Du Jeudi 15. Septembre 1718.
La Vanité Françoise a trouvé bon d’attacher un
sens odieux au terme même d’Allemand, &
par-là elle mérite de s’attirer le mépris de toutes les Nations qui ont
du sens-commun. Mr. François, qui voulant un jour
s’excuser d’avoir mal réussi dans une commission, dit à son Maître : Parbleu, Monsieur, je crois que
ces gens-là m’ont pris pour un Allemand. Ils
avoient tort, répondit le Maréchal avec beaucoup de flegme, ils devoient vous prendre pour un Sot.
Cela soit dit en passant. Les Dames Allemandes
peuvent avoir, sans contredit, du bon-sens, de l’esprit, de la
politesse : elles peuvent être aimables par le seul caractére de leur
Nation. Je dis plus, une éducation bien ménagée pourroit leur donner un
air ouvert & aisé, une portion suffisante de cet-Françoise, que les
Peuples les plus sérieux mêmes trouvent aimable dans une jolie Femme. Il
y en a même un bon nombre qui l’ont mêlée si adroitement avec leur
caractére naturel, que les plus fins Connoisseurs n’y sauroient trouver
rien d’étranger. En général pourtant, elles feroient beaucoup mieux de
s’en tenir à leurs maniéres, & d’être de bons originaux, que de se
plâtrer grossiérement d’une fade copie des agrémens François.
Dans les Cours Allemandes, excepté quelques-unes
des plus distinguées, il s’est fourré certains Mirmidons François, qui se sont donnés effrontément pour
Beaux-Esprits, pour Experts en matiére de Savoir-vivre. On les en a cru
sur leur parole, comme s’il suffisoit d’être né dans une bicoque de la
par un bénéfice du terroir. J’ai vu une
Piéce de Théâtre faite par un de ces prétendus Génies, pour le
divertissement de certaines Altesses. Non seulement tout y étoit plat,
& de mauvais sens ; mais le pauvre Auteur, bien loin de savoir les
régles les plus familiéres de la Versification, ignoroit absolument la
maniére de construire sa propre Langue.
Ces mêmes Cours regorgent de Pèques Provinciales,
qui doivent aussi tout leur mérite au lieu de leur naissance. On leur
confie l’éducation des Dames de qualité, & elles croient y réussir à
merveilles, quand elles barbouillent l’esprit de leurs Eléves par le
fard grossier de mille longs & impertinens complimens. Elles ne font
que Goût
François, de l’Air François, des Maniéres Françoises, dont elles font, peu s’en
faut, la Vertu & le Mérite. Elles donnent ainsi à ces pauvres Enfans
un amour stupide & outré pour le terme de Bel
Air, dont elles n’ont aucune idée distincte : & cet amour
ridicule va si loin, que souvent un Carabin qui s’émancipe avec une
Beauté Allemande, n’a qu’à dire, pour imposer
silence à la pudeur de la Belle, que c’est la maniére
en
Si les Dames Allemandes sont pour la plupart des
copies, le caractére des Anglois au contraire est
tout-à-fait orignal : elles ont leur tour d’esprit à part, des modes,
des airs, & des maniéres qui leur sont particuliéres &
propres.
Tous ceux qui ont examiné à fond les Anglois,
conviendront avec moi qu’ils constituent le Peuple le plus sage & le
plus fou de l’Univers. On découvre dans leur Pays, jusques chez les
Mariniers & les plus vils Artisans, de la pénétration, du
raisonnement, & de l’esprit ; mais en même tems une bizarrerie
excessive, qui vient de l’amour outré qu’ils ont pour la Liberté. Tout
ce qui gêne, tout ce qui contraint, leur est insupportable. Il n’y a
point de gens au Monde, qui soient moins imitateurs ; chacun se livre à
son humeur particuliére, sans se mettre en peine des autres. De-là vient
que quoique tous les Anglois se sentent du
caractére général de la Nation, ce caractére est varié de cent mille
façons, & qu’il n’y a Anglois est toujours un assemblage monstrueux de beaucoup de
bons-sens, & d’une bizarrerie incompréhensible, qu’un Etranger
prendroit souvent pour un Fanatisme réel. Comme
en
J’ose dire qu’elles ne sont pas généralement aussi belles, que le
prétendent leurs Compatriotes prévenus ; mais assurément on ne sauroit
rien voir de mieux fait & de meilleur air, depuis la Duchesse
jusqu’à la Blanchisseuse. Ce sont des tailles pas trop déliées, mais
droites & aisées ; des épaules bien placées, un jarret tendu, &
un pié tourné à merveilles ; leur démarche seule est capable de
triompher d’un cœur ; l’art & l’affectation y sont parfaitement
cachés ; & les Belles semblent sortir des mains de la Nature, telles
qu’on les voit. Pour leurs gorges, le spirituel Mr.
Les Angloises n’ont pas un abord aisé &
ouvert. Au contraire, leur air est froid avec
Il n’en est pas ainsi des Amans d’un certain caractére, que cette humeur
capricieuse doit mettre perpétuellement à la torture. Tels sont les
Amans sérieux, passionnés, délicats, qui aiment à pousser les beaux
sentimens, & filer le parfait amour. Une Angloise pourra estimer un tel Galant, elle pourra même
l’aimer, mais elle le fera enrager involontairement cent fois dans une
heure. Quelquefois elle répondra à sa tendresse de la meilleure foi du
monde ; un moment après elle le laissera parler tout seul, &
s’amusera avec un Chien ou avec un Perroquet. Souvent elle se lévera
brusquement, en interrompant la conversation la plus tendre, pour
demander à sa Femme de chambre si le carosse est devant la porte ; elle
fera une grande révérence à son fidelle Berger, & s’en ira faire des
emplettes ; & tout cela par une humeur libertine, sans aucun dessein
malicieux de faire du chagrin à son Amant. Si le pauvre Garçon se fâche
de ses maniéres, s’il lui en témoigne une douleur délicate, elle le
regardera comme un ennemi de sa liberté, comme un persécuteur, & il
risquera de se rendre odieux & insupportable. Le vrai moyen de se
mettre bien dans son esprit, c’est de