Du Lundi 4. Juillet 1718.
sur la particularité de la vie
de
Vertu, n’est dans le fond qu’une Cérémonie.
Quel aveuglement ! N’est-ce pas la Cérémonie qui
constitue l’essence de la Vertu ? La Religion, qui est ce qu’il y a de plus sublime
Vertu, n’est, à parler
conformément à l’expérience, qu’un amas de Gestes, de Grimaces, & de Cérémonies, qui varient selon la différence des
Climats ; & il n’y a point de Pays au Monde, où la Piété consiste dans la force de suivre, dans
toute sa conduite, le dictamen d’une Raison éclairée.
De-là il arrive, comme a parfaitement bien remarqué un Auteur Anglois, qu’un Homme pieux & religieux dans
un endroit, n’a qu’à passer une Riviére, ou un Bras de Mer, pour ne
l’être plus : que dis-je ! il n’a qu’à passer d’un Bâtiment magnifique,
dans un Edifice plus simple.
La Vérité, qui a des liaisons si étroites avec la
Vertu, est aussi sujette à la même destinée.
Ce qui est vrai dans un Pays, ne l’est pas dans un Siécle, & cesse
de l’être dans le Siécle suivant.
Il faut donc se ranger du côté des Sceptiques, me
dira-t-on, & se jetter à corps perdu dans le
Doute universel.
Point du tout, il faut s’en tenir aux Opinions de son Siécle. L’Homme est
fait pour affirmer, & pour nier hardiment. Qu’est-ce que cela nous
fait, si les Vérités sont éternelles, ou non ?
Servons-nous de ce qui est vrai dans notre Pays & dans notre Age,
& trouvons fiérement ridicule tout ce qui ne s’y conforme pas.
que c’est la plus grande
des contradictions.
Suivons donc, en cas de besoin, une route qui nous est ouverte par des
Génies du premier ordre ; tels que les Jansénistes, par exemple, qui se servent des armes des Huguenots, quand il s’agit d’attaquer le Pape, &, qui se réfugient sous le bouclier de
Sa Sainteté, quand ils sont attaqués par les
Huguenots. L’épée de
ces derniers, dont les autres se servent contre le Successeur de St. Pierre, s’appelle Examen ; & le bouclier, dont je
viens de faire mention, n’est autre chose que l’Infaillibilité de l’Eglise.
Plusieurs de ceux qui pourroient combattre mon sentiment par rapport à la
Vertu & à1a Vérité, en sont eux-mêmes la plus vive démonstration. Ils le
trouvent faux dans la théorie ; mais à en juger par leur conduite, ils
le trouvent vrai dans la pratique. Les voilà en contradiction avec
eux-mêmes, voilà le Vrai qui change de nature.
Pour ce qui regarde l’Esprit, on ne se mettra pas, je crois, fort en
peine de me contester rien là-dessus. On voudra bien sentir que ce n’est
qu’une Mode, & par conséquent, quelque chose
de fort sujet à l’inconstance & à la bisarrerie.
Une Coëffure d’une énorme hauteur est à
Il en est précisément ainsi de l’Esprit, un des
grands avantages de l’Homme. Si l’Esprit
consistoit dans cette force de l’imagination, par laquelle on embellit
des Vérités constantes & inaltérables par des
ornemens proportionnés aux qualités essentielles du Cœur humain, il seroit certainement plus rare que les Perles &
les Diamans ; & mille personnes, que la Mode fait à présent Gens d’esprit, ne
passeroient que pour des Foux & des Etourdis. Qu’on ne se chamaille
donc plus avec tant d’ardeur & d’obstination sur le mérite de
l’
Mode a
voulu qu’on leur en trouvât. Ils en ont encore pour ceux qui troquent
leur Pays natal contre la François ou Anglois, sont Grecs d’inclination. Ces mêmes Auteurs n’ont plus
d’esprit chez des gens qui raisonnent beaucoup, & chez d’autres qui
ne raisonnent point du tout.
Pourquoi se chagriner là-dessus ? Leur régne a duré assez longtems, pour
avoir lieu Sublime &
du Naturel : il est bien tems que le Délicat, le Fleuri &
le Gracieux ait son tour. On auroit tort de s’y
opposer : il y a apparence que son régne ne sera pas long, que du moins
il sera paisible.
Ce que je viens d’établir sur la nature de l’Esprit, est la clé de toute cette variété de réputations
successives. Rien. Il avoit pourtant de
l’esprit, j’en apelle à ses Contemporains ; mais il donnoit un tour Grec à ses Phrases Françoises : voilà ce qui l’a décrédité, & voilà justement
ce qui plaît dans qu’il n’y a qu’heur & malheur dans le
Monde.
Ce n’est que cette même inconstance des choses sublunaires, qui a donné
le croc en jambe aux Pointes & aux Equivoques, qui dans leur tems faisoient tout le
fin de l’esprit.
Que le Vrai seul est aimable,
Qu’il doit régner par-tout, & même dans la Fable.
Ce sont des Contes, les Pointes sont
devenues trop communes, & l’on fait bien que l’époque d’un
changement de Mode, c’est lorsque les honnêtes-gens remarquent que le
Peuple les imite trop généralement. Il y a encore dans le Siécle où nous
som-Pointes, mais
ils rafinent là-dessus ; ils en composent de nouvelles, & les
Courtauts de boutique ne débitent celles-là que de la seconde main.
Par conséquent, c’est une Opinion probable, qu’il
ne laisse pas d’y avoir bien de l’esprit dans certaines Pointes, & qu’on peut y adhérer, sans pécher
contre l’Orthodoxie du bon Goût.
J’ai remarqué, Ami Lecteur,
que quelque-fois mes
Bagatelles
ont bien de la peine à remplir sept pages : je ne
m’en suis pas fait une affaire d’abord, parce que d’autres de
mes Feuilles volantes étoient en récompense si longues, que pour
les mettre en huit pages, il falloit faire usage d’un très petit
caractére. Mais comme nous vivons dans un Pays où l’on vend tout
au poids & à la mesure, & que d’ailleurs on paye la
, je commence à être convaincu, que bien souvent
je donne à ceux qui m’achettent, trop peu de marchandise pour
leur argent.
Je sai bien que par rapport aux Piéces où l’on
prétend mettre de l’esprit & de la réflexion, il faut
plutôt, pour en connoître la juste valeur,
se servir de poids que de mesure. Mais les
Balances où l’on pése les Ecrits, sont un meuble inconnu chez la
plupart des gens. Ce n’est
pas leur faute, ni la mienne non plus ; & je
suis fort d’avis qu’ils mesurent mes
Bagatelles à l’aune,
& qu’ils retranchent quelque chose du prix ordinaire, à
proportion de ce qui manquera à la juste étendue de mes petits
Ouvrages. Je leur promets pourtant qu’à l’avenir je ferai de mon
mieux pour leur épargner la peine d’entrer là-dessus dans des
calculs, & que je leur ferai si bonne mesure, qu’ils ne
plaindront pas leur sol & demi, qui
tient si terriblement au cœur de plusieurs de mes Compatriotes,
qu’ils sont résolus à ne me lire que lorsque je me donnerai à
meilleur marché.