La Bagatelle: XVIII. Bagatelle

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Nível 1

XVIII. Bagatelle.

Du Lundi 4. Juillet 1718.

Nível 2

Metatextualidade

Je reviens à la chicane qu’on pourroit me faire sur la particularité de la vie de Xerxes, en soutenant que ce que j’ai nommé Vertu, n’est dans le fond qu’une Cérémonie.
Quel aveuglement ! N’est-ce pas la Cérémonie qui constitue l’essence de la Vertu ? La Religion, qui est ce qu’il y a de plus sublime dans la Vertu, n’est, à parler conformément à l’expérience, qu’un amas de Gestes, de Grimaces, & de Cérémonies, qui varient selon la différence des Climats ; & il n’y a point de Pays au Monde, où la Piété consiste dans la force de suivre, dans toute sa conduite, le dictamen d’une Raison éclairée. De-là il arrive, comme a parfaitement bien remarqué un Auteur Anglois, qu’un Homme pieux & religieux dans un endroit, n’a qu’à passer une Riviére, ou un Bras de Mer, pour ne l’être plus : que dis-je ! il n’a qu’à passer d’un Bâtiment magnifique, dans un Edifice plus simple. La Vérité, qui a des liaisons si étroites avec la Vertu, est aussi sujette à la même destinée. Ce qui est vrai dans un Pays, ne l’est pas dans un Siécle, & cesse de l’être dans le Siécle suivant. Aristote, qui ne prononçoit autrefois que des Oracles, ne dit à présent que des sottises ; & Des-Cartes, qui avoit presque aidé à faire l’Univers, n’entend plus rien dans la structure de ce vaste amas de Corps. Il faut donc se ranger du côté des Sceptiques, me dira-t-on, & se jetter à corps perdu dans le Doute universel. Point du tout, il faut s’en tenir aux Opinions de son Siécle. L’Homme est fait pour affirmer, & pour nier hardiment. Qu’est-ce que cela nous fait, si les Vérités sont éternelles, ou non ? Servons-nous de ce qui est vrai dans notre Pays & dans notre Age, & trouvons fiérement ridicule tout ce qui ne s’y conforme pas. Il n’y a pas même de mal à se servir dans une nécessité extrême, tantôt du Vrai passé, & tantôt du Vrai présent, sans le mettre beaucoup en peine de tomber en contradiction avec soi-même : notre nature nous y porte, & d’habiles gens croient définir l’Homme avec exactitude, en disant, que c’est la plus grande des contradictions. Suivons donc, en cas de besoin, une route qui nous est ouverte par des Génies du premier ordre ; tels que les Jansénistes, par exemple, qui se servent des armes des Huguenots, quand il s’agit d’attaquer le Pape, &, qui se réfugient sous le bouclier de Sa Sainteté, quand ils sont attaqués par les Huguenots. L’épée de ces derniers, dont les autres se servent contre le Successeur de St. Pierre, s’appelle Examen ; & le bouclier, dont je viens de faire mention, n’est autre chose que l’Infaillibilité de l’Eglise. Plusieurs de ceux qui pourroient combattre mon sentiment par rapport à la Vertu & à1a Vérité, en sont eux-mêmes la plus vive démonstration. Ils le trouvent faux dans la théorie ; mais à en juger par leur conduite, ils le trouvent vrai dans la pratique. Les voilà en contradiction avec eux-mêmes, voilà le Vrai qui change de nature. Pour ce qui regarde l’Esprit, on ne se mettra pas, je crois, fort en peine de me contester rien là-dessus. On voudra bien sentir que ce n’est qu’une Mode, & par conséquent, quelque chose de fort sujet à l’inconstance & à la bisarrerie. Une Coëffure d’une énorme hauteur est à présent extravagante, & elle suffiroit presque pour enlaidir la Beauté même. Un tel ornement paroit aussi réellement ridicule, qu’on est convaincu réellement que deux & deux font quatre, & la différence de ces deux persuasions est presque imperceptible. Il est vrai pourtant, qu’il y a vingt ans qu’un pareil clocher, érigé sur la tête d’une Femme, faisoit merveilles. Il en est précisément ainsi de l’Esprit, un des grands avantages de l’Homme. Si l’Esprit consistoit dans cette force de l’imagination, par laquelle on embellit des Vérités constantes & inaltérables par des ornemens proportionnés aux qualités essentielles du Cœur humain, il seroit certainement plus rare que les Perles & les Diamans ; & mille personnes, que la Mode fait à présent Gens d’esprit, ne passeroient que pour des Foux & des Etourdis. Qu’on ne se chamaille donc plus avec tant d’ardeur & d’obstination sur le mérite de l’Odyssée & de l’Iliade. Homére avoit de l’esprit infiniment, & Pindar aussi ; pas tant de leur vivant à-la-vérité, que quelques années après leur mort. Ils en ont eu, tant que la Mode a voulu qu’on leur en trouvât. Ils en ont encore pour ceux qui troquent leur Pays natal contre la Gréce, & qui bien que François ou Anglois, sont Grecs d’inclination. Ces mêmes Auteurs n’ont plus d’esprit chez des gens qui raisonnent beaucoup, & chez d’autres qui ne raisonnent point du tout. Pourquoi se chagriner là-dessus ? Leur régne a duré assez longtems, pour avoir lieu d’être satisfaits de leur sort. Leur esprit, à ce qu’on dit, brilloit du côté du Sublime & du Naturel : il est bien tems que le Délicat, le Fleuri & le Gracieux ait son tour. On auroit tort de s’y opposer : il y a apparence que son régne ne sera pas long, que du moins il sera paisible. Ce que je viens d’établir sur la nature de l’Esprit, est la clé de toute cette variété de réputations successives. Ronsard étoit l’Horace de son Siécle, il est à présent presque au-dessous du Rien. Il avoit pourtant de l’esprit, j’en apelle à ses Contemporains ; mais il donnoit un tour Grec à ses Phrases Françoises : voilà ce qui l’a décrédité, & voilà justement ce qui plaît dans Horace. Tant il est vrai, comme dit Sancho, qu’il n’y a qu’heur & malheur dans le Monde. Ce n’est que cette même inconstance des choses sublunaires, qui a donné le croc en jambe aux Pointes & aux Equivoques, qui dans leur tems faisoient tout le fin de l’esprit. Le Pére Bouhours vous dira là-dessus, d’après Boileau, que la raison en est, Que le Vrai seul est aimable, Qu’il doit régner par-tout, & même dans la Fable. Ce sont des Contes, les Pointes sont devenues trop communes, & l’on fait bien que l’époque d’un changement de Mode, c’est lorsque les honnêtes-gens remarquent que le Peuple les imite trop généralement. Il y a encore dans le Siécle où nous sommes, plusieurs beaux Génies qui se révoltent contre la décision de cet ingénieux Jésuite, qui est tout esprit & tout sucre. Ils tiennent bon pour les Pointes, mais ils rafinent là-dessus ; ils en composent de nouvelles, & les Courtauts de boutique ne débitent celles-là que de la seconde main. Par conséquent, c’est une Opinion probable, qu’il ne laisse pas d’y avoir bien de l’esprit dans certaines Pointes, & qu’on peut y adhérer, sans pécher contre l’Orthodoxie du bon Goût.

Metatextualidade

Avertissement.1
J’ai remarqué, Ami Lecteur, que quelque-fois mes Bagatelles ont bien de la peine à remplir sept pages : je ne m’en suis pas fait une affaire d’abord, parce que d’autres de mes Feuilles volantes étoient en récompense si longues, que pour les mettre en huit pages, il falloit faire usage d’un très petit caractére. Mais comme nous vivons dans un Pays où l’on vend tout au poids & à la mesure, & que d’ailleurs on paye la Bagatelle un sol & demi, je commence à être convaincu, que bien souvent je donne à ceux qui m’achettent, trop peu de marchandise pour leur argent. Je sai bien que par rapport aux Piéces où l’on prétend mettre de l’esprit & de la réflexion, il faut plutôt, pour en connoître la juste valeur, se servir de poids que de mesure. Mais les Balances où l’on pése les Ecrits, sont un meuble inconnu chez la plupart des gens. Ce n’est pas leur faute, ni la mienne non plus ; & je suis fort d’avis qu’ils mesurent mes Bagatelles à l’aune, & qu’ils retranchent quelque chose du prix ordinaire, à proportion de ce qui manquera à la juste étendue de mes petits Ouvrages. Je leur promets pourtant qu’à l’avenir je ferai de mon mieux pour leur épargner la peine d’entrer là-dessus dans des calculs, & que je leur ferai si bonne mesure, qu’ils ne plaindront pas leur sol & demi, qui tient si terriblement au cœur de plusieurs de mes Compatriotes, qu’ils sont résolus à ne me lire que lorsque je me donnerai à meilleur marché.

1Je m’assure qu’on lira encore avec plaisir cet Avertissement, quoiqu’il ne regarde que le tems où cet Ouvrage se publioit par feuilles.