Référence bibliographique: Anonym (Éd.): "VI. Discours", dans: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\006 (1716), pp. 33-38, édité dans: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Éd.): Les "Spectators" dans le contexte international. Édition numérique, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1514 [consulté le: ].


Niveau 1►

VI. Discours

Citation/Devise► Projecere animas.
Virg. Æneid. vi. 436.

Ils ont sacrifié leur Vie à un faux point d’Honeur. ◀Citation/Devise

Niveau 2► L’Autre jour, en feuilletant mes Papiers, je trouvai la Copie d’une Conversation que Pharamond avoit euë avec Eucrate sur le chapitre des Duels, & celle d’un Edit que le Roy donna pour les défendre.

Niveau 3► Dialogue► Eucrate lui représentoit, qu’il ne viendroit jamais à bout d’extirper cette abominable Coutume, enracinée depuis longtems en France, & qu’on regardoit comme une Action glorieuse, à moins qu’il ne condamnât les Criminels aux Galeres, ou aux Suplices les plus rudes. Pharamond avoua, que, pour remedier à ce mal, il falloit emploïer quelque flétrissure ; mais qu’il ne regnoit qu’entre ceux qui étoient un peu trop sensibles au point d’Honeur, qu’il arrivoit même souvent que deux Cavaliers se batoient en Duel, pour sauver leur réputation, quoiqu’ils ne fussent pas Ennemis dans le fond de leur ame ; que ce n’étoit qu’une méchante mode, & qu’il vaudroit mieux ainsi la tourner d’un autre côté. Il ajoûta que la Misere & la Honte sufisoient pour retenir ces Personnes dans le [34] devoir ; qu’il n’imposeroit jamais une plus grande peine pour un Crime, qu’il auroit pû prévenir lui-même, s’il eût marqué d’abord son indignation à ceux qui s’en rendoient coupables ; qu’il avoit en horreur tous les Supplices, qui flétrissoient plûtôt la Nature Humaine, que le Criminel, & qu’il se garderoit bien de les emploïer pour corriger un vice, fondé sur un bon principe, c’est à dire la crainte de l’infamie. Là-dessus il prit occasion de raisonner sur la Clémence, & de se plaindre d’en avoir fait divers actes, qui, malgré tout leur éclat, à la premiere vûe, ne laissent pas d’être accompagnez à la fin de terribles suites. Il reconnut même que la Clémence à l’égard des Particuliers, étoit une cruauté envers le Public ; & que si un Prince ne pouvoit pas redonner la vie à un Homme en l’ôtant à celui qui l’a tué, il ne sauroit non plus en dédommager un autre qui viendroit à la perdre ensuite du mauvais exemple, ni justifier sa conduite, s’il ne pardonnoit le deuxiéme aussi-bien que le premier Infracteur. Citation/Devise► « Pour moi, dit-il, j’ai conquis la France : mais je lui ai donné des Loix, qui servent plûtôt à diriger qu’à diminuer mon Pouvoir. Rien ne m’empêche de protéger l’Innocence & la Vertu, ou d’élever aux Honeurs les Personnes de mérite : Je puis faire tout le bien que je veux, sans qu’aucun de mes Sujets s’y oppose, ou qu’on prescrive des régles à ma faveur. Pendant que [35] j’ai le pouvoir de récompenser les honêtes Gens de la maniere qu’il me plaît, je me soucie fort peu de n’être pas en état de pardonner les Criminels. C’est pour cela même, ajouta-t-il, que je remedierai bientôt à ce Mal contagieux qui s’est glisse dans mon Roïaume, & que ma Compassion naturelle ne sera plus exposée aux importunitez de ceux qui se rendent miserables par leur propre faute, quoi que toûjours prêt à secourir ceux qui le deviennent par quelque revers de Fortunt. Les Princes, conclut-il en souriant, sont environnez de Flateurs, qui leur cornent sans cesse aux oreilles qu’ils sont les Lieutenans de Dieu en Terre : Je veux qu’ils le soient ; Qu’ils en usent donc d’une maniere qui réponde à leur Dignité, & que la seule chose qui ne soit pas en leur pouvoir soit celle de faire du mal. » ◀Citation/Devise ◀Dialogue

Bientôt après il publia l’Edit suivant contre les Duels.

Niveau 4► « Pharamond, Roi des Gaules à tous ses bons & fidèles Sujets, Salut. D’autant qu’il est venu à notre connoissance Roïale, qu’au mépris de toutes les Loix, Divines & Humaines, la Coûtume s’est introduite, parmi la Noblesse & les Gentilshommes de ce Roïaume sur la moindre legere occasion, de même que pour de griéves insultes, de s’appeller en Duel, afin de terminer ainsi leurs Démêlez, par eux-mê-[36]mes, & de leur propre autorité : Nous avons cru qu’il étoit de notre devoir de remedier à cet Abus ; & après une recherche exacte des Causes qui produisent d’ordinaire ces fatales Décisions, Nous trouvons que, malgré tous les Preceptes de l’Evangile, & toutes les Règles de l’Humanité, le Pardon des Injures, qu’on peut regarder comme le plus grand éfort de l’Esprit Humain, est avili & rendu infame, par cette malheureuse Coûtume ; que tous les Devoirs de la Societé civile & d’une Conversation honête sont renversez par-là ; que les Hommes fiers, les Impudens & les Débauchez insultent ceux qui sont modestes, discrets & d’une vie exemplaire ; qu’enfin la Vertu est foulée aux piez & le Vice encouragé, dans cette seule démarche, qui rend un Homme capable d’afronter la Mort. Nous avons remarqué d’ailleurs, avec un extrême chagrin, que, par une longue impunité, causée par des affaires plus importantes qui nous occupoient alors, ces cruels Défis sont devenus honorables, & qu’il y a de la honte à les refuser. Nous voïons aussi que les Personnes, qui ont le plus de mérite & de capacité, de même qu’une plus forte passion pour la véritable Gloire, se trouvent plus exposées au péril qui naît de cette Licence éfrenée. A ces causes, après avoir mûrement reflechi sur tout ce qui est [37] allegué ci-dessus, & consideré qu’il est déja pourvu, par des Loix antecedentes, à tous les Cas de cette nature, où il arrive que l’Injure est trop subite ou trop criante pour la pouvoir soutenir ; & que de moindres Injustices, qui naissent de l’Ingratitude, ou de quelque autre mauvais Principe, ne sauroient tomber sous un Reglement genéral ; Nous avons resolu de bannir de l’Esprit de tous nos Sujets cette cruelle Mode, qui ne respire que la Vangeance, & d’ordonner ce qui s’ensuit.

i. Toute Personne, qui enverra ou qui acceptera un Cartel, ou la Posterité de l’un & de l’autre, quoi qu’il ne soit pas suivi de la Mort d’aucun des Combatans, deviendra incapable, après la publication de cet Edit, d’avoir aucun Emploi, dans les Terres & Païs de notre Domination.

ii. Toute Personne, qui donnera des preuves convaincantes de l’envoi ou de l’acceptation d’un Cartel, obtiendra la jouissance de tous les biens meubles des deux Parties intéressées ; & leur Héritier immédiat sera d’abord mis en possession de leurs biens immeubles, comme s’ils étoient actuellement morts.

iii. Dans tous les Cas, où il s’agit d’un Meurtre, où les Loix, que Nous avons déja données, admettent un Apel, si le prévenu est alors condamné, [38] non seulement il souffrira la Mort ; mais tous ses Biens, meubles & immeubles, passeront aussi-tôt à l’Héritier immédiat de la personne, dont le sang a été répandu.

iv. Qu’il ne sera plus à l’avenir au pouvoir de Notre Personne Roïale, ni de Nos Successeurs, de pardonner un tel Crime, ou de rétablir les coupables dans leurs Biens, Honeurs & Dignitez.

Donné à notre Cour de Blois le 8. de Fevrier 420. & la seconde Année de notre Regne. » ◀Niveau 4 ◀Niveau 3

T. ◀Niveau 2 ◀Niveau 1