Citazione bibliografica: Jean-François de Bastide (Ed.): "Monsieur", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.1\011 (1758), pp. 342-366, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1787 [consultato il: ].


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Livello 2► Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► Monsieur ,

Metatestualità► Je roule depuis quelque temps un projet dans ma tête, qui pourroit être [343] utile à quelques honnêtes gens, & à ceux même dont le ridicule me l’a fait imaginer. J’ai été tenté plusieurs fois de le faire imprimer, mais j’ai tant vu déjà que la raison ne sçauroit aller toute seule à son but, & que les meilleurs projets sont inutiles sans les prôneurs & la cabale, que cette réflexion m’a toujours retenu. Mais aujourd’hui, que nous avons un Spectateur, je sens renaître mon courage, & le patriotisme pour moi ne peut plus être un écueil. Autoritratto► Un Spectateur est un homme, qui pouvant nous dire tout ce qu’il pense, doit nous persuader beaucoup de choses. ◀Autoritratto Ainsi mon projet pourra avoir tout le succès que j’en ose espérer, si vous daignez y mettre la derniere main par une recommendation de trois ou quatre lignes. Le voici, Monsieur, tel que je l’ai conçu. . . . . ◀Metatestualità Livello 4► Mes affaires m’obligent quelquefois de prendre mes repas dans les différentes auberges de paris, & je ne sçaurois [344] vous dire combien j’y souffre de toutes façons. Premiérement, chacun y dévore ; & il n’y point d’endroit sur la terre où les instans soient plus rapides. Chaque plat occasionne un combat où l’agilité triomphe. Il ne faut pas oublier un moment, si l’on a faim, qu’on est en présence de l’ennemi ; la moindre distraction causeroit la ruine de l’estomac. J’éprouve quelquefois ce que je vous dis là. Quand je me trouve placé à côté d’un parleur, j’écoute par force ou par politesse, cela emporte quelques minutes, je reviens à mon assiete, je demande d’un mets ou d’un autre, mais tout est englouti. & j’ai dîné. Secondement, on n’y débite que de très-vieilles nouvelles ; gazettes d’ailleurs toujours tronquées, & sur lesquelles la livrée, qui lit aujourd’hui, comme vous sçavez, s’est endormie déjà plus d’une fois. Le sérieux y domine & y exclut tous les bons tons : il ne faudroit pas s’aviser [345] d’y montrer le bel esprit ou la bagatelle ; ils seroient assommés à la porte, par le génie lourd à qui la garde en est confiée. Cependant on y ouvre quelquefois le chapitre des brochures & des spectacles ; mais c’est là le moment terrible. Pour ces Messieurs, tout homme de lettres n’est qu’un auteur, & tout auteur n’est qu’un faquin. Le mot parasite est leur terme familier. Ils ne peuvent pas souffrir qu’un homme écrive pour vivre. On pourroit leur dire, vous le justifiez ; vous mangez de si bon appétit que vous devriez pardonner à un être fait comme vous d’avoir un estomac. Quant à la nouvelle piece, ils l’ont vue : elle a été applaudie, mais il y a une scene qui languit, ou une situation qui ressemble, & cela leur paroît affreux ; pour vingt fois, ils s’attendoient à voir un chef-d’œuvre. Parlons des acteurs ; mais, non, parlons des actrices ; c’est leur sort, & la digestion va leur four-[346]nir des éloges énergiques. Les souveraines n’y auront aucune part. ce sont des divinités qu’ils ne voient que dans leur gloire, & malgré leurs nombreuses foiblesses, que les oui-dire ont fait parvenir jusqu’à eux, ils n’en parlent qu’en les nommant, tant ils sont éblouis. Mais les nymphes ? Ah ! les nymphes sont à tout le monde, & on peut les envisager sans se méconnoître. On a proposé à l’un un soupé avec deux des plus jolies, mais il a trouvé que dix louis & un repentir étoient une usure, & il abhorre les Juifs. Un autre a connu la petite** quand elle avoit quinze ans, & alors elle étoit encore passable. Un troisieme les auroit toutes sans payer, mais il les trouve encore trop génantes. . . . Ces expressions sont galantes, ces propos sont légers, & voilà un changement de décoration. La digestion, Monsieur, . . . . elle est l’ame de la société & les nymphes triomphent par elle, comme vous voyez. . . ◀Livello 4 [347] Metatestualità► Pour ne vous ennuyer j’abandonnerai ici les crayons, mais je vous ai annoncé un projet, le voici. Ces vieilles nouvelles que ces Messieurs débitent ont deux inconvéniens, auxquels on ne sçauroit trop remédier. Elles sont cause qu’on s’ennuye avec eux, & qu’ils s’ennuyent eux-mêmes dans le monde où l’on ne parle jamais de la veille, & où pas conséquent ils sentent qu’ils n’ont rien à dire. Pour les corriger à cet égard, & leur rendre service, je voudrois qu’un homme d’esprit fût préposé pour écrire tous les jours les nouvelles courantes, & que les maîtres des auberges fussent obligés de pensionner un homme pour lire au repas du matin cette gazette en pleine table, entre l’entremets & le dessert. Vous sentez, Monsieur, le bien qui en proviendroit. J’étois l’autre jour si excédé d’un diné que je venois de faire à l’hôtel de ***, que je rentrai chez moi pour tracer un modele, je le joins ici [348] afin que vous puissiez mieux juger de l’excellence de mon idée. ◀Metatestualità

Livello 4► Messieurs,

Adam est mort, ses descendans ont vécu. Laissons des cendres éteintes, dans le néant qui les engloutit. Occupons-nous de l’instant : si l’on meurt sans avoir vécu, c’est pour s’être trop occupé du passé.

( Ce formulaire initial seroit répété à chaque gazette particuliere ; après cela, on passeroit aux nouvelles. )

Madame de** soupa hier à Madrid, & n’a pas fermé l’œil de toute la nuit pour être revenue dans le carosse du Chevalier de***, où les femmes sont toujours fatiguées.

On doit juger demain le procès de M. le** de**, & il le perdra. . . Parce que. . . ( je mets ici des points, la chose étant à présent sçue de tout le monde. ) On a mis ce matin en vente un nouveau roman de l’auteur de**, & l’on [349] pense déjà à une nouvelle édition, parce qu’il a été porté d’abord à douze livres.

On a trouvé ce matin sur le Pont Neuf une lettre écrite à un usurier, & perdue apparemment par un laquais. On pense qu’elle est de la petite**, parce qu’il y a écrit, demain je vous enverrai mes diamans, & vous remettrez cinquante mille écus. On pense encore que c’est pour placer qu’elle emprunte, car elle ne donne pas.

Demain Mademoiselle** débutera au théâtre de*******, & elle sera fort applaudie, parce qu’elle n’a pas pu encore être corrompue.

Un nouveau prédicateur prêchera demain dans l’église des***, & les chaises seront à douze fois, parce que c’est un homme qui débite fort bien. &c. &c. &c. &c. ◀Livello 4 ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

Metatestualità► Je crois le projet de mon correspondant fort bon, & j’ai parcouru, avec plaisir, le plan qu’il m’a envoyé. Mais [350] je crois qu’en général il a le malheur de s’exagérer ce qu’il voit, & ce qu’il condamne. Si les tables d’auberge sont livrées à des hommes tels que ceux qu’il nous représente, elles sont également fréquentées par des esprits aimables & des être <sic> polis ; & il me semble qu’à cet égard le beau monde n’est guere mieux partagé que les auberges. Depuis que j’ai commencé à écrire mes feuilles je vais partout, & partout je vois que le plus & le moins font, pour mille choses, toute la différence de ce qu’on appelle la bonne compagnie, & de ce qu’il appelle la mauvaise. ◀Metatestualità

Metatestualità► J’ai annoncé une aventure plaisante que mon coadjuteur m’a promise. Je viens de la recevoir, & je l’ai lue ; mais elle ne m’a paru plaisante que par le fonds. La lettre qui la précede l’est beaucoup davantage. ◀Metatestualità

Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► « Comédie pure que ce monde, mon [351] cher ami ! Rions de voir tant de masques. Masques pour les sots, car l’homme d’esprit n’est plus dupe de rien. Un mari qui meurt d’amour pour sa femme, & qui mourroit de honte de le dire ! Ah, Messieurs nos peres ! vous étiez d’honnêtes gens de n’avoir de l’amour que pour vos femmes, & de voix que pour le publier. . . . Ne prenez pourtant pas ceci à la lettre. Je crois qu’alors comme aujourd’hui on voltigeoit volontiers sur le terrein d’autrui. Mais alors du moins le mari trompé n’étoit pas faquin, & le mari amoureux n’étoit pas hypocrite, & ces deux vices de plus dans nos mœurs, ont bien contribué à nous ravaler. Quoi qu’il en soit, voici l’aventure d’un de ces hypocrites. Je suis obligé de vous conter cela sérieusement : car il y a des ridicules si sots qu’ils me font même perdre l’esprit d’en rire. Mais je tacherai de n’être pas long. » ◀Lettera/Lettera al direttore

[352] Livello 4► Racconto generale► La semaine passéé Cliton, qui est un homme de bon sens & très considéré, vit Araminte dans une maison où il alloit rarement.

Araminte est une de ces femmes auxquelles on donne son cœur si naturellement, qu’on ne réfléchit aux sentimens qu’elles font naître, que pour s’y livrer.

Cliton fut si touché de sa beauté qu’il ne lui laissa pas ignorer sa conquête. Il trouva dans Araminte une disposition marquée à recevoir ses soins.

Un bonheur encore si peu acheté, ne lui fit faire aucune réflexion désagréable. La physionomie d’Araminte, pleine de noblesse & de douceur, la défendoit contre toute impression désavantageuse, & ce qui eût paru facilité dans un autre n’étoit regardé que comme un charme de plus en elle.

Lorsqu’elle sortit, il ne s’étoit encore que foiblement expliqué ; mais [353] il avoit été écouté, & par là il jugeoit avoit été entendu avec plaisir. Il lui donna la main, & en la quittant, il lui demanda son aveu pour la voix chez elle. Il l’obtint, & le lendemain son premier soin fut d’en profiter.

Il lui parla de sa passion avec toute l’ardeur que la sécurité donne. Araminte ne promit rien, mais il se croyoit aimé, & il crut avoir tout obtenu. Rentré chez lui, on lui annonça le mari d’Araminte. Il courut au-devant de lui. L’extrême amour confond l’objet aimé avec tout ce qui lui est relatif.

Vous devez être étonné, lui dit Saint-Isle, de recevoir si tard la visite d’un homme qui vous est presque inconnu. Je voulois différer jusqu’à demain ; ma juste impatience ne me l’a pas permis. Dans la situation où je me trouve, un moment perdu ne se retrouve plus. . . . . Sans doute, je peux vous rendre quelque service, répon-[354]dit Cliton : si cela est, vous trahiriez ma propre impatience en combattant la vôtre. . . .Sans avoir jamais eu de relation avec vous, reprit Saint-Isle, votre caractere m’est connu ; je sçais que vous aimez à obliger : j’avois besoin de la confiance que l’on doit prendre en vous ; sans cela, je n’aurois jamais pu me résoudre à la démarche que je fais aujourd’hui. Je sçais, continua-t-il, que vous aimez ma femme ; vous l’avez vue hier pour la premiere fois, & votre cœur s’est donné à elle. Je sçais de plus, qu’elle a contribué à ces mouvemens de passion par une sorte de plaisir qu’elle a paru prendre à en écouter les sermens. Je viens à ce sujet vous demander une grace & vous donner un conseil. Vous croyez ma femme disposée à vous aimer ? Vous vous trompez, elle ne peut aimer que moi : elle n’a paru vous écouter avec plaisir, que parce qu’elle étoit irritée contre un époux indigne d’elle. Elle [355] n’a pas sçu ce qu’elle faisoit, peut-être même n’a-t-elle voulu que paroître s’attacher à quelqu’un pour me donner de la jalousie. Si je lui reprochois son étourderie, & qu’elle pût la sentir, elle en seroit honteuse, désespérée, & elle ne voudroit jamais vous revoir. Ce feroit donc vous préparer des chagrins que vous livrer à vos sentimens ; demain elle ne verroit qu’avec désespoir l’humiliante erreur où ils l’ont entraînée : indépendamment de ce que, maître de son sort & de ses démarches, je la ferois pour jamais disparoître de ces lieux, si je pouvois la soupçonner de la plus légere foiblesse. Voilà, Monsieur, continua-t-il, ce que j’ai dû vous dire par rapport à vous. Pour ce qui me regarde, je vous avoue qu’il en coûte beaucoup à mes sentimens de m’expliquer avec la même sincérité. Soit erreur, soit raison, j’ai attaché une gloire au secret que je vous confie, & il me semble que me [356] trahir, c’est me dégrader. Vous avez peut-être jugé de moi sur les apparences & sur le bruit public ? Vous me jugerez mieux sur ce que je vais vous apprendre. Mis de trop bonne heure dans le monde, j’en ai pris les travers ; j’adore Araminte, mais la satuité a réglé qu’il seroit honteux d’aimer sa femme, & je rougirois de paroître aimer la mienne. Toutes les preuves d’infidélité que je lui donne, ont leur source dans la crainte d’être démasqué. Le monde est plein de gens qui cherchent à lire dans notre ame pour nous trouver des ridicules : la terreur que me cause leur fatale curiosité, me fait sans cesse former de nouvelles intrigues ; mais au milieu de ce tumulte qu’on croit que j’adore, mon cœur se plaint amérement ; j’en entends le murmure avec douleur, je maudis le nom que je porte qui me réduit à une dissimulation affreuse ; je ne suis soutenu que par la vertu de ma femme : si [357] j’étois moins sûr de la tendresse, je crois que ne pouvant me résoudre À me donner un travers, je me serois déjà percé le cœur à ses pieds, en lui jurant pour la premiere fois que je l’aime. Jugez de ce que j’ai dû souffrir lorsque j’ai appris par un témoin fidele qui la suit partout, que vous l’aimiez & que vous cherchiez à vous en faire aimer ? On a beau être persuadé de la vertu de l’objet qu’on aime, on n’est plus tranquille, lorsqu’on a le remords de lui avoir manqué. Je n’aurois pas craint un fat, mais Araminte qui a des sentimens vertueux, est faite pour être vaincue par eux. C’est cette réflexion trop juste & trop accablante qui m’amene chez vous. Vous êtes honnête homme, Monsieur, & je crois que vous sentirez ma situation.

Saint-Isle se tut. Le conseil que vous me donnez, lui dit Cliton, obtient ma reconnoissance ; mais l’aveu que vous me faites, corrompt la satisfaction [358] que je vais goûter à vous obliger. Quoi, Monsieur, vous aimez Araminte, & vous rougiriez de paroître l’aimer ? Quelle étonnante contradiction entre les sentimens & les idées ? Eh ! quel est donc le prix, dont ce monde, auquel vous vous immolez, paye le sacrifice que vous lui faites ! Le pénible & vain honneur d’être cité peut-il vous flatter assez pour emporter la préférence sur le plus doux plaisir de la vie ? Sans examiner le principe d’une gloire qui ne cesse d’être stérile, que parce que tôt ou tard elle produit des regrets : songez du moins qu’au milieu de ce tumulte, qui assourdit plus qu’il ne flatte, votre ame a des tourmens & n’a point de plaisirs. On ne peut être heureux, que par les sentimens d’un cœur rempli : le vôtre tourmenté par l’amour, n’en connoît que les injustices, & n’en éprouve que les douleurs. Je sçais qu’il est des ridicules brillans, qui par l’éclat qu’ils répandent. Se na-[359]turalisent presque d’eux-mêmes dans l’empire de la raison. Mais celui-ci n’est pas de ce genre ; il n’est même pas un ridicule ; il est plus que cela. Tout ce qui fait le malheur d’un cœur justement enflammé, est un crime dans celui qui s’en fait un amusement. Mais un objet plus frappant me fournit des réflexions plus victorieuses. Vous aimez votre femme ; son changement, dites-vous, seroit l’arrêt de votre mort. Si vous sentez ce que vous souffririez à la voir infidele, pourquoi vous privez-vous de son amour ! A quelles douleurs ne vous exposez-vous pas ! Eh, pour quelle gloire ! Mais je me trompe & je m’explique mal. Vous avez déjà toutes les douleurs que vous croyez braver. Vous êtes la victime d’une coupable séduction, & vous n’en êtes pas la dupe. Une foible illusion vous entraîne, une lumiere affreuse vous éclaire ; vous achetez un peu de fumée par des combats cruels, & vous vous efforcez [360] d’être injuste sans avoir même la ressource de l’erreur. Il faut, Monsieur, oser apprécier les suffrages d’un monde méprisable ; les comparer aux charmes d’une tendresse heureuse ; revenir à votre femme, l’aimer, le lui dire, mépriser. . . .Cela ne se peut point, répondit Saint-Isle, croyant penser ce qu’il disoit ; il faudroit que je me sauvasse dans mes terres, & ni mon rang, ni la haute fortune que j’attends, ne me permettent une pareille foiblesse. Monsieur, reprit séchement Cliton, le conseil que je vous donne est le seul qu’un homme d’honneur doive vous donner, & vous devez le suivre. Si vous vous refusez aux avantages que vous y trouveriez, j’oublie que vous m’avez parlé, & demain je suis aux genoux de votre femme.

Une si terrible menace, faite à un homme déjà jaloux, fixa son irrésolution. C’en est trop, lui dit-il, suspendez vos menaces ; elles sont inutiles [361] au succès de vos vœux ; vous m’avez éclairé par vos sages discours, & je me rends à la persuasion non moins qu’à l’amour. . . . ◀Racconto generale ◀Livello 4

Lettera/Lettera al direttore► « Avouez, mon cher ami, qu’il faut bien des façons pour faire rentrer un homme dans le chemin de la nature. Je vois une énorme barriere qui en ferme l’entrée, & une pépiniere de sentiers qui en détournent. O fatuité ! . . . .je ne sçais pas où notre siecle ira aboutir, mais pour bien des choses, il me semble presque arrivé à un terme fatal, après lequel il n’y a plus que la décadence . . . . Je continue toujours mes recherches. La peine n’est pas grande ; la futilité de ma séconde nation va si bien en croissant, que je n’aurai bientôt plus qu’à choisir entre l’impertinence & le ridicule. » ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

Il me semble que mon cher correspondant devient sérieux. Je crains de [362] lui avoir donné un emploi qui nuise à sa félicité. Quand le sérieux est dans le caractere, il ne nuit point ; on trouve en soi de quoi fournir aisément la somme de réflexions, de murmures, de gémissemens que la nature a exigée de nous en nous formant. Mais quand il est l’ouvrage des circonstances & du rolle dont on se trouve chargé, il devient très nuisible, & presque toujours nous mene à l’injustice par l’exagération. Cette métamorphose, dans mon ami, est naturelle, & pour son bonheur j’aurois dû la prévoir & la craindre : j’aurois dû penser qu’un homme qui est né pour rire de tout, n’est pas fait pour rien approfondir ; qu’un examen est un acte très-sérieux auprès d’un simple coup d’œil, & qu’il est tout simple qu’insensiblement nous prenions le caractere de nos fonctions. Cette réflexion ne sera point inutile à l’homme aimable qui me la fournit. Je l’avertirai du tort que sa complai-[363]sance lui a fait, j’exigerai qu’il se contente de peindre à l’avenir, & qu’il regarde la réflexion comme une écueil pour lui, & si enfin j’ai lieu de croire qu’il lui est impossible de raconter sans réfléchir, je le remercierai des secours qu’il me donne, & sçaurai préférer son bonheur à mon avantage. Metatestualità► Voici un homme qui n’est pas menacé de causer la même crainte à ses amis. ◀Metatestualità

Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► Monsieur le Spectateur,

Je lis vos feuilles, & deux ou trois morceaux que j’y ai trouvés, m’ont déjà mis au nombre de vos partisans. Mais je crois qu’en général vous êtes trop honnête homme. On a déjà bien des ouvrages estimables, Monsieur : ne pourriez-vous pas faire ensorte que les vôtre le fût un peu moins ? Je vous promets un zero de plus au nombre des certaines d’abandonnés que vous avez déja, si vous voulez vous relâcher un peu de la noble fureur de nous rendre [364] plus sages. Je vous dirai, pour mon intérêt propre, que les Socrates de tous les siecles n’ont pas produit dix honnêtes gens comme vous l’entendez, & c’est déjà une grande difficulté pour nous persuader qu’il faille le devenir. Car il en est des mœurs comme des maladies. Des maximes ne prennent non plus que des remedes, quand on est bien convaincu par leur inutilité générale, qu’elles ne peuvent produire aucun effet. Mais de plus, nous ne voulons pas devenir plus sages que nous ne le sommes ; notre parti est pris sur cela ; nous avons tout pesé, bien calculé ; nous trouvons que la sagesse mene à la réflexion, que la réflexion fait sortir mille crimes, mille coquins du sein de l’obscurité qui les cache, & c’est une si triste & si cruelle découverte à faire, qu’assurément il faut être bilieux & fou pour en être tenté. Mettez les plaisirs aimables à la place de ces monstres nouveaux ; réléguez ces dernies dans [365] un coin ignoré, où la dissipation & l’ivresse empêchent de les discerner, & répandez les autres sur la terre tout embellir. Croyez-vous que cette distribution ne fut pas un digne ouvrage de la raison, si elle prenoit la peine de s’en mêler ? Eh ! quel plus grand bien pourroit produire le systême le mieux raisonné. Croyez-moi, Monsieur, le monde tel qu’il est, est la machine la mieux d’accord & la mieux organisée qu’il y ait & qu’il puisse y avoir. La raison s’est quelquefois mêlée de faire des mondes ? Ah ! qu’ils étoient tristes, uniformes & maussades ! je vous épargnerai l’ennui d’un nombre infini d’hypotheses qui se présentent à mon esprit ; je n’aime point d’ailleurs à prodiguer vainement des secrets, & mes raisonnemens en ont le caractere, puisqu’ils me rendent heureux. Mais, Monsieur, j’offre de vous ouvrir tout le trésor de mon imagination, si vous voulez y puiser pour le bonheur de ceux qui ont [366] déjà le plaisir de vous lire. J’ai l’honneur d’être, &c. ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3 ◀Livello 2 ◀Livello 1