La Bagatelle: LXXV. Bagatelle
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Nivel 1
LXXV. Bagatelle
Du Lundi 23. Janvier 1719.
Nivel 2
Metatextualidad
Je n’ai pas le tems aujourd’hui,
Ami Lecteur, de vous donner quelque chose de ma façon mais
franchement je crois que vous y gagnerez. Je ne ferai que
traduire en votre faveur, un petit Discours allégorique,
touchant la Poësie Pastorale, qui, à mon avis, en développe
parfaitement bien le caractère. Vous en jugerez.
Nivel 3
Alegoría
Une des plus agréables Vallées
de l’Arcadie, étoit autrefois le séjour du sage
Ménalque, qui, par sa vertu & par ses richesses,
s’étoit acquis une espéce de Royauté naturelle sur les
autres Pasteurs. Comme il prétendoit tirer son origine
du Dieu Pan, il se faisoit un devoir de s’attacher
exactement aux regles de la Vie Pastorale,
qu’on avoit observées dans l’Age d’Or. Son Enfant unique
étoit Amarillis, dont la beauté réguliére, & l’air
aisé, il n’y avoient rien tiré de l’Art, & dévoient
tout à la Nature. Elevée à la campagne, elle avoit dans
ses regards une pudeur extrêmement timide ; &
quoique sa voix fût d’une douceur insinuante, il y avoit
pourtant quelque chose de rustique ; mais cette légére
rusticité, étoit plutôt un charme accessoire qu’un
desagrément. Mille Bergers de tous les hameaux
d’alentour avoient soupiré pour elle ; mais ils avoient
été obligées de s’adresser à des Beautés plus faciles,
par la résolution que Ménalque avoit prise de ne donner
sa Fille qu’à un Epoux dévoué aux mœurs anciennes de
l’Arcadie. Il avoit en sa possession un moyen propre à
découvrir quel Amant étoit le plus digne de cette
aimable Bergére : c’étoit une flûte d’une forme antique,
dont un Faune lui avoit fait présent, & dont peu de
personnes savoient tirer d’heureux sons. Le vieux
Pasteur fit publier un jour dans tous les hameaux
voisins, qu’il alloit faire l’épreuve de la flûte ;
& d’abord la belle Jeunesse Arcadienne, accourut
pour disputer un prix si considérable, sans en être
détourné par les suplices dont Ménalque menaçoit les
vaincus. L’endroit où cette épreuve devoit se faire,
étoit une Grotte spacieuse, entourée d’un pré fleuri, où
un ruisseau serpentoit par cent détours
irréguliers. Un trône de moussé & de gazon couvert
d’un dais de verdure, y étoit préparé pour le Pére &
pour la Fille. Elle s’y fit voir le jour marqué, avec
cette simplicité de parure qui semble disparoître aux
yeux, pour faire paroître avec plus d’avantage les
charmes qu’elle reléve. Elle tenoit sa houlette d’une
main & de l’autre la flûte dé laquelle dépendoit sa
destinée. D’abord on vit aprocher avec un air de
confiance, un Jeune-homme délicat, mais gracieux,
galant, & couvert du plus riche habit qu’on eût
jamais vu dans l’Arcadie. Il est vrai que sa veste étoit
de la même façon que celle des Bergers ordinaires, mais
elle étoit couverte de tant dé broderie, chargée de tant
de diamans, que les yeux éblouis n’avoient pas le tems
d’en examiner la forme. Des plumes flotoient sur sa
tête, & le fer de sa houlette étoit doré, & orné
d’une touffe de rubans. Après avoir fait galamment trois
révérences en avançant vers le trône, il dit à la
Bergére d’un air précieux : La
Nymphre, qui n’avoit jamais entendu un compliment si
poli, ne sachant qu’y répondre, se
contenta de lui présenter la fatale flûte. Il l’emboucha
aussi-tôt, & se mit à jouer un air embelli de tant
de cadences, & de tant de roulemens, que les Bergers
& les Bergéres, qui s’étoient appareillés pour faire
une contre-danse, resterent court, ne pouvant suivre des
accods si difficiles. Là-dessus Ménalque, indigné de la
politesse & de l’habileté de ce faux Pasteur,
ordonna qu’on le dépouillât de sa riche mascarade, &
qu’on l’envoyat pour un an au Village, servir les
Bergers, pour s’y défaire de ses maniéres de Cour. Cette
sentence réjouit beaucoup le second qui osa se
présenter. Il étoit couvert d’une peau de mouton, ses
cheveux étoient pendans, sa barbe négligée, sa démarche
grossiére. Voici comme il complimenta Amarillis. Pour toute réponse,
l’aimable Bergére lui lança un regard méprisant, &
lui tendit la flûte. Il la lui arracha des mains, &
l’ayant fait resonner avec peine, il en tira des sons
rudes & si discordans, qu’il eut mis toute
l’assemblée en suite, si Ménalque ne lui eût imposé
silence, pour le réleguer dans les plus stériles lieux
de l’Arcadie, afin d’y tenir compagnie à ses Porchers.
Le troisiéme qui se mit sur les rangs,
étoit un gêné dans ses habits de Pasteur, qu’il avoit de
la peine à se mouvoir. Il s’approcha pourtant d’un air
Mélancolique & rêveur, & après avoir salué la
Nymphe, avec un respect si cérémonieux qu’elle en fut
toute confuse, il lui tint ce langage. La Bergére
ne repliqua pas à ce beau discours, parce qu’elle n’y
comprenoit rien. Elle songea seulement à prêter
attention aux accords de son Amant, qui se trouvérent si
travaillés, si savans, & si bizarres, que tous les
assistans en furent étonnés, sans en être divertis.
Envain le Galant allègue-t-il que cet air est un
chef-d’œuvre de Musique, composé par le plus habile
Maître de l’Hespérie, son juge s’obstine à ne s’en
rapporter qu’à son oreille & à son cœur. Voyant
pourtant que le Musicien étoit un étranger, il eut
compassion de lui, & il ordonna seulement qu’on le
mit en apprentissage chez un vieux Berger, pour s’y
faire au langage & au stile du Pays. On vit paroître
enfin à l’entrée de la Grotte le jeune Alexis, le plus
beau, & le plus adroit de tous les
Pasteurs de la Contrée. Son habit étoit simple &
uni, mais d’une grande propreté ; & tout ce qui
distinguoit son ajustement, étoit les couleurs de sa
Maîtresse qu’il portoit à son chapeau. Amarillis, qui
l’aimoit en secret, rougit à son aproche ; & lors
qu’elle lui tendit la flûte, ils tremblérent tous deux,
ils soupirérent, mais ils ne purent parler ni l’un ni
l’autre. Un tendre regard échappé à la Bergére, ayant
rempli Alexis de courage & de confiance, il se mit à
jouer un air si doux, si naturel, si mélodieux,
quoiqu’un peu irrégulier, que toute la Jeunesse par un
mouvement involontaire se prit par la main pour danser ;
& plusieurs Vieillards assurérent, que souvent
pendant la nuit ils avoient entendu une pareille
musique, que leur imagination attribuoit aux Divinités
des Bois. Le bon Ménalque, encore plus charmé que les
autres, abandonna précipitamment son siége. Il embrassa
l’aimable Alexis, se présenta à sa chére Fille, l’Epoux
que le Ciel lui avoit destiné. Ce qui excita les
applaudissemens de toute l’Assemblée. Ils furent
interrompus par l’apparition subite d’un Homme d’un
regard farouche, qui s’étant fait brusquement un partage
au travers des Bergers, se présenta tout d’un coup au
milieu de la Grotte. Sa tête étoit couronnée de jonc. Il
tenoit une ligne à la main, & son dos étoit chargé
d’un panier. Derrière lui marchoit un
malheureux Garçon, tout trempé d’eau, qui portoit
quelques huitres choisies, dont son Maître vouloit faire
présent à Amarillis. Lorsque ce dégoûtant personnage les
eût prises pour les offrir à la Nymphe, il lui dit d’une
voix rauque, qu’il avoit un commerce très familier avec
les Néréides, & un droit fort étendu sur les Veaux
Marins ; & qu’il lui conseilloit de quitter les
Campagnes de l’Arcadie pour aller habiter avec lui sur
le rivage de la Mer. Cette impertinente invitation fut
reçue avec une grande huée, mêlée de menaces contre ce
Pêcheur. On le chassa comme un ennemi de la Patrie,
& il fut bien-heureux de regagner sa cabane, que ni
lui ni ses descendans n’ont jamais quitée depuis, pour
se mêler parmi les Pasteurs. Pour Alexis & sa
Bergére, ils jouirent ensemble d’une vie longue,
paisible, heureuse ; & tous les Habitans des Vallées
agréables de l’Arcadie, se soumirent avec plaisir à leur
Gouvernement. Il n’y a pas d’apparence qu’ils ayent
laissé une postérité nombreuse, quoiqu’il y ait eu dans
tous les Siècles, & même dans le nôtre, plusieurs
Bergers qui prétendoient en tirer leur origine : mais, à
mon avis, il n’y en a qu’un fort petit nombre dont les
preuves ayent été incontestables.
Cita/Lema
Pourquoi sur tes attraits consulter les
Fontaines ? Bergere, que ce soin ne t’inquiéte
pas ;
Les pleurs de nos Bergers, leurs tourmens & leurs peines,
Te font assez connoître tes appas1
Les pleurs de nos Bergers, leurs tourmens & leurs peines,
Te font assez connoître tes appas1
Cita/Lema
J’ai baisé ce matin deux
agneaux : Mais je gage
Que tes baisers me plairont davantage.
Que tes baisers me plairont davantage.
Cita/Lema
Quand vous chargez, Divine
Amarillis, Vos cheveux blonds de roses & de lys,
Comme la Reine d’Amathonte : C’est moins pour vous
parer, que pour leur faire honte.
1Fontenelle