Du Jeudi 17. Novembre 1718.
Perses par l’insolence de son despotisme, crut
que pour s’affermir sur le trône, il étoit nécessaire de se défaire de
son frére Mages, qui étoient les Ecclesiastiques de
l’
Personne, à mon avis, n’a mieux connu que cet
Je sai bien qu’un homme sage & éclairé, ne refusera jamais les rênes
d’un Empire°; mais il
La conduite de cet illustre Perse, quelque
raisonnable qu’elle soit, n’a pas trouvé beaucoup d’imitateurs. Ne
parlons pas ici de ces crimes excusables au tribunal de la Sottise
Humaine, par lesquels de tout tems les Ambitieux ont acheté les chagrins
inséparables du Despotisme ; mais réfléchissons sur des Personnes d’un
moindre rang, dont la Grandeur ne nous éffraye pas assez, pour
contraindre la liberté de notre Raison.
Un noble vit à la campagne d’une maniére aisée & agréable. Il est
assez respecté & obéi, pour qu’une vanité médiocre puisse s’en
contenter : mais il a entendu dire que des gens de sa sorte ont acquis,
par la faveur du Prince, la satisfaction de voir ramper à leurs piés un
nombre prodigieux d’esclaves. Il a été libre jusqu’à présent ; mais sa
liberté commence à lui devenir aussi fade, que la santé l’est à un homme
qui se porte toujours bien. Il quitte ses terres, & il va faire
admirer à la Cour la souplesse servile de son esprit ; il est charmé
d’être accablé sous la servitude du côté du Maître, pourvu qu’à son tour
il puisse faire gémir les autres sous la pesanteur de ses chaînes. Les
indignités qu’il a le pouvoir de faire souffrir aux autres, le consolent
abondamment de
Il n’est pas difficile de remarquer, que l’orgueil loge surtout dans les esprits imbécilles, & que d’ordinaire les plus grands sots aiment le plus à commander. Un homme sans esprit & sans éducation, qui est assez heureux pour se voir tout d’un coup un domestique, hausse aussi tôt d’un degrè l’estime qu’il a pour son impertinent individu, il croit exister doublement, il commande à son valet à baguette, son ton est fier & impérieux : & quoique peut être il se familiarise avec lui quand ils sont tête à tête, il se plait à le gourmander en présence de témoins°; & il ne doute pas un moment que les assistans n’admirent la noble fierté avec laquelle il se fait obéir, aussi-bien que la félicité de son petit despotisme. Le malheureux laquais est mis en jeu à chaque moment, sans rime & sans raison. Son Maître rêve continunuellement <sic> aux moyens de le faire paroître sur la scêne. Il a toujours quelques nouvelles commissions à lui donner. Quand il est en compagnie, le pauvre garçon a ordre de lui venir parler à l’oreille. Il ne fait pas un pas sans en être suivi. Il seroit bien fâché de négliger une seule occasion de mettre sa souveraineté à profit. Il se tient attaché à la source de son bonheur, il multiplie son laquais, pour ainsi dire.
Je me suis fait quelques fois un plaisir char-
Cette fatuïté ambitieuse, est placé dans tout son jour chez un Maître d’Ecole, c’est-là qu’elle brille de ses traits les plus vifs. Quel plaisir de le voir assis gravement dans sa tribune, le sceptre à la main, entourré d’un petit peuple, dont les passions s’excitent ou se calment au moindre signe de tête qu’il fait°!
Quelle satisfaction de le voir gravement dispenser les récompenses &
les peines, de le voir
Pourquoi croit-on qu’un Savetier perd souvent une partie de son tems, pour dresser un chien ? Seroit-ce parce qu’il est curieux de voir jusqu’à quel degré peut aller l’industrie des Brutes ? Croyez-moi, ses vues ne sont pas si Philosophiques, il songe seulement à se ménager une partie méprisable de la Création, qui soît soumise à ses ordres.
Romain tout au moins ; le plaisir de
voir une obéïssance à ses ordres, si exacte & si promte, sembloit
l’enfler ; il se quarroit, sa démarche étoit aussi fiére que celle d’un
jeune Théologien qui vient d’endosser le manteau, ou d’un jeune Enseigne
qui se trouve pour la prémière fois le drapeau à la main.