A l’égard de mon empressement, je vous jure qu’il est extrême. . . . . . Vous conviendrez de moins qu’il n’est pas prouvé, reprit-elle. Mais prouvé, répondit-il, comment l’entendez-vous ? Voulez-vous que je vous brusque ? Je crois que vous me le pardonneriez difficilement. Il faut d’ailleurs se confor-[327]mer aux usages, & vous sçavez qu’aujourd’hui on ne brusque plus. Ne vaut-il pas mieux préparer un bonheur qui se forme des instans & des difficultés. . . . Ah, Monsieur, ces raisonnemens sont beaux, mais une femme que l’oubli de son devoir réduit à la nécessité de s’oublier elle-même, de s’égarer, de se fuir, n’a plus ces idées délicates, qu’elle adore & qu’elle exige quand elle commence à s’enflammer. Je vois quand vous vous y livrez, que vous êtes bien peu capable d’aimer, ou que vous me croyez bien incapable de rougir. . . . . Voilà d’étranges conclusions contre moi ! reprit-il ; en vérité, je n’aimois déjà pas trop la vertu, mais vous achevez de me brouiller avec elle. Quoi, de ce que je vous respecte, vous concluez que je vous aime foiblement ! Ayez des préventions plus consolantes pour moi, moins injurieuses pour vous. . . . . . Non, Monsieur, [328] on ne se prévient pas à son gré, & vous ne méritez pas que je fasse des efforts pour vous chercher des excuses ; je me suis livrée à la confiance, vous m’en punissez. Soyez persuadé que le coup dont je me sens frappée, me sera toujours sensible. Elle se leva à ces mots pour sortir. Il courut vers elle pour l’arrêter. Non, Monsieur, encore une fois, poursuivit-elle : vous ne pouvez plus me persuader ; je rougis de ma démarche & beaucoup plus de mes reproches. Vous m’avez réduite à m’humilier par toutes les choses qui pouvoient vous donner de l’avantage sur moi, & aucune ne vous a touché ? Je vois que vous n’avez songé qu’à vous faire un triomphe extraordinaire, & je dois vous abhorrer. Vous connoîtrez que tous mes sentimens sont extrêmes. . . . . . . Il se jetta à ses genoux, & voulut employer tout à la fois le désespoir & la violence, mais elle lui échappa, & il [329] resta pendant un quart-d’heure immobile sur le parquet, dans la posture où elle le laissoit.

Je la rejoignis & nous rîmes beaucoup de cette comédie. Mais le Marquis n’étoit nullement disposé à en rire. Le soir lorsqu’il la revit, il avoit l’air d’un homme consterné. Elle m’avoit prévenue sur un nouveau projet qu’elle venoit de former, & elle l’exécuta fort bien. Il s’agissoit de l’enflammer d’une passion plus ardente, & de lui inspirer une nouvelle confiance. Elle commença par paroître écouter favorablement les excuses qu’il se croyoit obligé de lui faire ; ensuite elle lui laissa esperer qu’elle consentiroit à faire une nouvelle épreuve de son amour. Il le crut, & tous ses soins furent employés à accélérer cette épreuve flatteuse. La fatuité disparut. C’étoit où la Marquise vouloit l’amener ; elle souhaitoit qu’il pût devenir plus digne de ses coups, pour l’y voir plus sensi-[330]ble. Au bout de quatre jours elle prétexta un voyage nécessaire dans une maison où il lui étoit impossible de le mener. Il apprit cette nouvelle avec beaucoup de douleur ; pour le consoler, c’est-à-dire, pour rendre le succès de son projet plus complet, elle lui promit de lui écrire dès qu’elle seroit arrivée. Son exactitude fut telle que vous la pouvez imaginer. Metatextualität► Elle lui écrivit cette lettre, & m’en envoya une copie. ◀Metatextualität

Ebene 4► Brief/Leserbrief► « J’ai promis de vous écrire, je tiens parole. Mon exactitude ne fera pas sur vous l’effet que vous vous êtes promis ; j’en suis fâchée, d’autant plus, que les premiers momens de dépit passés, vous serez forcé de n’en accuser que vous-même. . . . . Vous comptiez sur des faveurs & ce sont des conseils que je vais vous donner. Le mécompte doit vous paroître considérable ? Mais, tout bien considéré, vous pouvez y gagner. Les [331] faveurs passent ; elles entraînent avec elles un inconvénient inévitable ; on les gâte par l’usage qu’on en fait, & d’un autre côté, elles échappent si l’on ne sçait en faire usage. Les conseils ont un caractere plus estimable. Ils font sur l’ame une impression qui en éternise le mérite. Dans quelque tems qu’on veuille les mettre à profit, on est sûr de leur trouver le même prix ; ils ne vieillissent jamais, & plus l’usage qu’on en fait est constant, plus on ajoute à leur utilité. . . . . J’entre en matiere : quoique je ne sois pas persuadée que les préambules vous excedent, je craindrois qu’un plus long verbiage ne vous impatientât, & il y auroit de la cruauté à vous préparer à la douleur par l’ennui.

Je débuterois par quelques représentations sur le systême de fatuité que vous vous êtes fait, si ce n’étoit au Marquis de Saradon que j’écris : [332] je vous dirois par exemple que pour réussir dans ce genre, toujours aussi difficile que condamnable, il faut plus d’esprit & d’audace que vous n’en avez : mais ces observations qui conviendroient à un simple particulier, seroient déplacées vis-à-vis d’un homme dont la haute naissance le dispense en quelque façon d’être bien ce qu’il est. Je passe donc à des réflexions plus nécessaires & par conséquent plus raisonnables. Vous avez cru jusqu’ici que la fatuité étoit un moyen infaillible pour réussir auprès des femmes ? Vous ne pouviez guere vous entêter d’une idée plus fausse. Un fat est toujours un sujet bien commun pour les femmes à sentimens ; vous sçavez cela comme moi, aussi n’est-ce pas à celles-là que vous vous adressez. Quant à celles dont vous êtes reçu favorablement, quelqu’ascendant que les faux attraits de la fatuité puissent avoir sur leur esprit, [333] ce goût n’aide jamais assez à leur défaite pour y suffire absolument. Il faut les séduire pour les vaincre parfaitement. Or, comment un fat, qui toujours aussi léger que leurs idées, est toujours emporté par de nouveaux desirs, pourra-t’il conduire à la séduction la femme même qui le touche le plus ? Pour séduire il faut connoître ; pour vaincre il faut agir : il n’a le tems ni de l’un ni de l’autre ; occupé du seul desir d’étendre sa gloire, le singulier l’entraîne, l’essentiel lui échappe ; aussi son empire est-il placé sur les ailes du tems.

Voilà votre état ; voici le mien. Je voudrois être née assez patiente pour vous donner le tems d’éprouver auprès de moi la sagesse de mes conseils : mais mon caractere s’y oppose entierement : tout ce que je peux faire pour vous, c’est de vous [334] avouer que vous ne les devez pas à ma générosité. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4

Vous concevriez difficilement la situation du Marquis, si je n’aidois un peu à votre imagination. Je ne l’aurois pas conçue aisément moi-même s’il ne m’avoit pas fait l’honneur de me mettre dans sa confidence par un mouvement de fureur qui ne peut se rendre. Elle a cru me braver, me dit-il ; elle me connoîtra ; elle sçaura que le plus hardi dessein secondé de la plus heureuse exécution, n’est pas capable de m’intimider. Je bénis le Ciel de son étourderie ; je ne la connoissois pas ; elle me jouoit, & j’étois séduit ; mais en un moment elle me désabuse & s’offre à ma vengeance ! Je sçaurai la punir d’une confiance téméraire ; mes forces sont au moins égales aux siennes, & elle ne m’aura pas appris en vain le chemin de son cœur. . . . . . [335]

Je l’écoutois avec doux plaisir, & j’étois prête à éclater de rire. Le châtiment d’un fat est un délicieux spectacle quand son courroux s’en mêle. Je vis qu’il me regardoit & que j’allois être prise à partie ; je me fis la violence de me contraindre, pour être en état de lui parler. Je vous crois bien de l’esprit & bien de l’invention, lui dis-je, mais le chemin de son cœur me paroît si difficile à trouver, que je doute en vérité. . . . Oh, je ne menace ici que son amour propre, répondit-il ; je juge qu’elle en a beaucoup ; elle a voulu le satisfaire à mes dépens ; elle s’est promis un grand triomphe à tromper les desirs d’un homme qui lui-même se surpassa toujours à tromper ceux qu’il faisoit naître ? Mais si j’ai bien lû sa lettre s’est ôté la ressource du succès ; cette lettre peint des sentimens qui peuvent la deshonorer ; on y voit une femme emportée que mon indif-[336]férence a trompé, & je n’ai qu’à en faire courir des copies pour la perdre dans le monde. . . . Ce moyen seroit bien imaginé, lui dis-je, mais par malheur elle s’est mise hors d’état de le craindre : de cinq femmes que nous étions chez elle, il y en a quatre qu’elle avoit instruites de tout son projet ; & de ces femmes, je vous proteste qu’il n’y en a pas une qui ne soit disposée à parler en sa faveur. . . . Je sçais assez de quoi vous êtes toutes capables, dit-il en se retirant ; aussi portées à vous détester, qu’ardentes à vous servir, vous vous liguez d’un clin d’œil, & les plus grandes horreurs obtiennent votre plus ardente protection ; mais nous verrons, Madame, nous verrons ; le monde est fait à ce manége indigne, & n’en est plus la dupe ; & encore une fois nous verrons ; comptez sur ce que je vous dis, nous verrons. [337]

Il disparut, & j’avoue qu’il ne me laissa pas sans crainte. Cependant il n’a rien fait, ou du moins nous n’avons entendu parler de rien. Un de ses amis qui est dans nos intérêts, nous a protesté qu’il lui avoit fait entendre raison. ◀Allgemeine Erzählung A présent que nous sommes de sang-froid, nous souhaitons que cela soit vrai ; car les moindres aventures font toujours trop de bruit. Mais j’ai bien de la peine à croire qu’il soit résolu à se taire ; il est bien difficile qu’un fat puisse pardonner. Nous verrons ce qui en arrivera, & j'aurai soin de vous en instruire. Adieu.

Metatextualität► P.S. J’allois faire la sottise de cacheter ma lettre sans vous apprendre que mon mari gagna avant-hier son procès. Vous ne lui devez plus aucune amitié, puisqu’il s’est payé d’avance de tous les sentimens dont vous étiez capable pour lui, par le [338] plaisir de vous outrager. Je vous prie cependant de lui écrire, & d’éviter même que cela sente le compliment. Vous le connoissez ? il voudroit que je fusse votre juge, & je ne veux pas me mettre dans la nécessité de mentir, en vous condamnant. ◀Metatextualität ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 [339]

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Réponse

Metatextualität► à la Marquise. ◀Metatextualität

Votre aventure m’a fait rire jusqu’aux larmes ; on pourroit en faire une excellente comédie : un homme qui est fat, qui ne l’est plus, qui devient furieux, qui est timide, qui adore, qui enrage ; une femme qui paroît se jetter dans des brasqui <sic> ne la reçoivent point ; qui ne dit rien que d’indécent & n’a rien que d’honnête, qui s’emporte par un dépit dont elle invente toutes les raisons, & avec un art qui éclipseroit le talent de la meilleure coquette ; qui se plaint d’être respectée, à qui on dit, voudriez-vous que je vous brusquasse  & qui n’est pas encore contente de cette excuse honnête : une amie qui écoute tout cela, qui voit toute cette scene par l’ouverture d’une porte, & qu’on voit rire comme une [340] folle à travers cette porte ; une action très-rapide & point pressée ; un dénouement qu’on prévoit & qui n’est point précipité. Tout cela encore une fois, un peu plus étendu & rendu un peu plus théatral, seroit une excellente comédie, un drame très-moral & très-ingénieux. On pourroit l’intituler le Fat Corrigé. Mais il faudroit y faire entrer la conversation que j’entendis, à la campagne, il y a quelques jours ; car comme vous je voyage & je vois des fats.

J’étois chez une femme de finances, très-aimable, très-jolie, & encore plus espiegle. Nous nous sommes prises l’une pour l’autre de la plus belle amitié, & je suis de toutes ses parties qui sont presque toujours très-folles. Elle attendoit le Comte de Tucicourd. C’est un jeune homme brillant, plein d’idées, plein de saillies, plein de prétentions, mais bien élevé, instruit, sçavant même, & qui peut-être auroit [341] eû du bon sens s’il avoit eû moins d’esprit. Les femmes l’ont gâté ; ou plutôt il a tourné la tête aux femmes par son mérite ; & le plaisir, la renommée, l’éclat de son bonheur, ont tourné la sienne. Il ne fait ou ne dit généralement rien que d’extravaguant ; mais quand on peut l’amener à raisonner sans conséquence, comme il dit, on voit un homme qui pense beaucoup, qui voit bien, qui même connoît l’amour, & qui peut-être finira par lui, s’il peut être un jour malheureux.

Mon amie l’attendoit depuis quelques jours, comme je viens de dire, & n’espéroit plus de le voir arriver. J’étois seule avec elle lorsqu’on l’annonça. Elle fit un cri à cette nouvelle qui fut entendu du Comte, & qui seul eût suffi pour faire un fat d’un homme modeste. Madame de * * *, n’est cependant ni coquette ni sotte ; elle a même un secret mépris pour la fatuité, mais elle veut être du grand monde ; [342] & sentant que son état l’en exclut ; jugeant que des financiers & des gens de qualité ne sont pas faits pour rouler dans le même tourbillon ; & que ceux-ci ne quitteroient pas leur place pour descendre dans les rangs inférieurs, s’ils n’étoient attirés par des agaceries & des complaisances plus réelles ; elle passe sa vie à caresser le ridicule, & à se surmonter elle-même en paroissant faire plus de cas de ceux qui s’y surpassent le plus.

Eh, bonjour, dit-elle au Comte en le voyant entrer ; en honneur je ne vous attendois plus ; vous êtes un méchant homme, & je vous condamne à nous dire où vous étiez. Ma foi, dit-il, j’étois chez le Duc ; je comptois y passer trois heures ; j’y ai passé huit jours, & cela prouve bien que le sort des hommes est quelque chose d’étrange. Huit jours ! s’écria mon amie ; l’avez-vous pû, en pensant que l’on vous attendoit ? Je ne le devois pas, répon-[343]dit-il, & j’en enrage aujourd’hui ; mais alors je ne pouvois faire que d’inutiles réflexions, & même en prévoyant que j’en serois furieux, il falloit que j’óbéisse à ma destinée. Quelle a donc pu être la raison de cette singuliere résignation ? La Baronne, répondit-il ; elle y vint dîner, le jour que j’y étois allé dîner moi-même ; & tout de suite me rappellant le mal que j’en avois dit cent fois, la tête me tourna pour elle. Vous sçavez bien les horreurs que j’ai débitées sur son compte, les affreux tours que je lui ai joués ?. . . . Oui, reprit Madame de * * *, je sçais qu’on peut appeller cela hardiment du mépris & de l’infamie ; eh bien, j’ai voulu l’avoir ; mes remords sans doute ont fait ma foiblesse ; mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que huit jours ont à peine suffi pour me la soumettre. Quel conte ! poursuivit-elle ; quoi, vous, huit jours pour réduire une femme sans défense & sans esprit ! Ce n’est [344] pas un conte, répondit-il ; je sçais que cela passe le roman le plus hardi ; mais cela est, & si vous en doutez. . . . . Eh bien, reprit-elle, voilà de ces choses où l’on ne conçoit rien : huit jours ? Il falloit donc qu’elle craignît de vous aimer, ou ce qui n’est pas moins vraisemblable, qu’elle eût dix affaires à régler : rien de tout cela, Madame ; vous lui donnez de l’esprit, de la prudence, de l’ordre, & elle ne connoît toutes ces belles choses que de nom ; vous le sçavez bien. Elle vouloit m’afficher, projet sensé & qui paroît tenir de l’esprit, mais que l’humiliation & le dépit lui inspirerent tout naturellement ; pour cela, il falloit qu’elle différât de me prendre ; plus de facilité eût nui au plan de sa vanité, car elle sçavoit bien que je la quitterois dès que je l’aurois soumise. Mais, poursuivit-il, c’est trop s’arrêter sur une bagatelle ; comment vivez-vous ici ? Avez-vous bien du monde, & vos [345] femmes sont-elles traitables ? Vous en jugerez, répondit mon amie ; je crois que vous vous y souffrirez : tout le monde vous desire, & la charmante d’Ozincour sur-tout. Elle est ici depuis trois jours. Quoi, elle ici ! reprit le Comte ; ah, cela est trop divin ! Mais où donc est-elle ? Je brûle de la voir ; on ne parle que d’elle dans le monde, on en dit des merveilles ; & quoique nous nous connoissions peu, je gage, à de certaines idées que j’ai à lui communiquer, que demain nous serons assez bien ensemble. Demain ! reprit Madame de * * * ; je doute, (si ce que vous avez à lui dire n’est pas du dernier frappant,) qu’elle soit sitôt convaincue : demain est un terme bien court. Bon, répondit-il, un terme bien court : seroit-elle devenue plus intraitable depuis qu’elle est avec vous, & le mauvais exemple. . . . Ce n’est pas lui ici qui me feroit craindre des longueurs de sa part, poursuivit-elle en [346] riant : eh, qu’est-ce donc, demanda-t’il ; c’est continua-t’elle, à parler, sans figures, que plus une femme rusée, ou simplement raisonnable, entend ce qu’on lui dit, moins elle doit se presser de répondre. La belle idée ! repartit le Marquis : vous verrez que pendant la route que j’ai faite pour venir ici, l’esprit a changé de nature, & que ce qui étoit hier un moyen assuré, pour une femme, d’étendre sa gloire, n’est plus aujourd’hui qu’un obstacle à ses plaisirs ? Eh ! dites-moi, je vous prie, Madame la Platonicienne ; s’il arrive que pour s’expliquer avec plus de dignité, on n’ait plus rien à répondre : que deviendra cette femme à qui on aura malheureusement inspiré une envie extrême de parler ? Les applaudissemens d’une conscience prude suffiront-ils à sa vanité désolée ? Et si, comme cela arrive tous les jours, elle avoit d’autres mouvemens encore à satisfaire, suffira-t’il des plates délica-[347]tesses des ra raison pour la dédommager de la violence qu’elle aura faite à son esprit ? Car cela est très-possible : un homme n’est pas payé pour attendre ; aujourd’hui on n’attend plus, excepté dans des cas extraordinaires ; & comme nous ne desirons une femme que parce que nous la croyons facile, nous nous en dégoûtons sur le champ si nous lui trouvons trop de géometrie dans la tête : cependant nos premiers regards, ou, si vous voulez, nos premiers soins nous auront soumis cette femme ; elle souhaitera intérieurement l’instant de sa défaite, & se rendroit malheureuse si, pour paroître plus respectable, elle résistoit au plaisir d’être séduite ; & vous voudriez que pour un vain phantôme de gloire, qui même aujourd’hui n’est plus respecté, elle s’exposât héroïquement à une semblable catastrophe ? Oh, ne vous en déplaise, c’est trop exiger de la nature humaine, & elle n’est nullement capable des sublimes [348] raisonnemens que vous voudriez lui prêter. . . . .

J’ai entendu toute cette belle conversation, chere amie, & je ne conçois pas comment j’ai pu me la rappeller si fidelement ; car vous sçavez que je n’aime point ce langage dangereux & facile. Je crois que c’est le mépris que vous m’avez donné pour votre fat, qui a fait revivre le mien dans ma mémoire. Il vous a en ce cas une grande obligation, car il ne méritoit que l’oubli.

La lettre que vous trouvez ci-jointe est telle que vous pouvez hardiment la présenter à votre mari. Je suis trop incapable de me faire un mérite des choses qui ne m’ont rien coûté, pour recevoir vos remerciemens, lorsque vous l’aurez lûe ; ainsi vous êtes très-fort dispensée de m’en faire. J’ai écrit ce que le cœur m’a dicté ; il me parlera toujours pour lui ; vous en sçavez la raison ; raison douce & puissante, & [349] qui durera autant que mes jours. J’ajouterai que personnellement il mérite les sentimens que je lui témoigne ; il m’a toujours reproché de ne les sentir pour lui qu’à cause de vous, mais il ne m’a jamais connue à cet égard non plus qu’à bien d’autres. Je sens que son idée est placée très-distinctement dans mon esprit ; & j’éprouve très-bien que lorsque je pense à lui ce n’est jamais qu’avec plaisir ; toutes nos querelles n’ont jamais été qu’un jeu ; & quand il a eu quelques petits torts réels, j’ai senti alors même que je l’aimois, & que l’amitié seule me les rendoit sensibles.

Je n’ai jamais éprouvé la même chose au sujet de Perigny. Il a toujours été pour moi un de ces hommes qu’on laisseroit mourir sans les regretter, ni les plaindre ; il me déplut dès la premiere fois que je le vis ; je le connus ensuite, & je jugeai que je pouvois le haïr sans compromettre ma conscience ; aussi ne [350] m’a-t’elle jamais parlé pour lui. Je ne lui ai jamais rien pardonné, quoique j’aie vû souvent qu’il se repentoit de bonne foi ; il a été toujours plus fort que moi de considerer philosophiquement l’audace de son amour ; je lui en ai fait un crime, parce que je sentois que je m’étois assez expliquée pour voir finir cette importunité, s’il n’avoit eû dessein de me braver par sa constance. Je le haïssois de m’aimer, encore plus d’esperer de me plaire, encore & beaucoup plus d’esperer de me subjuguer ; enfin je le haïssois de tout, & vous conviendrez qu’on ne peut s’empêcher de rendre cette pleine justice à un homme qui est faux & qui veut plaire, qui est froid & qui veut aimer ; dont les sentimens les plus vifs ne seroient jamais que des projets, tant il s’aime lui-même ; & qui se sert de tout, qui emploie tout, qui est toujours farci de ressources & d’expédiens pour obtenir les plus petites choses, [351] comme les plus importantes. Je ne me suis jamais bien expliquée avec lui, je lui ai toujours fait l’honneur d’employer le moyen poli de l’ironie, pour me faire entendre, mais je profiterai pour m’en dédommager, de l’occasion qu’il m’offrira en m’écrivant, si jamais il a cette audace, & vous pouvez compter que je ne serai pas exposée à une seconde explication. Votre belle ame trouvera peut-être que tout cela est bien sévere, & me reprochera ma réponse, en goûtant cependant le plaisir de lire des horreurs : je répondrai à votre belle ame, si cela arrive, que mon mauvais cœur, tout mauvais qu’il est, est cependant capable des plus tendres sentimens, quand on mérite de lui en inspirer ; & je vous prierai de considerer la vive amitié que j’ai pour vous, pour vous apprendre à mieux juger de moi.

Mais ce long épanchement m’a fait presqu’oublier de vous féliciter du [352] gain de votre procès. Devenez riche chaque jour ; votre amie malgré son mépris pour l’argent, trouvera très-doux de voir s’accumuler les titres & les domaines dans votre empire. Elle cesseroit demain de vous aimer l’un & l’autre, si cela-étoit possible, qu’elle trouveroit très-juste que vous fussiez plus riches que personne. Vous faites si bien les honneurs de votre fortune, que la providence est intéressée à veiller à son accroissement continuel. Elle trouvera insensiblement, par votre prospérité, le secret de faire taire ces malins esprits qui soutiennent mal-à-propos que la distribution des biens est généralement injuste : vous êtes assurément si aimables, si bons, si généreux, que les trente mille livres de rente dont vous jouissez, suffisent pour renverser tout le fondement de ce systême ; mais ce n’est pas assez ; il faut que la providence en augmentant encore votre fortune, & l’égalant [353] enfin à votre mérite, prouve qu’elle est calomniée par les mécontens qui la jugent, & qu’elle veille sur les honnêtes-gens pour les accabler de biens.

Je crois, ma chere, que je suis un peu du nombre de ces honnêtes-gens dont je parle ; car par une succession de miracles, je viens d’être traitée très-doucement par la fortune, ou, pour mieux dire, par la providence. Mes affaires ont pris un cours merveilleux depuis le mois passé, & je me flatte d’être en état de partir dans trois semaines. Je répondrai alors très-confidemment à tout ce que vous m’avez écrit au sujet de Kremur ; je suis obligée de differer jusqu’à ce moment une confidence très-agréable & que je voudrois faire aujourd’hui, mais que je refuserai à ma propre impatience, parce que vous ne manqueriez pas d’en faire un usage très-indiscret. En attendant je vous dirai que je lui [354] ai écrit, & que vous ne devez plus craindre d’entendre ces soupirs tristes qui partent de chagrin. Je suis du moins très-contente de moi dans ce que j’ai fait ; & s’il ne l’est pas, s’il arrive qu’il trouve encore des choses à demander, il me fera penser qu’il raisonne peu délicamment, & que la tendresse a absorbé toute la prudence. [355]

Adieu. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ebene 3► Trait d’histoire.

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► « Un homme nommé Rhoecus, touché d’une espece de compassion, à la vûe d’un vieux chêne prêt à tomber, couvrit ses racines d’un peu de terre fraiche, & le redressa. L’Hamadryade qui protégeoit la plaine où se trouvoit cet arbre auguste, touchée de son action, lui apparut, & lui promit de lui accorder tout ce qu’il souhaiteroit, pour l’en récompenser. Il lui demanda ses faveurs, & elle les lui promit, s’il vouloit se priver de toute autre femme pendant quatre jours. Il répondit qu’il en passeroit quinze pour obtenir un si grand bien. Mais le troisieme jour étoit à peine expiré, que le terme prescrit lui avoit déjà paru trop long. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 Metatextualität► (Rapporté par Apollonius.) ◀Metatextualität

Le bien que nous desirons nous [356] paroît toujours grand, mais la peine de le mériter nous paroît plus grande encore. On fera sur cela des réflexions très-séveres & très-sensées. J’en fais une qui n’est que consolante. Il est généralement heureux pour nous que l’excès de notre paresse ou de notre inconstance puisse balancer l’excès de notre ambition. [357] ◀Ebene 3

Metatextualität► Avis de l’auteur.

Quand je commençai cet Ouvrage il y a un an, il se répandit un bruit général qui m’auroit fait trembler, si je n’avois pas connu mon zèle & mes forces. On disoit que je serois obligé d’abandonner mon entreprise au bout de quelques mois, n’étant pas possible qu’un homme seul pût fournir soixante-douze pages d’esprit & d’imgaination, tous les dix jours. J’ai trompé les Prophetes ; l’année s’est écoulée sans que la maladie ni d’autres obstacles, plus grands peut-être, m’aient pû empêcher de remplir mes engagemens ; & j’ose dire qu’au bout de mon année, loin de me sentir fatigué, je trouve en moi une nouvelle ardeur, & une nouvelle abondance d’idées.

Je vais donc commencer un nouveau cours, & si je ne suis pas trompé par ma confiance ; si je ne prends pas [358] l’ambition pour le talent, la vanité pour le zèle, & la résolution pour le pouvoir, on s’appercevra que ma constance n’est pas une témérité. Ce n’est point à moi à juger de mon Ouvrage. Dix-sept ou dix huit extraits, tous très-favorables, me donnent à peine le droit de l’estimer intérieurement ; mais qu’il me soit permis du moins de dire à ceux qui ne croiroient pas devoir l’estimer, qu’il est impossible de plaire à tout le monde, & que cela vient de ce que la justice est encore plus rare que le goût. J’ai éprouvé cette vérité moins qu’un autre ; les plus petites louanges ont suffi à mon amour propre, & ne m’ont point assez enorgueilli pour me faire penser qu’en refusant de plus grandes, on ne me rendoit pas justice ; mais si des juges trop séveres m’ont refusé cette portion d’estime qui satisfait mes desirs ; si je sçais d’ailleurs que des esprits jaloux & mal intentionnés ne me l’ont refusé que volontaire-[359]ment, & pour me nuire ; je suis autorisé à penser que mon succès eût été plus général, si la justice étoit moins rare. Cependant je dois toute sorte de remerciemens au public ; il m’a vengé de mes ennemis par ses bontés ; & s’il daigne continuer à me lire, il sera juge lui-même de la reconnaissance qu’il m’a inspirée.

On continuera à souscrire chez la veuve Bordelet, rue Saint Jacques, près le Collége des Jésuites. Elle délivrera seule les souscriptions, & l’on trouvera cependant les Cahiers aux adresses ordinaires. La souscription sera de 24 liv. pour quarante Cahiers que je donnerai à l’avenir. Les personnes qui voudront recevoir lesdits <sic> Cahiers francs de port dans la Province, payeront 8 livres de plus. On prie celles qui ne voudront pas continuer, de faire avertir avant le 10 Septembre, jour auquel paroîtra le premier Cahier de la nouvelle année.

C’est à la veuve Bordelet seule que [360] toutes les personnes qui ont déjà souscrit, auront affaire pour ce renouvellement, & je les prie de s’adresser à elle. Mais celles qui voudront commencer aujourd’hui à souscrire, pourront s’adresser indifféremment à elle ou à moi. Plusieurs lettres que j’ai reçues de Paris & de la Province, me déterminent à prendre ce parti. On veut connoître l’homme dont on lit l’Ouvrage ; on peut avoir à parler à un Spectateur, à le consulter ; & si l’on n’est pas à portée de lui parler soi-même, on charge un confident de le voir & de l’entretenir. La simple curiosité peut même exciter ce desir dans quelques personnes. Je dois respecter le premier motif & me prêter au second ; conséquemment je me rends aux invitations réitérées que l’on a daigné me faire, & l’on me trouvera chez moi les Mardi, Mercredi & Jeudi, depuis sept heures du matin jusqu’à midi.

Mon adresse sera jusqu’au mois de Novembre, au Cloître Saint Benoît, sur la place, vis-à-vis le Portail de l’Eglise. Après ce tems j’en donnerai une nouvelle. [361] ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Lettre à l’auteur.

On est malheureusement convaincu, Monsieur, qu’il regne dans le monde une fausseté odieuse ; il n’y a personne qui n’ait été trompé, & à qui de faux amis, des sociétés perfides, n’aient appris à se défier des caresses & des démonstrations les plus flatteuses ; mais il reste encore des épreuves à faire aux gens les plus trompés ; la sensibilité & la vanité sont éternelles, & c’est par l’une ou par l’autre que l’on est dupe. On s’attache à des physionomies trompeuses, ou à des caracteres trompeurs, & la plus cruelle expérience est à peine une raison de réfléchir, & ne produit conséquemment pas une utile réflexion, quand le trait de la sympathie a commencé à effleurer le cœur : on distingue des personnes souvent communes ou méprisables, mais [362] adroites & imposantes ; on admire des esprits faux, mais éblouissans ; & leurs prévenances, leurs louanges sont d’un prix infini, parce que c’est la vanité qui les apprécie. Dans les deux cas on risque d’être dupe, & il semble qu’on ne devroit pas y retomber aisément, après y être retombé plusieurs fois ; mais qui connôitra bien le sentiment & l’amour propre, ne sera point surpris que les exemples de cette inconsidération se multiplient à l’infini, malgré une expérience de tous les momens. Il est cependant très-possible qu’un Moraliste, qu’un Spectateur arrête le cours d’une fausseté dangereuse, & son devoir l’oblige à y faire des efforts ; nous le regardons comme le vengeur de nos injures, (& la fausseté qui nous humilie après nous avoir abusés, est certainement un outrage pour nous :) comme le protecteur de nos droits, (& notre reconnoissance pour des louanges, ou notre sensibilité pour des caresses, nous [363] donne droit assurément d’exiger que les unes & les autres soient sinceres ; ou nous soient du moins très-épargnées, si elles doivent nous tromper.) Il doit donc nous venger, à cet égard, de nos ennemis ; mais de plus, il peut nous épargner bien des dangers, bien des occasions de foiblesse, de surprise ou d’étourderie, en frappant notre imagination par des tableaux où l’affreuse duplicité contraste avec la touchante bonne foi. S’il y a un remede au mal que je vous suggere ; & ce remede, Monsieur, je vous offre encore de contribuer avec vous à le rendre efficace. Je vous envoie une petite relation que quelques esprits liront avec fruit, & vous pourrez ensuite travailler sur ce modele, & en multiplier les copies aussi long-tems que vous verrez que vos premiers essais n’auront pas produites certain effet sur les esprits ; sur ceux du moins que la provi-[364]dence a placé plus près de vous pour leur bonheur.

Allgemeine Erzählung► J’ai vêcu pendant deux ans dans une société où je crus toujours avoir des amis. Un certain plaisir d’amour propre y fit mes premieres habitudes ; on m’y recevoit avec des marques de goût très-flatteuses ; j’y étois recherché, consulté, applaudi ; vous connoissez cet air d’approbation qui imite si bien la louange & l’amitié ! On me le prodiguoit ; personne n’y étoit autant écouté que moi, on n’y répétoit que mes saillies, mes histoires ; & mes vers surtout paroissoient y effacer, par leurs charmes, tous les autres plaisirs. Vous concevez, Monsieur, que tout cela m’y rendit assidu, & m’y fit prendre enfin des rapports essentiels. Il faut vous faire connoître maintenant cette société méprisable. Elle étoit composée de Madame de Saint-Yves, de la Baronne de Florincour, de la Prési-[365]dente de B * * *, & de cinq hommes dont un seul, qui est le maître de la maison, mérite d’être connu, & qui s’appelle le Commandeur de * * *. C’est un homme extrêmement méchant, mais sa méchanceté s’adoucit quand on lui a montré qu’on sçait sentir & répondre. Il ressemble en cela à ces bretailleurs grossiers qu’un jeune homme trouvoit autrefois dans un régiment, en y entrant, & qui devenoient souvent les amis & les protecteurs de leur matyr, lorsque ce dernier leur avoit fait connoître physiquement sa sensibilité & sa bravoure. Le Commandeur me tâta d’abord, comme il avoit fait tous ceux à qui il avoit ouvert sa porte avant moi ; mais lorsqu’au bout de deux jours il vit que quoique né doux & indulgent, je ne souffrois pas qu’on prît des avantages sur moi ; il changea de ton & d’allure, & je le crus dans la suite mon ami & mon admirateur. C’étoit une trahi-[366]son concertée, & vous en pourrez juger comme moi par ce qu’il me reste à vous apprendre. A l’égard des quatre femmes que j’ai nommées, elles étoient comme tant d’autres que je ne nomme pas, polies & fourbes, minaudieres & enthousiastes, mordantes & caressantes ; elles réunissoient les contraires ; mais les bonnes qualités sortoient plus que les mauvaises, & c’est pourquoi j’ai dit qu’elles étoient fourbes.

Je m’appercevois depuis quelque tems que les prévenances, les exclamations, les préférences diminuoient ; & je voulus connoître des cœurs & des esprits qui me touchoient, parce qu’ils avoient commencé par me convenir, & dont le seul changement devoit m’être sensible comme une trahison. J’aurois cependant voulu rester dans le doute, mais la vanité s’unissoit au sentiment pour me reprocher un projet trop sage, une philosophie trop raisonnée ; & la vanité est faite pour déter-[367]miner nos actions, au mépris de nos vûes les plus raisonnables & les plus utiles. Je cédai à cette ennemie charmante & redoutable. J’exécutai mon projet d’une maniere assez sûre, & il produisit une chose assez singuliere. Toute la société étoit à la campagne chez le Commandeur ; j’avois été obligé de les laisser tous partir, & je devois les joindre bientôt. Lorsque le morment en fut arrivé, j’imaginai de leur écrire une lettre dans laquelle il y eût de l’amitié, des vers, des plaisanteries, des quolibets, de toutes ces choses enfin, qui avoient toujours paru me faire réussir merveilleusement auprès d’eux. Je chargeai de ce message un Domestique qui m’avoit servi autrefois & qui n’étoit nullement connu d’eux. Ce Domestique contrefaisoit parfaitement l’yvrogne ; je lui ordonnai de se surpasser ce jour-là ; je voulus aussi qu’il ne prît pour tout vêtement qu’une méchante veste, afin qu’on pût le [368] prendre en tout pour un poliçon. Je lui ordonnai en même-tems de n’arriver chez le Commandeur qu’à l’heure où il jugeroit que l’on étoit à table, & d’écouter bien attentivement les propos que tout le monde feroit, à la lecture de ma lettre. Toutes mes mesures étoient bien prises, comme vous voyez, mais elles devoient vraisemblablement être perdues, parce que les gens de la maison ne laisseroient pas pénétrer dans les appartemens : mon hydeux commissionnaire prévint bien cela ; & l’ayant plus qu’à demi instruit de mon projet, je pris la précaution de lui recommander de ne remettre la lettre qu’au Commandeur lui-même, &, pour y pouvoir parvenir, de dire que c’étoient mes ordres. Tout fut exécuté comme je l’avois arrangé ; & l’issue de ce triste arrangement ne justifia que trop toutes mes précautions.

Mon commissionnaire me rapporta des horreurs. On rit d’abord beaucoup [369] de sa figure ; mais quand le Commandeur qui lisoit ma lettre eut annoncé que je ne viendrois pas, la Baronne de Florincour & un petit Conseiller qui paroissoit toujours prêt à s’évanouir d’aise quand j’arrivois, s’écrierent de concert, ah tant mieux : le reste de ce coupable banquet m’outragea plus en croyant s’expliquer moins, parce que les ris, l’air moqueur, les propos ironiques ne me furent point épargnés, & me furent rendus fidelement. En tout je compris que ces gens-là s’étoient toujours moqués de moi, & ne m’avoient jamais regardé que comme un honnête boufon. Je fus indigné de voir tant de lâcheté dans des gens d’un état & d’une naissance distinguées, & je jugeai que l’esprit du monde étoit fait de la même trempe ; mais ce qui me rendit furieux, fut d’apprendre les propos très-clairs & très-impertinens qu’avoit tenus le Commandeur pendant un quart-d’heure, & de lire en-[370]suite la réponse fade & impudente qu’il faisoit à ma lettre. Metatextualität► Je joins ici cette réponse, Monsieur ; il est nécessaire que vous la lisiez pour bien juger du caractere de cet homme perfide, & de l’esprit de son infame clique ; car j’ai sçu qu’il lui avoit lû ce chef-d’œuvre de fourberie, avant de le remettre au porteur, & qu’elle s’étoit extasiée de concert en l’écoutant. ◀Metatextualität

Ebene 4► Brief/Leserbrief► « En vérité, mon cher, vous êtes un méchant homme ; vous nous assassinez. Pourquoi nous engager à cette partie si vous n’y deviez pas venir ? pourquoi ne pas prévoir qu’en n’y venant pas, vous nous plongeriez dans un cahos épouvantable ! Tout cela est bien malhonnête de votre part, malhonnête assurément ; & jamais il ne fut mieux prouvé que l’amitié est une chimere. J’ai lû votre lettre à nos belles Déesses, & toutes ont pris le caractere de Junon : fureur & menaces ; voilà l’effet qu’ont produit [371] vos rigueurs. La Marquise surtout, cette Marquise enveloppée, qu’un nuage obscur cachoit toujours, qu’on ne pouvoit deviner, même en l’irritant ; la Marquise, dis-je, crie, tempête, jure de vous haïr, au risque de faire penser qu’elle vous aime. L’orage grossit à chaque instant, & je vous vois si menacé que je suis obligé de vous excuser, & de chercher dans mon cœur une pitié qui n’y fut jamais pour les malheureux. Venez, je vous en conjure ; soyez touché de vos dangers & de nos ennuis ; j’ai obtenu qu’on vous accordât deux jours encore, mais nous exigeons deux lettres pour dédommagement de ce cruel délai. Je vous réïtere que nos femmes sont furieuses ; je ne sçais ce que vous leur avez fait d’ailleurs ; & je vous conseille, si vous êtes discret, de venir promptement, car dans la colere elles diroient tout. [372] Adieu, je vous attends, & vais donner votre parole. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4

Je n’ai point répondu à cette lettre, Monsieur, ma colere eût trop éclaté, & j’ai une fierté qui ne me permet pas de montrer du courroux à des gens qui ne méritent que du mépris. Mais je me venge précisément, comme il convient, en vous priant d’insérer dans votre premier Cahier l’aveu autenthique de cet inexprimable mépris. ◀Allgemeine Erzählung

J’ai l’honneur d’être, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Conclusion.

Je fais ce que mon correspondant souhaite, car je juge qu’il est très-chagrin de son aventure, & que ma complaisance sera une consolation pour lui. Mais j’oserai lui dire, au risque de passer pour un moraliste très-relâché, qu’il prend la chose trop sérieusement & qu’il y a une façon de voir les ridicules & les injustices du monde, autre [373] que la sienne, qui fait autant d’honneur à la raison, sans altérer la tranquillité de l’esprit. Cette société qu’il croit si coupable, est formée sur des modeles très-anciens & très-généreux ; elle a fait elle-même des copies depuis qu’elle existe ; tout cela la sauve du reproche d’infamie qu’elle mériteroit si elle étoit unique. On n’est infame que par la caractere de particularité, & on ne l’est plus dès que l’on a l’excuse des exemples & des ressemblances. Je sçais pourtant qu’il est mal & très-mal que l’on fonde tout le plaisir des liaisons sur une fausseté, sur une ironie, sur une coquetterie, qui font des dupes & souvent des victimes ; mais convenons aussi que si la probité n’y est pas intéressée, si le procédé n’est ni un moyen ni un effet dont la fausse louange & la fausse inclination veuillent abuser ; ces démonstrations & ces jeux ne sont pas en eux-mêmes des crimes bien grands ; n’a-t’on pas sa revanche, si [374] venant à découvrir qu’on est trompé, on veut tromper à son tour ! On dira que tout le monde n’a pas cet esprit de représailles ? je répondrai que lorsqu’on s’en sent dépourvû, il faut quitter les sociétés, qui seront à cet égard éternellement immuables. Je dis plus ; s’il y a des gens autorisés à se plaindre d’un usage que leur sensibilité leur exagere ; il en est beaucoup d’autres en qui la plainte seroit ingratitude. Je veux parler de ces esprits insociables, grossiers, sots, impertinens, que naturellement on ne peut souffrir, & qu’on n‘a souffert pendant long-temps, que par le motif & le secours d’une plaisanterie dissimulée & agréable. Sans ce secours on n’auroit trouvé rien de plus naturel & de plus sage que de les haïr & de les chasser. Ils ont du à cette fausseté qui les irrite un long sommeil, une douce erreur ; & s’ils murmurent contr’elle, on peut leur dire sans mauvais humeur, ingrats ! vous [375] battez votre nourrice. Concluons que le ressentiment de mon correspondant est un peu exagéré, puisqu’il en fonde le droit sur l’horreur d’un excès qui n’est tout au plus qu’un abus, si l’on veut considerer d’après ce que je viens de dire, que la moitié du monde y gagne, autant que l’autre y perd : osons même ajouter que cet abus n’est véritablement un mal, que parce qu’il faudroit pour le bonheur commun que tout fût bien.

Je n’aurai pas la même indulgence pour cette fausseté particuliere qui se manifeste dans tous les hommes en général. Celle-là est vice dans son principe, vice dans son action, vice dans son effet ; j’y porte toute mon attention, & je frémis des maux qu’elle doit causer tous les jours. Caresser quelqu’un dans le public, & le déchirer dans le mystere ; le louer dans ses écrits, & le critiquer dans ses conversations particulieres ; & faire tout cela [376] par des motifs intéressés & condamnables ; c’est une fausseté noire, un procédé lâche, & la morale ni l’honneur n’ont point d’arrêts assez sévéres pour châtier proportionnellement un homme assez infame pour s’en rendre coupable. Mais il n’y a pas autant de ces caracteres là, qu’on le pense ; & l’on ne les croit si communs, que parce que l’on aime à médire de la nature humaine ; ou que trop sensible, trop prompt, trop peu expérimenté, & ne distinguant pas assez les usages, des défauts, & les ridicules, des vices, on ne peut parler sans exagération, de ce qu’on ne peut éprouver sans aigreur. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Son amie venoit d’accoucher.

2Le Cardinal Woolsey.

3Hola.

4Tout le monde connoît ces vers charmans addressés à la Duchesse Dumaine. La Divinité qui s’amuse A me demander mon secret, Si j’étois Apollo, ne seroit point ma Muse : Elle seroit Thétis, & le jour finiroit.

5Je proteste encore ici la même chose, & je supplie le public d’être convaincu que cet aveu n’est point comme la plûpart de ceux dont une fausse modestie rend tous les jours les gens de lettres si prodigues.

6* On voit bien que ce n’est pas ici précisément mon portrait, malgré l’avis de Madame de la B ***, puisque j’ai plus d’armées qu’en n’en marque ici.

7* Mot d’usage entr’elles.

8* Les hommes.

9Tout le monde connoît ces vers charmans addressés à la Duchesse Dumaine. La Divinité qui s’amuse A me demander mon secret, Si j’étois Apollo, ne seroit point ma Muse : En lisant cette lettre de mon amie, il me vient des réflexions qui ne s’offrirent pas à mon esprit lorsque nous fîmes ensemble la lecture qui y a donné lieu ; je les placerai ici lorsqu’elles se présenteront & je commence. Il y aura certainement des personnes qui estimeront ma sincérité dans l’aveu que je vais faire, & je les prie de croire que c’est à elles seules que je ma confesse ici. Elles penseront aisément que ce n’est point l’attrait de L’égoisme qui me séduit dans cette occasion, ni dans toutes celles où j’ai pris la liberté de parler de moi. Un homme rigoureux, & peut-être plus injuste que prévenu, me reprochoit l’autre jour de parler trop souvent de moi ; je dédaignai de me justifier, parce qu’en l’écoutant je l’examinois, & que je voyois plus de motifs que d’idées dans ce reproche, mais je dis ici à tous ceux qui pensent comme lui, (ou d’après lui, ou d’après eux-mêmes, (qu’il est impossible qu’un Spectateur ne se présente pas souvent sur la scene, quand il raconte ce qui arrive, puisque c’est presque toujours de ce qu’il a éprouvé, de ce qu’il a vû, de ce qu’il a appris qu’il entretient le public. J’aurois toute la répugnance du monde à m’offrir en spectacle, qu’il faudroit que je la sacrifiasse à la nécessité de mes fonctions. Le Spectateur Anglois parloit souvent de lui comme je fais moi-même ; mais s’il avoît craint d’en parler fréquemment, j’oserois dire qu’il remplit infidelement son rolle, & qu’il ne mérita que le titre d’Historien & de Censeur. On sent cela, & il est inutile de le dire, d’autant mieux que cette réflexion n’est qu’accessoire, & que j’ai promis un trait qui doit être l’essentiel de ma note. Cet amour de la liberté dont parle le Marquis de Lassay, fut toujours si gravé, si intime dans mon cœur, qu’il me porta à un excès étonnant à l’âge de dix-huit ans. J’aimois une Comédienne de même âge, & qui m’aimoit aussi. Je ne dirai point si les mœurs étoient aussi reglées que son état peut le permettre, ni si je courois de grands risques à me livrer à ma passion. J’aimois ; je ne faisois point de réflexions ; je la perdis, j’en fis moins encore ; & depuis, j’ai conservé un tel ressouvenir de la violence qui me fut faire en cette occasion, que je n’ai jamais pu penser de sang froid, ni à ma maîtresse ni à mon amour, & j’ignorerai toujours vraisemblablement si cette cruauté dont je me plains, fut un bien moral pour moi. Ma mere en qui l’amour de l’ordre étoit mieux établi peut être que l’amour du sang, jugea mon commerce avec autant de sévérité, qu’il demandoit d’indulgence à cause de mon esprit pétulent & altier ; & craignant les suites qu’il pouvoit avoir, ne prévoyant qu’elles, ne pensant point qu’un jeune homme est un roseau qu’on casse en le pliant avec trop de rudesse, ou peut-être croyant qu’on risque toujours d’altérer la domination par l’indulgence, & ne voulant pas courir ce risque, que l’amour propre contribuoit encore à lui exagérer, elle fit enlever ma maîtresse un soir qu’elle revenoit de jouer la comédie, & j’appris cette horrible nouvelle une heure après. L’excès de mon accablement me donna d’abord un sang froid incroyable. Je passai la nuit à faire les plus exactes recherches, mais aucune ne put contribuer à me rendre l’objet que j’avois perdu. Le désespoir de leur inutilité rendit la circulation à mon sang. Je songeai à la vengeance, & il m’importa fort peu de penser que j’en serois la premiere victime ; Rosalie en s’éloignant, avoit emporté pour moi tous les biens & tous les plaisirs. Cette vengeance furieuse n’étoit pas seulement projettée par l’amour ; l’orgueil, l’inexorable orgueil lui fournissoit peut-être ses plus pressans motifs ; ma mere l’avoit blessé cruellement, en se portant, sans nul égard, à une violence insigne ; je voyois dans son procédé le plus étrange abus de la domination ; elle auroit dû me parler d’abord, m’avertir, me menacer ; ma passion n’étoit point un crime, & je n’étois point indigne d’un peu de considération ; enfin cet amour de la liberté, cette haine de la dépendance gravées dans mon cœur par la réflexion, & excitées maintenant par la tyrannie, me firent un plaisir de ma fureur, & un devoir de ma révolte. Rosalie aimoit l’odeur des tubereuses, & je la craignois. J’allai moi-même en acheter quatre pois à la pointe du jour, je les fis transporter dans ma chambre, & les plaçai aux quatre coins de mon lit, (c’est l’usage en Provence où je suis né, de placer ainsi les flambeaux funéraires) j’avois fermé ma porte à double tour. Je me barricadai encore avec tous les meubles que j’avois dans ma chambre : ensuite je me jettai sur mon lit dans la posture d’un homme qui ne vit plus, & je fermai les yeux en prononçant trois fois le nom de Rosalie. Bientôt la force de l’odeur agit sur mes sens, & cette impression fut si vive & fit de tels progrès, jointe à l’état d’épuisement où je me trouvois par une diette & un désespoir de près de vingt quatre heures, que je perdis connoissance ; & je serois certainement mort en cet état, si les gens de la maison & ma mere elle-même, sçachant que j’étois dans ma chambre & ne me voyant point paroître aux heures du repas, n’avoient pris le parti d’enfoncer ma porte pour me donner les secours dont ils jugeoient que je pouvois avoir besoin. Voilà jusqu’où j’ai pu pousser l’horreur pour la dépendance, car je répéte encore ici qu’elle eut plus de part que la douleur à mon homicide résolution. L’âge & les circonstances m’ont rendu capable de plus de modération, mais ils n’ont point changé le fonds de mes sentimens ; & la domination, sur-tout celle qui se fait sentir, qui est sans égards, qui est factice ou usurpée, me sera toujours plus affreuse que tous les maux qu’un trop grand amour pour l’indépendance pourra peut-être me faire éprouver dans la suite. Je ne justifierai ni mon caractere ni mon aveu. On ne l’exige pas, & ce seroit parler trop long-tems de moi ; mais si on l’exigeoit j’y serois peu embarrassé. Je me contenterai de dîre que j’entrevois plus de vertus, plus de droit à l’estime dans un homme qui dans toutes les occasions a l’ame assez élevée pour oser scruter la volonté qui se propose de l’asservir, avant que de s’y rendre ; que dans l’esclave né de toutes les volontés & de toutes les circonstances.

10Il y a une très-grande différence entre le Marquis de Lassay & moi ; je suis paresseux comme lui, mais pour le plaisir seulement, ou pour ma fortune. Le plaisir n’excite plus mon imagination ; il me touche cependant encore ; je le goûte lorsqu’il se présente ; mais il faut qu’on l’invente pour moi & qu’il soit bien choisi. Je l’ai goûté de trop bonne heure & avec trop peu d’économie. Cela m’a rendu difficile & peu empressé. J’ai vû d’ailleurs les machines sentir & inventer ; j’ai vû des coquins être plus inventifs & plus joyeux que moi ; & un peu de mauvaise humeur m’a rendu presque indifférent à ce que je ne pouvois plus me procurer sans effort, & qui m’eût mis en comparaison avec eux. A l’égard de la fortune, je l’aurois peut-être recherchée pour faire du bien & pour vivre agréablement avec mes amis, s’il n’avoit fallu que mériter & travailler plus qu’un autre pour avoir part à ses faveurs, mais j’ai vû ces mêmes faveurs tomber du haut des nues sur l’imbécille qui dort, & assurer une distinction flatteuse & permanente à des miserables qui ne méritoient que le gibet, & dèslors je n’ai voulu rien faire pour être riche. Cette paresse n’est rien moins qu’un vice, l’avare seul pense assez mal pour lui pouvoir donner ce nom ; mais je sens que si elle méritoit le blâme du public, je ne l’en estimerois pas moins & ne m’en corrigerois pas davantage. J’ai cependant fait tout ce qui étoit moralement possible pour me procurer une certaine aisance. Je n’ai pas voulu avoir à rougir de la dureté des hommes envers moi, car ils sont prodigues & bas envers ceux qui ont les richesses, & s’en vengent sur ceux à qui leur cruauté peut faire un tourment plus grand que celui qu’ils trouvent à se contrefaire & à s’humilier devant des idoles qu’au fond ils méprisent autant qu’ils les flattent. Ce sentiment s’est si fort imprimé dans mon cœur, qu’il m’a rendu capable d’une sorte d’infatigabilité pour les affaires & pour les devoirs ; les unes & les autres tendant à me procurer cette aisance précieuse, qui cependant m’a fui jusqu’à présent malgré mon zèle & mes travaux continuels, j’ai toujours fait plus que je ne devois, & plus que je ne pouvois, pour arriver à un but en deçà duquel je ne voyois que de l’humiliation & de la douleur. La fortune un jour m’en récompensera ; elle n’a pas toujours des caprices, & ce n’est gueres que pour les paresseux qu’elle est inexorable ; mais je la quitte d’avance de cette prodigalité qui suit souvent son avarice & qu’elle réserve aux gens qu’elle a le plus maltraités. Je la traite ici comme une coquette à qui on ne doit demander que de doux regards, parce que ses faveurs engagent trop, & entraînent trop de regrets quand on vient à les perdre.)

11* Par une suite de cette même pénétration, j’ai quelquefois deviné tout un homme sur un simple mot ; & il m’est arrivé souvent de faire des tentatives extraordinaires, sur la foi de cette sorte de divination, & elles m’ont presque toujours réussi au grand étonnement de ceux à qui je les avois confiées. Ce qu’il y a de plus singulier encore, c’est que mes succès en cela ne m’ont jamais étonné. Le Marquis de Lassay étoit peut-être comme moi, & il a oublié de le dire.

12* Si mon Auteur n’exagere pas, j’ai été plus heureux que lui, mais ce bonheur m’a fait sentir, dans la suite, des regrets qu’il ignora peut-être ; ainsi sa condition, à tout prendre, a été meilleure que la mienne. J’ai eu deux amis dans le cours de ma vie. Je les ai trop aimés, & ils m’ont trop de fois juré qu’ils m’aimoient, pour ne pas croire qu’ils m’aimoient un peu. Ils ont changé, & leur rupture avec moi a eu un caractere d’indignité qui justifieroit jusqu’au soupçon d’imposture s’il se présentoit à mon esprit ; mais il ne s’y présente pas, & je croirai toujours qu’ils m’aimerent de bonne foi. S’ils ont changé indignement, c’est qu’ils n’étoient pas faits pour l’amitié, & que leur sentiment pour moi fut une surprise : ajoutons qu’ils étoient nés avec des vices ou de grands défauts, car sans cela ils n’auroient pas rompu comme ils firent. Quand on ne change que par inconstance, on ne rompt point ; on cesse simplement d’aimer, & on laisse deviner qu’on n’aime plus. Mais le point de la question est de sçavoir s’ils m’aimerent, & eux-mêmes ne me persuaderoient pas le contraire, puisque leur conduite ne l’a pas fait. Ainsi j’ai eu un avantage sur le Marquis de Lassay, & il y a eu une différence dans nos fortunes, malgré la ressemblance du caractere. Si cette différence pouvoit me devenir douteuse par la perte imprévue de ma prévention, j’aurois encore de quoi me la confirmer par un ami que mon Ouvrage m’a fait. Cet homme que ses amis adorent, que ses rivaux estiment, que le Ministre considere, a éprouvé en me lisant, ce qu’éprouva Montagne en voyant cet ami dont il nous parle dans son livre. Il m’a écrit sans me connoître ; sa lettre ingénue a déterminé en même-tems mes sentimens & ma réponse. Nous nous aimons sans nous être jamais vûs ; mais nous nous verrons bientôt, & nous nous en aimerons davantage. Je le prie d’être convaincu que tout mon cœur m’y porte ; & qu’il n’y aura jamais rien dans ma conduite qui démente l’aveu que j’en fais ici publiquement.