J’AI promis de dire toujours ce qui arriveroit, quand j'en
serois instruit, & je tiendrai parole, autant du moins que le bon
ordre, la décence & l'humanité me le permettront. Je n'épargnerai ni
mes ennemis, ni mes amis, ni moi-même. Je puis avoir des torts, des
erreurs, des passions : quand un avis honnête ne suffira pas pour
m'éclairer sur leur mauvais effet, je consulterai le public, il me
jugera ; & je me sens assez de respect pour ses décisions, assez
d'amour pour le bien, assez de docilité, assez de probité, pour croire
que je me corrigerai, après qu'un jugement unanime m'y aura condamné.
Après cet aveu, qui est sincere, qui aura un jour toutes ses preuves,
& que je consens qu'on regarde désormais comme on engagement, je
crois être
Je vais commencer à mettre le public dans ses fonctions, & pour remplir mes engagemens à tous égards, c'est par moi-même qu'il commencera à jouir des droits que je viens, de lui donner.
Nous parlions des crimes qu'on juge légérement dans le monde, & ausquels on ne donne conséquemment pas le nom qu'ils méritent. Je condamnois cette indulgence ; je l'imputois à l'intérêt personnel, au besoin que les hommes, juges toujours éclairés de leurs propres fautes, sentent qu'ils ont, de l'indulgence générale ; & je disois que quoique répandue partout, je la croyois incapable de corrompre le jugement de l’honnête-homme. Je ne me souviens plus de ce que M. l'Abbé répondit.
Nous continuâmes à converser. J'expliquai ce que j'entendois par cri-mes. On
sent que je ne voulois pas parler de ceux sur lesquels les loix humaines
ou nationales prononcent, & qui conduisent à l'échafaut. Je ne
parlois en effet que des mauvais procédés, des trahisons, des noirceurs.
Pour rendre mes idées plus claires, je proposai des exemples, & je
me servis de cette supposition, car voilà le sujet de notre querelle. Un
homme, dis-je, a avancé contre un autre un fait dont il est certain
& a rendu son accusation publique. L'accusé, cherchant à confondre
son adversaire, fait imprimée une fausseté, un mensonge insigne, qui
dément le fait avancé, & il le publie également Ce mensonge paroît
avoir les couleurs de la vérité, tout le monde y doit être trompé, &
ceux qui le seront, ne pourront s'empêcher de regarder comme un
imposteur, comme un ennemi lâche, le premier accusateur qu'ils croiront
dèslors avoir menti crime que je ne pouvois envisager sans
horreur, n'étoit qu'une action toute ordinaire, n'attaquoit nullement la
probité, & n'étoit pas plus une chose atroce,
que ne le seroit d'imprimer qu'on a soupé hier au marais, si cela
n'étoit pas vrai.
Il parloit sérieusement, je vis qu'il disoit ce qu'il pensoit, & je
fus confondu ; je n'avois de ma vie entendu rien d'aussi étrange,
d'aussi contraire aux regles de la dialectique qu'il m'accusoit de ne
point sçavoir. Je répondis beaucoup de choses, & elles ne servirent
qu'à me confirmer l'intime con-
Comme je n'ai, ni une poitrine, ni un estomac, & qu'il a précisément
l'un & l'autre ; je lui dis nous pensons différemment, n'en parlons plus. Il trouva cette façon de
m'exprimer très-incivile, & cela fit encore le sujet d'une vive
dispute. J'eus la politesse de répondre sérieusement à ce reproche, je
pouvois lui dire qu'il me paroissoit étonnant qu'un homme qui avoit
autant d'indulgence pour les mauvaises actions, en eût aussi peu pour
les actions innocentes mais je ne le fis pas ; c'eût été une
personnalité, & je ne m'en permis jamais aucune devant des témoins ;
je le combattis par des raisons & elles furent perdues pour lui
comme pour moi.
Voilà l'état de la question. Je sçais que j'ai raison dans le premier
chef, que je n'ai pas tort dans le second, &
Il sçait la démarche que je fais, il y a consenti volontiers, espérant
triompher ; ainsi je l'accuse sans le trahir, après l'avoir combattu
sans l'offenser. Je prie les personnes qui me feront l'honneur de
m'écrire à ce sujet, de signer leur lettre, & de me permettre de la
faire imprimer. Je n'en recevrai aucune qui ne soit signée. Je ne veux
pas que M. l’Abbé puisse me
Vous m'invitez si obligeamment, Monsieur, à faire nombre parmi vos
Lecteurs, que je me reprocherois d'hésiter à y consentir & à vous en
remercier. Je suis très-persuadé, Monsieur, que je trouverai des traits
agréables & faillans dans votre Spectateur. Les premiers éloges de
Je n'avois pas vû ; mais les seconds sont sans doute, l'effet
incontestable du mérite de vos produc-
& je vous crois volontiers d'après lui, Monsieur, très-digne de succéder aux Addissons & aux Steeles. Je desire beaucoup que comme eux, vous parcouriez la carriere la plus longue & la plus brillante.
Je suis fort aise que vous ayez fait imprimer le trait que je vous ai
cité. Il est propre à nous guérir d'un préjugé très-commun ; c'est celui
de regarder comme enthousiastes, ceux qui croyent aux grands effets de
la musique. Il semble qu'on seroit humilié de convenir qu'ils ne
s'operent que sur les têtes bien organisées, & c'est presqu'un
ridicule que l'extrême sensibilité. On cache ses pleurs à la tragédie
comme un crime. Je n'osois dire tout haut à Stabat de Pergolese. On
craint de
J'ai l'honneur d'être très-parfaitement, Monsieur, votre très-humble & très-obéissant serviteur.