XXII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Stefanie Lenzenweger Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.05.2019 o:mws.382 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 125-132 Le Spectateur ou le Socrate moderne 2 022 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Natur Natura Nature Naturaleza Nature Natureza France 2.0,46.0

XXII. Discours

Jovis omnia plena.

Virg. Ecl. iii. 60.

Tout marque, dans le Monde, la puissance de Jupiter.

Lorsque je me promenois ce matin dans la grande basse-Cour de mon Ami, j’ai goûté un plaisir extrême à voir les différens éfets de l’instinct sur une Poule & une Couvée de Canards qui la suivoient. Ceux-ci, à la vûe d’un Vivier, s’y sont plongez aussitôt, pendant que leur Marâtre couroit le long des bords, avec une inquiétude surprenante, & les appelloit pour les faire sortir d’un Element qui lui paroissoit si dangereux. Comme on ne sauroit qualifier de Raison le Principe qui agissoit dans ces différens Animaux, lorsqu’on l’appelle Instinct, on désigne quelque chose dont nous n’avons aucune connoissance. Pour moi, il me semble, comme je l’ai insinué dans le Discours précédent, que c’est la Direction immédiate de la Providence, & une Operation aussi extraordinaire du souverain Monarque de l’Univers, que celle qui détermine toutes les portions de la Matiere vers leurs propres Centres. Un Philosophe moderne, que Mr. Bayle cite dans la savante Dissertation qu’il a publiée sur l’Ame des Bêtes, avance la même Opinion ; mais il l’exprime en des termes plus hardis, lorsqu’il pose que Deus est Anima Brutorum.Dieu est l’Ame des Brutes. Qui sait le nom qu’il faudroit donner à cette sagacité des Animaux, qui les dirige à la nourriture qui leur est propre, & les éloigne de tout ce qui leur est nuisible ou mal sain ? Ciceron a remarqué qu’un Agneau n’est pas plutôt mis bas, qu’il s’attache d’abord de lui-même à la tête de sa mère. Dampier nous dit aussi, dans ses Voïages, que lorsque les Navigateurs sont jettez sur quelques Côtes inconnues de l’Amerique, ils ne se hasardent jamais à goûter d’aucun Fruit, quelque charmant qu’il paroisse à la vûe, à moins qu’il ne soit bequeté des Oiseaux ; mais qu’ils en mangent sans aucune crainte si les Oiseaux y ont touché les premiers.

D’ailleurs, quoi que les Bêtes n’aient rien qui aproche de l’usage de la raison, elles possedent toutes nos qualitez inferieures, je veux dire les Passions & les Sensations, dans un degré plus éminent que nous-mêmes. Il faut bien remarquer aussi que toutes les Bêtes de proie sont fort sujettes à la colere, à la malice, à la vangeance, & à toutes les autres Passions violentes qui les peuvent animer à la quête de leur nourriture ; que celles qui sont incapables de se défendre elles-mêmes, ou d’attaquer les autres, ou dont toute la ressource est dans la fuite, sont d’un naturel soupçonneux & timide, & qu’elles s’éfraient à la vûë ou à l’ouïe de la moindre chose ; pendant qu’il y en a d’autres, d’estinées <sic> à l’usage de l’Homme, qui sont d’un naturel doux, traitable, commode pour la vie privée. Dans ce cas, les Passions répondent en géneral à la structure du corps. On ne voit pas la fureur d’un Lion dans un Animal aussi foible & sans défense que l’est un Agneau, ni la douceur d’un Agneau, dans une Créature si bien armée pour le combat que le Lion. Il y a de même certains Animaux qui ont plus ou moins de penétration & de sagacité dans les Sens qui leur sont plus ou moins utiles, & qui tournent plus ou moins à leur sûreté & à leur avantage.

Il ne faut pas oublier ici non plus cette grande varieté d’Armes, dont la Nature a muni diversement les Corps de différentes Espèces d’Animaux, comme sont les Grifes, les Cornes du pié & de la tête, les Dents & les Defenses, une Queuë, un Eguillon, & une Trompe. Les Naturalistes remarquent aussi, que ce doit être quelque Principe caché, distinct de ce qu’on nomme la Raison, qui enseigne aux Animaux à faire usage de leurs Armes, & à les emploïer de la maniere qui leur est la plus avantageuse ; parce qu’ils se défendent naturellement avec cette partie de leur Corps où reside leur plus grande force, avant même que l’Instrument y soit formé, comme on peut le voir dans les Agneaux, qui, bien que nourris dans la Maison, & qu’ils n’aient jamais vû les actions de leurs semblables, poussent de la tête contre ceux qui les aprochent, avant que leurs Cornes commencent à paroitre.

J’ajouterai à ces remarques genérales un Exemple que Mr. Locke nous donne de la Providence, dans les imperfections même d’une Créature qui paroît la plus chetive & la plus méprisable qu’il y ait dans tout le Monde animé. « Essai concernant L’Entendement &c. p.154.§.13.Nous pouvons conclure, dit il, du Méchanisme d’une Huitre ou d’un Pétoncle, que ces Animaux n’ont pas les Sens si vifs, ni en aussi grand nombre que l’Homme : Supose même qu’ils en fussent munis ; dans l’incapacité où ils sont de se transporter d’un lieu à un autre, il ne leur en reviendroit aucun avantage. De quoi serviroient la Vûe & l’Ouie à une Créature, incapable de s’aprocher ou de s’éloigner d’un Objet, quelque utile ou quelque malfaisant qu’il lui parût de loin ? Une Sensation vive ne seroit-elle pas incommode à un Animal, qui doit être fixe au lieu où le Hazard l’a placé, & y recevoir l’eau trop froide ou trop chaude, nette ou sale qui s’y trouve. »

J’accompagnerai cet Exemple d’un autre que le savant Docteur Moor cite de Cardan, à l’égard d’un autre Animal qui paroît défectueux ; mais où la sagesse de la Providence éclate dans la formation de ce même Organe où elle semble avoir le plus manqué. « Y a t’il rien, dit-il, de plus commun que la Taupe, & qui nous fournisse en même tems une Preuve plus sensible de la Providence ? Tous ses membres sont exactement proportionnez à son état : Réduite à se cacher sous terre, où l’on ne voit rien, elle a de si petits yeux, que les Naturalistes ont quelque peine à lui en attribuer. Mais elle en est bien dédommagée par l’ouïe, qu’elle a très fine, & qui la dispose à éviter le péril, d’abord a qu’elle entend le moindre bruit. Nous voïons d’ailleurs à quoi lui servent la queuë & les jambes courtes, avec les pieds de devant larges & munis de bonnes grifes, puisqu’elle creuse la terre & s’y met à couvert d’une vitesse incroïable. Elle a donc les jambes courtes, afin de ne creuser pas au delà de ce qu’il lui faut pour admettre l’épaisseur de son corps, & les pates de devant larges, afin de pouvoir enlever beaucoup de terre à la fois. On peut dire aussi qu’elle n’a qu’un bout ou point de queuë, parce qu’obligée à creuser la terre, qui ne cede pas avec la même facilité que l’Air ou l’Eau, on pourrait la surprendre avant qu’elle eût achevé son Ouvrage, & qu’elle s’en fût mise en posession. »

La remarque de Mr. Boyle sur ce petit Animal vient ici fort à propos. Il nous dit quelque part dans ses Ouvrages, que la Taupe, qui n’est pas tout à fait aveugle, comme on le croit d’ordinaire, n’a pas la vûe assez bonne pour distinguer les différens Objets ; qu’elle n’a dans les yeux qu’une seule Humeur, qui ne lui donne que l’idée de la Lumiere, & que cette idée lui cause même quelque peine. Elle risqueroit ainsi d’être prise, lorsqu’elle vient au grand jour, si l’éclat incommode de la Lumiere ne l’avertissoit de s’enterrer au plutôt dans son propre Element. Un peu plus de Vûe lui seroit inutile, & un peu moins tourneroit à son desavantage.

Je n’ai touché qu’à ces Animaux qui paroissent les Ouvrages les plus imparfaits de la Nature ; & si la Providence éclate dans leur formation, comment ne brilleroit-elle pas dans ce nombre infini de qualitez qu’elle a répandues sur tant de Créatures animées, qui sont plus ou moins parfaites, à proportion de l’état où elles se trouvent ?

Je souhaiterois bien que notre Societé Roïale s’appliquât à ramasser un corps d’Histoire Naturelle, fondée sur les Livres & les Observations. Si chacun de ses Ecrivains prenoit pour sa tâche une Espèce particuliere d’Animaux, & qu’il nous rendît un compte exact de leur Naissance & de leur Education ; de leur Politique, de leurs Hostilitez & de leurs Alliances ; de la contexture de leurs parties internes, sur tout de celles qui les distinguent de tous les autres Animaux, aussi-bien que de l’aptitude qu’ils ont pour l’état où la Providence les a mis ; s’ils en venoient là, dis-je, ils rendroient au Genre Humain un des plus grands services qu’il pût jamais recevoir de leurs Etudes, & qui ne contribueroit pas peu à la gloire du sage Auteur de l’Univers.

Il est vrai que cette Histoire Naturelle, après toutes les recherches des Savans, seroit encore bien défectueuse, & très-éloignée de l’étendue de son vaste Sujet. Les Mers & les Déserts nous cachent des millions d’Animaux, dont les ruses & les stratagêmes ne viendront jamais à notre connoissance. D’ailleurs il y a infiniment plus d’Espèces de Créatures qu’on ne sau-roit voir sans le secours du Microscope, ou même à la saveur des verres les plus exacts, qu’il n’y en a qui tombent sous nos yeux. Quoi qu’il en soit, de la considération de ces Animaux qui nous seroient connus, nous pourrions aisément insérer, à l’égard des autres, qu’on voit éclater par-tout la même Sagesse & la même Bonté de Dieu, qui met chaque Créature en état de pourvoir à sa sûreté & à sa subsistance dans le rang où il l’a placée.

Ciceron nous a donné une admirable ébauche d’Histoire Naturelle dans son deuxième Livre de la nature des Dieux, & il l’a écrite d’un stile si relevé par de nobles Metaphores & de vives Descriptions, qu’il a mis son Sujet au dessus de la Raillerie & du Ridicule, où il ne tombe que trop souvent lorsqu’il est manié par un Ecrivain du commun.

L.

XXII. Discours Jovis omnia plena. Virg. Ecl. iii. 60. Tout marque, dans le Monde, la puissance de Jupiter. Lorsque je me promenois ce matin dans la grande basse-Cour de mon Ami, j’ai goûté un plaisir extrême à voir les différens éfets de l’instinct sur une Poule & une Couvée de Canards qui la suivoient. Ceux-ci, à la vûe d’un Vivier, s’y sont plongez aussitôt, pendant que leur Marâtre couroit le long des bords, avec une inquiétude surprenante, & les appelloit pour les faire sortir d’un Element qui lui paroissoit si dangereux. Comme on ne sauroit qualifier de Raison le Principe qui agissoit dans ces différens Animaux, lorsqu’on l’appelle Instinct, on désigne quelque chose dont nous n’avons aucune connoissance. Pour moi, il me semble, comme je l’ai insinué dans le Discours précédent, que c’est la Direction immédiate de la Providence, & une Operation aussi extraordinaire du souverain Monarque de l’Univers, que celle qui détermine toutes les portions de la Matiere vers leurs propres Centres. Un Philosophe moderne, que Mr. Bayle cite dans la savante Dissertation qu’il a publiée sur l’Ame des Bêtes, avance la même Opinion ; mais il l’exprime en des termes plus hardis, lorsqu’il pose que Deus est Anima Brutorum.Dieu est l’Ame des Brutes. Qui sait le nom qu’il faudroit donner à cette sagacité des Animaux, qui les dirige à la nourriture qui leur est propre, & les éloigne de tout ce qui leur est nuisible ou mal sain ? Ciceron a remarqué qu’un Agneau n’est pas plutôt mis bas, qu’il s’attache d’abord de lui-même à la tête de sa mère. Dampier nous dit aussi, dans ses Voïages, que lorsque les Navigateurs sont jettez sur quelques Côtes inconnues de l’Amerique, ils ne se hasardent jamais à goûter d’aucun Fruit, quelque charmant qu’il paroisse à la vûe, à moins qu’il ne soit bequeté des Oiseaux ; mais qu’ils en mangent sans aucune crainte si les Oiseaux y ont touché les premiers. D’ailleurs, quoi que les Bêtes n’aient rien qui aproche de l’usage de la raison, elles possedent toutes nos qualitez inferieures, je veux dire les Passions & les Sensations, dans un degré plus éminent que nous-mêmes. Il faut bien remarquer aussi que toutes les Bêtes de proie sont fort sujettes à la colere, à la malice, à la vangeance, & à toutes les autres Passions violentes qui les peuvent animer à la quête de leur nourriture ; que celles qui sont incapables de se défendre elles-mêmes, ou d’attaquer les autres, ou dont toute la ressource est dans la fuite, sont d’un naturel soupçonneux & timide, & qu’elles s’éfraient à la vûë ou à l’ouïe de la moindre chose ; pendant qu’il y en a d’autres, d’estinées <sic> à l’usage de l’Homme, qui sont d’un naturel doux, traitable, commode pour la vie privée. Dans ce cas, les Passions répondent en géneral à la structure du corps. On ne voit pas la fureur d’un Lion dans un Animal aussi foible & sans défense que l’est un Agneau, ni la douceur d’un Agneau, dans une Créature si bien armée pour le combat que le Lion. Il y a de même certains Animaux qui ont plus ou moins de penétration & de sagacité dans les Sens qui leur sont plus ou moins utiles, & qui tournent plus ou moins à leur sûreté & à leur avantage. Il ne faut pas oublier ici non plus cette grande varieté d’Armes, dont la Nature a muni diversement les Corps de différentes Espèces d’Animaux, comme sont les Grifes, les Cornes du pié & de la tête, les Dents & les Defenses, une Queuë, un Eguillon, & une Trompe. Les Naturalistes remarquent aussi, que ce doit être quelque Principe caché, distinct de ce qu’on nomme la Raison, qui enseigne aux Animaux à faire usage de leurs Armes, & à les emploïer de la maniere qui leur est la plus avantageuse ; parce qu’ils se défendent naturellement avec cette partie de leur Corps où reside leur plus grande force, avant même que l’Instrument y soit formé, comme on peut le voir dans les Agneaux, qui, bien que nourris dans la Maison, & qu’ils n’aient jamais vû les actions de leurs semblables, poussent de la tête contre ceux qui les aprochent, avant que leurs Cornes commencent à paroitre. J’ajouterai à ces remarques genérales un Exemple que Mr. Locke nous donne de la Providence, dans les imperfections même d’une Créature qui paroît la plus chetive & la plus méprisable qu’il y ait dans tout le Monde animé. « Essai concernant L’Entendement &c. p.154.§.13.Nous pouvons conclure, dit il, du Méchanisme d’une Huitre ou d’un Pétoncle, que ces Animaux n’ont pas les Sens si vifs, ni en aussi grand nombre que l’Homme : Supose même qu’ils en fussent munis ; dans l’incapacité où ils sont de se transporter d’un lieu à un autre, il ne leur en reviendroit aucun avantage. De quoi serviroient la Vûe & l’Ouie à une Créature, incapable de s’aprocher ou de s’éloigner d’un Objet, quelque utile ou quelque malfaisant qu’il lui parût de loin ? Une Sensation vive ne seroit-elle pas incommode à un Animal, qui doit être fixe au lieu où le Hazard l’a placé, & y recevoir l’eau trop froide ou trop chaude, nette ou sale qui s’y trouve. » J’accompagnerai cet Exemple d’un autre que le savant Docteur Moor cite de Cardan, à l’égard d’un autre Animal qui paroît défectueux ; mais où la sagesse de la Providence éclate dans la formation de ce même Organe où elle semble avoir le plus manqué. « Y a t’il rien, dit-il, de plus commun que la Taupe, & qui nous fournisse en même tems une Preuve plus sensible de la Providence ? Tous ses membres sont exactement proportionnez à son état : Réduite à se cacher sous terre, où l’on ne voit rien, elle a de si petits yeux, que les Naturalistes ont quelque peine à lui en attribuer. Mais elle en est bien dédommagée par l’ouïe, qu’elle a très fine, & qui la dispose à éviter le péril, d’abord a qu’elle entend le moindre bruit. Nous voïons d’ailleurs à quoi lui servent la queuë & les jambes courtes, avec les pieds de devant larges & munis de bonnes grifes, puisqu’elle creuse la terre & s’y met à couvert d’une vitesse incroïable. Elle a donc les jambes courtes, afin de ne creuser pas au delà de ce qu’il lui faut pour admettre l’épaisseur de son corps, & les pates de devant larges, afin de pouvoir enlever beaucoup de terre à la fois. On peut dire aussi qu’elle n’a qu’un bout ou point de queuë, parce qu’obligée à creuser la terre, qui ne cede pas avec la même facilité que l’Air ou l’Eau, on pourrait la surprendre avant qu’elle eût achevé son Ouvrage, & qu’elle s’en fût mise en posession. » La remarque de Mr. Boyle sur ce petit Animal vient ici fort à propos. Il nous dit quelque part dans ses Ouvrages, que la Taupe, qui n’est pas tout à fait aveugle, comme on le croit d’ordinaire, n’a pas la vûe assez bonne pour distinguer les différens Objets ; qu’elle n’a dans les yeux qu’une seule Humeur, qui ne lui donne que l’idée de la Lumiere, & que cette idée lui cause même quelque peine. Elle risqueroit ainsi d’être prise, lorsqu’elle vient au grand jour, si l’éclat incommode de la Lumiere ne l’avertissoit de s’enterrer au plutôt dans son propre Element. Un peu plus de Vûe lui seroit inutile, & un peu moins tourneroit à son desavantage. Je n’ai touché qu’à ces Animaux qui paroissent les Ouvrages les plus imparfaits de la Nature ; & si la Providence éclate dans leur formation, comment ne brilleroit-elle pas dans ce nombre infini de qualitez qu’elle a répandues sur tant de Créatures animées, qui sont plus ou moins parfaites, à proportion de l’état où elles se trouvent ? Je souhaiterois bien que notre Societé Roïale s’appliquât à ramasser un corps d’Histoire Naturelle, fondée sur les Livres & les Observations. Si chacun de ses Ecrivains prenoit pour sa tâche une Espèce particuliere d’Animaux, & qu’il nous rendît un compte exact de leur Naissance & de leur Education ; de leur Politique, de leurs Hostilitez & de leurs Alliances ; de la contexture de leurs parties internes, sur tout de celles qui les distinguent de tous les autres Animaux, aussi-bien que de l’aptitude qu’ils ont pour l’état où la Providence les a mis ; s’ils en venoient là, dis-je, ils rendroient au Genre Humain un des plus grands services qu’il pût jamais recevoir de leurs Etudes, & qui ne contribueroit pas peu à la gloire du sage Auteur de l’Univers. Il est vrai que cette Histoire Naturelle, après toutes les recherches des Savans, seroit encore bien défectueuse, & très-éloignée de l’étendue de son vaste Sujet. Les Mers & les Déserts nous cachent des millions d’Animaux, dont les ruses & les stratagêmes ne viendront jamais à notre connoissance. D’ailleurs il y a infiniment plus d’Espèces de Créatures qu’on ne sau-roit voir sans le secours du Microscope, ou même à la saveur des verres les plus exacts, qu’il n’y en a qui tombent sous nos yeux. Quoi qu’il en soit, de la considération de ces Animaux qui nous seroient connus, nous pourrions aisément insérer, à l’égard des autres, qu’on voit éclater par-tout la même Sagesse & la même Bonté de Dieu, qui met chaque Créature en état de pourvoir à sa sûreté & à sa subsistance dans le rang où il l’a placée. Ciceron nous a donné une admirable ébauche d’Histoire Naturelle dans son deuxième Livre de la nature des Dieux, & il l’a écrite d’un stile si relevé par de nobles Metaphores & de vives Descriptions, qu’il a mis son Sujet au dessus de la Raillerie & du Ridicule, où il ne tombe que trop souvent lorsqu’il est manié par un Ecrivain du commun. L.