La Bagatelle: XLIII. Bagatelle
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XLIII. Bagatelle.
Du Jeudi 29. Septembre 1718. <sic>
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J’ai remarqué que celles de mes
Bagatelles qui répondoient au sens naturel de ce terme, ont
toujours été les plus goûtées, quoiqu’assurément ce ne soient
pas celles qui m’ayent coûté le plus. Si j’osois me hazarder
moi-même à juger de mon Ouvrage, je soutiendrois que mes petites
Piéces où je badine pour badiner, ne valent pas, à beaucoup
près, certaines ironies où j’ai eu pour but d’établir quelque
Vérité importante, en l’enveloppant dans un badinage plus fin,
mais moins réjouissant que certains badinages directs &
développés. Je ne suis pas assez vain, pour m’imaginer que j’aye
toujours réussi dans ces sortes d’entreprises. Mais je suis
persuadé que quand j’y aurois réussi, je n’aurois plû par-là
qu’à ce petit nombre de personnes, qui sont capables d’une
réflexion délicate, & qui savent entrer dans
les vues d’un Auteur & dans la nature d’un Sujet. Les bons
Esprits ne se font pas un plaisir bien ragoûtant de rire à gorge
déployée ; ils aiment à rire avec délicatesse & avec
sobriété ; &, s’il m’est permis de parler ainsi, leur Raison
rit plutôt que leurs Passions. Il faut pourtant que le Rire soit
quelque chose de bien charmant, & qu’il y ait une grande
volupté à sentir par tout le corps certaines secousses
convulsives, accompagnées de certains hoquets continués. Celui
qui a défini l’Homme un Animal risible, a bien rencontré,
quelque sens qu’on donne à ces paroles. Toujours est-il certain,
que généralement tout le monde se pique de savoir faire rire les
autres. On n’est jamais si glorieux, que quand on y réussit ;
& l’on ne peut pas être plus capot, que lorsqu’on l’a
entrepris envain.
Tout le monde en est
presque logé-là, l’un avec un peu plus, l’autre avec un peu
moins de sottise. Le comble de la gloire consiste à faire rire
son prochain. Les Contes, les Railleries, les Turlupinades, les
Quolibets, les Equivoques, les Grossiéretés, tout est bon,
pourvu qu’on secoue la rate des Auditeurs. Le grave Magistrat,
le Pédant poudreux, l’Artisan, le Laboureur, tout s’en mêle,
& croit y exceller. Il est vrai pourtant, comme dit Scarron,
que chaque Quartier à son Rieur par excellence, ils se trouvent
surtout parmi le Peuple du bas étage. Un tel Rieur est un Homme
privilégié, qui dans sa jeunesse a été soldat ou laquais. Je dis
dans sa jeunesse, car les Vieillards aiment toujours plus à
goguenarder que les Jeunes-gens. Pour être accompli dans sa
profession, il doit savoir lire, & se servir de sa science
pour consulter, toutes les années, le Recueil des Contes qui se
trouvent derriére l’Almanac. S’il ajoute à cela les
Contes de d’Ouville, & s’il va entendre toutes les années à
la Foire, avec une assiduïté religieuse, les Bouffons des
Charlatans, c’est un homme merveilleux, c’est un drolle de
corps, il est capable de divertir toute une compagnie. Ses
voisins n’oseroient pas seulemement songer à faire rire devant
lui. Mais quand ils en sont éloignés, ils divertissent les
compagnies d’emprunt ; ils se contentent de briller par quelques
expressions croustilleuses, qu’ils ont eu le bonheur de
retentir ; & ils ne rient que de la seconde main.
Imaginez-vous le plus sot, le plus niais, le plus hébété des
hommes, vous verrez que se croyant incapable de rien, il se
croit pourtant capable comme un autre de dire quelque chose de
drolle, & il a raison. Le drolle est quelque chose de
relatif à la différente portée des esprits. Un Sot n’a qu’à rire
lui-même de ce qu’il dit, pour que les Sots qui l’environnent le
fassent un cas de conscience de l’imiter, quand ils auroient
entendu la même chose un million de fois. Les plus Sots rient
toujours en pareil cas du plus grand cœur ; apparemment pour
marquer qu’ils sentent les bonnes choses, & qu’ils ne sont
pas aussi bêtes que l’on diroit bien. Eh ! pourquoi ne
riroient-ils pas ? Il y a des gens qui rient absolument de
rien ; l’un rit, parce qu’il voit rire l’autre ; & la
contagion de cette impertinence, gagne quelquefois toute une
compagnie. Après cela faut-il s’étonner ?
Fremdportrait
Le bon homme
Lycidas a du jugement, de l’esprit & du savoir ; il
posséde tout ce qui peut le rendre admirable dans la
conversation ; ses discours sont de la derniére utilité, ils
ont de l’agrément pour ceux qui ont assez de bon-sens pour
goûter, & pour estimer de belles Vérités exprimées
heureusement & naturellement. Mais dès-qu’il se trouve
avec de la Jeunesse, il semble mépriser les sublimes talens
de son esprit, pour courir après l’honneur de faire rire des
Foux & des Etourdis. Le bon Vieillard sent bien qu’il ne
sauroit les faire rire de son propre fond, la Nature s’y
oppose avec trop de force ; il conte des Historiettes &
des Bons-Mots ; il en fait une vingtaine de
bons, mauvais, & passables, c’est toute sa pauvre
provision. Il l’a rechauffée mille fois, & qui pis est,
il a un talent merveilleux pour rendre plats & insipides
les meilleurs contes qui lui passent par les mains. Il les
file lentement & pesamment, il en trouve la fin, &
il sourit ; car il a trop de bon-sens pour rire tout-à-fait.
Il s’attend à des éclats. Il n’en vient pas, la complaisance
la plus effrontée ne sauroit aller jusques-là. Il regarde
ses Auditeurs, ils se regardent les uns les autres, la
stupidité régne dans la compagnie au-lieu de la joie. Il
recommence sur nouveaux fraix, il répéte le prétendu fin de
la chose, il l’étend, il le développe, il le réduit à rien ;
on ne rit point. Il y ajoute une queue ; encore moins.
Heureux Lycidas, si enfin quelque Malicieux donne à
l’embarras du pauvre homme un éclat de rire, qu’il puisse
mettre sur le compte de son Bon-Mot.
Fremdportrait
Je connois encore un Seigneur de
Paroisse, fort entêté & fort incapable du talent de
faire rire : son fort est aussi des Contes : ressource
ordinaire de tous les mauvais Plaisans, qui n’ont pas assez
de feu pour avoir une imagination folle & déréglée. Il
quite son village deux fois tous les ans, il ne manque
jamais d’aller dîner en ville chez une vieille tante, femme
d’esprit, d’y mener avec lui son grand benêt de fils. Il n’a
que cinq Contes pour chaque année, & par conséquent la
tante en a deux fois le régal. Ils roulent tous sur des gens
de son village, qui sont drolles comme des coffres. Le
prémier a pour sujet le Baillif, le second le
Ministre, le troisieme le Marguillier, & ainsi du reste.
Des ris prématurés de sa propre façon, étouffent souvent ses
histoires dans leur naissance. Mais dès-qu’il a eu le
bonheur de finir après vingt interruptions, il est obligé de
se tenir les côtés ; & son gros ventre, qui se remue
avec impétuosité, fait craquer la chaise sous lui. Comme il
mange & conte en même tems, les éclats de rire se font
un passage au travers de sa bouche pleine, & répandent
devant lui une sphére de miettes de pain & de petits
morceaux de viande, au grand détriment des habits des
convives. Quand il paroit être au bout de son rollet, son
fils s’intéressant à la gloire de son Papa mignon, ne manque
pas de le réveiller : Eh ! mon Pére, vous avez oublié celui
du Meunier ; c’est le plus drolle de tous, je ne saurois
m’empêcher de rire quand j’y songe. Sur quoi il se livre
effectivement à des ris immodérés, il se déméne comme un
fou, il donne des coups de pié à droit, à gauche, peu s’en
faut qu’il ne s’arrache les cheveux. Parbleu oui, reprend le
Vieillard, vous faites bien de me rapeller celui-là. Pour
cela, notre Meunier est un plaisant corps, il a de l’esprit
comme un diable. Là-dessus nouveau Conte, dangers nouveaux
pour la chaise, & nouvelles miettes qui salissent la
nape & les mets. Ce qu’il y a de plus recréatif, c’est
que non seulement le fils fait un chorus de rire avec son
Pére, mais qu’il a l’art de finir plutôt que le Papa, pour
se saisir adroitement du ris du bon homme dans le point de
son extinction, & de lui donner par-là le
tems de prendre haleine, pour être en état de recommencer de
plus belle. Ce n’est pas tout. Quand les visages de tous les
convives ont déja repris leur pli ordinaire, le fils remâche
encore ses ris, & de tems en tems il se met la main
devant la bouche pour les empêcher de sortir. Par-là il
provoque de nouveau la faculté risible du Vieillard ; les
éclats recommencent ; & quelques momens après le Pére
rend le même service à son fils, & joue le même tour à
la compagnie. Ils retournent au village, après s’être
divertis comme des Princes.
Zitat/Motto
Qu’un Sot trouve toujours un plus sot qu’il fait
rire.