Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours III.
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Discours III.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, Je souhaitois il
y a quelque tems, d’obtenir une place qui étoit à
remplir, & que j’avois méritée par mes services
& mes grands travaux. Je n’étois nullement connu du
Supérieur qui a droit d’y nommer, & je sçavois que
le mérite n’est pas une recommandation suffisante. Je
songeois à m’intriguer, lorsque je vins à penser qu’un
homme que je croïois de mes amis, & qui m’avoit offert cent fois ses services, étoit
entierement dans les bonnes graces du Ministre de qui
dépendoit le sort de mon ambition. J’allai trouver cet
homme, qui me reçut & me parla avec tous les
témoignages de la meilleure volonté. Sa femme que je ne
connoissois pas, étoit présente à cet entretien, mais ne
me parut pas y prendre beaucoup de part ; je ne fis du
moins aucune attention à elle ; & comme j’étois
plein de mes idées, & entierement persuadé que son
mari avoit de l’amitié pour moi, je parlai pendant deux
heures avec toute la vivacité & la liberté d’un
homme qui a toute la confiance imaginable. Je dressai un
placet en forme de lettre que je remis à mon confident ;
& en nous séparant il me fit espérer, comme il avoit
déjà fait, la plus favorable & la plus prompte
réponse. Je dormis tranquillement pendant les premiers jours, malgré ma vive impatience, ma
sécurité me paroissant aussi établie qu’elle pouvoir
l’être ; en effet cet homme m’avoit toujours offert ses
services de l’air de la meilleure foi, & j’étois
convaincu qu’il dépendoit de lui de me rendre celui que
je lui demandois : ajoutez à cela que mon ambition avoit
pour fondement les titres les plus incontestables. Mes
premieres nuits furent donc assez tranquilles, mais
l’inquiétude succéda à ce calme trompeur, lorsque je vis
que je ne recevois aucunes nouvelles de mon confident.
Nous étions convenus qu’il me feroit avertir lorsqu’il
auroit reçu des lettres de la Cour. Je me rendis chez
lui muni d’un second placet. Je ne le trouvai pas, &
j’appris qu’il étoit à Versailles. Comme je devois
partir le lendemain pour la campagne, & qu’il me
paroissoit important de ne pas laisser refroidir les
sentimens qu’il pouvoit avoir fait naître pour moi par sa recommandation, je me déterminai
à parler à sa femme, & je demandai si elle étoit
visible. On me conduisit dans son appartement où je la
trouvai seule. Je lui fis d’abord les premiers
complimens, & beaucoup d’excuses sur la liberté que
j’allois prendre de l’entretenir de mes affaires,
n’ayant point l’honneur d’être connu d’elle : &
ensuite je lui dis que me doutant bien que son mari
n’avoit pas reçu de réponse à sa lettre & à celle
que j’avois écrite, je venois le prier d’en envoyer une
seconde que j’apportois, & dont je croyois devoir
espérer plus de succès. J’ai souhaité de vous parler,
Madame, continuai-je, pour vous prier de vous en charger
& de la remettre vous-même à M d * * *. Je n’ose
vous prier, d’y joindre votre recommandation auprès de
lui. C’est un service que j’ose espérer que vous me
rendriez, si vous sçaviez combien ce que je demande est
légitime. . . . Je le sçais, Monsieur, me
dit-elle, je sçais tout, j’écoutai votre conversation
l’autre jour, je lus votre placet lorsque vous fûtes
sorti, & M. d * * * m’avoit parlé de vous plusieurs
fois ; mais vous sçavez qu’on ne rend pas toujours
justice ! On ne la rend à personne & dans aucun pays
de l’univers. J’ai même à vous parler sur cela ; je
serai fort aise de pouvoir vous entretenir en
particulier : à présent il est trop tard, il va venir du
monde & l’on nous interromproit ; mais je vous prie
de revenir demain vers le soir ; je souhaitois que vous
vinssiez & qu’en l’absence de M. d * * * vous
demandassiez à me parler ; le hazard favorise mes idées,
& je vous prie de ne pas manquer de venir demain.
Cela fut dit du ton le plus affectueux. Elle me
regardoit attentivement, presque tendrement, & je ne
sçus d’abord que penser, ni de ses regards, ni de ses
discours. Je commençai par m’acquitter, me
réservant la liberté de réfléchir. Je me rendrai à vos
ordres, Madame ; je ne songe point à en pénétrer
l’objet, & je viendrai à sept heures. Venez plutôt à
huit, Monsieur ; mon mari sort quelquefois très-tard,
& il ne faut pas qu’il vous trouve ici. Ces derniers
mots me frapperent. Je ne voulus pourtant pas m’y
arrêter ; la curiosité commençoit à agir, & je
compris qu’il seroit dangereux de lui laisser voir mon
étonnement. Pour le lui cacher tout-à-fait, je lui dis
que j’étois d’avance très-sensible aux marques de la
confiance qu’elle vouloit bien me donner, & que je
souhaitois répondre à l’estime qu’apparemment elle avoit
conçue pour moi . . . . Oui, Monsieur, j’ai pris de
l’estime pour vous, & je vous en donnerai des
preuves dont vous ne penserez pas à vous défier ; mais
souffrez que j’exige de vous la plus grande discrétion.
C’est pour vous même que j’agis, il faut que
personne dans l’univers ne sçache que je dois vous
parler . . . Je la priai de croire que je connoissois la
valeur des démarches, & je la quittai en lui jurant
qu’elle n’auroit jamais de chagrin de l’entretien que
nous devions avoir ensemble. J’avois mesuré tous mes
termes afin qu’elle ne crût pas que je portois mes idées
plus loin qu’elle ne les portoit elle-même, si elle
n’avoit que des vues innocentes ; mais je ne le pensois
pas, & de l’air dont elle m’avoit regardé, il y
avoit tout à parier que je ne me trompois point. Je
rêvai beaucoup à tout cela ; je voulus combattre ma
prévention, & trouver à ce qu’elle m’avoit dit un
sens plus raisonnable que celui auquel je m’arrêtois
malgré moi : je n’y pus parvenir. Nous avons une si
étrange opinion des femmes, une grande connoissance,
& je dirai même une si grande conviction de leur facilité qu’il nous devient comme impossible
de leur prêter des vues honnêtes, quand nous nous sommes
frappés une fois de l’idée contraire : je conclus
qu’elle vouloit essayer avec moi le succès d’un caprice.
Je ne pus cependant empêcher que cette prévention ne se
conciliât dans mon esprit avec les idées les plus
favorables à sa vertu, & c’étoit l’amour propre qui
me donnoit ce penchant à la justifier. Je voulus croire
que le bien que son mari lui avoit dit de moi, la
vivacité de mon esprit, quand je lui avois parlé devant
elle, l’élégance de ma plume dans le placet qu’elle
avoit lû, une réputation que j’ai, une figure assez
agréable, une hardiesse qui peint l’honnête homme,
étoient le principe de sa fantaisie, & lui donnoient
pour moi des desirs qui n’auroient été qu’un amour moins
prompt & plus décemment conduit, si la crainte de ne
me pas revoir ne lui avoit fait une situation
désespérée. Je réussissois assez bien à la
justifier, Monsieur, comme vous voyez, & le perfide
amour propre m’exposoit à trouver une sorte d’excuse
pour moi dans le plus grand crime, si le point
d’honneur, plus prompt ici & plus effectif que la
conscience, ne m’avoit éclairé. Je vis que j’allois
trahir mon ami, dans le tems même qu’il pensoit à me
rendre heureux, & j’eus horreur de ma criminelle
facilité. Cependant je ne crus pas devoir pousser la
délicatesse à l’extrême ; je pensai que Madame d * * *
ne s’êtant point expliquée, je devois la voir & me
regarder comme assez défendu par ma ferme résolution.
Elle n’a peut-être pas eû une seule des idées que je lui
suppose, me dis-je ; je perdrois, peut-être, (à la
soupçonner) des conseils, des services, d’où dépent le
succès de mes vœux ! Il faut la voir & braver son
audace, si elle n’a que des desseins indignes de moi.
C’étoit bien du temps perdu en vaines
réflexions, & vous allez juger, Monsieur, s’il faut
s’en fier aux apparences. J’allai chez Madame d * * * le
lendemain à l’heure convenue. Je fus d’abord très-étonné
de la trouver très-négligée dans sa parure, & je
conclus au premier coup d’œil que j’avois fait un rêve
outrageant pour elle. Je me rends à vos ordres, Madame,
lui dis-je avec respect ; je ne soupçonne point encore
le motif qui vous a portée à m’en donner d’aussi
flateurs, & je brûle de l’apprendre. . . . Je n’ai
pas moins d’impatience de m’expliquer, que vous n’en
pouvez avoir de m’entendre, me dit elle, avec le même
ton d’affection ; je fais une démarche qui vous prouvera
que je m’intéresse à votre bonheur ; elle peut devenir
un éternel obstacle au mien, mais vous m’avez juré que
vous sçauriez vous taire & vos sermens sont tout ce
que je veux considérer. Je la rassurai encore dans les
termes les plus forts, & je la conjurai
de ne me pas parler si elle redoutoit mon indiscrétion.
Non, reprit-elle, je ne la crains plus, & mon aveu
m’échapperoit, malgré moi, s’il étoit possible que je ne
fusse pas assez rassurée. Elle commença alors à me faire
des questions & à me révéler des secrets, qui
m’étonnerent autant qu’ils vont vous étonner vous-même.
Vous êtes lié depuis long-tems avec mon mari, me
dit-elle ; vous lui avez toujours montré la plus tendre
amitié, & vous êtes persuadé qu’il en a pour vous !
Je crois qu’à cet égard vous ne vous trompez point. Mais
vous lui supposez une envie déterminée de vous obliger
aujourd’hui, & je crois devoir vous avertir. . . .
Comment, Madame, il seroit possible. . . . . . Oui,
Monsieur, je devine ce que vous pensez, & je crois
que vous pensez juste ; j’ai de fortes raisons de
présumer qu’il n’a point envoyé votre placet au
Ministre, & que s’il lui a écrit, ce
n’est que très-foiblement. Je demeure confondu, lui
dis-je ; je vous crois bien instruite puisque vous me
faites cet aveu, & je vous demanderai à présent à
qui il faut se fier ? A moi, Monsieur, me
répondit-elle ; je ne vous trompe point, & je ne
cherche point à m’attirer des louanges ; j’ai l’honneur
de vous dire que mon mari n’a point sollicité pour
vous ; le silence du Ministre en est une preuve, &
je crois que vous me dispensez de vous en donner
d’autres. Oui, Madame, je vous en dispense, mais quel
peut donc être le motif de cette fausseté ? Je l’ai crû
mon ami ; je fus le sien dès que je commençai à le
connoître ; en auroit-il douté, lui auroit-on fait des
discours ? Non, Monsieur, ce n’est point cela & je
rougis de vous dire ce que c’est. Ah, Madame, ne
rougissez point, croyez que je sçais sentir, &
daignez vous expliquer. Eh bien, Monsieur, ce n’est
point indifférence pour vous ; il a vos
intérêts à cœur, il voudroit vous voir heureux ; mais
c’est un homme qui ne sçut jamais obliger par
sentiment ; vous ignoriez ce trait de son caractere ;
vous ne lui avez promis que de la reconnoissance, &
je suis trop sûre. . . . . Je l’empêchai d’achever &
me jettai à ses genoux. Je vous entends, Madame, &
je vous admire. Puisse sa joie être aussi grande en
entendant les propositions que je vais lui faire que
l’est la mienne en trouvant une amie, une bienfaitrice,
un vengeur, dans une aussi aimable femme. Demain je lui
parlerai, & j’employerai tout l’art imaginable à
l’empêcher de rougir de mes offres, en les acceptant ;
cet art, Madame, n’est point dans mon caractere, la
vérité qui me guide toujours, me permit à peine de le
connoître de nom, mais j’en deviendrai capable pour
séduire votre mari, & pour vous prouver ma
reconnoissance, en tirant de votre bienfait
tout l’avantage qu’il peut me procurer. Je vous épargne,
Monsieur, tout ce que nous nous dîmes encore Madame
d * * * & moi. Vous devinez apparemment qu’elle ne
me laissa point partir sans m’assurer qu’il n’entroit
aucune haine pour son mari, aucune vûe d’intérêt, aucun
motif humain, dans ce qu’elle venoit de faire, & que
l’unique objet qui l’y avoit déterminée, étoit la
justice, l’estime, la générosité ? Vous devinez aussi
que je n’eus & que je ne lui laissai pas le moindre
doute, qui pût offenser un esprit aussi bon & une
ame aussi belle ! Vous me dispensez de vous dire tout
cela, dans l’impatience de sçavoir le résultat de mes
propositions, & l’effet qu’elles produisirent pour
mon bonheur ! Vous allez être bien étonné en lisant ce
qu’il me reste à vous apprendre. Vous connoîtriez trop
le monde, & vous seriez bien malheureux
si la suite de mon récit n’avoit pas droit de vous
surprendre. J’offris cent louis à M. d * * *, & il
les prit ; mais je n’eus point la place qui sembloit
dèslors m’être assurée ; elle fut accordée, à sa
sollicitation, à un homme, qui lui étoit presque
inconnu. J’en aurois douté, si les faits permettoient le
doute, je m’informai des raisons qui avoient pû le
porter à cette lâche trahison, & j’appris que cet
étranger avoit obtenu la préférence sur moi, en lui
donnant vingt-cinq louis de plus que je n’avois offert.
Mais voici quelque chose de bien plus incroyable ; c’est
que l’aveu que m’avoit fait Madame d * * *, cet aveu qui
m’avoit rempli pour elle d’une si tendre vénération,
n’étoit qu’une trahison du mari & de la femme.
C’étoit de concert avec lui qu’elle avoit employé ce
manege affreux ; & j’ai sçu qu’ordinairement ils s’y
prenoient de cette maniere l’un & l’autre, pour
excroquer l’argent de leurs malheureux
protégés. A présent, Monsieur, je vous demanderai, ce
que je lui demandai à elle-même dans sa prétendue
ouverture de cœur, à qui faut-il se fier ?
Metatextualität
Il faut que je vous apprenne une aventure
qui m’est arrivée, & qui ressemble à peu
d’autres. Je compte vous fournir un excellent sujet
de réflexions, sçachant que vous tirez parti de tout
pour l’instruction du public, & que dans vos
mains, le cuivre devient or.
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Brief/Leserbrief
Réponse. Je
répondrai au galant-homme qui m’écrit qu’il ne faut se
fier à personne, en convenant pourtant qu’il y a
d’honnêtes gens. Certainement, la sorte de fourberie
dont il se plaint, m’étoit encore inconnue, & je
vois bien qu’avec quelque fond d’expérience que l’on
commence un Livre de la nature de celui-ci, on a encore
beaucoup à s’instruire avant que de pouvoir se flatter
d’y avoir peint tous les caracteres, & toutes les
horreurs qui deshonorent l’humanité.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Réponse.