Du Jeudi 29. Décembre 1718.
Monsieur, de faire quelques pas en arriére,
avant que j’en vienne à la seconde partie de votre Lettre. Vous ne
trouvez pas de microscope assez bon pour voir les liaisons de mes
petits Discours. La chose n’est pas surprenante, elles n’existent
pas, & ne doivent pas exister ; mais vous en avez un admirable
pour découvrir les contradictions. Je soutiens à présent que mon
Ouvrage a un but fixe, que je ne perds jamais de vue ; & dans ma
i. but général ; & les Sophismes que j’ai prêtés au Vice & à
l’Extravagance, ne sauroient s’appeller en bonne Logique des raisonnemens suivis. En vérité, Monsieur, si c’est dans de pareilles con-les Auteurs de quantité de beaux Livres, il
n’y a pas la moindre contradiction dans ce que vous avancez
là-dessus.
Un petit mot encore sur mon de
Fontenelles, mais conformément à ses idées sur la
Pastorale, que j’oppose l’état d’un Cœur amoureux à la tranquilité
de la Vie Champêtre. Songez, Monsieur, que
j’introduis un Homme qui se retire de la Cour ou de la Ville, pour
oublier sa Maîtresse ; & que ce n’est pas l’Amour Pastoral que
j’oppose par conséquent aux douceurs de la Vie Pastorale. Au reste
je suis bien aise que vous fassiez grâce à quelques Vers de cette
Piéce : elle est plus longue que celle du Poëte Latin. qui étoit l’homme du monde qui pensoit le plus
& qui parloit le moins ; & j’avoue de tout mon cœur qu’il y
a plus de volume dans mon Ouvrage, & plus de poids dans le sien.
Souvenez vous pourtant qu’
J’ose dire, Monsieur, que jusqu’ici vous avez
combatu en l’air, & que vous n’avez pas touché seulement au nœud
de la question. Ce que vous devez prouver, pour faire voir que Ironie y est mal soutenue, & vous n’avez
pas fait seulement le moindre effort pour le faire sentir.
J’en viens à la maniére dont vous justifiez votre propre Lettre,
& je m’imagine que là-dessus il y aura à dire des choses assez
intéressantes. Votre but est double, aussi-bien que le mien : vous
voulez faire voir en gros que A ce dernier but
appartiennent plusieurs railleries, qui ne tombent point sur des
réalités, mais sur des apparences ; je n’étois guéres prenable
du côté du sérieux, ce qui vous a obligé d’être ironique comme
moi. Il n’y a pas le moindre galimathias là-dedans :
peut-être ce qu’il y a de certain, c’est que j’y cherche un sens
raisonnable sans le trouver. Je ne m’étonne plus que le Public ne
soit point au fait de l’Ironie, puisqu’un homme comme vous ne paroit
pas en avoir la moindre idée.
Monsieur, badiner sur des apparences, &
outrer la vérité dans un Discours Satirique, c’est pécher contre la
Justice & contre la Charité ; c’est persuader à un Lecteur peu
sensé, qu’il y a dans l’Ecrit qu’on attaque, des fautes qui n’y sont
pas, & que de simples négligences sont des fautes visibles.
Quand on tourne le Vice en ridicule en général, il est permis
d’outrer les caractères pour les rendre plus sensibles, parce que
tout le monde en profite sans que personne en souffre°: mais ici,
comme vous voyez, le cas est différent.
Un de vos badinages, qui ne tombera sur rien, c’est que dans Métaphysique
par-tout. Vous n’avez pas mis le moindre sens dans ces
expressions ; mais après avoir consulté le Journaliste Littéraire, vous trouvez qu’elles peuvent
signifier, que mes petits
Je n’entens pas la Metaphysique, dites-vous ; j’en conviens, &
j’en fais gloire. Je crois ne l’entendre pas, parce que je l’ai
étudiée ; & je m’imagine que ceux qui croient l’entendre,
ignorent la véritable Méthode de raisonner. Ce qu’on nous débite
comme Métaphysique, roule le plus souvent sur des Propositions, dans
lesquelles les termes vont bien au delà de la netteté & de
l’exactitude des idées°: on les admet pourtant comme les Axiômes les
plus clairs de la Géométrie, & on en tire des conséquences à
perte de vue. Quand j’ai appellé les Pensées
des Idées Métaphysiques, j’ai voulu dire
qu’en formant des pensées, on spiritualise en quelque sorte des
images sensibles, on en forme certaines vérités générales &
abstraites. Voilà la clé de ce galimathias ; & voilà, j’espére,
les rêveries de vos habiles gens finies.
Voulez-vous bien que je vous dise, Monsieur,
en faveur de ce commerce de franchise que nous avons établi entre
nous, que je vous crois grand Métaphysicien ; & je le conclus de
ce que dans vos deux Lettres, au travers de ce feu & de cette
imagination que j’y vois briller, je ne trouve pas une seule chose
qui aille au fait, faire de bons Vers, d’avec bien tourner un Vers. Dans la prémière expression, je
trouve le méchanisme du cerveau joint à la faculté d’exprimer le
bon-sens d’une maniére brillante. Dans la seconde, je trouve un
méchanisme tout pur, une certaine disposition naturelle pour
arranger des mots d’une maniére harmonieuse, & cette disposition
n’est en rien supérieure à l’adresse qu’il faut pour faire une
cabriole de bonne grace.
Vous baisez les mains aux jolies Laidrons,
c’est fort bien fait ; mais point de grace pour les Fats spirituels, gare la contradiction. Vous
avouez qu’un Fat peut être spirituel, on peut dire par conséquent un Fat sprituel. Mais le caractère de spirituel ne tombe pas sur la fatuïté,
qu’importe°; l’agrément d’une jolie Laidron
tombe t-il sur sa laideur°?
De plus, la fatuïté d’un homme d’esprit, est un effet de la vanité
qu’il tire de son esprit, & par laquelle il en fait un usage
impertinent & ridicule. Les Beautés trop
parfaites pour être touchantes, ne sont pas de ma façon°;
l’expression est si bien fondée en expérience, que quelque fois une
jolie Laidron a une plus grosse cour
qu’une Beauté réguliére, quoiqu’elle ne
manque pas de mérite. A l’égard des Tailles fines
& aisées, grace à un corps de fer, sachez, Monsieur, que je ne parle pas d’un corps
absolument contrefait. Une Femme peut avoir quelque défaut dans la
Monsieur, que trouvez-vous à redire aux
Sources séches & bourbeuses°? Je
conviendrai que c’est mal parler, dès que vous m’aurez enseigné
comment on exprimeroit en François, ce qui a
été autrefois une Source d’eau, & qui par
l’effet d’une chaleur excessive, est devenu sec
& bourbeux. Considérez un peu de sang froid vos petites
critiques sur ces phrases, & avouez-moi qu’il y a plutôt
là-dedans de la chicane que du raisonnement.
Je finis, Monsieur, en vous remerciant du
conseil que vous me donnez de ne point encanailler
Je vous promets encore, que j’imiterai plutôt gros homme, qui se plaint de la presse devant
le Théatre d’un Charlatan ? II n’y a là de moi que la rime, &
j’ai cru franchement que ce petit Conte, que toute l’
Phénomêne ; je vous proteste que c’est un
fort joli morceau, plein d’imagination, & cela quadre le plus
exactement du monde, à l’idée que vous avez des grands défauts qui
accompagnent les petits talens de l’Objet que vous avez en vue.
Remerciez, je vous prie, votre Ami de ma part, il m’a fait un vrai
régal,
Je suis, &c.