Citazione bibliografica: Justus Van Effen (Ed.): "XIII. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\014 (1742), pp. 73-78, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2158 [consultato il: ].


Livello 1►

XIII. Bagatelle.

Du Jeudi 16. Juin 1718.

Livello 2► Encore un mot sur la nature de l’Homme. Je crains bien qu’on ne tire quelques objections contre ma thése, de ces mêmes caractéres que j’ai développés pour appuyer mon opinion. On me soutiendra, par exemple, que le Savoir, l’Esprit & les Saillies, dont j’ai fait mention, sont fort au-dessus de la Bête, à laquelle on ne sauroit seulement apprendre, ni à lire, ni à écrire. Mais cette objection ne vaut pas la peine d’en parler. Ces Animaux, qu’on appelle Brutes, n’entendent pas notre langage, comme nous n’entendons pas le leur. Ils ont donc un langage, dira-t-on ? Assurément ; & pour peu qu’on les observe, on ne sauroit douter qu’ils n’ayent, comme nous, des moyens infaillibles pour se communiquer les images qui roulent dans leur cerveau.

Metatestualità► Plusieurs Lecteurs auront lu apparemment la Description qu’un Naturaliste curieux a fait d’une République de Fourmis. Sans parler d’une infinité de particularités qui dament le pion à la Police la mieux réglée de nos Villes, je ne rapporterai qu’un fait, qui prouve clairement ce que viens d’avancer. ◀Metatestualità

Livello 3► « Ce Naturaliste voulant éprouver la sagacité de ces petits Animaux, avoit bouché les trous par où ils alloient chercher leurs provisions dans un Magazin à Blé, & par-là il les avoit obligés à faire des voyages [74] de long cours, pour chercher leurs munitions de bouche. Il fut enfin touché de pitié pour ces pauvres Bestioles, & répandit quelques poignées du meilleur froment dans une chambre peu éloignée de leur ville. Il vit pourtant que les Fourmis continuoient à traverser des jardins entiers, pour aller aux provisions : marque certaine qu’elles n’avoient pas encore découvert le trésor qu’on leur avoit destiné. Que fit notre Naturaliste ? Il attrapa une des mieux nourries de ces Fourmis, qu’il jetta sur ce petit monceau de blé. L’Insecte effrayé, se voyant en liberté, ne songea qu’à la fuite, sans profiter de l’occasion de s’enrichir. Mais un moment après, il vit un gros détachement de ces petits Républicains marcher du côté de la chambre au blé, & en revenir chacune avec sa charge : ce qui prouve évidemment, que la prémiére Fourmi avoit communiqué sa découverte à ses concitoyens. » ◀Livello 3

Metatestualità► Cette difficulté étant ainsi levée, je crois que je puis soutenir sans témérité, que si les Bêtes pouvoient revêtir notre figure, & se munir de nos organes, elles seroient tout ce qui fait briller la plupart des Hommes. ◀Metatestualità

Livello 3► « Examinons, par exemple, le petit Chien de Belise, qui mange d’aussi bons morceaux que sa Maîtresse, & qui a même le plaisir de les manger de sa bouche. Rien au monde n’est plus gentil & plus aimable ; il fait une cabriole d’un côté, un saut de mouton de l’autre ; le voilà du côté de la cheminée, un moment ensuite il est au-[75]près de la porte, il saute sur une chaise, de-là sur la table, & de-là sur les genoux de sa Maîtresse. Ce n’est pas assez, il jette ses pattes sur sa gorge, lui baise la bouche & en même tems il lui mord une de ses lévres ; il lui saute sur la tête, & dérange sa coëffure ; il se jette en bas, se précipite par la porte, & d’un petit air prêteur se met à poursuivre un autre Chien. Si ce dernier est assez sot pour s’enfuir, il lui mordra la patte ; mais si le drolle lui montre les dents, il fait semblant de n’avoir aucun mauvais dessein dans l’esprit, badine avec quelque petit guenillon qu’il trouve sous sa patte, & revient folâtrer chez lui. » ◀Livello 3

Qu’on me dise de bonne foi, si avec une figure Humaine, artistement débraillée, & avec un air réguliérement déhanché, le Chien de Belise ne seroit pas un fort joli Petit-Maître ?

Prêtons dans notre imagination ces mêmes avantages, à peu près, à un Singe, il effacera sans contredit les grimaces & les postures fracieuses de Lysandre, cet homme admirable, qui fait divertir lui seul toute une compagnie.

Avec la même facilité on seroit un Conquérant glorieux d’un Tigre, qui dans une même nuit se jette sur un troupeau pour appaiser sa faim, & sur dix autres, uniquement pour répandre du sang. On métamorphoseroit un Renard en Procureur qui fait plumer la poule sans la faire crier, & qui après avoir fait cent brigandages pendables, sait [76] s’élever assez haut sur un tas de pistoles, pour sauter par dessus la potence. Par le même expédient, d’un Loir on pourroit en faire un Juge ; d’un Ours mal leché, un Jeune-homme de naissance, qui ignore tout hormis la qualité ; d’un Dogue hargneux, qui a toujours l’oreille déchirée, un vrai Bouteville ; d’un Cheval de carosse, un Bourgeois enrichi de nouvelle date ; enfin, d’un Mouton, un jeune Sot, qui sert de but à la plaisanterie des Fats.

Il me reste encore à faire voir, que mon sentiment sur la nature de l’Homme, bien loin de deshonorer le Genre-humain, le sauve de la confusion la plus mortifiante.

Supposons que tous les Hommes soient élevés au-dessus des Brutes par une ame raisonnable, que le Créateur de l’Univers leur a donnée pour guider & pour diriger leur conduite ; il s’ensuivra que cette ame est la plus excellente partie de nous-mêmes, & que c’est-là véritablement l’Homme. Cependant, nous verrons souvent en nous-mêmes l’Homme endormi dans une honteuse oisiveté, dans le tems que la Bête agira avec vigueur, & ordonnera de tout sans se mettre en peine des loix de son Maître. Plus souvent encore, nous verrons la Bête sauter au collet de l’Homme, le terrasser, l’enchaîner, le rendre son esclave, & le réduire au fort méprisable d’être le principal ministre des caprices du cerveau, & des fougues de la passion.

[77] Citazione/Motto► Toujours la Sagesse propice,

Marchant devant son cher Ulisse,

Lui servoit de guide & d’appui :

Au lieu que par l’Homme conduite,

Elle ne ne <sic> marche qu’à sa suite,

Et se précipite avec lui.

Loin que la Raison nous éclaire,

Et dirige nos actions,

Nous avons trouvé l’art d’en faire

L’Orateur de nos passions.

C’est un Sophiste, qui nous joue ;

Un vil Complaisant, qui se loue

A tous les Foux de l’Univers,

Qui s’habillant du nom des Sages,

Le tiennent sans cesse à leurs gages,

Pour autoriser leurs travers. ◀Citazione/Motto

Ceux qui par malheur ont une ame, & qui en font un si mauvais usage, osent-ils regarder en face la Satire de Boileau, qui foule la pauvre Raison sous les piés, d’une maniére si impitoyable ?

Citazione/Motto► Il est vrai, de tout tems la Raison fut son lot :

Mais de là je conclus, que l’Homme est le plus sot :

Tout lui plaît & déplaît, tout le choque & l’oblige :

Sans raison il est gai, sans raison il s’afflige :

[78] Son esprit au hazard aime, évite, poursuit,

Défait, refait, augmente, ôte, éléve, détruit. ◀Citazione/Motto

Ce seroit en-vérité un grand avantage pour l’Homme, d’avoir en lui-même un principe de Lumiére, & cependant de ne voir goute.

Un Gueux, qui se montre aux yeux du Public tout en lambeaux, n’a pas lieu d’en rougir, comme un Avare qui n’a pas le cœur de tirer de son coffre-fort dequoi couvrir sa nudité. Si on reprochoit à ce Mendiant son habit déguenillé, il répondroit qu’il n’a point d’argent. Agissons-en de-même, & si quelqu’un nous demande compte des travers de notre conduite, disons sans façon que nous n’avons point d’ame, & il n’y aura pas le mot à répliquer. ◀Livello 2 ◀Livello 1