La Bagatelle: Conclusion de la Bagatelle
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Nível 1
Conclusion de la Bagatelle
Nível 2
On dit que le Public est fort
scandalisé de ce que la Bagatelle disparoit depuis un certain
tems. Voilà ce que c’est que la bizarrerie de l’Esprit Humain.
Quand j’ai donné des Bagatelles tant qu’il en pleuvoit, on en
étoit las, fatigué, on les portoit sur les épaules ; la
Bagatelle étoit trop sérieuse, la Bagatelle étoit trop folâtre ;
la Bagatelle étoit trop relevée ; la Bagatelle donnoit dans le
bas & dans le rampant. Enfin, on me cherchoit anicroche de
tous côtés : vingt critiques, tout au moins, contre un seul
applaudissement. A présent que la Bagatelle est éclipsée, on la
demande à cor & à cri. Il y a même une douzaine de Curieux,
qui s’offrent à faire une souscription assez considérable pour
encourager l’Auteur, qui dans le fond est un peu découragé,
& qui a ses petites raisons pour l’être. Voilà qui est fait,
je veux bien avoir, quelque complaisance pour les caprices des
Hommes, & écrire sur nouveaux fraix. J’ose même
assurer mes Lecteurs, qu’ils n’auroient rien perdu pour
attendre. Oui, Messieurs, ce que je vai vous communiquer à
présent, consiste en réflexions profondes sur les matiéres les
plus épineuses. J’ai eu besoin de la plus forte méditation pour
les creuser ; j’y vai répandre des lumiéres merveilleuses ;
& soyez persuadés, que personne ne vous a jamais dit ce que
vous allez entendre aujourd’hui ... Que vois-je, Messieurs ?
Vous êtes surpris de mon stile, mes promesses magnifiques vous
frappent & vous étonnent. Vous allez croire, j’en suis sûr,
que je veux m’ériger en Prédicateur. Suspendez votre jugement,
je vous en prie, contentez-vous d’être fortement persuadés,
qu’il n’y a que moi seul qui puisse vous expliquer, comme il
faut, la matiére en question, & que jusqu’ici personne ne
l’a mise dans son véritable jour. S’agit-il de raisonner ? Je
suis l’homme du monde le plus capable de faire connoître la
foiblesse de ces Esprits timides, qui ne perdent jamais un
principe de vue, semblables à ces Nautoniers craintifs, qui,
pour ne pas s’égarer dans la vaste étendue de l’Océan, jettent à
tous momens un œil attentif sur la Boussolle. Pour moi, animé
d’une témérité héroïque, je me laisse emporter par la tempête de
mon imagination, & je me sauve du mieux que je puis.
S’agit-il d’un savoir immense, d’une érudition illimitée, qui
sait mieux que moi en étaler le noble orgueil ? Personne au moins ne me disputera la gloire d’être le
prémier homme du monde pour l’intelligence des Langues
Originales. Jusques ici les plus Grands Hommes n’ont pas eu la
moindre idée du génie de ces Langues ; les Livres les plus
importans ont été mal traduits ; à peine y a-t-il un seul
Passage dont on ait su bien développer le sens. Heureux notre
Siécle, d’avoir produit un Esprit de l’ordre du mien, un Esprit
propre à dissiper ces nuages ténébreux qui enveloppent la
République des Lettres ! Ecoutez-moi donc, je suis l’interprète
des Oracles de Minerve, je suis sa bouche. Votre surprise
augmente, à ce que je vois Messieurs mes Lecteurs. Je sai bien
ce que vous fait penser l’éloge pompeux par lequel je rens
<sic> justice à mon mérite, au défaut de quelque autre
Panégiriste, qui ne sauroit pas si bien que moi tout ce que je
puis valoir. Soyez-en convaincus, vos petites réflexions
secrettes n’échappent point à la vivacité de ma pénétration.
Voici ce que vous pensez ; démentez-moi, si vous en avez le
courage, parlez La Bagatelle a changé d’Auteur ; c’est le
vénérable Docteur qui la compose a présent. Le joli Ouvrage que
nous allons voir ! Quel feu d’imagination ! Nous ne nous
proménerons plus terre à terre dans de routes battues. Ce grand
Homme va nous enlever dans les Espaces imaginaires ; nous
verrons voltiger autour de nous mille jolis Monstres, des
Chevaux ailés, des Chimères, des Dragons, nous leur verrons
prendre à nos yeux mille nouvelles figures ; nous nous
divertirons comme des Princes ; il n’y aura pas
moyen de nous ennuyer un moment dans une si aimable compagnie.
Halte-là, Messieurs, vous êtes trop précipités dans vos
jugemens ; & savez-vous d’où vient votre précipitation ? Je
vai vous le dire, redoublez votre attention, la chose en vaut
bien la peine. Votre précipitation a sa source dans votre
ignorance ; il n’y a point de Peuple au monde qui le soit autant
que vous & cependant le devriez vous être ? Il y a déja si
longtems que je vous prêche, que j’épuise toutes mes lumiéres
pour vous inculquer les vérités les plus extraordinaires &
les plus importantes, que je fais tous mes efforts pour arracher
votre esprit de ce gouffre d’ignorance où il est plongé. Vous ne
voulez pas en sortir, vous vous obstinez à ignorer les prémiers
élémens des Connoissances qui vous devroient être familiéres.
Quoique votre ignorance soit un fait incontestble, vous osez
vous plaindre pourtant de mes fréquentes répétitions ; vous osez
vous ennuyer de la longueur de mes sages préceptes ; vous vous
révoltez même contre ce titre d’Ignorans, que je fais resonner
si souvent à vos oreilles. Mais vous avez beau faire, je ne m’en
lasserai pas. Oui, vous êtes des Ignorans ; & faut-il s’en
étonner ? Vous vous livrez continuellement à des dissipations
puériles ; que dis-je, puériles ! honteuses, criminelles,
infames. Pour le coup, direz-vous, nous voilà au fait ; C’est le
Docteur * * *, à coup sûr ; nous n’avons qu’à nous
bien tenir ; il va nous accabler par les plus mordantes
inventives ; les foudres de son éloquence vont tomber sur nos
Instrumens de Musique ; nous allons voir chaque coup d’archet
traité de péché mortel ; chaque petit Air Bachique de crime
damnable. Heureux encore, si l’orage passoit bien vite ! mais il
est fort à craindre qu’il grondera sur nos têtes pendant deux ou
trois bonnes heures d’horloge. Rassurer vous, mes Amis, rassurez
vous ; le danger n’est pas si grand que vous vous l’imaginez ;
vous n’avez que faire de chercher vos bonnets de nuit, vous ne
coucherez pas au Sermon pour cette fois. Je n’ai pas grand chose
à vous dire dans le fond ; mon petit Discours (écoutez bien ce
que je vai vous dire, & sentez toute la force de ce bel
endroit) mon petit Discours, dis-je, ressemble assez au Sonnet
de Scarron, qui finit par C’est de propos délibéré que j’ai pris
ce tour éblouissant ; j’ai cru par-là m’accommoder au goût de
notre bonne ville, où l’on m’assure que cette espéce d’éloquence
a la vogue. Tout ce que j’ai à vous annoncer, c’est que c’est
fait de la Bagatelle, elle ne paroîtra plus. Serviteur très
humble, jusqu’au revoir pourtant.
Citação/Lema
Sur
cette montagne terrible, Il ne m’est, sur mon Dieu, jamais
rien arrivé.