La Bagatelle: XXXII. Bagatelle
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XXXII. Bagatelle.
Du Lundi 22. Août 1718.
Ebene 2
On a vu dans une de mes Bagetelles,
combien une petite raillerie, un petit bon-mot, étoit propre à
donner le croc enjambe au raisonnement le plus vigoureux. Les
Rationalistes ne se servent guéres de ces sortes d’armes. Leur
imagination, mise à sec par la contrainte où la Raison la tient,
a rarement le courage de s’abandonner à ces saillies impayables,
par lesquelles on ne manque jamais de mettre les rieurs de son
côté. Je ne dis pas pourtant que leur sévérité ne se relâche
jamais par le moindre bon-mot ; mais ils veulent que leurs
railleries mêmes se sentent des impressions de la Raison. Je dis
plus : ils ne veulent point qu’une raillerie soit jamais un
sophisme, ou une pétition de principe ; & ils ne croient
permis de l’employer, que lorsqu’un bon-mot met
mieux un raisonnement dans tout son jour, que l’arrangement de
plusieurs phrases sérieuses. Pour vous faire connoître nettement
leur pensée sur cet article, je vous rapporterai ici un bon-mot,
qu’ils admirent beaucoup.
Adoptons pour un moment l’idée de ce Rationaliste
Anglois, & nous verrons que sa raillerie étoit le
raisonnement le mieux exprimé, & le plus propre à porter
coup. Si quelqu’un vouloit prouver directement, qu’il est
déraisonnable d’établir une Royauté Héréditaire, ses preuves
s’émousseroient contre une imagination préoccupée par la
Coutume. De tout tems on a vu des Rois Héréditaires, il y en a
encore, & il est apparent qu’il y en aura toujours : par
conséquent, il est naturel de ne rien trouver-là de ridicule.
Que fera-t-il donc pour épargner à sa raison, la
nécessité de forcer un obstacle si insurmontable ? Il faut qu’il
saississe l’imagination de celui qui l’écoute, dans un moment
où, dégagée du joug de l’habitude, elle s’attache à tourner en
ridicule une chose toute pareille à celle qui jusques-là lui
avoit paru raisonnable à l’abri de la Coutume. Voilà justement
comme s’y prend notre Rationaliste. Rendre héréditaire le droit
d’enseigner une Science, ou le droit de gouverner une Nation
entiére, lui paroissent deux choses tout au moins également
déraisonnables ; & il croit que sentir suffisamment le
ridicule de l’un, c’est être convaincu de l’égarement qui éclate
dans l’autre. Qu’on n’aille pas s’imaginer, que je sois moi-même
d’une opinion si bizarre. J’ai déja averti que je suis pour la
Bagatelle publique, je n’en démords point ; tout ce qui est
établi généralement, me paroit très bien établi ; & les
raisons nécessaires pour le faire sentir, ne me manqueront
jamais.
Prémiérement, il seroit ridicule de réformer tous les Etats,
& d’en faire tout autant de Républiques. Une Maxime
fondamentale de la Politique, c’est que le Gouvernement de
chaque Peuple doit être accommodé à son génie, à son
tempérament, & à ses coutumes. Or est-il que la plupart des
Peuples sont accoutumés à être gourmandés par le
Sceptre Royal ; & par conséquent leur ôter cet épouventail,
vaudroit quasi autant que de les jetter dans une Anarchie
absolue. Reste à examiner, s’il seroit bon que tous les Royaumes
fussent Electifs. Il me semble que je vois déja les
Rationalistes former les plus beaux plans du monde là-dessus,
& se mouler sur la conduite des Crétois, dans les Avantures
de Télémaque. Les plus sages Vieillards s’assemblent, pour
examiner la force & l’adresse de ceux qui aspirent à la
Couronne, & sur-tout la vigueur de leur esprit, la force de
leur raison, & la sagesse de leur conduite. Après avoir bien
pesé le mérite de tous les Concurrens, ils offrent la
Souveraineté à celui qui leur en paroit le plus digne. Voilà la
plus belle chose du monde dans le Royaume des Sévarambes, ou
dans l’Utopie de Morus. Mais, de la façon que le monde est bâti,
rien n’est plus impratiquable. De la maniére que les hommes sont
faits à présent, les Citoyens qui choisiroient de leur corps
certains Vieillards, pour leur confier les intérêts de tout un
Etat, pourroient, ou par corruption, ou par bêtise, choisir de
vieux Sots, ou de vieux Fripons, qui péseroient la richesse des
Concurrens, au-lieu de leur Mérite, & qui livreroient la
Couronne au plus offrant. Je ne parle pas en l’air. Qu’on jette
les yeux sur certain Royaume Electif qui tient bon contre la
Coutume, & l’on tombera d’accord de ce que je viens
d’avancer. D’ailleurs, il y auroit encore à
craindre dans le même cas, que tout ne ne <sic> se fît par
brigues, que la violence ne prît la place de la sagesse ; que de
ces brigues ne nâquissent des Guerres Civiles, & toutes les
horreurs où l’Anarchie enveloppe un Peuple acharné contre
lui-même. Mais supposons pour un moment, qu’on puisse remédier à
tous ces inconvéniens par des Loix sages, mises en exécution
avec la sévérité la plus exacte ; supposons qu’il soit
pratiquable de choisir de tout un Peuple le plus honnête-homme,
& le plus capable de faire le bonheur d’une Nation ;
supposons tout cela, pour donner beau jeu aux Rationalistes ; je
soutiens pourtant, qu’il vaut infiniment mieux laisser accroître
le Despotisme sous une suite continuelle de Princes d’une même
famille, que de jouir de tous les agrémens de la vie sous un
Roi, qui par sa naissance n’est pas plus grand Seigneur que ses
Sujets. En effet un Roi Héréditaire est toujours préférable à un
Roi Electif, quand même celui-ci seroit le plus honnête-homme,
& le plus éclairé de toute une Nation. On n’a qu’à
considérer les inconvéniens attachés à la derniére espéce de
Royauté, & les avantages qui découlent de la prémiére, pour
ne pas balancer un moment sur la préférence. Un Homme de bien, à
qui l’estime générale de tout un Peuple mettroit le Sceptre à la
main, ne saura jamais ce que c’est que d’être Roi : il se
souviendra toujours qu’il est Homme, aussi-bien que le moindre
de ses Sujets ; il confondra ses devoirs avec les
prérogatives de sa Majesté ; il ne se croira grand, qu’autant
qu’il sera bon, sage, vigilant & juste ; & il ne voudra
compter les marques de son pouvoir, que par les bienfaits qu’il
répandra sur un grand nombre d’Hommes, qui seront confiés a ses
soins paternels. Enfin, ce bon Homme sera tout au plus Juge en
Chef, & le Pourvoyeur-Général de ses Sujets ; & je crois
fermement qu’un Philosophe ancien avoit une pareille Royauté en
vue, lorsqu’il disoit qu’il ne ramasseroit pas une Couronne
quand il la trouveroit à ses piés.
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Allgemeine Erzählung
« Un jour un Anglois mena dans
la boutique d’un Libraire un Monsieur Allemand, qu’il
fit connoître au Marchand pour Professeur Héréditaire
dans une Académie d’Allemagne. Le Libraire, surpris de
ce titre, prit l’Anglois à part, & lui demanda s’il
se moquoit de lui avec son Professeur Héréditaire. Je
parle très sérieusement, répondit l’autre. Mais se
peut-il, reprit le Marchand, qu’il y ait des Professeurs
Héréditaires dans une partie de l’Europe ? Eh ! quel
sujet d’étonnement trouvez-vous là-dedans, repliqua
l’Anglois ? Je connois des Pays où les Rois sont
Héréditaires. »
Metatextualität
Voici comment je raisonne,
par exemple, dans le cas dont il s’agit ici. Ou il faut
abolir entiérement la Royauté, ou il faut la rendre
Elective, ou enfin il faut qu’elle soit Héréditaire.