Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XCVI. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.2\045 (1745), S. 288-296, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2242 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XCVI. Bagatelle

Du Jeudi 6. Avril 1719.

Metatextualität► Dialogue des Morts entre la Comedie & l’Opera de la H * *. ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Allegorie► Dialog► La Comedie.

Zitat/Motto► Que vois-je ? juste Ciel ! en croirai-je mes yeux ?

Tu reviens donc, mon Frére, en ces aimables lieux ?

Où depuis trois hivers, sans craindre une rivale,

Ma clameur retentit, & ma pompe s’étale.

Cruel ! éloigne toi, ta présence me perd :

Ah ! laisse-moi du moins jouir de ce désert.

Quoi ! lasse de courir de province en province,

D’étourdir le Bourgeois, sans approcher du Prince ;

Je vois que ta fureur m’arrache un maigre gain,

Qui me procure à peine, & du fard & du Pain !

Crains de ton attentat la juste récompense ;

Du sein de ton forfait va naître ma vengeance ;

Et mes derniers regards, sur toi seul attaches,

Par la cruelle faim verront tes jours tranchés. ◀Zitat/Motto

[289] L’Opera.

Eh si, au diable ! Ma Sœur, tu branles d’une maniére si desagréable, qu’il n’y a point d’oreille un peu Musicienne, qui en puisse soutenir le desagrément. Traduis tes plaintes en Prose, je t’en conclure ; encore ai-je bien peur, qu’en Prose même, tu ne m’étourdisses par ta chagrinante déclamation. C’est une chose épouvantable, que vous ne puissiez pas parler naturellement vous autres, du moins quand vous êtes hors du Théatre. N’ai-je pas vu de tes Suppôts dans un Caffé, demander une tasse de chocolat, du même ton dont il étoit accoutumé de prononcer,

Zitat/Motto► Quoi, Pirrhus ! je te rencontre encore ?

Trouverai-je par-tout un rival que j’abhorre ? ◀Zitat/Motto

La Comedie.

Est-il tems de badiner, mon Frére, quand un orage de disgraces & de catastrophes est prêt à crever sur nos têtes ? orage que tu nous attires par l’imprudente démarche que tu fais. Tu n’as jamais pu subsister tout seul dans cette Ville, où, par le plus funeste travers d’esprit,

Zitat/Motto► Aux pathétiques tons du récit le plus tendre,

On préfére Gano, Matadors, & sans prendre. ◀Zitat/Motto

[290] Tu sais qu’en occupant ta place, je n’ai fait que succéder à ta misére ; & tu t’imagines à présent que nous nous enrichirons tous deux, par le partage de notre pauvreté.

L’Opera.

Je ne suis pas assez sot pour avoir une opinion si bizarre. Non, ma chére Sœur, tu seras obligée de décamper, & de chercher fortune ailleurs ; je compte là-dessus, à te parler naturellement.

La Comedie.

Mais voyez donc ce petit impertinent : tu prétens l’emporter sur moi, tu veux faire entrer tes roulemens & tes ports de voix, en comparaison avec la prononciation ronflante d’un Vers harmonieux ? Défais-toi de cet orgueil, je t’en prie ; & apprens de moi qu’il n’y a point d’homme sens, qui ne préfére le naturel du Discours versifié, à l’extravagance de s’emporter en bè-carre, & de moûrir en Bé-mol.

L’Opera.

Ne comparons point Comédie à Opéra, ma pauvre Sœur ; il ne s’agit ici que de nos deux individus, s’il te plaît. Quand on vient chez moi, on ne s’attend point à un Spectacle na-[291]turel, j’ai fait une conversation tacite avec le Spectateur, de ne lui offrir rien de vraisemblable. Mais on va chercher la Nature chez toi, ta profession t’engage à ne te jamais éloigner d’elle, & au diantre ! si tu la connais seulement de réputation.

La Comedie.

Zitat/Motto► O rage ! ô desespoir ! ô triste Comédie !

As-tu donc tant vécu pour voir cette infamie ?

As-tu chanté les faits de mille Rois altiers,

Pour voir dans un seul jour flétrir tant de lauriers ? ◀Zitat/Motto

Je ne connois pas la Nature, je ne la connois pas, moi, qui pendant cinquante ans ai été sa fidéle interpréte ; qui ai su tirer des larmes de mille yeux Provinciaux ; moi, qui dans ma jeunesse l’ai étudiée sous Baron & sous la Champmeslé.

L’Opera.

Hé ! ma bonne Sœur, il valoit mieux l’étudier dans le cœur de l’Homme ; mais cette étude est un peu épineuse, elle demande de l’attention & des talens. L’imitation vague d’un prétendu bon Modéle, est bien plus aisée. Sais-tu ce que m’a appris un Bel-Esprit de ma connoissance ? C’est qu’avant que de prétendre se former au langage des Passions, il faut savoir [292] prononcer comme il faut les Discours ordinaires, qui ne ont pas susceptibles du Pathétique. Pour toi, tu méprises cet art comme trop commun & trop bas, & tu ne saurois dire à un Laquais de fermer la porte, sans prendre un ton d’emphase, & sans cadancer tes expressions.

La Comedie.

Tu fais le petit raisonneur, & ton Bel-Esprit n’est qu’un Sot. Je parierois ma vie, qu’il n’a jamais mis le pié dans Paris ; ou du moins, qu’il n’a jamais vu ma Sœur ainée, qui y fait une figure si brillante, & dont le mérite est pourtant de la même nature que le mien. Mais les Gens de ce Pays-ci ont si peu de goût, qu’il y a presque du des-honneur à s’attirer leurs applaudissemens. Pour toi, mon petit Frére, tu te fais sans doute gloire de leur plaîre ; je suis curieuse seulement de savoir par quel charme tu prétens y réussir ?

L’Opera.

J’ai la voix passable, comme tu sais ; & il y a ici beaucoup de personnes qui aiment le Chant.

La Comedie.

Ils aiment le Chant, dis-tu ? Eh ! que ne [293] viennent-ils donc chez moi en foule ? je leur donnerai du Chant tant & plus.

L’Opera.

Tu ne leur en donnes que trop, & c’est justement pour cette raison qu’on te trouve si ridicule & si instupide.

La Comedie

Hélas ! on m’avoit voulu persuader que les Gens de ce Pays avoient du bon-sens, & voilà pourtant la conduite la plus capricieuse qu’on puisse concevoir : ils te suivent pour le Chant, & c’est pour le Chant qu’ils me désertent.

L’Opera.

Il y a Chant & Chant, ma pauvre Sœur. Tu as à ton service une seule de mes Suivantes, & tu sais qu’une Cantate fredonné de sa façon de tems en tems, est la seule chose qui retient encore un reste de vie dans ton corps boursouflé. Pour toi, tu ne chantes pas, tu psalmodies ; & pour ton Chant consiste en quatre on <sic> cinq Notes, que la fortune arrange au gré de sa bizarrerie. Eh ! si, te dis-je, ta Musique n’est qu’un Plein-Chant monotone, qui fait crever de rire les honnêtes-gens, quand tu fais tous tes efforts pour les faire pleurer.

[294] La Comedie.

Mais toi, qui te donnes les airs de me critiquer, dis-moi, je t’en prie, comment tu t’y prendrois pour toucher & pour plaîre, si tu étois à ma place ?

L’Opera.

Voici, mon Enfant, comment devroient faire des gens qui n’ont ni esprit, ni jugement, & qui veulent pourtant se mêler d’être Comédiens. Qu’ils commencent par apprendre un peu de Musique, & qu’avant que de représenter une Piéce, ils la fassent noter par quelque habile homme, qui entendre un peu la Composition, & qui sache parfaitement quel ton exige chaque passion différente. Il ne leur manquera alors que le geste & le bon air, pour faire merveille sans avoir le Sens-commun.

La Comedie.

Voilà un maqnifique conseil, vraiment ! Le moindre Courtaut de boutique n’auroit donc qu’apprendre à chanter pendant deux mois, pour être aussi bon Acteur qu’un Homme qui a blanchi sous les Habits du Théâtre. Non, plutôt que d’avilir d’une maniére si honteuse la noblesse de mon Art, j’aime mieux te céder ma [295] place, & abandonner ce Pays stupide à son goût Bourgeois.

Zitat/Motto► Mais, solitaires lieux, s’il faut que je vous fuie,

Hélas ! où trainerai-je une mourante vie ?

Sur quels bords malheureux, dans quels tristes climats.

Eviter les siflets attachés à mes pas ? ◀Zitat/Motto

L’Opera.

Tu me fais pitié, ma chére Sœur. Il est pourtant naturel que je préfére mon intérêt au tien, & que je fasse tous mes efforts pour te faire sortir d’ici. Mais, que ne vas-tu t’établir en M… ? Une Comédie Françoise aura-là apparemment toutes les graces de la nouveauté, & tes tons de Théatre y passeront sans doute pour les tons ordinaires de nos Compatriotes. On ne les en estimera pas davantage, mais tu auras dequoi vivre, & c’est tout ce que tu demandes.

La Comedie.

Zitat/Motto► Ah ! laisse-moi, mon Frére, à mes mortels ennemis :

Tu redoubles l’horreur de l’état où je suis.

Laisse-moi : Ta pitié, tes conseils & la vie,

Accablent de malheurs la pauvre Comédie ;

Toi-même, va plutôt, Orphée de nos jours,

Par tes tons enchanteurs apprivoiser les Ours. ◀Zitat/Motto

[296] L’Opera

Oh ! pour cela, je n’en ferai rien : je reste ici, c’est une affaire résolue. Tu n’as qu’à prendre le parti que tu troueras à propos.

La Comedie.

Zitat/Motto► Je parts. Puisse le Ciel, pour venger tes forfaits,

Avec le Peuple Hébreu te brouiller à jamais ! ◀Zitat/Motto ◀Dialog ◀Allegorie ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1