Sugestão de citação: Justus Van Effen (Ed.): "XXXI. Bagatelle", em: La Bagatelle, Vol.1\032 (1742), S. 176-181, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2176 [consultado em: ].


Nível 1►

XXXI. Bagatelle.

Du Jeudi 18. Août 1718.

Nível 2► Metatextualidade► Qui ne sait que le Discours que nous avons vu dans le Cahier précédent, n’est autre chose que le jargon ordinaire de certains vieux Barbons, qui, accoquinés à un certain train de vie, prennent leurs habitudes pour autant de principes fondamentaux du raisonnement ; & qui, pour me servir d’une expression de Térence, prӕterquam quod ipsi faciunt, nihil rectum putant. ◀Metatextualidade

Plusieurs Philosophes Moraux ont été à la découverte des sources de cette sotte Opinion ; & ils ont trouvé, qu’un Vieillard n’est admirateur de ce qui s’est passé dans sa jeunesse, que parce qu’il étoit alors en état d’y jouer lui-même son rôle.

Il n’en est pas ainsi, quand il considére les Maximes qui sont à présent en vogue, & les sources d’où nos Jeunes-gens tirent toute leur félicité. Il n’y sauroit puiser lui-même, & c’est pour cette raison que ces sources lui paroissent séches & bourbeuses.

Un Homme d’âge, qui a été galant dans sa jeunesse, ne manque jamais de préférer la vieille maniére de faire l’amour, à la nouvelle. Il ne trouve rien de plus agréable, que [177] de perdre absolument l’esprit pour une Maîtresse, qui, par une fierté affectée, se tient sur la défensive pendant longtems, & qui ne céde la victoire qu’après l’avoir vendue bien cher. D’où vient ? c’est qu’il se rapelle dans l’esprit quelques victoires, qu’il obtint jadis ainsi, & qui le dédommagérent de mille extravagances amoureuses, & d’autant d’idolâtries efféminées.

Utopia► Ce même Barbon ne trouve rien de satisfaisant dans la noble franchise qui régne à présent dans l’Empire du Tendre. Il ne trouve que de la brutalité dans les airs cavaliers des Galans, & dans la facilité des Belles, que les premiers attaquent avec confiance, & dont les autres d’ordinaire se rendent maîtres sans coup férir.

La raison de son dégoût, c’est que cette Mode ne le regarde pas, & qu’il n’est pas en état d’aprendre par sa propre expérience, que la variété de plusieurs triomphes aisés a ses délices, aussi-bien qu’une seule victoire obtenue avec peine, & dont la jouissance ne vaut pas la plupart du tems, les extravagances & les amertumes par lesquelles on y est parvenu. ◀Utopia

Je veux bien croire que nos bons Ancêtres, s’ils revenoient au monde, auroient beaucoup de peine à se reconnoître dans Messieurs leurs Neveux, & qu’ils seroient surpris de trouver les choses sur un tout autre pié qu’ils ne les ont laissées. Mais avec tout le respect que je dois à leurs manes rustiques, il me paroit que leur surprise seroit très mal fondée.

[178] Il ne faut pas s’en étonner pourtant. Dans leur Siécle, l’instinct qui conduisoit ce Peuple, étoit mâle, vigoureux, ferme ; mais nullement pénétrant & examinateur. La saine Philosophie n’étoit pas encore connue. Au-lieu qu’à présent, les Bataves sont gouvernés par un instinct délicat, poli, curieux, & aprochant de ce Génie Philosophique, qui renvoie la surprise & l’admiration dans le Pays de l’Ignorance.

En effet, la surprise de ses manes grossiers ne viendroit que d’une crasse ignorance. Nos mœurs sont changées, il est vrai ; nos villes ne le sont pas moins ; l’un n’est pas plus surprenant que l’autre. Il n’y a rien au monde de plus aisé, que d’en convaincre un homme un peu attentif à ses plaisirs, c’est-à-dire, à son véritable intérêt.

Je pose d’abord pour principe une Vérité incontestable : c’est qu’il y a une certaine doze fixe de ce qu’on apelle Vertus & Vices, répandue dans les mœurs du Genre-humain. Cette doze se condense dans un Pays, à mesure qu’elle se raréfie dans l’autre, sans qu’elle perde jamais quelque chose de sa masse générale. Il en est comme de la Matiére, qui, inaltérable dans sa nature & dans sa masse générale, circule dans l’Univers sous mille formes différentes, & dans des quantités toujours variées ; & qui dépense à former une Gorge Allemande, ce qu’elle gagne en composant une Taille Espagnole.

Or il arrive constamment par une chaîne naturelle de Causes secondes, qu’une bonne partie de cette doze de Vertus & de Vices se [179] tourne sur les Royaumes encore mal affermis, & sur les Républiques naissantes.

La raison en est palpable. La Vertu n’est utile & digne de nos recherches, que parce qu’elle nous fait trouver notre intérêt particulier dans l’intérêt général de tous les Hommes, & sur-tout dans celui de la Société où nous vivons. Or, dans un Etat encore foible, la liaison de l’intérêt général & de l’intérêt particulier, ne sauroit échapper aux yeux les moins clair-voyans.

Rome encore au berceau est située au milieu de Peuples belliqueux, qui aspirent à sa ruïne. Chaque Bourgeois sent qu’une bataille perdue l’exposera, lui & sa famille, à la cruauté du Vainqueur ; & il se porte à des actions d’un courage & d’une fermeté plus qu’humaine, pour éviter une si terrible catastrophe.

Ce même Citoyen s’aperçoit facilement qu’il est perdu avec l’Etat, si par une sobriété exacte il ne se borne au nécessaire, pour enrichir le Trésor public ; & si par la continence & le travail, la Jeunesse ne se forme un corps sain, robuste, & propre à fournir aux Expéditions les plus pénibles.

Le Point-d’honneur se met de la partie, & excitant les Concitoyens à une émulation vive, il leur fait outrer leur devoir, & les détermine à ces extravagances généreuses, qui souvent ont sauvé un Etat, par la mort volontaire d’un Particulier, assez avide de réputation, pour sacrifier son propre intérêt au bien de toute une République.

Mais lorsque cet Etat foible a été pendant [180] quelque tems soutenu par la vigueur d’un petit nombre de Sujets, & qu’il s’est considérablement agrandi ; il est à son tour capable de soutenir les Vices des Citoyens, & il leur permet de se jetter hardiment dans des desordres, qui ne font à la République aucun tort visible & présent.

A mesure que les Frontiéres se reculent, la liaison des deux Intérêts s’éloigne des yeux ; & l’on ne se trouve souvent que plus heureux en son particulier, quand on sappe les Fondemens du Bonheur public.

Sujet d’un Etat riche & puissant, je me jette à corps perdu dans le faste, dans le luxe, dans la débauche ; & par ces vices agréables & brillans, j’excite toute une Nation à marcher sur mes traces.

Qu’importe ! la Race présente de mes Compatriotes ne s’en divertira que mieux, & ce ne seront tout au plus que nos Petits-Fils qui pâtiront de nos extravagances.

Sommes-nous obligés d’étendre jusques sur l’avenir l’Amour de la Patrie ? Niaiserie toute pure. Notre Postérité se trouvera dans de malheureuses circonstances, qui lui feront maudire ses Ancêtres. Qu’elle fasse comme elle l’entendra, & qu’elle se tire du bourbier le mieux qu’il lui sera possible. ◀Nível 2 ◀Nível 1

Les fâcheuses affaires qu’elle aura à démêler, la feront recourir à la vertu, & à la fermeté salutaire de nos Ancêtres ; l’Intérêt particulier se raprochera de l’Intérêt général ; & nos Neveux, en s’y sacrifiant avec une valeur brillante, auront peut-être le bonheur de produire une Race, qui nous imi-[181]tant, sans avoir rien à craindre pour elle-même, forcera encore ses Descendans à se jetter du côté de la Vertu.

On voit par ce raisonnement, confirmé par toutes les Histoires, que la Succession des Vices & des Vertus dans les Etats, ressemble exactement à la Succession du beau & du mauvais tems, & qu’elles dépendent également l’une & l’autre de Causes purement nécessaires.