Citazione bibliografica: Jean-François de Bastide (Ed.): "Discours Premier", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.5\001 (1759), pp. 5-9, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2127 [consultato il: ].


Livello 1►

Discours Premier.

Citazione/Motto► Pourquoi chercher si loin la gloire ?

Le plaisir est si près de nous. ◀Citazione/Motto

Livello 2► JE crois avoir déjà cité ces deux vers dans mon Spectateur; mais ils viennent ici si à propos, que j'ose me permettre de les citer encore. Oui le desir de la gloire nous tourmente trop & nous emporte trop loin. Je l'ai long-tems examinée, dans l'intention d'excuser tant de gens qui lui sacrifient le repos, le bonheur, & souvent jusqu'à la probité ; j'ai toujours été très-mécon-[6]tent des idées qu'elle m’a laissé prendre d’elle, & je ne sçais plus de quel côté la considérer, pour trouver une raison de pardonner aux hommes l’aveugle amour qu’ils ont pour elle.

On, dira tout ce qu'on voudra sur cette chimere imposante : je sçais tout ce que l’on peut dire ; si j’avois à faire un discours public sur son éclat éblouissant ; si j’étois capable de sacrifier ma pensée, mes lumieres, le cri de ma conscience au très-illicite talent de flatter l’oreille des hommes au dépens de la vérité, je m'acquitterois de cet emploi avec fort peu de peine peut-être avec beaucoup de succès; mais j'ai pris des engagemens qui' ne me permettent plus de préférer quoique ce soit à l'utile & au vrai, & c'est en renonçant à la gloire que j'apprens à la mépriser. Ecrire ce qu'on ne pense pas, c'est faire un mensonge ; l'écrire avec esprit dans le dessein de se faire un nom, c'est tendre un piége, & se [7] proposer la gloire pour prix de l’imposture. J'abandonne l'honneur de ce talent facile à ceux que le plaisir de faire du bruit peut sauver du remords de faire du mal ; & me renfermant dans mes devoirs, me contentant de mon estime après les avoir remplis, je vais dire ce que je pense de la gloire, & ce que j’ai vu de ceux qui se sont enivrés de ses vapeurs enchanteresses.

L'amour de la gloire est l'inquiétude la plus cruelle, la soif la plus dévorante, la maladie la plus dangereuse, & la plus longue que l’homme peut jamais éprouver. Les mouvemens & les accès qu’elle cause, sont une sorte de rage meurtriere ; Saül dans ses fureurs étoit moins cruel & moins redoutable qu’un ambitieux. Dans quelque état que l’on suppose celui que cette soif dévore, c’est le bien connoître que de se le présenter toujours prêt à s’abreuver de sang ; tout ce qui l’environne se plaint de son inhumanité & [8] gémit autour de lui. . . . . Mais cette soif peut du moins s'étancher; l'ambitieux peut être une fois content, & jouir enfin du fruit de ses travaux immenses, . . . . non, la gloire le trompent de loin ; elle devoit l'attirer sans cesse & s'éloigner toujours. Cependant quelques génies plus hardis, plus séconds & plus heureux, ont sçu l’arrêter dans sa fuite, & lui arracher ses faveurs ; mais, amante perfide, voyons les maux qu’elle a sçu joindre aux dons qu’elle leur a faits. La jalousie les a reçus dans ses bras en sortant de ceux de la gloire : elle a soufflé dans leur cœur ses flammes empoisonnées ; ils n’ont plus vu leurs rivaux qu'avec fureur, & les faveurs qu’ils avoient reçues ont perdu tout leur prix à leurs yeux. Heureux du moins si leur courroux, si leur mépris éteignoit tout leur amour pour la perfide ; ils n'auroient, du moins qu'à regretter d'avoir acheté un peu cher les avantages d'un repentir [9] utile; mais ils ne l'estiment plus & ils l'aiment encore; que dis-je, ils l’aimoient inhumaine, ils l'adorent parjure : voilà la gloire, voilà le sort de ceux qu'elle a séduits. N'en disons pas davantage : on peut se dispenser de s'étendre beaucoup sur un sujet qui fournit des réflexions naturelles à tous les esprits. ◀Livello 2 ◀Livello 1