La Bagatelle: LXI. Bagatelle
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LXI. Bagatelle.
Du Lundi 5. Décembre 1718.
Metatextualität
Suite de la Bagatelle
précédente.
Metatextualität
Suite de la Bagatelle
précédente.
Ebene 2
En vérité, si j’étois grand Seigneur,
je voudrois avoir nombre de Valets comme les autres, afin de
pouvoir faire jetter par la fenêtre, tout homme qui voudroit
m’insulter par le compliment dont j’ai fait voir le ridicule
dans mon Papier précédent.
Metatextualität
Un
certain Rationaliste, qu’on soupçonne d’avoir composé le
Misantrope, m’a écrit sur cette matiére la Lettre suivante.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Monsieur, Quoique les hommes
croient pouvoir, sans insolence, parler tous les jours à
la Divinité même, il semble qu’ils s’imaginent marquer
du respect à ceux qui sont tant soit peu au dessus
d’eux, en leur adressant directement le discours. On parle aux Gens de distinction, mais on
fait sentir qu’on ne leur parle qu’en tremblant, par le
tour respectueux qu’on donne à ses phrases comme si
elles regardoient une troisiéme personne. Pour cet
effet, on détache d’ordinaire le titre d’avec la
personne, qui en tire toute sa gloire ; on personnalise
ce titre ; & on met sur son compte les actions, les
sentimens, & les discours de celui avec qui on est
en conversation. Passe encore, si on n’en agissoit ainsi
que dans l’occasion ou ce titre a quelque rapport aux
choses dont on parle, & si on se contentoit de
dire°: Votre Grandeur a-t-elle été au Conseil ? Votre
Grandeur fera-t-elle la revue de son Régiment ? Mais ce
qui est du dernier ridicule, on attribue à ce même
titre, toutes les fonctions animales qui marquent
l’infirmité de l’homme, & qui n’ont rien à démêler
avec l’excellence de sa nature, ni avec l’élevation de
son rang. Rien de plus commun que ces phrases°: Votre
Grandeur a bon appétit°: La Grisette que Votre Grandeur
accosta hier, & bien jolie. Ce ne sont pas seulement
les Nations qui se piquent le plus de politesse, qui
donnent dans un Cérémoniel si extravagant. Les
Hollandois, Peuple naturellement simple & sensé,
damment ici le pion aux François, & se mettent de
niveau avec les Espagnols & les Italiens. Ils
écrivent toujours à la Noblesse des Gens,
quand même ces Gens n’en auroient jamais eue ; &
quand ils s’adressent à des Personnes véritablement
distinguées par leur naisssance, les titres de Votre
vraye Noblesse, ou de Votre haute Noblesse, occupent du
moins le tiers d’une Lettre ; ce qui rend le stile
épistolaire des Hollandois si rabotteux, que la plupart
des Gens de qualité ne s’écrivent plus qu’en François.
Les Allemans n’en doivent rien là-dessus aux habitans
des Pays-Bas ; au contraire, ils enchérissent sur tous
les Peuples de l’Europe. Quand un Italien & un
Espagnol ont affaire à leurs égaux, ils s’adressent à
leur Seigneurie, & à leur Grace. Mais ceux qui
savent leur monde en Germanie, parlent à leurs égaux,
non seulement comme à une troisiéme personne ; mais ils
se servent, pour parler Grammaticalement, de la
troisiéme personne du plurier <sic>°: Veulent-ils
aller boire un verre de vin ? Veulent-ils jouer une
partie de Billard ? Mais tout ceci n’est que fadaise, au
prix d’un autre abus en matiére de Cérémoniel : abus qui
insulte la Raison de la maniére du monde la plus
criante. La Civilité Françoise veut qu’on manque d’égard
à nos Superieurs, en les assurant de notre amitiè &
de notre estime : il ne faut leur parler que de respect
& de soumission. Il est tout aussi contraire à la
bienséance, de leur demander de l’estime ou de l’amitié.
On doit les conjurer de nous faire des
graces ou des faveurs, & de nous accorder l’honneur
de leur protection. De bonne foi, il semble que la
plupart des gens parlent en l’air, sans avoir la moindre
idée des expressions qu’ils emploient. L’estime
véritable ne consiste que dans la connoissance que nous
avons des bonnes qualités d’un autre, & cette estime
devient une amitié digne d’un homme raisonnable, quand
le mérite que nous connoissons à quelqu’un a une
relation avec nos sentimens, propre à exciter quelque
passion dans notre cœur. Mais qu’est ce que le respect°?
Ce n’est que la persuasion qu’un homme qui nous est égal
par sa nature, est au dessus de nous par une grandeur
fortuite, à laquelle notre intérêt & la coutume nous
obligent à payer quelques hommages extérieurs. Le
respect est un devoir qu’on rend d’ordinaire avec dépit
aux caprices du Hazard°; au lieu que l’estime, &
l’amitié véritable, nous imposent des obligations à
l’égard du mérite, desquelles nous nous acquitons avec
le plaisir le plus vif. Que doit penser, je vous prie,
quelque Intelligence pure, quand elle voit les
imaginations orgueilleuses des hommes, de ces vers de
terre, qui se vautrent dans un petit monceau de bouë°?
Ils osent dédaigner l’estime & l’amitié de leurs
semblables, ils se contentent de leur
inspirer de la crainte & de la soumission ; pendant
que le Maître de l’Univers ordonne lui-même aux hommes
de l’aimer, & qu’il se plait à entendre les
protestations sincéres qu’ils lui font de leur amour
pour lui. Ils sont choqués de ce qu’un homme vertueux
leur demande de l’estime & de l’amitié, ils veulent
qu’il les considére comme des Maîtres & non pas
comme des Amis ; pendant que l’Etre Suprême veut qu’on
le traite comme un Ami véritable, comme un tendre Pére,
qu’il nous commande de lui demander son amour par des
priéres continuelles, & qu’il aime mieux nous
attirer par sa bonté, que nous effrayer par sa grandeur
& par sa puissance redoutable. Que dis-je ! ces gens
même qui ne veulent être regardés que du côté de leur
pouvoir & de leur élévation, ont l’insolence
d’invoquer l’Etre infini, avec les mêmes expressions
tendres & familiéres, dont se sert avec confiance un
Chrêtien, qui a apris de son Maître à être débonnaire
& humble de cœur. Je prévois bien qu’on traitera de
déclamation tout ce que je viens de dire, & qu’on
m’objectera que les termes cérémonieux qui me choquent,
ne sont proprement que des formulaires, auxquels on
n’attache pas le moindre sens, & qui par conséquent
sont incapables d’exciter la moindre idée.
Je suis votre Serviteur, par exemple, est un Compliment
dont tout le monde se sert, sans prétendre exprimer
par-là, le moindre panchant à rendre service à qui que
ce soit. Je répons en prémier lieu, qu’il est honteux au
suprême degré à des Etres raisonnables, d’entrer dans un
commerce mutuel de sons vuides, & par conséquent
directement contraire au but qu’à eu notre Créateur, en
nous donnant des organes propres à nous communiquer ce
qui se passe dans notre ame. En second lieu … Cette
Lettre étant un peu longue, j’en donnerai la suite une
autre fois. »
Metatextualität
« Les idées que vous avez communiquées au
Public sur le Cérémoniel, m’ont fait réfléchir sur
ce sujet°; & vous voudrez bien, j’espére,
insérer dans votre Bagatelle, les Observations que
j’ai faites là dessus.