Le Nouveau Spectateur (Bastide): Discours XII.

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Discours XII.

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Metatestualità

Il m’a paru qu’on avoit lû avec plaisir le dialogue de Fontenelle & de Stratonice. En voici un second dans lequel je me flatte qu’on reconnoîtra également deux personnes qui ont été très-célébres. Comme il peint deux caracteres, il ne peut paroître étranger au but de mon livre.

Livello 3

Dialogo

Dialogue.

La Duchesse Mazarin. Saint-Evremond.

La Duchesse.

Voudriez-vous toujours me paroître extraordinaire ! Que dans l’autre monde vous ne sentissiez pas le ridicule de votre passion, à la bonne heure ; cela n’est pas tout-à-fait inconcevable : quoique vieux & presque usé, vous pouviez espérer un caprice ; j’étois vive & légère ; vous aviez de l'esprit, de la complaisance, de la finesse, beaucoup d'usage des femmes ; toutes choses, qui avec du tems & de la patience, peuvent produire les révolutions les plus favorables, dans un cœur tel qu'étoit le mien. Mais à présent, que pouvez-vous attendre de vos beaux sentimens ? Il n'y a plus de caprice à espérer.

Saint-Evremond.

Vous avez jugé de ma passion par l'opinion que vous aviez prise de l'amour, dans le monde ? Permettez-moi de vous dire que vous ne l’aviez pas bien connue. Il est un amour général que tous les hommes sentent, auquel ils donnent les titres les plus nobles, & sans l'empire duquel ils auroient à un certain âge peu de vrais plaisirs, & peut-être peu de vrai mérite. Cet amour-là est l'effet naturel du feu de l'âge : on le place honnêtement dans le cœur ; mais il n'est que dans le sang & dans l'imagination : celui qui le sent lui attribue une origine illustre, & prend de bonne foi ses sensations pour des sentimens ; celui qui le définit le prend pour ce qu'il est, & ne le distingue pas du desir machinal des faveurs. Il est un autre amour beaucoup plus noble, & beaucoup plus rare que le premier : il se forme de l'impression délicate de la beauté, de l'estime sympathique des vertus & des talens, de l'attrait séduisant de l'esprit ; du rapport des ames, de de la douceur de l'habitude. Il se nourrit & s'augmente par le seul attrait qui l'a fait naître : le desir des faveurs, ne lui est, ni nécessaire ni étranger ; il desire avec délicatesse & jouit avec œconomie. Cet amour là est l'effet de l'honnêteté de l'ame & des réflexions de l'esprit. Dans le printemps de la vie on le regarde comme une idée de roman ; dans l'âge mûr, on le chérit comme un sentiment délicieux. Voilà l'amour que je sentois pour vous, & que je sens encore : il est précisément dans l’ame ; il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloit une ; & il s'y est conservé.

La Duchesse.

Je ne vous concevois pas tout-à-l'heure ; je vous conçois encore moins à présent. Si vous sentiez véritablement cet amour si délicat, à qui les faveurs ne sont pas nécessaires, pour quoi étiez-vous si jaloux des préférences que je paroissois accorder à vos rivaux ? Vous voyez bien que cette seule contradiction entre vos idées & vos sentimens prouve que vous venez de peindre une chimére !

Saint-Evremont.

Je vous retrouve bien dans vos jugemens : mais votre vivacité n'a plus sur mon esprit ce pouvoir dont elle abusoit : la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre nos esprits, la matiere n'agit plus ; je puis vous suivre & vous arrêter ; souffrez que je vous désabuse. De ce que l’on gâte une chose, doit-on conclure qu'elle n’existe pas ? Je gâtois l'amour pur dont je brûlois pour vous, parce que j'avois connu trop tard un amour si délicat ; l'habitude des plaisirs avoit donné le ton à la machine : j'étois jaloux, parce que la matiere ne cede jamais tout à l’ésprit lorsqu’on lui est trop accordé. Mais dans le fond de mon cœur, je rougissois de ma jalousie, & ne me dissimulois pas que j’étois indigne de sentir la noble ardeur dont vous me pénétriez.

La Duchesse.

Cette noble ardeur & toutes vos belles idées, n'étoient qu'une erreur de votre esprit : un si parfait amour seroit mieux connu des hommes, s'il existoit réellement ; on en verroit quelques traces sur la terre, & je ne l'ai encore vu que dans vos métaphysiques raisonnemens.

Saint-Evremond.

Je ne dirai pas qu'il soit bien commun ; mais il n'est pas si rare que vous vous l'imaginez ; il y a même des cœurs à qui seul il convient.

La Duchesse.

Tant pis pour ces cœurs-là. Les hommes sont faits pour penser tous de même ; ceux qui se séparent du corps général, fût-ce pour penser mieux, ont moins de plaisirs & plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté à s'assortir, ils sont heureux sans témoins ; s'ils en ont, leur bonheur passe pour un ridicule ; il faut qu'ils consacrent leur vie à les justifier : ils trouvent à peine le moment d’en jouir.

Saint-Evremond.

Ils l'augmentent en le justifiant, ou bien ils dédaignent d'en prendre la peine ; ils se contentent d'être heureux en eux-mêmes. Croyez- vous que le bonheur ne soit que dans l'éclat ?

La Duchesse.

Si ce que vous soutenez étoit vrai, je trouverois tous les hommes à plaindre. Ils ne seroient plus heureux qu'en particulier, il n'y auroit plus cette société que leurs plaisirs forment. Croyez-moi, il faut aux hommes plusieurs objets de bonheur : si vous diminuez le cercle de leurs plaisirs, vous diminuerez celui de leurs idées & de leurs intérêts ; le monde entier ne sera plus pour chacun qu'un très-petit espace ; à une ligne du point de leur félicité, il n'y aura plus rien qui mérite leurs soins : le monde ainsi divisé, sera bientôt détruit. Il faut que les choses soient comme elles sont ; elles n'auroient pas tant duré si elles n'étoient pas bien.

Metatestualità

Portraits.
J’AI déjà fait sentir l'utilité des portraits dans un Livre où l’on se propose de faire connoître les mœurs d'un siécle, & les hommes d'une nation. Les portraits plairont toujours, pourvu qu'ils soient vrais : les premiers qu'on a vus l'étoient & ont plu à plusieurs personnes : en voici de nouveaux qui ne plairont pas moins par cette raison.

Eteroritratto

Portrait de Julie.
Julie est une de ces filles sans état, sans attachement, & presque toujours sans caractere, ausquelles on paye grassement le sacrifice de leur honneur, sans s'embarrasser si elles en eurent jamais , pour lesquelles on a de la passion sans amour, & de la constance sans estime ; qui aiment toujours moins celui de qui elles reçoivent, que celui à qui elles donnent ; qui ruinent l'un sans remord, & se ruinent avec l'autre sans honte ; que l'on paye parce qu'elles sont cheres ; que l'on prend parce qu'elles ont été prises, & que l'on garde souvent parce qu'elles sont infideles. Julie n'a guere que l'état de commun, avec ces vertueuses personnes : un caractere différent & tout particulier la fait distinguer des gens même qui ne distinguent point, parce qu'ils ne pensent pas. Elle est folle à l'excès, avec un cœur capable d'attachement ; ne recevant que par situation ; méprisant l'argent, & ne le regardant comme un prix nécessairement dû à ses faveurs, que lorsqu'on n'a fait aucune impression sur elle : facile à s'enflammer, mais alors même capable de probité envers celui qu’elle va trahir : sans art lorsqu'elle aime ; sans détour lorsqu'elle n'aime plus ; déclarant aussi naïvement ses sentimens que ses dégoûts ; n'ayant ni les intrigues de la galanterie, ni le manege de l'amour propre, ni les finesses de l'imposture ; ne distinguant point les états ; trouvant tous les hommes égaux pour elle, ne rougissant jamais, & n'ayant jamais à rougir.

Eteroritratto

Portrait de Crésus.
Crésus a été une espece d'être à la mode : quelques femmes dans des momens d'embarras, l'érigerent en idole, & il passa, comme de raison, de l'une à l'autre. Mais Crésus se rendant justice, se sentant obscur malgré son or, & trompé malgré ses largesses, a pris le parti d'acheter une maîtresse en forme, unique moyen de s'assurer quelque propriété. Né avec toute la morgue imaginable, son nouvel état n'a pas peu servi à doubler son impertinence. Il a acheté une esclave ; il veut regner en tyran. Les gens du bel air attendent que quelque usurpateur le chasse de son empire ; on nomme déjà l'ennemi qui doit le détrôner, il est dans sa maison, & ne cache point ses desseins mais Crésus ne le soupçonne pas, parce qu'il croit qu'on doit respecter un jaloux comme un honnête homme.

Eteroritratto

Portrait de Belise & de Cloé.
Belise & Cloé sont les deux plus impudentes personnes qui aient jamais paru sur la terre. Elles disent hautement qu'un desir est une monnoie courante. Nées avec une tête très-chaude tous les hommes sont à leur bienséance ; toute rencontre est une occasion, & toute affaire une bonne fortune : Préférant le nombre au choix, & ayant toujours pensé de même, il leur seroit difficile aujourd'hui de dire quelle aventure leur a jamais fait plus de plaisir. Elles ont toutes deux autant d'esprit qu’on en puisse avoir ; il s'en faut bien qu’elles soient également partagées du côté de la figure. Leur visage, au-dessous du médiocre, est encore gâté par une enluminure naturelle que tout l'arc ne pourroit couvrir. Malgré cela elles ont eu qui elles ont voulu avoir : elles ne plaisent pas, mais elles subjuguent ; leur esprit fin, vif, pénétrant & hardi, leur est d'une ressource extraordinaire : si quelqu'un étonné de ce prodigieux empire, leur demandoit le moyen dont elles se servent pour l’étendre tous les jours, elles pourroient répondre comme la feue Maréchal d’Ancre, interrogée par le Conseiller Courtin, nous nous servons du pouvoir que les ames fortes ont sur les esprits foibles.

Eteroritratto

Portrait d’un homme qui n’est plus.
Le * * de * * * vivoit au commencement de ce siecle, & mérita d’être connu, quoiqu’il n’eût, à proprement parler, ni vices ni vertus. Il jouoit un rôle à la Cour, quoiqu'il y fût inutile, & devoit beaucoup aux femmes, quoiqu'il ne fût que galant. Né sans esprit il n'en aimoit que plus à parler ; mais il étoit plaisant, & son radotage se tournoit quelquefois en style : il avoit le cœur bon & disoit du mal de tout le monde ; n'estimoit aucune femme, aimoit qu'on les déchirât, & étoit toujours leur dupe à la moindre apparence de vertu : il disoit du mal de tous les Ministres, ne concevoit pas comment un homme pouvoit se résoudre à l'être, & n'avoit publiquement d'autre ambition que de le devenir. Quoique galant & homme de Cour, un air de grossierté ne lui déplaisoit pas ; il aimoit qu'on eût un caractere, & celui là surtout. Il se plaignoit de la politesse de la nation dans tous les états. Ses valeurs étoient insolens, & il rioit de leur brutalité ; il disoit que sans eux, il n’auroit jamais vû des hommes au naturel.

Eteroritratto

Portrait de Pamphile.
Pamphile est un jeune Sénateur à qui deux bonnes fortunes très-équivoques ont tourné la tête. On n'a jamais vû tant d'arrogance & si peu de mérite. Sa fatuité même n'est pas un talent : il affecte le mépris, & dans la crainte de plaire, ne parle que par monosyllabes : quelque chose que vous puissiez lui dire, il n'est jamais de votre sentiment & ne dit pas le sien ; vous lui adressez la parole, il ne répond point, il vous marche sur le pied, vous heurte, s'en apperçoit, & ne vous fait pas la moindre excuse. Il parle aux femmes avec insolence ; s'il est interrogé par elles sur le motif de ce mépris, il ne leur fait pas l'honneur de l'attribuer à ses réflexions, à son expérience ; il se contente de sourire dédaigneusement, & veut qu'on voye que c'est sa façon d'être. Pamphile, enfin, est un homme à qui il faut souhaiter des malheurs, des aventures humiliantes, si l’on prend un certain intérêt au bonheur de la société.

Eteroritratto

Portrait de Madame & de Mademoiselle de Clairy.
Madame de Clairy est en gros une assez bonne femme, & en détail une fort sotte personne. La familiarité, la flatterie, la joie bruiante, sont ses vertus de société ; de cela dit tout : ces trois défauts ne peuvent faire qu'un objet très-désagréable, & rien ne peut les racheter. Elle est affable, souvent avec bassesse, plus ouvert avec grossiereté. Ses louanges sont toujours outrées, elles ont si rarement le mérite pour objet, elles <sic> les prodigue avec tant de facilité, & les prononce avec tant de bruit, qu'elles sont indifférentes aux ennemis même de ceux qu'elle en accable le plus. Son enjouement est un ris continuel, de ces ris à grands cris, de ces ris à la toise, qui ne font rire personne, qui étourdissent tout le monde ; de ces ris enfin, qui ressemblent aux transports de l'ivresse, de la folie, de la fureur, & qui ne ressemblent, selon moi, à rien d'aussi insupportable qu'eux. Madame de Clairy, cependant, a des prôneurs ; ce seroit bien assez qu'elle eue des amis, je n'y trouverois rien de bien étonnant ; elle peut avoir quelque qualité qui efface le ridicule de ses défauts, de donne de l’indulgence, en inspirant l'estime ; mais comment peut-on lui trouver du mérite, & la louer de bonne foi, n'étant pas son ami & ne connoissant pas son cœur ? c'est pourtant ce qui arrive & ce dont je suis témoin tous les jours. Je sçavois qu’un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire, mais je ne croyois pas que les preuves de cet axiome pusent être poussées aussi loin. Mademoiselle de Clairy est une jeune personne à qui la nature n’a refusé que Ie désir de plaire : son indolence ôte à sa beauté ce charme, ce je ne sçais quoi toujours vû, toujours senti avec un nouveau plaisir ; cependant elle est si régulierement belle, si bien faite, & le son de sa voix a quelque chose de si délicieux, qu'on ne se plaint qu'à la nature de ce qu'elle n'est que belle. On pourroit lui dire.

Citazione/Motto

Vous êtes belle, & le Ciel en votre ame A répandu ses trésors précieux ; Vous avez tout, hors l'esprit d'une femme, J’entens l’esprit qui brille dans leurs yeux, Forme leur cœur, leur donne mille idées, Et leur imprime un air intéressant. Instruit, rusé, sensible, pénßetrant, Long-tems avant qu’elles soient décidées, C’est-à-dire, presqu’en naissant. Sans cet esprit, la beauté solitaire, Manque d’éclat & n’est plus un bonheur : Il ne se donne point ; mais un ami sincere, Par ses leçons, peut porter dans le cœur Des sentimens sont l’ardeur salutaire En tienne lieu ; car ce qui touche, éclaire, &c.

Eteroritratto

Portrait de Madame la * * * * * *, sous le nom de Vénus. 1
Ne cherchez plus Vénus à Cythere, elle est aujourd'hui dans nos murs. Peu satisfaite du culte immodeste qu'on lui rendoit à Amathonte & à Paphos, elle s’est promenée par toute notre Europe ; & s'il n'étoit pas impie de dire que Vénus peut s'embellir, je dirois du moins qu'elle a pris de nouvelles grâces chez les nations qu'elle a embellies par sa présence. Je la vois tous les jours, & j’admire le mélange ingénieux qu'elle a sçu faire de tous les mérites des peuples heureux qui l'ont possédée. Comme elle s'est fixée en France, elle y a trouvé tous les goûts perfectionnés : elle les a pris & les a perfectionnés encore, mais elle a rejetté nos défauts, notre légéreté &nos contrariétés. Nous faisons cette injure aux femmes d'admirer les beautés de la figure, avant que d'examiner les beautés de l’ame : il faut se conformer à l’usage. Notre divinité a la plus belle & la plus riche taille qui puisse annoncer une immortelle ; il ne lui manque qu'un casque & un bouclier pour paroître Pallas, & une couronne pour représenter Junon ; mais on aime mieux encore l'adorer sous les traits de Vénus. Elle unit la jeunesse à la majesté ; ses traits d'un enfant à la bonne mine de l'âge mûr. Ses yeux sont doux & portent l’amour dans tous les cœurs ; sa bouche surtout, sa belle bouche est le théâtre de toutes les grâces qui se succédent & se varient à l'infini ; ses dents sont des perles parfaites ; c'est le rire, le sourire, la joie, la vérité, la confiance & l’amitié, parfaitement représentis : l'amour s'y mêle quelquefois, & alors il faut tomber à ses genoux en l'adorant, sans concevoir qu'on puisse être aussi belle.2Oui, sa bouche & ses yeux sont l'image de son ame ; elle regne sur nos cœurs, elle inspire toutes les passions qui font le doux lien de la société & le bonheur de la vie. Voulez-vous peindre la santé & la force sans rudesse ! Les Peintres & les Statuaires la prendroient pour modele : les Maîtres de Danse & tous ceux qui montrent les exercices du corps, recevroient des leçons d’elle. Si elle ne possede pas tous les jeux aussi bien que ceux qui en font leur occupation, c’est qu’elle est persuadée avec raison, que souvent les plus aimables graces se développent dans les choses qu’on fait imparfaitement. Les deux principaux points de son caractere, sont la douceur & l’amour de la liberté. Le premier a quelquefois pris pour le second, mais elle y a remedié promptement, dès que la séduction d’une aimable complaisance a pu la mener trop loin. Qu’est-ce, en effet, que l’usage de notre existence, sans celui de la liberté, ou sans l’opinion du moins qu’on est libre ! Nos peines, nos déplaisirs viennent rarement de la nature ou du hasard ; c’est la contrainte qui altére nos inclinations, nos desirs & nos mouvemens : en les contrariant elle leur donne une violence excessive de nos entours ; nos passions ne seroient que des penchans, & nos desirs que des desseins délibérés : saisissant le bien & le mal par un même sentiment, & dans le même instant, nous préférions toujours le bien au mal, parce que la nature est droite & bienfaisante. La douceur détermine toujours notre divinité au parti du bien ; c’est pour y perséverer qu’elle veut rester libre. La douceur est le premier de ses charmes ; elle est bonne & bienfaisante, comme la nature elle-même ; elle n’a comme Astrée de desirs que pour le bonheur des humains. Son esprit est plus cultivé par la fréquentation des hommes instruits, que par l’étude & la théorie. Ce n’est pas une Muse studieuse & appliquée aux méditations philosophique (les Déesses sont au-dessus des Muses.) Elle sera ce qu’elle voudra & quand elle voudra. Elle a un esprit qui n’a besoin que d’entrevoir pour apprendre, & de penser pour pouvoir instruire. Dans ses voyages, elle a pris la fleur de toutes les langues ; & les mêlant naïvement ensemble quand elle néglige de s’observer, ses irrégularités même sont de nouvelles découvertes pour nos oreilles charmées. Elle a fort méprisé le Dieu des richesse ; elle n’a accepté de ses dons, que ce qu’il en faut pour éviter de paroître au-dessous de soi-même. Elle ne quitteroit point mes campagnes pour en aller chercher de plus abondantes ; les seuls mouvemens de son cœur & la voix de la nature 3pourroient la déterminer à de nouveaux voyages. La fidélité la fixe ici, où sans dédaigner les amours, dont elle est la mere, elle sacrifie encore plus à l’inviolable amitié, qu’à ses propres enfans, qu’elle connoît pour très-frivoles & très-volages.

Eteroritratto

Portrait de la *** de  **.
La *** de ** est extrêmement capricieuse : il n’y a point de moyen sûr de lui plaire ; elle n’en indique aucun ; elle ne voit jamais les choses que d’un côté ; elles lui plaisent ou lui déplaisent au premier coup d'œil, & elle ne revient point. Sa façon de sentir (car elle ne pense pas) lui fait préférer également ce qui est bon ; & ce qui est mauvais. La difficulté auprès d'elle est encore plus de conserver que d'obtenir ; elle est extrêmement vive, & se dégoûte comme elle se prévient : vous réussissez un moment, toute sa bonne volonté éclate : elle vous suggére elle-même des moyens, déjá tout préparés par son esprit actif & pétulant ; vous les employez, ils vont réussir ; il ne s’agit plus que de les appuyer se son crédit ; une seule démarche, un seul mot d’elle, vont déterminer en deux jours ce qui eût coûté à un autre, avec le même crédit, trois mois de soins & de peines ; mais ces deux jours sont encore un terme trop long, deux nouvelles affaires l’auront occupée & ennuyée avant qu’ils soient expirés. Elle a bien fait connoître son caractere à un de mes amis, il n'y a pas long-tems. Il lui fut présenté par le *** de **, & la trouva toute prévénue en sa faveur. Elle n'attendit même pas qu'il lui eût demandé ses bons offices ; tout étoit arrangé dans sa tête, & elle commença par lui tracer le plan qu'il devoit suivre : mon ami y trouva une defectuosité, & comptant trop sur la bonté qu’annonçoit son accueil, il osa la lui faire remarquer. Elle se frappa dans le même instant, & sans le lui dire, ne put le lui dissimuler. Il comprit qu’il étoit perdu, & il ne se trompoit pas.

Eteroritratto

Portrait du ** de ***.
Le ** de ***, très-célébre & très-aimable est un homme de beaucoup d’esprit ; il n’y a point d’expérience aussi consommée que la sienne. Sous l’air de la plus philosophique indifférence ; il cache un fond de résolution, de vanité & d'intrigue, qui l'eût conduit à tout, si l'amour du plaisir ne l'avoit pas rendu un peu paresseux. Il adore les femmes & en est adoré. Sa façon de les attaquer est sûre, puisqu'il les séduit toutes ; mais elle ne perce pas : on a beau l'examiner de près, rien ne paroît ; la victoire est publique avant que l’attaque soit soupçonnée. Unique en cela autant qu'admirable; surtout aujourd'hui que les femmes sont si indiscretes. C’est le seul homme à bonnes fortunes qui n'ait jamais fait de copies.

Eteroritratto

Portrait des Philosophes.
Je compare les Philosophes aux Comédiens de campagne. Habit d'emprunt & sans goût, jeu sans esprit & sans naturel. Un Philosophe est un impertinent qui cache un malhonnête-homme. Par amour propre, on devroit chasser de la société quiconque a la hardiesse d'en prendre le titre. Le moins mal intentionné a toujours des motifs choquans pour notre vanité ; celui de vouloir usurper notre respect, judicieusement envisagé, ne sçauroit être assez puni. Mais il s'en faut bien que l'on soit disposé à se faire justice de leur insolente bouffonnerie. On recherche leur personne, on dévore leurs systêmes, l'esprit semble manquer de substance où ils ne sont pas. Ils jouent un premier rôle sur la scene du grand monde. Abus étrange de la coquetterie & de la fatuité ; car ce sont les prétendus oracles du bon ton qui ont érigé en prodiges cette espece de monstres. Le culte qu'on leur rend est tellement une passion, que lorsqu'il arrive à quelqu'un d'eux de se démasquer, de céder à un motif plus puissant que le motif qui l'a rendu fourbe & malhonnête-homme, il conserve encore long-tems les honneurs & les priviléges de son état. On voit évidemment qu'il n'est plus philosophe, qu'il est devenu courtisan, bel esprit, homme de plaisirs ; & loin de lui demander raison d'un encens usurpé, on voudroit se refuser à l'évidence du contraste, & l'on regrette le charme que répandoit son imposture. Lorsque je considere le jeu grossier des Philosophes & leurs succèss, je sens que je prends des hommes une opinion qui m'humilie moi-même. Est-il possible qu'ils ne se frappent pas de leur mal-adresse, ou que s'ils la voyent, ils puissent regarder leurs actions, leurs discours, leur maintien insultant comme un spectacle intéressant ? Un mauvais comédien ennuie, un mauvais sermoneur excéde, un critique mal-honnête-homme & bête révolte, une simple mascarade sans goût donne du mépris ; quel mépris ne devroit donc pas inspirer l'imposture qui décele de la turpitude ! En général, un Philosophe seroit un homme très-médiocre, s'il se réduisoit à être ce qu'il est naturellement. On sent, que la nature lui a refusé le germe des qualités supérieures & que voulant s'élever, se donner une certaine constance, & se sentant, indépendamment de l'orgueil effréné, une envie extrême d'imposer aux hommes, pour les duper de façon ou d'autre ; il s'est créé une nouvelle forme d'après la connoissance de leur amour pour les prodiges. Quoi ! je souffrirois qu'un orgueilleux qui n'auroit eu qu'un rang fort inférieur au mien, dans la société, s'élevât, par un artifice bas, au-dessus de moi, dans l'intention de me duper ? Je le verrois agir insolemment avec les hommes, les mépriser, les jouer, les égarer par ses maximes motivées, & j'applaudirois à son affreux triomphe? Je serois l'admirateur & le disciple de celui qui, en me plaçant au-dessous de lui, me déshonoreroit ! Non, j'ai connu la fourberie de ces gens-là ; idoles chimériques & criminelles des sots & des caillettes des deux sexes, ils ne m'en inspirent que plus de mépris. En les détenant également, je les mépriserois moins, si l'homme d'esprit pouvoit être leur dupe.

Metatestualità

Je viens de recevoir la Lettre qui suit & je me hâte de la communiquer aux Amateurs de la Musique, que j’appellerois mes Confreres, s'il étoit décent de parler de soi, quand on n'y est pas obligé.

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Lettera/Lettera al direttore

Saint-Quentin, ce 4 Juin 1759.
JE crois vous obliger, Monsieur, en vous mettant à même de donner un pendant au trait que je viens de lire à l'instant dans la Lettre de M. Freron, où il parle avec tant d'estime de votre Ouvrage.4 J'ai passé à Paris les hyvers des années 1752, 1753 & 1754, avec ma famille. Dans le nombre des Maîtres de mes enfans, je distinguois M. du Phly, autant pour la douceur de ses mœurs que pour son rare talent. Il avoir la complaisance de me jouer ses pieces, après avoir donné ses deux leçons. Le clavecin étoit dans la salle à manger, au second, chez M. de Foissy, Receveur Général, rue de Clery, où je demeurois. ll y avoit entr'autres tableaux, un portrait de femme en dessus de porte ; elle y est demie-nue & agréablement peinte. Ce portrait étoit tombé huit jours auparavant sur la main de ma femme, & l’avoit blessée. Elle écoutoit M. du Phly, & elle avoit son fils sur ses genoux, âgé de quatre ans & sept mois. Un soir que ce grand Maître jouoit la Médée, piece de son quatrieme Livre, mon fils le regardoit fixement, la passion s'étoit formée, elle croissoit par degrés sensiblement, il s'animoit enfin, vers la fin de la piece, l'enfant se leve, se jette sur moi, s’écrie, papa, un couteau, & lance ses regards sur le portrait. Et pourquoi mon fils un couteau ? Pour tuer cette femme qui a fait du mal à maman ! Le compositeur enchanté, vint embrasser l'enfant, on le calma ; on rapella dix traits, où mon pere & moi avons éprouvé les mêmes sensations, & cela m'a servi de supplément de démonstration, pour la possibilité des grands effets de la Musique. Vous pouvez me citer, Monsieur, après avoir demandé la confirmation du fait à M. du Phly, si vous le jugez à propos : ce sera lui faire faveur. J'ai l'honneur d'être très-sincérement, Monsieur, votre très-humble & très-obéissant serviteur, And à Well Wisher to your new Spectator. D. Cottin.

Avis.

On a laissé échapper quelques fautes dans le dernier Cahier, & dans celui qui paroît aujourd'hui. Je vais les faire observer. Page 270, autant que vous le vouliez. Lisez, autant que vous vouliez. P. 283, ne cesserez-vous donc de, &c. Lisez, ne cesserez-vous donc jamais de, &c. P. 289, au fond du cœur. Lisez, au fond de votre cœur. Ibid. que vous daignez donner. Lisez, que vous daignez me donner. P. 310, en fait d’esprit. Lisez, en fait d’esprits. P. 317, pouvez-vous. Lisez, pourrez-vous. Ibid. tous les autres. Lisez, toutes les autres. P. 332, à les justifier. Lisez, à le justifier.

1Ce portrait n'est point de moi, il est d’un homme de qualité qui joua un grand rôle dans l'Europe ; je n'ai que l'honneur de l'avoir corrigé & d’avoir ajouté quelques nuances. Je devois ce tribut à l’amitié.

2Le mot adorer est répété souvent : il faut pardonner l’enthousiasme aux Peintres.

3Elle a des parens & des amis dans des Cours étrangeres.

4M. Freron y rapporte une espece de prodige arrivé par la forte impression de la Musique, sur un créancier barbare. J’ai puisé ce fait dans un Livre Italien intitulé, Lettere familiari e critiche di Vicenzio Martinelle.