La Bagatelle: LXVI. Bagatelle
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Niveau 1
LXVI. Bagatelle.
Du Jeudi 22 Décembre 1718.
Metatextualité
Suite de la Lettre
insérée dans la Bagatelle précédente.
Metatextualité
Suite de la Lettre
insérée dans la Bagatelle précédente.
Niveau 2
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Il s’agit à présent de me
justifier moi-même, & de me défendre contre vos
attaques. J’ai très bien compris, Monsieur, en vous
lisant, votre double but ; du moins, comme je l’ai déjà
dit en quelques endroits, ma Lettre avoit aussi un
double but, que vous n’avez pas assez démêlé°: l’un
étoit de critiquer tout de bon le gros de votre
Ouvrage : l’autre, de badiner sur le détail. C’est à
cette derniére vue qu’apartiennent plusieurs railleries
qui ne sont fondées sur aucune réalité, mais sur des
apparences seulement. Un Auteur de votre caractére,
n’étoit guéres prenable par le sérieux ; il falloit pour
vous critiquer, être ironique aussi-bien que vous.
D’ailleurs, vous n’ignorez pas qu’une Critique, pour peu
qu’elle soit enjouée & satirique, passe toujours un
peu les bornes de la Vérité. De bonne foi, est-il
possible que vous m’accusiez de trouver la Bagatelle
trop Métaphysique°? Quoi°! après avoir dit que la
Bagatelle renferme toutes les Sciences en abrégé, comme
l’Iliade d’Homére, faut-il ajouter un
grand I pour avertir que c’est par ironie que je dis
ensuite, de la Métaphysique par tout°? Si j’étois le
Journaliste Littéraire, je trouverois bien une autre
réponse. Je vous dirois sans façon qu’il y a chez vous
du galimathias en plusieurs endroits, & de la
métaphysique par conséquent. Où sont-ils ces
endroits-là°? m’allez-vous dire brusquement.
Dispensez-moi de les alléguer, Monsieur ; un Auteur
entend toujours de reste ses propres Ouvrages, & n’y
trouve rien d’obscur, à moins que, nonum prenantur in
annum. Dans dix ans d’ici vous direz que je n’ai pas
tort, ni Horace non plus. A propos de métaphysique, je
crois que vous ne vous y connoissez pas vous-même ;
puisque dans la li. Bagatelle, en parlant de ce qu’on
appelle aujourd’hui des Pensées en fait d’Ouvrages
d’esprit, vous les qualifiez de petites idées
métaphysiques. Cet endroit, je vous assure, a fait rêver
d’assez habiles gens°; & la conclusion qu’ils en ont
tirée, c’est que vous êtes plus familiarisé avec les
images riantes de la Poësie, qu’avec les idées
abstraites de la Métaphysique. Permettez-moi de n’être
pas tout-à-fait de votre avis sur le méchanisme de
celle-là ; & de croire avec les meilleurs Poëtes,
qu’il est plus difficile de faire de bons Vers, que de
bien danser une Sarabande. Il me semble que vous donnez
un peu trop en toutes choses au méchanisme. Vous en
viendrez un jour à soutenir, je crois, que
l’Iliade d’Homére, & l’Enéïde de Virgile, ont été
produites par un concours fortuit des images de leur
cerveau. Quant à votre Idille, où l’on voit couler
agréablement de fort beaux Vers, les pensées y sont
pourtant noyées dans le torrent des paroles, ne vous
déplaise. Comparez le nombre des Vers d’Horace avec
celui des vôtres, puis pesez le sens. Si vous demandez
quelque chose de plus détaillé, je vous enverrai au
prémier jour une Critique assez bonne de cette Piéce,
& qu’un de mes Amis m’a communiquée. Je baise les
mains de tout mon cœur à vos jolies Laidrons. Et bien !
jolies, soit, puisque vous le voulez ; il ne faut pas
disputer des goûts. Maîs je ne ferai point grâce aux
Fats spirituels ; je les tiens de vrais Etres de raison,
nés au fin fond du Pays des Chiméres, ou plutôt de celui
des Contradictions : pays où Mrs. les Auteurs, &
sur-tout les Poëtes, aiment fort à se promener. C’est
là, sans doute, que vous aurez rencontré des Sources
séches & bourbeuses, des Beautés trop parfaites pour
être touchantes ; & des Tailles fines & aisées
par la grace d’un corps de fer. Les Fats spirituels sont
du même ordre. Un Homme, dans le monde où nous sommes,
peut bien être fat & spirituel tout ensemble,
quoique cela soit bien rare ; mais alors le caractère de
spirituel ne tombe pas sur sa fatuïté, comme l’insinue
votre expression, ce n’est pas en qualité de Fat qu’il a
de l’esprit. Pour les Antithéses, qui vous
embarassent ce sont les discours de bien des gens, &
j’ai été en cela Historien au pié de la lettre. Si ces
discours font entr’eux quelque contraste, est-ce ma
faute ? voudriez vous me rendre garand de tous les
jugemens de vos Lecteurs ? prétendriez-vous que je les
misse d’accord°? Je n’entreprendrai jamais des choses si
difficiles, & je pense que qui trouvera ce secret,
peut bien aspirer à la Pierre Philosophale. Autre
accusation. Je vous reproche de n’avoir pas soutenu
l’ironie dans le cours de 200. pages, & je ne
réussis pas moi-même à la soutenir dans une seule
Lettre. A cela un mot de réponse. La Bagatelle est une
Satire ironique des Vices & des Passions humaines,
du moins si l’on doit s’en raporter au titre que vous
lui donnez°; & ma Lettre n’est, comme je l’ai
déclaré d’abord, qu’un Recueil de Pensées diverses. Vos
Portraits rians du Vice, ne sont nullement des chiméres,
mais plutôt des réalités qui sautent aux yeux. J’y
ajouterai moi, des Portraits trop peu graves de la
Vertu. Certaines foiblesses criminelles, sont chez vous
parées quelque fois de trop brillantes couleurs, votre
stile se licencie quelquefois un peu trop. Ah°!
Monsieur, combien seroit-il plus beau de prendre Mrs. de
la Bruyére & Adisson <sic> pour modèles, que
d’imiter le badinage même le plus spirituel de
Trivelin°! Qu’il est glorieux de savoir avec ces
Messieurs, instruire le cœur en faisant rire l’esprit ! Vous savez ce que Boileau dit quelque
part de Moliére°: lisez cet endroit, je vous en aplique
également les louanges & les censures. Les
honnêtes-gens ne trouvent pas bon encore que vous
donniez accès à certains Vers, dont la rime & la
raison sont bannies de concert, & où l’on ne sait
lequel domine le plus, du libertinage ou du mauvais
goût. Cessez, Monsieur, d’encanailler la Bagatelle°;
& pout certaines gens qui croient que votre
avertissement & vos invitations obligeantes les
regardent, aprenez-leur à dire desormais en toute
humilité, la Comête me fait trop d’honneur.
Je n’ai plus rien à ajouter, Monsieur, à
l’apologie de ma derniére Lettre. J’en ai dit assez, je
crois, pour la justifier du côté du Bon-Sens & du
Discernement ; car les louanges que vous lui donnez
d’ailleurs, je les dois entiérement à votre honnêteté
extrême, & je n’ai garde de ne les pas desavouer. Je
sai me rendre justice, & je crois qu’il est bon de
commencer toujours par devenir Spectateur de ses propres
défauts, avant que dé s’ériger en Censeur de ceux
d’autrui. Au reste, il sera peut-être plus besoin
d’avoir recours au Notaire que je pensois, pour prouver
que c’est moi qui ai fait la Lettre en question. On se
tue de dire que c’est vous-même, des Personnes de
beaucoup d’esprit me le soutinrent en face l’autre jour.
Voyez jusqu’où va la fausse délicatesse°!
Bien pis, Monsieur, votre Replique passe pour un
nouveau jeu de votre imagination, afin de grossir le
Livre. Enfin, l’entêtement va si loin, que l’on ne
manquera pas de mettre sur votre compte cette Lettre que
je vous écris présentement, & toutes celles que je
pourrai vous envoyer à l’avenir. Il ne tient qu’à vous
de vous les approprier ; je vous assure que je ne les
reclamerai point, car elles n’en valent guères la peine.
Cependant, si vous avez la conscience délicate, parce
que qui tacet consentit, vous n’avez qu’à faire
incessamment votre protestation contre le mauvais goût
des Lecteurs, & qu’à jurer par Apollon & les
Muses, par les Manes de feu le pauvre Misantrope, &
ce qui vaut mieux que tout cela, par votre petit Génie,
qui jase & qui cabriole si agréablement, que ce
n’est point vous qui êtes l’Auteur de la Critique
sus-mentionnée, mais bien quelque misérable Ecrivain de
la moyenne région du Parnasse. Je finis, Monsieur, en
vous assurant qu’un Commerce de Lettre avec
vous, est une des choses que je désire le plus, après
l’honneur de vous connoître personnellement. Je ne
regarde pas moins en cela au plaisir qu’au profit. Les
plus habiles gens peuvent profiter des moindres
critiques, & le Public est si peu rempli de gens de
bon gout, qu’il peut tirer profit des choses très
médiocres. Liguons-nous, Monsieur, contre ce mauvais
gout de notre Siécle. je <sic> veux être de la
partie. Courage, point de quartier pour les méchans
Auteurs°: allons les déterrer jusques dans leurs sombres
retraites, jusqu’au fond des boutiques de Libraires,
& ne les laissons point en repos, qu’ils n’ayent
perdu l’envie de nuire au Public, je veux dire l’envie
d’imprimer. A l’égard de pareilles gens, la médisance me
paroit aussi louable qu’utile. Je suis avec une estime
très sincére & très parfaite, Monsieur A * *. ce 3.
Décembre 1718. Votre très humble & très obéissant
Serviteur.
Metatextualité
A propos de Comête, je prens
la liberté de vous adresser un petit Mémoire
Astronomique, touchant un Phénomêne curieux, qu’on a
observé dans certain Pays, vers le Printems passé.
J’aurois mieux fait peut-être de l’adresser au
Journal des Savans ; mais il n’importe, le voici.
C’est un Fragment de Lettre.
Niveau 4
Lettre/Lettre au directeur
« Vous saurez,
Monsieur, que ce brillant Météore, commença de
paroître sur notre Horison le 9. Mai de cette
année 1718, & surprit tout le monde. Chacun
demanda avec empressement, qu’est-ce que cela ?
Les Bigots en sont effrayés ; les Beaux-Esprits
n’en font que rire ; nos plus savans Astronomes
observent au travers de leurs Télescopes. C’est
une espéce d’Astre assez lumineux ; mais tantôt
plus, tantôt moins. Il est suivi de plusieurs longues 1Queues irréguliéres, qui
le défigurent beaucoup. Son mouvement est inégal
& bizarre°: tantôt il se meut à l’Occident,
tantôt au Midi ; n’assujettit point son cours,
comme font les Planétes, à une certaine Orbite
déterminée ; & ne tourne point
proportionnellement, comme elles, autour d’aucun
Centre. Grand débat là-dessus entre Mrs. les
Astronomes ; on ne comprend pas la bizarrerie
extrême de ce mouvement, ni l’origine des longues
Queues. Les uns disent que c’est un petit Soleil
enveloppé de nuages, & qui les perce en
quelques endroits par la force de ses rayons.
D’autres soutiennent que c’est une Planéte
errante, dont les exhalaisons & les fumées
épaisses qui en sortent abondamment, réfléchissent
une lumiére étrangére, & trompent ainsi les
yeux sous l’image de Queue brillante. Un petit
nombre des plus profonds & des plus experts,
prétendent que ce Phénoméne n’est pas nouveau :
ils soupçonnent que c’est le même qu’ils
observérent il y a six ou sept ans, & qui fit
du bruit en ce tems-là, sous le nom de M * * *.
Ils l’ont suivi comme à la piste, & ils en
peuvent parler savamment. Il disparut au bout de
deux années, & reparoit aujourd’hui sous une
forme peu différente, pour continuer toujours le
même jeu. Bien plus, ils prédisent
hardiment, que dans peu (on ne sait pas
précisément le mois ni le jour) cet Astre sera
offusqué par ses fumées épaisses, & se
dérobera à nos yeux pour se montrer de nouveau,
plus brillant que jamais, dans dix ans d’ici°:
car, selon les Observations les plus exactes,
cette Etoile a la double propriété de, & fumum
ex fulgore, & ex fumo dare lucem. »
Niveau 4
Dialogue
« Quoi°! disois-je, un
Auteur se critiquer lui-même de cette maniére? il
n’y a point d’aparence. A d’autres, me
répondit-on, vous nous prenez pour dupes. Le
Bagatelliste a tant d’esprit, qu’il
ne sait à quoi l’occuper. Las de critiquer les
Ouvrages d’autrui, il satirise les siens propres.
Le tour est nouveau & ingénieux ; & puis,
quelle Satire ! ne voyez-vous pas qu’il s’y loue à
pleine bouche, jusqu’à se traiter de Divin ? Eh !
qui l’oseroit critiquer, à moins que lui-même ne
s’en mêle ? »
1Sur les longues Queues voy PERRAULT, Parallele des Anciens & des Modernes.