Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XLI. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\042 (1742), S. 233-239, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2186 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XLI. Bagatelle.

Du Lundi 26. Août <sic> 1718.

Metatextualität► Reponse de l’Auteur à la Lettre insérée dans les deux Bagatelles précédentes. ◀Metatextualität

Ebene 2► J’avouérai sincérement que cette Lettre m’a paru d’abord pleine d’esprit, mais je ne puis m’empêcher de dire présentement avec la même franchise, que j’y trouve très peu de bon-sens & de discernement.

Je me suis fait toute ma vie une étude très sérieuse de rendre justice à tout le monde, & rien ne m’a jamais paru plus extravagant, que de régler nos idées à l’égard du mérite & des talens d’autrui, sur leur goût pour nous, ou pour nos productions. Je pense par rapport à toutes les Opinions, quelque matiére [234] qu’elles concernent, ce que je pense sur l’Orthodoxie ; & je trouve fort innocent tout ce qui s’offre à mon esprit sous l’idée de l’Erreur, pourvu que l’animosité, la haine, ou la malignité n’y ayent pas de part. En vertu de ce principe, je n’ai pas conçu le moindre dépit, la plus légére indignation, contre l’Auteur de la Lettre en question : j’ai été un peu mortifié seulement, de ce que mon Ouvrage n’est pas du goût d’un Homme qui a tant d’esprit, & qui raisonne, selon toutes les apparences, quand il est au fait d’une matiére, & qu’il l’a examinée. J’en suis si bien persuadé, que j’ose appeller à lui-même de sa décision.

Toute sa Lettre roule presque sur une seule idée ; savoir, que ce qu’on a vu jusques ici de la Bagatelle, est un Cahos de Matiéres indigestes, où les plus habiles ne sauroient découvrir ni Systême ni But. Cette idée s’y trouve exprimée de cent différentes façons, & de l’esprit par-tout ; par-tout une imagination vive, un feu charmant. Par malheur, tout ce que dit l’Auteur sur cet article, est vague ; il ne spécifie rien, & ne daigne pas se donner la peine d’alléguer quelques passages, où il prétend que je tombe en contradiction avec moi-même. Par conséquent jusqu’ici je crois avoir droit de soutenir, qu’il régne dans mon petit Ouvrage un But & un Systême fixe. C’est à mon Censeur à faire voir que je me trompe.

En attendant, pour lui faciliter un examen plus attentif de mon prémier Volume, je veux bien lui exposer mon Plan en peu de mots. Il y a dans cet Ouvrage deux Plans ; [235] l’un est ironique & découvert ; l’autre est sérieux & caché, mais à mon avis il se devine très facilement. Mon Plan ironique est de défendre par-tout contre la Raison, la Bagatelle publique, c’est-à-dire, les Coutumes qui tiennent lieu de Bon-Sens à plusieurs Nations, ou du moins à la masse générale de mes Compatriotes. Mon But sérieux & caché, est de prêter des sophismes aux Vices & aux Egaremens de l’Esprit, pour en mieux faire sentir l’extravagance. C’est ce que je crois avoir exécuté d’une maniére suivie, hormis en certains endroits, où introduisant quelque autre que moi, j’ai été dispensé de m’attacher à mon Systême. Je m’imagine que dans les objections que je me fais faire par les Rationalistes, on voit aisément que je raisonne sérieusement, & que je fais tous mes efforts pour faire sentir la grandeur de la Raison, & la beauté de la Vertu, qui en découle comme de son unique source. La maniére dont j’y répons directement, est toujours badine & folâtre ; un petit Bon-mot, une petite Pensée fleurie, un Proverbe quelquefois.

Je tourne en ridicule la mauvaise Méthode de raisonner, qui est si fort en vogue, & par laquelle on laisse dans tout son entier une objection, pour la combattre par des raisonnemens qui ont tout un autre principe. Je tourne, dis-je cette Méthode en ridicule, &je ne laisse pas de la suivre, quand je me défens contre la Raison. D’ailleurs, les preuves que j’oppose à mes prétendus Adversaires, n’ont pour baze que les Usages reçus, & les Préventions enracinées des Hommes, qui ont [236] usurpé chez eux toute l’autorité du Raisonnement, parce qu’ils sont destitués, pour la plupart, d’un principe d’activité libre & intelligent.

Voilà un précis de mon Plan, & de la maniére dont je crois l’avoir exécuté. J’avoue qu’il m’a paru très propre à faire revenir les Hommes au Sens-commun. C’est le même du moins dont se servit autrefois Socrate. Au-lieu de choquer ouvertement les Erreurs des Hommes, il y entroit avec eux, il les soutenoit, & insensiblement il les faisoit révolter contre des Opinions qui avoient des fondemens si foibles & si ridicules.

Je serai très obligé à mon Censeur, s’il veut bien entrer dans un certain détail, pour me faire sentir que mon Systême est mauvais ou mal suivi. Ma raison profitera de la perte que fera ma vanité, & je déclarerai net au Public, que le prémier Volume de ma Bagatelle ne vaut rien.

Quoi qu’il en soit, l’Auteur de la Lettre avouera, que si le Bagatelliste a mal réussi à soutenir l’Ironie dans le cours de 280 pages1 , magnis tamen excidit ausis, il n’a pas réussi lui-même à la soutenir dans une seule Lettre. Le commencement est absolument ironique ; il se déclare mon admirateur, je suis le prémier Homme du Monde. Mais quelques pages avant la fin, il m’attaque à découvert ; il me menace même de la colére des Dames & des Orthodoxes ; il me prie de rengainer mon Paralléle des Nations Féminines, quoiqu’apparemment il en ignore le contenu. Il se remet [237] ensuite dans l’éloge ; il m’exhorte à courir avec un nouveau courage la carriére de la Bagatelle ; il me promet l’Apothése ; en un mot, il perd de vue cette Unité, qu’il prétend ne pas voir dans mon Ouvrage.

J’en viens à des critiques plus particuliéres, qui roulent sur quelques tours d’expressions, sur quelques pensées, sur certaines réflexions, &c.

Pour la Métaphysique, que mon Censeur trouve par-tout dans mon Ouvrage, je crois qu’il ne s’y connoit pas. Mon concours fortuit des Images est le seul endroit que je sache, qui puisse être soupçonné de Métaphysique, mais à tort : c’est plutôt une description exacte de ce qui se passe dans le cerveau, quand la Machine roule toute seule sans la direction de l’Ame. Il est fort naturel que ceux qui ne sont jamais chez eux, pour avoir l’œil sur ce qui s’y passe, trouvent métaphysique & abstrait tout ce qu’on peut dire touchant le Méchanisme de l’Esprit, dont ils n’ont point d’idée.

Pour les Violons, & le Chien de Belise, qui valent tout Mallebranche, je saurai ce que l’Auteur y trouve à redire, quand il me l’aura appris.

La Dilatation des Pensées paroit à d’autres personnes un badinage assez passable, pour turlupiner un stile étendu, où les pensées sont rare nantes in gurgite vasto.

Un Homme qui tourne bien un Vers, n’est guéres mieux fondé à s’en glorifier, que celui qui fait bien une Cabriole. Rien de plus vrai au tribunal de la Raison. La dis-[238]position machinale, par laquelle on trouve facilement le nombre & la cadence, est d’un fort petit prix en elle-même ; mais on mérite de la gloire, quand on sait se servir de cette disposition, pour relever des Vérités grandes & utiles par les ornemens de la Poësie.

J’abandonne à mon Censeur mon Imitation d’Horace. Des Connoisseurs y trouvent un bon nombre de fautes de Versification & de Stile ; mais ils ne m’ont point accusé d’y avoir noyé les Pensées dans un verbiage à la Gaconne. Je demande grace à mon Antagoniste pour les Fats spirituels & pour les jolies Laidrons. Vous n’y pensez pas pour le coup, Monsieur, vous vous aheurtez à une contradiction apparente qui disparoit ici, quand on se forme une idée juste du sens propre de chaque terme. On peut appeller une Laidron jolie, quand par sa maniére de se mettre, par sa vivacité, par son air, elle sait se procurer de l’agrément en dépit de sa laideur. Le terme d’Esprit ne comprend le Jugement & la Raison, que dans son sens le plus général, dans lequel Rousseau le définit le plus joliment du monde : Qu’est-ce qu’Esprit ? Raison assaisonnée. Vous savez que souvent l’Esprit ne signifie qu’un certain feu, une certaine rapidité des images, & qu’on l’oppose à la Raison avec beaucoup de fondement. Cette sorte d’Esprit est tout-à-fait propre à former un Fat, dont le caractére est composé d’étourderie, de vanité, d’inattention. La Bruyére dit formellement, que le Fat peut avoir de l’esprit, & qu’il est capable de sortir de son caractére, quand il s’en [239] apperçoit. Disons plus : la Fatuïté est presque toujours accompagnée d’esprit, & rien n’est plus rare que de voir un Sot, qui soit naturellement un Fat. Il ne peut le devenir que par art & par imitation.

Que voulez-vous dire par vos Antithéses, Monsieur ? L’un dit que je devrois suivre les traces du Misantrope, l’autre m’accuse d’en être le Singe. Je serai bientôt à sec. Je puis écrire de cette maniére jusqu’à la fin des Siécles. Je ne dis que des choses connues. Je suis blâmable pour l’inutile singularité de mes idées. Ces Propositions contradictoires ne sont pas vraies en même tems. Parlez, Monsieur, quelles dois-je croire ? Que je puisse profiter de vos lumiéres là-dessus.

Mon Acharnement contre les Dames, mes Hérésies, & mes Portraits rians du Vice, me paroissent des Etres de Raison. Je ne les entrevois pas seulement dans ma Bagatelle. Déterrez-les, Monsieur, je reconnoîtrai ma faute, & je me corrigerai.

Je souhaite de tout mon cœur que notre commerce dure. Nous en profiterons, le Public, vous, & moi sur-tout. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1De l’Edition précédente en 3. Volumes, dont le I. finit à la page 200. du I. Volume de cette N. Edition.