Cita bibliográfica: Justus Van Effen (Ed.): "XLV. Bagatelle", en: La Bagatelle, Vol.1\046 (1742), pp. 257-263, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2190 [consultado el: ].


Nivel 1►

XLV. Bagatelle.

Du Lundi 10. Octobre 1718.

Metatextualidad► Projet d’Association entre quelques Etudians d’une célébre Université d’Deutschland. ◀Metatextualidad

Nivel 2► Nivel 3► Nous soussignés, poussés d’une noble envie de nous distinguer des Foux & des Pédans, dont regorge cette illustre Université, avons résolu de former une Société d’honnêtes-gens, dont chacun sera obligé d’observer les Statuts suivans, de la maniére la plus inviolable.

Nivel 4► Statut I.

« Chaque Membre de notre Société s’engagera à faire tous les mois un petit voyage à la Cour, pour étudier la bonne maniére de s’habiller ; & quiconque se mettra d’une maniére hétérodoxe, payera trente sols chaque fois qu’il sera pris sur le fait. NB. Les culottes rouges galonnées d’or ou d’argent avec un habit d’une autre couleur, seront proscrites pour jamais ; & celui qui se trouvera muni d’un meuble si mal assorti, sera tenu d’en faire présent au Fils ou au Maître-Garçon de son Tailleur.

[258] Tous les chapeaux dont les bords excéderont six pouces de largeur, seront confisqués au profit de ladite Société, aussi-bien que les grandes épées, dites autrement Brettes ; & l’on connivera à l’habit Siamois, pourvu qu’on ne le porte qu’au Collége, & que dans les Promenades, dehors & dans la Ville, on n’en fasse point parade aux yeux du Beau-Sexe. Celui qui le traînera a la Comédie, sera condamné à ne le porter de six mois, sous peine de payer une pistole d’amende, ou d’ajouter le bonnet de nuit à la robe de chambre, & de completer ainsi son deshabillé »

Statut II.

« On recevra à la Société sans distinction de rang, de richesse, & de nation, tous ceux qui ont quelques principes de bons sentimens & de belles maniéres : & le Membre riche ou noble, qui se trouvant avec des gens de qualité, ou avec des Dames, aura l’insolence de tourner la tête à la rencontre d’un autre Membre, ou le saluera maigrement, régalera pour la prémiére fois toute la bande ; & en cas de récidive, il sera proscrit pour jamais. »

Statut III.

« On se verra deux fois par semaine dans une chambre louée à fraix communs, ou l’Eté dans quelque jardin. Le sujet de la [259] conversation ne sera jamais fixe, mais elle roulera d’une maniére libre sur la Galanterie, sur le Bel-Esprit, ou sur l’Etude, pourvu qu’elle ne tombe jamais dans la pédanterie, ou dans la grossiéreté. Pour chaque serment il y aura un escalin d’amende, deux pour chaque obscénité, trois pour un trait de médisance, & quatre si le Beau Sexe en est le sujet. Celui qui averti plus d’une fois de s’abstenir de ces phrases profanes, qu’on apelle jolies impiétés, y retombe pourtant, sera déclaré indigne de fréquenter les Sociétés pendant deux mois. Si quelqu’un s’ingére d’aller jusqu’au blasphême, il sera proscrit pour toujours ; & tout Membre qui conservera avec lui un commerce qui aille au-delà d’une civilité générale, payera deux pistoles.

Celui qui recevra les Associés chez lui, pourra les régaler d’une collation, d’un petit souper ; à condition que le régal n’excédera pas deux pistoles, y compris une demi-bouteille de bon vin pour chaque Membre. Il sera permis pourtant dans des Fêtes un peu solemnelles, de doubler la doze du vin, à condition que ce soit là le non plus ultra. »

Statut IV.

« Afin que la Société ne soit pas deshonorée par des airs gauches, & par des maniéres rustiques, tous les Membres seront obligés de savoir danser, ou de l’apprendre ; & ceux dont la bourse ne sera pas as-[260]sez garnie, pourront puiser dans la bourse commune de quoi payer leurs Maîtres d’exercices. Ils en pourront agir de-même, quand ils auront besoin d’un chapeau, d’une perruque, ou d’un habit ; & si dans toute leur conduite ils font briller une ame belle & généreuse, ils seront obligés de n’avoir non plus de honte de se servir de l’argent commun, que s’il leur appartenoit en propre. On s’appellera toujours du nom de Monsieur, sans donner dans la basse familiarité de se nommer mutuellement du nom de Batême. Il sera surtout rigoureusement défendu de se dire des injures, ou de se donner des démentis, même en badinant. Pour punir les contrevenans, la Société se pourvoyera d’une petite Brouëtte d’argent ou de cuivre, que le délinquant portera à son chapeau pendant une heure, afin de sentir par-là qu’il s’est comporté en Crocheteur ; bien entendu que cette marque d’infamie ne passera jamais la porte de l’endroit où se tient l’Assemblée. »

Statut V.

« Celui qui prétend à l’honneur d’entrer dans la Société, protestera solemnellement qu’il ne trouve point d’héroïsme à fréquenter les mauvais lieux, point de gloire à se souler, point d’esprit à casser les vitres des honnêtes-gens, & qu’il renonce pour jamais à la réputation qu’on peut acquérir par un si sot mérite. Si une Dame rend le salut de mauvaise grace, toute la puni-[261]tion qu’il sera permis de lui infliger, c’est de faire une autre fois semblant de ne la point voir, & de lui ôter par-là l’occasion de réitérer sa sottise.

On punira celui qui se fait rosser par le Guet, en déclarant que les coups appliqués du gros bout de la pique sont des coups de bâton, donnés & reçus en bonne & due forme ; & quiconque se fera lapider par la canaille, passera pour être confondu avec elle. »

Statut Vi.

« Chaque Associé s’engage à croire, qu’un Etudiant qui est quite pour quatre jours de prison, d’une action pour laquelle un Matelot seroit pendu, est beaucoup plus heureux que le Matelot, mais qu’il n’est pas moins infame. »

Statut VII.

« Les Associés pourront se faire un mérite de fréquenter le Beau-Sexe, de s’y conduire d’une maniére sage & polie, & d’en être bien reçus. Ils seront loués aussi de s’attacher particuliérement à une aimable Personne, & de filer avec elle, s’ils veulent, le parfait amour : mais sous peine de passer pour des Fats complets, il leur est défendu d’insinuer par des gasconnades, grimaces fanfaronnes, faux airs de modestie, & autres moyens illicites, qu’ils sont dans les bonnes grâces de leurs Belles plus avant qu’un autre.

[262] Si un tel Associé se trouve en compagnie d’hommes, & s’il rencontre sa Maîtresse dans la rue, il la saluera d’une maniére humble, respectueuse & grave : mais s’il accompagne sa révérence d’un petit air de familiarité, il en sera censuré vigoureusement en pleine Assemblée, & il s’en absentera pendant quinze jours. Si cette correction ne le rend pas plus sage, il est juste de l’en bannir absolument, comme un Amant lâche, qui ne s’attache au Beau Sexe que pour le ruïner de réputation. On jugera digne de la même punition, celui qui affectera de passer dix fois dans une heure devant la porte d’une jolie Bourgeoise, & qui raillé là-dessus niera le fait, ou soutiendra qu’il n’a pris ce chemin que pour aller voir des Amis, à la maison desquels la rue de la Bourgeoise ne méne qu’indirectement.

Celui qui aura pour Parens des Bourguemaîtres, des Sécrétaires d’Etat, ou des Grands-Baillifs, sera obligé, sous peine arbitraire, de dire en parlant d’eux, Monsieur un tel, & non mon Cousin un tel, mon Oncle un tel.

Si d’une maniére directe il parle de l’ancienneté de sa maison, & des grands hommes qu’elle a produits du tems du Duc d’Albe, il en sera quite la prémiére & la seconde fois pour quelques railleries sanglantes : mais en cas qu’il y retombe plusieurs fois, on copiera sa généalogie, & on la lui collera sur le dos, afin que personne n’en prétende cause d’ignorance. Il [263] sera permis à un Bourgeois de blâmer les Nobles, des airs qu’ils se donnent avec des Roturiers dont les familles ont été honorées de tout tems des Emplois les plus considérables, pourvu qu’à son tour il ne méprise pas des Bourgeois d’un rang inférieur, qui méritent les Charges que ses aieux ont possédées.

Enfin, on soumettra à une même punition que les Diseurs de jolies Impiétés, les Associés qui dans un même jour iront rire & causer en dix différentes Eglises : ils iront à l’Eglise une fois chaque Dimanche, quites à rêver d’un air attentif, s’ils entendent prêcher un Furieux ou un Imbécille. » ◀Nivel 4 ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1