Du Jeudi 12. Janvier 1719.
En lisant la
Mais laissons-là pour le présent le caractère méprisable de la Coquetterie, & disons un mot d’un sujet qui a beaucoup de relation avec elle. Parlons de certains Amans nés tristes, sombres, atrabilaires, qui sont portés plutôt par une espéce d’indisposition, que par un mauvais cœur, ou par un esprit mal fait, à se rendre eux-mêmes malheureux, & à envelopper dans leur malheur les objets de leur plus vive tendresse.
Ces tempéramens bilieux & mélancoliques, sont infiniment plus enclins
à l’amour que les tempéramens sanguins & enjoués. Ils passent
d’ordinaire une grande partie de leur vie à être successivement les
Bourreaux d’une vingtaine de Maïtresses; ils ne sont pas proprement
sujets à l’inconstance, mais leur façon d‘aimer les entraîne
nécessairement dans des brouilleries, auxquelles l’amour le plus fort
& le plus passionné ne sauroit résister à la fin. Ces malheureuses
victimes de leur constitution & de leurs tendresses trouvent de la
coquetterie par-tout. Ils peuvent avoir du
raisonnement quand ils sont dans une situation traquile, mais ce sont
les gens du monde qui raisonnent le plus de travers dès qu’une aimable
Personne a le malheur de leur plaire. Ils font un assemblage de mille
probabilités les plus minces, & qui n’ont aucune relation ensemble,
pour faire de tout ce fatras, le principe des jugemens injurieux qu’ils
font de l’Objet de leur passion.
Hier
Si un Amant de ce déplorable caractère se trouve en compagnie avec sa
Belle, il est mal satisfait dès qu’elle détourne les yeux un seul
instant de dessus lui ; elle ne fait rien de machinal ; un geste, un
regard, tout est misté-
Il est certain qu’un tel homme est plutôt digne de pitié, que de haine ou
de mépris. Dans sa situation naturelle il peut être parfaitement honnête
homme, tendre , raisonnable, éclairé, éloigné d’une humeur
soupçonneuse ; il peut avoir dans le fond une véritable estime pour sa
Maîtresse ; ses soupçons injustes & ridicules ne sont que des
vapeurs passagéres, dont sa bile échauffée par l’amour, ostusque son
cerveau ; il n’est pas difficile même de le guérir de ses foiblesses.
Une perfonne qui le trouve, à son extravagance près, digne de sa
tendresse, ne doit point le brusquer ; elle doit écouter ses plaintes
avec douceur, avec bonté ; lui expliquer avec complaisance & sans
réserve, les véritables motifs des paroles & des adtions qui ont pu
allarmer la délicatesse de son Amant ; elle doit éviter avec soin tout
ce qui peut lui paroître mistérieux & équivoque ; en un mot, elle se
conduira prudemment, en faisant tous ses efforts pour lui donner une
grande idée de sa candeur ; & quand par ces maniéres elle aura
réussi à s’attirer de de sa part une confiance entiére, il est naturel
de croire qu’elle trouvera dans la possession d’un cœur bien placé,
dequoi
Je sai qu’
Momens envain cherchés par mille autres Amans !
Et cependant, fondé
sur la moindre chimére,
Je crains que mon
Au mépris de mes feux n’aspire à d’autres
cœurs.
Si tu connus jamais une vive tendresse,
Juge de mon
amour, Un amour
violent n’est jamais sans frayeurs.
Tout ce que dit
Blâme-t-elle d’
Je dis, rusée
Tu veux cacher tes feux , mais tu les caches mal.
Prise-t-elle d ‘Arcas la taille avantageuse .
Son adresse, son air ;
je l ‘en crois amoureuse,
Et ma raison se livre aux plus noires
vapeurs.
Pardonne, aimable
L’excès de mon amour rend ma faute excessive :Un amour violent n’est jamais sans frayeurs.
Et quand je vois
Tous ses plaisirs pour moi sont d’amères douleurs.
Non, tu ne m’aimes
point, dis-je en soupqons fertile.Un amour violent n
‘est jamais sans frayeurs.
J’en reçus l’autre jour un baifer doux & tendre,
Baiser tel que
De quel Maître en
Amour, dis-je, peut-elle apprendre.
Des baifers, que l’Art seul peut
rendre si charmans ?
Quand
Par sa
molle défense aspire à sa conquête,
Je crois qu’Arcas sans peine en
obtient des faveurs
De mes jaloux transports, malheureuse
victime,
J ‘aime trop mon Un amour violent n’est jamais sans
frayeurs.
Mais quelle fut ma peur, Dieux ! encore j’en tremble,
Quand je vis un
Berger, un Berger dans ses bras,
Quels ravissans plaisirs
goûtérent-ils ensemble !
Il embrassoit
Mais ridicule effet d’une aveugle colére,
Je ne reconnus point
Si
tu connus jamais une vive tendresse,Un amour violent n’est
jamais sans frayeurs.
Encore une petite réflexion sur la Jalousie. Comme une pincée
de Coquetterie bien délicate, relève les charmes d’une Femme, une petite
pincée de Jalousie bien ménagée, donne un grand relief à l ‘amour. Un
homme qui n’en a point-du tout, ne doit pas tant sa sécurite à la
profonde estime qu‘il a pour sa Maitresse, qu’à une sotte stupidité, ou
à une extravagante opinion qu’il a de son propre mérite. Il est naturel
de craindre la perte d’un bien qu’on croit d’une grande valeur, &
c’est estimer réellement, que d’être jaloux avec sobriété. D’ailleurs,
l’amour trouve d’ordinaire son tombeau dans un repos trop suivi, &
il ne subsiste long-tems que lorsqu’il est nourri, pour ainsi dire, par
certains troubles, par de petites inquiétudes, qui font paroître plus
agréable & plus touchant, le calme qui leur succéde.