Ce trait qui fait autant d'honneur à
J'en fournirai une preuve. Un homme a vécu qui avoit une très-grande
réputation ; quelques-uns de ses Ouvrages paieront à la postérité, &
il mérite personnellement d'être connu d'elle. Mais cet homme avoit un
grand défaut, (il n'aimoit que lui), & il faudroit que ceux qui,
pour le faire revivre parmi nous & dans l'autre sphére, se sont
attachés à nous apprendre tout ce qu'il a sait & tout ce qu'il a dit
d'agréable, se fussent imposé la loi d'éviter d'en faire un
Voici un fait qu'on a omis, & qui peint tout son caractere. II
donnoit un jour à dîner au célèbre . C’étoit dans la primeur des
asperges. Il lui dit, Abbé ? je vous donne des asperges, mais comme
elles sont cheres & que nos goûts différent pour l'assaisonnement,
je n'en ai fait prendre qu'une demi-botte, & ma Cuisiniere les
partagera. L'Abbé y consentit volontiers. On appella la Cuisiniere,
& elle eut ordre d'en mettre une moitié à l’huile, & l'autre
moitié au beurre. Le dîné étoit à peine commencé, que l'Abbé se trouva
mal & perdit con-toutes à l'huile, toutes à
l'huile.
Je sçais que ce trait dépare furieusement un
Monsieur,
Cinq ou six de mes meilleurs amis s'ennuyant l'autre jour, & ayant inutilement rêvé pendant une heure à des projets de plaisir, s'aviserent enfin d’aller dîner chez le Suisse de * * *. Ils ne possédoient pas une pistole à eux tous ; & c'étoit une grande raison de renoncer à tout plaisir. Mais l'ennui ! . . . Ah ! l'ennui peut-être dispense des réflexions & excuse les folies.
Ils commanderent un excellent dîné, demanderent du meilleur vin,
mangerent beaucoup, rirent davantage, & ne songerent pas un moment à
l'embarras où ils se trouveroient lorsqu’il faudroit compter. Ce moment
arriva, mais ne fit pas disparoître la gaieté. Un d'eux imagina un
expédient des plus singuliers, il en fit part à ses camarades qui
l’em-
Le Domestique du Suisse apporta la carte ; celui qui avoit parlé la
prit ; & après avoir jette un coup d'œil sur l'addition, quoi cela ne se monte qu'à trente-six livres ?
s'écria-t'il ; eh, parbleu c’est pour rien. Tiens voilà un écu pour
toi ; mais il faut que tu nous rendes un service ; nous voulons jouer à
Colin-Maillard, on va te bander les yeux, & celui que tu attraperas
payera le dîné.
Ce projet fut exécuté. On s'assura bien que le garçon n'y voyoit point,
& pendant qu’il cherchoit dans tous les coins, mes amis se sauverent
par une porte de derrière. Il y avoit une demi-heure qu'il se promenoit
inutilement dans la chambre, lorsque son Maître, surpris de ne le pas
ah, vous payerez le dîné, s'écria-t’il. La
bile helvétique s'échauffa à l'aspect d'une banqueroute aussi
frauduleuse ; & il fait aujourd'hui de très-sérieuses perquisitions
pour pouvoir recouvrer son argent.
J'ai cru devoir, Monsieur, vous faire part de cette petite aventure, parce que je sçais que votre intention est de faire entrer dans votre. Livre tout ce qui arrive journellement dans cette immense ville, Je ne fais d'ailleurs aucun tort à mes, amis, dont l’intention est de payer cet homme avant la fin du jour, & je viens moi-même de leur prêter deux louis pour cela.
J’ai l’honneur d’être, &c.
Ce trait est plaisant, & l’ami qui me l'écrit, seroit sans doute un
fidéle Historien. Je reviens à mon premier sujet, & je dis qu'il est
fâcheux que nous n'aïons pas des caractères plus fidélement déssinés,
dans un pays où il y a d'aussi bons pinceaux. On pourrait du moins
remédier à l'obstacle qui s'y oppose, en peignant les hommes, non par le
récit de leurs actions, mais par une imitation de leurs discours &
de leur langage. Le Dialogue seroit d'un merveilleux usage pour cela.
J'ai peint
IL y a long-tems que je vous
attends. Assurement vous ne devez pas avoir de regret à la
vie.
Personne n'en doit plus avoir que moi. Je jouissois dans l'autre monde des illusions.
Vous trouverez ici les vérités.
Ce qu’elles ont de plus agréable, on le trouve dans les illusions. J'ai vu de près la vérité. Croyez-moi, elle est triste, jalouse de nos plaisirs, inconstante dans ses faveurs.
Vous en faites un beau portrait! Mais je dois peu m'en étonner : Quiconque n’aime pas à la dire, n'aime pas à la trouver ; car à mon égard, vous avez prouvé que vous ne la respectiez pas infiniment.
J'ai aimé à la dire comme un autre : cela nous fait une sorte de supériorité sur les hommes. Quand nous en avons trouvé quelqu’une, on nous en suppose mille, & notre amour propre jouit de l’erreur publique, qui est toujours un hommage très-flateur.
Je gagerois bien que cet hommage étoit tout ce que vous ambitionniez en la cherchant & en la disant.
Il y a même plus ; quelquefois je la
Eh! Ne vous arrivoit-il jamais de vous tromper?
Je me trompois souvent ; mais on ne le soupçonnoit pas. On étoit si accoutumé à me croire sur ma parole, on y avoit un penchant si décidé, que le Sçavant le mieux instruit eût été mal reçu à venir me donner le démenti.
Ainsi donc vous abusiez les hommes.
Le mal n’étoit pas grand. Excepté quelques vérités
qu'il faut que nous sçachions, & qu'on est dispensé de nous
dire, parce que nous les sçavons, toutes les autres sont bien
peu de cho-
Je ne m'étonne plus, que vous ayez débité avec tant d'assurance des contes faits à plaisir.
C’étoit mon droit & mon profit. Comment aurois-je
pu me dédommager, autrement, de la peine que j'avois prise de
m'instruire, quoique foible-
Il falloit du moins vous en tenir à des fables, mais des libelles. . . .
Des libelles ! C’est la première fois qu'on m'en a accusé. Non, je n'ai jamais entrepris de m'élever par des moyens si faciles ; ceux qui vous ont donné cette oppinion de moi, n'ont jamais sçu combien j'aimois la véritable gloire, & combien je pouvois réussir par des moyens qui me fussent particuliers.
Quoi ! N'est-ce pas un libelle que ce beau Dialogue où vous me
mettez en conversation avec
J'entrevoyois que vous étiez fâchée contre moi ; mais en vérité je n'aurois pas deviné que c'étoit pour si peu de chose.
Comment ! pour si peu de chose ; quel caractere m’avez-vous prêté ? Pour qui les hommes ont-ils dû me prendre ? J'aime à voir votre sécurité. Vous comptez sur les ressources de votre esprit. Je sçais que vous en avez beaucoup; mais le prestige ne s'étend point au-delà de la vie. Les morts n'ont plus d'organes pour recevoir la séduction.
Si j’avois autant d’esprit que vous le dites, je
séduirois chez les morts comme chez les vivans, & vous-même
ne conserveriez pas long-tems votre cour-
Voici qui annonce de la métaphysique.
Prenez garde, Stratonice ; vous vous livrez à la défiance, c'est
renoncer à voir la vérité. Daignez vous faire violence. Vous
croyez que les hommes vous ont méprisée depuis votre
conversation avec
Je conçois qu'on impose aisément aux petits génies. Mais tous les hommes ne sont pas également des machines. Si j'ai emporté l'admiration des trois quarts, cette quatrieme partie dont vous ne parlez pas, & qui voit si bien, a dû me mépriser furieusement. Sans être fort sçavante, je sçais que l'admiration de la multitude est la mesure du mépris des sages & des bons juges.
Ces bons juges ont été les premiers à prendre parti
pour vous. Vous leur avez inspiré une estime prodigieuse, par
l’aveu indécent que vous dites que je
vous ai prêté. Il s’en faut bien que je vous eusse rendu un
aussi grand service auprès d’eux, en vous faisant débiter les
maximes les plus respectables.
En vérité vous abusez de l'esprit ; mais vous travaillez vous-même à vous punir ; car assurément vous ne vous tirerez pas de l'embarras où vous venez de vous mettre.
Je m'en tirerai, très-bien, & avec votre estime.
Ces hommes qui voient si bien, respectent les vertus, mais y
croient très-peu. Ils sçavent qu'elles ne sont pas familieres
avec la nature humaine, & se défient de tous les signes qui
la représentent communément. Lorsque ces signes sont si forts,
qu’il n’est guere possible qu’ils osent douter, ils donnent des
marques d’estime ; mais une défiance insurmontable empêche
qu'ils n'aillent jusqu'aux preuves : on voit qu'ils payent un
tribut. La froideur de leurs applaudissemens laisse toujours
desirer ce charme
Vous verrez que j’ai à vous remercier, & que
j’aurois moins d’obligation
Vous ne seriez pas la premiere qui eût fini par la
reconnoissance après avoir commencé par le courroux. Un plaisant
vous diroit que les extrémités se touchent dans le cœur des
femmes ; mais sans plaisanter, je puis vous dire que vous m'avez
quelque obligation. En vous faisant passer pour coquette
décidée, je vous ai mis dans le monde à côté des femmes qui ont
le plus de célébrité. La réputation de vertu ne vous eût pas
valu autant.