La Bagatelle: LXVII. Bagatelle
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LXVII. Bagatelle.
Du Lundi 26. Décembre 1718.
Metatextuality
REPONSE à la Lettre de
l’Auteur Anonyme.
Metatextuality
REPONSE à la Lettre de
l’Auteur Anonyme.
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Letter/Letter to the editor
Eh°! je vous conjure,
Monsieur, permettez moi de vous trouver de l’esprit. Le
desaveu que vous faites des louanges que je vous donne
là-dessus, est, ou l’effet d’une fausse modestie,
indigne d’un homme qui raisonne°: ou bien une marque de
mépris pour moi, dont je ne me crois pas tout à-fait
digne. Avec votre permission, vous avez de l’esprit
certainement, Monsieur, & vous le croyez. Sans cette
persuasion, m’écririez-vous des Lettres critiques de
cette étendue, & vous efforceriez-vous d’y étaler ce
que l’Ironie & le fin Badinage ont de plus
agréable°? Vous n’en voulez pas avoir, parce que je vous
en trouve, c’en est trop. Il y a des gens qui vous
valent peut être, & qui ne se font pas une honte de
passer chez moi pour avoir du génie. Je vous en trouve
tant, Monsieur, que si j’aimois la fausse gloire, je ne
serois pas fâché d’avoir sur mon compte les Ouvrages que
je vous crois capable de faire. Pour votre Lettre, non ;
je n’ai jamais eu envie de vous la piller.
Avez la conscience en repos là-dessus. La vanité la plus
étourdie ne sauroit mener là ; & j’ai de la peine à
comprendre la bizarre imagination, par laquelle on
m’attribue une Lettre qui me satirise avec tant de
force, qu’il y paroit même une espèce d’acharnement, si
je l’ose dire. Un Auteur peut bien critiquer son propre
Ouvrage, pour tirer de-là occasion d’en faire mieux
sentir le prétendues beautés ; mais il s’y prend tout
autrement. Je n’ai donc que faire de jurer par les manes
de qui que ce soit, que ce n’est pas-là mon Ouvrage. Les
Lecteurs qui ont le sens-commun m’en croiront bien sur
ma parole. Encore moins veux-je jurer que cette Lettre
vient de la moyenne Région du Parnasse. Je ne le veux
pas, vous dis-je, Monsieur ; encore un coup vous êtes un
fort joli Esprit, je n’en démords point. Votre seconde
Lettre me laisse précisément dans l’idée, que votre
prémière m’a fait concevoir du caractère de votre génie.
J’ai de la candeur, Monsieur, je vous en assure ; j’ai
de la vanité aussi, & trop de beaucoup. C’est en
vertu de ces deux qualités, que je vous déclare que je
serois charmé qu’on me trouvât de l’esprit;°; mais je
serois infiniment plus ravi, qu’on me trouvât des
sentimens un peu raisonnés. Je méprise au souverain
degré le plus habile-homme du monde ; Boileau, par
exemple, quand je le vois assez ridicule°; pour refuser
l’esprit à tout homme qui ose n’être pas de
son sentiment. Je ne troquerois pas mon petit génie
contre ses talens merveilleux, si je devois prendre par
dessus le marché une pareille bassesse. Les critiques ne
me font pas peur. Non pas que je me croie au dessus de
la censure, je sai trop que les Esprits même du prémier
ordre ne le sont pas ; mais parce que j’ai pris mon
parti là dessus, s’il m’est permis de le dire, en
honnête-homme. Si la censure me paroit fondée, je suis
tout prêt à en convenir, & à la mettre à profit. Si
elle me semble peu juste, je prens la liberté d’y
répondre, sans vouloir le moindre mal à son Auteur.
Est-elle grossiére, malhonnête, j’en méprise le dehors
ridicule, & je fais quelque effort pour en examiner
de sang froid l’essentiel. Pour la vôtre, Monsieur, elle
n’est pas de ce caractère-là°; mais si je ne me trompe,
il y a quelque chose de piquant, qui fait penser à
certaines gens que je vous ai offensé personnellement°;
ce que je ne crois pourtant pas. Peut-être même ne
songez-vous pas à me piquer, & que mon amour-propre
me fait là un petit tour de son métier. Quand vous me
dites que ma Réponse à votre prémière Lettre ne vaut
rien, savez-vous l’effet que cette décision produit sur
moi. C’est que je vous crois maître de le penser, par
conséquent de le dire°; & je suis maître de n’en pas
convenir, si vos raisons ne me paroissent
pas assez évidentes. Voyons si elles le sont, Monsieur.
Vous continuez à m’accuser de me contredire moi-même.
L’accusation n’est point atroce, si vous voulez ; mais
il est sûr pourtant, que jamais Livre n’est
véritablement beau, quand il s’y trouve des
contradictions concernant l’essentiel de la Matiére. Si
en qualité de Bagatelliste il m’est permis de m’écarter
du Vrai, & de me combattre moi-même, à quoi sert
votre Critique°? Mais je ne demande point grâce en
faveur de mon titre & je soutiens que vos exemples
ne prouvent rien. Votre Lettre roule sur une seule idée,
il est vrai. Vous n’observez pas l’unité, que vous
exigez de moi, cela est certain encore. Dans votre plan
il n’y a qu’une seule idée, savoir, que la B est un
Cahos indigeste de Matiéres. Vous manquez d’unité dans
l’exécution de votre dessein ; puisque les deux tiers de
votre Lettre sont ironiques, & que sans en avertir,
vous changez de stile vers la fin, en me reprimandant
très sérieusement. N’est-il pas vrai, Monsieur, que si
dans mon premier volume, la moitié de mes petits
Discours plaidoient ironiquement pour les Sottises
reçues, que je nomme Bagatelle publique ; & si
l’autre moitié défendoit directement la Raison, tout ce
volume le rapporteroit à une même idée ; il est pourtant
vrai qu’il n’y auroit point d’Unité dans
la maniére d’établir cette idée°? Par conséquent il est
démontré que vous vous méprenez ici. Mais il y a une
contradiction entre le Titre & l’Ouvrage. Oui, si
l’on prend le mot de Bagatelle dans son sens ordinaire.
Mais vous avez quelque Logique apparemment, Monsieur°:
& vous savez qu’on peut donner à une expression le
sens que 1 on veut, pourvu qu’en définissant ce sens
particulier, on mette le Lecteur au fait. C’est ainsi
que j’ai agi, vous le savez, Monsieur. La Bagatelle que
je défens ironiquement dans tout mon Ouvrage ; &
contre laquelle je cherche réellement à mettre la Raison
en garde, consiste en certains usages généralement reçus
en dépit du Sens-commun. Vous croyez, Monsieur, qu’il
suffit de faire un dénombrement des Sujets que j’ai
traités, pour en faire voir le manque de liaison. Le
croiriez-vous, Monsieur ? Cette liste me paroit une
véritable Retractation de votre prémière Epître. En
dépouillant ces Matiéres de leur tour ironique, & en
le prenant dans le sens direct, vous avouez tout net,
qu’elles aboutissent toutes au but général de fortifier
la Raison, en mettant dans tout leur jour les Sophismes
de la Coutume & de la Prévention Il est vrai que
vous cherchez en-vain des transitions imperceptibles
& délicates, pour passer d’un sujet à l’autre. Vous
n’en trouverez point, par la raison qu’il
n’y en a pas ; & que j’aurois été extravagant en
voulant y en mettre. Le Jupon. Vol. ii, & les
Préventions enracinées n’ont rien à démêler ensemble,
j’en conviens ingénûment. Les Mœurs de Paris, & les
Habits de Papier sortent de mon plan général, comme tous
les autres petits Discours où je fais parler
quelqu’autre, & comme les Lettres qu’on m’a écrites,
ou que je me suis écrites à moi-même. Vous sentez que
cela ne s’appelle pas interrompre réellement mon projet,
j’en jurerois. D’ailleurs, quand je dis qu’il y a du
Plan ou du Systême dans mon pauvre Ouvrage, je ne parle
pas d’un Plan & d’un Systême, comme il doit y en
avoir dans un Traité de Théologie. Non, je ne prens pas
ce terme dans un sens si rigoureux ; je veux dire
uniquement, que toutes les Matiéres que je traite sous
mon propre personnage de Bagatelliste, sans être liées
l’une à l’autre, aboutissent à une même idée générale, à
un même but fixe, que je crois avoir suffisamment
developpé. Par là, j’ai le droit de rester dans mon
opinion. Un peu de réflexion, Monsieur, s’il vous
plaît : n’est-ce pas-là tout le plan qu’il faut exiger
d’un pareil Ouvrage ? y en a-t-il un autre dans La
Bruyére, dans La Rochefoucault, dans le Spectateur,
& dans le Pauvre Misantrope, puisque pauvre
Misantrope y a. Mon but est beau, dites vous? mais il
est trop vague. Un Livre qui prend le titre
de Bagatelle devroit développer la grandeur de la
Raison, la beauté de la Vertu, & l’extravagance du
Vice, d’une maniére un peu singuliére°; prendre les
Passions de leur côté ridicule, & leur prêter des
sophismes. Parbleu, Monsieur, je suis tout étonné de
voir que nous nous rencontrions une fois de notre vie
sur ma Bagatelle. Mon but a été précisément celui-là
même que vous me prescrivez°; j’ai pris exprès le tour
ironique, pour attaquer le Vice & l’Extravagance de
leur côté frivole & puéril. Ce qui reste d’indécis
entre nous, c’est de savoir si j’ai bien exécuté cette
idée que vous approuvé <sic> si fort. Voilà,
Monsieur, tout ce que j’ai à répondre à la prémière
partie de votre Lettre. Le Public sera notre juge, s’il
veut. Pour moi mon plaidoyé est fait, & je ne crois
pas y pouvoir revenir, sans tomber dans des répétitions
ennuyeuses Je répondrai à mon prémier loisir à votre
séconde partie, sur laquelle je parlerai avec ma
franchise ordinaire. En attendant, si vous voulez que
nous nous connoissions personnellement, je ne demande
pas mieux ; & j’ai un certain pressentiment que nous
pourrons nous estimer, malgré l’opposition de nos
petites idées. Je suis, &c.