Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XLIV. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\045 (1742), S. 251-256, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2189 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XLIV. Bagatelle.

Du Jeudi 6. Octobre 1718.

Ebene 2► Pour faire connoître exactement les Rieurs de profession, il est bon de les distinguer en certaines classes. La prémiére qui me vient dans l’esprit, est celle des Goguenards. Pour former ce caractére, il faut, généralement parlant, un concours de la Nature & de la Fortune.

Fremdportrait► Le Goguenard est un Homme d’un âge au-dessus de l’adolescence, dans laquelle les passions trop vives forcent quelquefois à rêver. Son tempérament est sanguin ; il a un gros ventre, de grosses jambes ; le visage plein, rubicond, & un peu brillant ; l’œil gai & satisfait, sans être vif ; son visage est de ceux qu’on croit reconnoître, & avoir vu ailleurs. C’est d’ordinaire un Homme qui est à son aise, & qui se croit à l’abri des orages de la fortune. Il ne sent, ni ne pense ; tout ce qu’il aime, c’est d’être en compagnie, & surtout à table. Il a un beau creux en riant, il rit une belle basse. D’aussi loin que vous le voyez, vous entendez déja son gros ris. Il vous apperçoit, il accourt à toutes jambes, il vous secoue rudément la main : Ha ! notre Ami, dit-il en faisant danser son ventre & ses épaules, comment va la joie ? Parbleu ! Damon [252] nous régala bien hier au soir : C’est un brave homme, toujours gai, il n’engendre point mélancolie : Qu’en dites-vous ? Après cela il vous plante une de ses grosses pattes sur les épaules assez rudement pour les déboëter ; il vous dit dix Proverbes & vingt Quolibets, vous souhaite bon appétit, & vous quite avec le même ris impertinent avec lequel il vous a accosté. Ce qu’il y a de commode avec lui, c’est qu’il ne vous gêne en rien. Si vous ne riez pas, il n’en est pas fâché, à peine y fait-il attention ; & quand cela arrive, il se contente de vous dire : De la joie, morbleu ! vous êtes sérieux comme un bonnet de nuit sans coëffe. Ensuite il vous embrasse, vous secoue tout le corps, vous fait faire une pirouëtte, & vous laisse suivre votre humeur en repos. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► La seconde classe de Rieurs ou de mauvais Plaisans, est celle des Polissons. On sait que ce terme signifie dans le sens le plus propre, ces petits Garçons qui courent les rues, & qui le font de leur sottise un droit de faire enrager les gens. Par une métaphore des plus naturelles, il signifie aussi certaines Gens sottement malins, qui divertissent les bonnes compagnies, en faisant des niches tantôt à l’un, tantôt à l’autre, & en débitant des impertinences puériles. Ils sont incapables de respect & de retenue, fort adonnés au Patinage, & tout bouffis de Turlupinades & de sales Equivoques.

Un Polisson met le plus haut point de gloire dans ce qu’il appelle attraper quelqu’un ; & il se croit le plus spirituel de tous les hom-[253]mes, quand il y réussit, soit par ses actions, soit par ses paroles. Il fera semblant d’examiner l’ouvrage d’une Demoiselle, & il lui donnera un petit coup pour qu’elle se pique le doigt. Une autre fois il prend un petit air mistérieux, & sous prétexte de dire à la Belle quelque chose à l’oreille, il lui donne un baiser. Tous ses discours sont à double entente, ce sont de sots piéges, contre lesquels les seuls Turlupins sont en garde, & où les Gens de bon-sens manquent rarement d’être pris. Vous êtes l’enfant gâté de la Fortune, vous dira-t-il quelquefois ; mais pour moi, je suis un malheureux. Si un homme raisonnable prend ces paroles dans leur sens naturel, & qu’il s’efforce de prouver au Polisson, qu’il a grand tort de n’être pas content de sa destinée ; il ne répond que par de grands éclats de rire, il est dans la joie de son cœur d’être plus fin qu’un autre, & de parler sans qu’on le comprenne. Après avoir joué pendant longtems cet impertinent rôle, il explique à la fin son énigme : A quoi bon, dit-il, disputer là-dessus ? Nous sommes du même sentiment. Je vous ai dit que je suis un mâle heureux. Il va pour ainsi dire à la chasse de ces plattes finesses ; & quand il en attrappe quelques-unes, il s’en félicite comme d’une trouvaille inestimable.

Ceux qui composent cette classe, sont d’ordinaire de Jeunes-gens nouvellement sortis du Collége. Il est vrai qu’il s’y mêle un petit nombre de Gens d’âge ? Mais il y a des personnes, surtout dans la Nation Françoise, qui ne vieillissent jamais, & qui par une [254] folie bien soutenue, se ménagent la prérogative d’une éternelle jeunesse. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Suit la classe des Boufons. Elle est très-nombreuse, & il y a fort peu de compagnies où ne se fourre & ne brille quelque Fat de cette espéce. Un Boufon est composé de paroles & de gestes. Pour faire crever de rire, il n’est point nécessaire que ce qu’il dit ait du sens ; il n’est pas nécessaire même qu’il articule, le ton de la voix suffit. S’il attrappe bien ou mal le hoquet d’Arlequin, avec quelques pas, quelques grimaces, quelque posture de la même boutique, il peut se promettre hardiment qu’il sera goûté universellement. S’il peut y ajouter une petite dose du Pierrot, & du Scaramouche, avec quelques mouvemens pillés des Marionettes, c’est un homme merveilleux, un génie supérieur ; on ne peut pas s’en passer, une fête sans lui seroit fade & ennuyeuse. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Je ne dirai rien de la classe des Badins, qui ne sont que les diminutifs des Boufons, avec un léger mêlange de Polissonnerie. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Je m’étendrai davantage sur les Diseurs de Bons-Mots, qui s’en font une profession, & qui prétendent faire rire de source. De tous les mauvais Plaisans, ce sont-là les plus sérieux. On diroit qu’ils sacrifient leur joie particuliére à la joie publique. Comme ils entrent d’ordinaire dans les compagnies chargés d’une provision de belles choses, dont ils doivent faire usage en tems & lieu, on leur voit un air inquiet, irrésolu ; ils pâtissent, ils sont en travail d’enfant, ils ouvrent vingt fois la bouche sans succès ; le Bon-[255]Mot demande un point de tems indivisible, la moindre parole qui se glisse entre ce point & la belle pensée, la déplaceroit & la rendroit froide. Par-là, le Diseur de Bons-Mots est toujours distrait ; on lui parle, il n’écoute point, il n’est intéressé qu’à la conversation générale. Il doit parler haut, afin que tout le monde l’entende ; c’est la régle.

Quoique le vrai Bon-Mot parte d’ordinaire d’une imagination gaye, vive, brusque, les Diseurs de Bons-Mots en titre d’office, sont en général des esprits fins, délicats & fleuris. Quand ils attrapent un heureux moment, ils débitent leur trait d’esprit en termes choisis ; ils pésent leurs paroles avant que de leur donner l’essor ; ils sont attentifs à ce qu’ils disent, ils n’en rient point d’abord : mais s’ils sont assez fortunés pour faire rire les autres, le plaisir d’avoir du succès se joint à ce qu’il y a de plaisant dans le Bon-Mot, & excite en eux des éclats supérieurs à ceux de toute la compagnie. Si un pareil bonheur arrive deux fois dans une après-dînée entiére à un habile homme de ce genre, il se retire content, charmé de lui-même, & il passe toute la soirée entre le plaisir de se féliciter de sa gloire, & celui de composer quelques Bons Mots nouveaux. ◀Fremdportrait

Qu’on ne s’imagine pas que je ne sois qu’un vrai Héraclite, ennemi juré de la joie, & toujours enfoncé dans un sérieux empesé & glaçant : on voit assez le contraire par plusieurs choses que j’ai écrites.

Je veux faire rire comme un autre, & [256] peut-être que mes prétentions ne sont pas des mieux fondées : c’est au Lecteur à en juger. J’ai voulu uniquement faire voir, qu’il seroit bon que des Etres raisonnables adoptassent la maxime de Moliére, les Sottises ne divertissent pas. D’ailleurs, il n’y a rien au monde que j’aime tant qu’un Homme d’esprit, que la Nature a favorisé d’un tempérament enjoué, & qui a le don de faire rire les honnêtes-gens. Il ne bat pas le pays, pour chercher quelques fleurs fanées ; il ne cueille que celles qui naissent sous ses pas, & qui ont toute la grâce de la nouveauté. Il n’est jamais embarassé de ses Bons-Mots, ce n’est pas un fardeau qui lui pése sur les épaules, ses traits d’esprit naissent dans la conversation, & font leur effet dans le point même de leur naissance. Comme ils ne lui coutent pas grand’chose, il ne s’en glorifie pas ; il fait rire sans que la satisfaction petille dans ses yeux. Pour les mauvais Plaisans, j’en conviens, leurs fadaises m’abîment dans de douloureuses réflexions ; ils me rendent mélancolique ; & par un méchanisme assez impertinent, ils me causent un mouvement perpétuel dans une paire de maudites épaules, que depuis plusieurs années je travaille envain de rendre plus modestes & plus complaisantes. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1