Le Spectateur ou le Socrate moderne: XX. Discours

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Nivel 1

XX. Discours

Cita/Lema

Orandum est, ut sit mens sana in corpore sano.

Juv. Sat. x. 356.

Il faut demander à Dieu, qu’il vous donne du bon Sens & de la Santé.

Nivel 2

Le travail du Corps est de deux sortes, ou celui qu’on se donne pour gagner sa vie, ou celui que l’on endure pour son plaisir. Le dernier prend le nom d’exercice, & ne différe de l’autre que par le Motif. La Vie de la Campagne abonde en ces deux sortes de travail ; c’est pour cela qu’on y aquiert un plus grand fonds de santé, & qu’on y jouït mieux de soi-même, qu’aucune autre part. Je regarde le Corps comme un Tout formé de Vaisseaux & de Glandes, ou pour me servir d’une expression plus rustique, comme un Amas de Tuïaux & de Couloirs, ajustez les uns avec les autres d’une maniere si merveilleuse, qu’ils le rendent un Organe propre à recevoir les influences de l’Ame. Cette Description n’embrasse pas seulement les Intestins, les Os, les Tendons, les Veines, les Nerfs, & les Artères ; mais aussi tous les Muscles, & les Ligamens, composez de Fibres, qui sont autant de Tuïaux imperceptibles entrelacez avec les Glandes ou les Couloirs, qui échapent à la vûe. Cette idée générale du Corps Humain, sans entrer dans toutes les delicatesses de l’Anatomie, nous fait voir que le travail est absolument nécessaire, pour le conserver en bon état. Il a besoin de fréquentes agitations pour mêler, digerer & separer les Sues qu’il renferme, pour nétoïer & déboucher ce nombre ïnfini de Tuïaux & de Couloirs dont il est composé ; aussi-bien que pour donner à leurs parties solides une consistence plus forte & plus durable. Le Travail ou l’Exercice aide à la fermentation des Humeurs, les chasse dans leurs propres Conduits, rejette ce qu’il y a de superflu, & vient au secours de la Nature dans ces distributions secrettes, sans lesquelles le Corps ne sauroit subsister en sa vigueur, ni l’Ame agir avec toute la promptitude requise. Je pourrois étaler ici les effets que l’Exercice produit sur toutes les Facultez de l’Ame, & vous dire qu’il purifie l’Entendement, qu’il débarasse l’imagination, & qu’il rafine les Esprits animaux qui sont nécessaires aux operations de l’un & de l’autre, pendant que l’Ame est unie avec le Corps. Ce n’est qu’à la négligence d’un pareil Exercice qu’on doit attribuer le Mal de Rate, auquel les Personnes studieuses & d’une vie sedentaire sont sujettes, de même que les Vapeurs si communes au beau Sexe. Si l’Exercice n’étoit d’une absolue nécessité pour notre avantage, la Nature n’y auroit pas si bien disposé le Corps en donnant aux Membres autant d’activité, & à chaque partie autant de souplesse, qu’il en faut pour produire ces Compressions, Extensions, Contorsions, Dilatations, & tous les autres Mouvemens qui aident à conserver la Machine. Afin même de nous y engager d’une maniere indispensable, la Nature a si bien ordonné toutes choses qu’on ne sauroit obtenir rien de bon sans cela. Pour ne pas insister sur les Richesses & les Honeurs, si l’on veut avoir dequoi vivre & dequoi s’habiller, il faut qu’il en coûte le travail des mains & la sueur du visage. La Providence nous fournit les materiaux ; mais elle atend que nous les mettions en œuvre nous-mêmes. Il faut cultiver la Terre avant qu’elle donne son fruit, & lors qu’elle est forcée à nous étaler ses diférentes Productions, quel nombre infini de mains ne doit-on pas y emploïer, avant qu’elles soient bonnes à notre usage ? Les Manufactures, le Commerce & l’Agriculture, de vingt Parties où l’on reduiroit notre Espèce, en occupent naturellement dix-neuf ; & ceux qui ne sont pas obligez de travailler, par l’état où leur naissance les a mis, seroient plus malheureux que les autres Hommes, s’ils ne s’apliquoient au Travail volontaire, qui porte le nom d’Exercice.

Nivel 3

Retrato ajeno

Mon Ami le Chevalier a été infatigable dans les Occupations de cet ordre, & il y a divers endroits de sa Maison chargez des Trophées de ses anciens Travaux. Les murailles de sa grande Salle sont parées des Têtes de plusieurs Bêtes fauves qu’il a tuées à la Chasse, & qu’il regarde comme les plus riches de tous ses Meubles, en ce qu’il en prend souvent occasion de discourir, & qu’elles insinuent qu’il n’a pas demeuré oisif. Au fond de cette même Salle on voit la Peau d’une grosse Loutre suspendue & remplie de foin, que la Mere du Chevalier y fit placer, & dont la vûe le réjouit beaucoup lui-même, parcequ’il n’avoit que neuf ans lorsque son Chien la tua. Une petite Chambre à côté de la Salle est une espèce d’Arsenal garni de Fusils de diverses longueurs & façons, avec lesquels le Chevalier a fait un terrible carnage dans les Bois, & détruit plusieurs millions de Phaisans, de Perdrix & de Bécasses. Les Portes de son Ecurie sont ornées de Museaux des Renards qu’il a forcez lui même. II m’en fit voir un sur-tout qui, pour le distinguer des autres, est attaché avec un Clou de cuivre, & qui l’obligea de courir près de quinze heures, de traverser une demi douzaine de Provinces, lui fit crever deux Chevaux hongres, & perdre plus de la moitié de ses Chiens.
Il n’y a point d’Exercice que je voulusse plutôt recommander à mes Lecteurs de l’un & de l’autre Sexe que celui d’aller à Cheval, parcequ’il n’y en a pas qui contribue tant à la Santé, ni qui soit plus convenable à tous égards au Corps, suivant l’idée que j’ai donnée de sa structure. Le Docteur Sydenham a parlé de cet Exercice avec de grands éloges ; & si l’on est curieux de voir une Description étendue des effets qu’il produit par le seul Méchanisme, on la trouvera dans un Livre Anglois, qui a paru depuis quelques années, sous le titre de Medicina Gymnastica, c’est-à-dire de la Médecine qui regarde les Exercices du Corps. Pour moi, lorsque je suis en Ville, faute d’occasion d’aller à Cheval, je m’exerce une heure tous les matins à tirer une Cloche sans batant, qui est à l’un des coins de ma Chambre, & qui me plaît d’autant mieux qu’elle m’obéit dans un profond silence. Mon Hôtesse & ses Filles savent si-bien les heures de mon Exercice, qu’elles ne viennent jamais l’interrompre.

Nivel 3

Relato general

Lorsque j’étois de quelques années plus jeune que je ne suis, je me divertissois à un Exercice plus fatigant, que j’avois pris d’un Traité des Exercices du Corps, qui est écrit en Latin, & où il y a beaucoup d’Erudition. L’Auteur appelle cet Exercice Σκιομυχία, ou le Combat d’un Homme avec son Ombre, qui consiste à tenir dans chaque main un gros bâton court, garni de blomb aux deux bouts, & à les secouer vigoureusement l’un & l’autre. Cette agitation dégage la poitrine, exerce les membres, & donne à un Homme tout le plaisir d’un Combat réel, sans l’exposer aux coups. Je souhaiterois que bien des Savans qui disputent sur des vétilles, emploïassent ce tems perdu à se battre ainsi avec leurs Ombres. Ils se délivreroient par là de ces fumées de la Rate, qui les rendent incommodes au Public & à eux-mêmes.
En un mot, puisque j’ai une Ame & un Corps, je me trouve engage à deux sortes de devoirs, & je ne croi pas m’être aquité de la tâche du jour, si je n’occupe l’un au Travail & à l’Exercice, de même que l’autre à l’Etude & à la Méditation. L.