Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Le Nouveau Spectateur", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.1\001 (1758), S. 9-15, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1776 [aufgerufen am: ].


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LE NOUVEAU SPECTATEUR

Ebene 2► Ecrivons pour les hommes. Les seuls Ouvrages qui restent, après un certain temps, sont ceux que l’on a faits dans de solides desseins. Je crois qu'on peut être encore utile par les réflexions, malgré le ton que l’esprit a pris. Cet esprit n'est qu'un langage ; il affecte beaucoup d'incrédulité, beaucoup de mépris pour la raison. Il fait penser à ceux que les lueurs éblouissent, ou que les difficultés arrêtent, qu'on ne peut plus persuader la vérité. Mais fondons les intérieurs; donnons-nous la peine de pénétrer dans les ames, nous y trouverons encore la vérité bienfaisante, &, qui plus est, [10] nous la trouverons accompagnée du respect qu’elle inspire. . . Cela a été dit : il n'importe. Il faut le redire & l'écrire sans cesse. A force de répéter aux hommes qu'on les connoît, qu'on sçait leur secret, qu’on veut bien être traité par eux comme des déclamateurs, dans la certitude où l'on est que leur mépris n'est qu'un jeu, & qu'ils écouteront enfin, on les forcera à convenir de la nécessité d'une morale universelle, & dès-lors on verra le bien particulier découler de cette source générale . . . . Réfléchissons donc; oui, réfléchissons. Faisons-nous un bonheur inaltérable. La main des envieux n’a pas droit à tout ce qui nous flatte pour nous l'enlever. Nos pensées sont à nous, & nous vengent d’eux. Mais par où commencer ? L’univers est immense ; il étonne mes regards. Quand je volois sur les surfaces ; quand la main légere des plaisirs entraînoit mes pas errans, chaque tourbillon étoit [11] l’univers pour moi ; je voyois sans examiner, & je jouissois sans connoître ; mes idées voltigeoient avec mes desirs. Aujourd'hui que la Philosophie m'éclaire & répand pour moi sa lumiere sur la terre, je n'ouvre plus les yeux sans réfléchir ; je ne regarde plus sans distinguer, & mes regards font éclorre un monde nouveau. Monde infini, par rapport à notre vue bornée, montre-moi tour à tour tes objets ; ne crains point d'outrages de ma part ; tu peux souffrir l’examen, & je ne veux dire que la vérité. . . J’en étois là de ma préface, lorsqu’un de mes amis est entré. C’est un homme qui paroît ne faire attention à rien, parce qu'il est presque toujours rêveur, mais qui cependant sçait prendre la peine de réfléchir pour ses amis, & est capable alors de donner les meilleurs conseils. Il sçavoit que je me préparois à faire paroître l’Ouvrage que je commence aujourd’hui à publier. L’a-[12]mitié, plus que la curiosité, l’a porté à vouloir lire ce que j’avois déjà écrit, & je n’ai point fait le mystérieux, ni le modeste mal à propos. . . . Dialog► J’estime ce début, m’a-t’il dit après avoir lu ; on voit un honnête homme que le plaisir de la satyre ne tente point, & qui, en disant la vérité, se propose de n’offenser personne. Je parierois bien qu’on sera touché d’estime pour vous, en lisant vos sentimens dans ce début. Malgré cela, si vous me consultiez, vous feriez une autre préface. Pourquoi me le conseilleriez-vous ? lui demandai-je, dès que vous êtes content de celle-ci. . . . Oui, j’en suis content sans doute, répondit-il : mais je le serois beaucoup plus d’une autre, voulez-vous que je vous dise ? Une préface devroit être la confession d’un auteur ; & c’est ce qu’elle n’est pas. On y fait les plus belles promesses ; on y étale les plus beaux sentimens. C’est toujours pour l’intérêt du public [13] que l’on va travailler : mais ce public n’est pas dupe ; il sçait bien à quoi s’en tenir ; il n’a pas payé jusqu’à présent tous les livres qui ont paru, pour penser. . . . Je vous entends, mon ami, lui dis-je ; vous voudriez. . . . Ah ! si, je ne sçaurois jamais m’abaisser à ce point-là. Vous abaisser ? reprit-il : vous moquez-vous de moi ? L’aveu d’une chose que tout le monde sçait, ne doit jamais humilier, & peut beaucoup réussir. Et d’ailleurs, pourquoi cet aveu vous humilieroit-il ? Est-ce que votre motif a quelque chose de bas ? Tous les hommes travaillent pour de l’argent ; le militaire, le magistrat, l’orateur, le ministre même des autels. . . . En vérité, continuat’il, voilà une idée bien peu philosophique. . . . J’en conviens, lui dis-je : mais le préjugé n’est point ici condamné par la Philosophie. Je ne pourrois jamais faire cet aveu. D’ailleurs vous sçavez que mon goût m’a de tous [14] temps porté à m’occuper. En avançant en âge, je sens que je prends des rapports plus particuliers avec les hommes, & c’est réellement dans l’intention de leur être utile que j’entreprends aujourd’hui. . . . A la bonne heure que vous vous livriez à ces louables sentimens, reprit-il, je vous estime assez pour croire que vous ne les affectez pas : mais vous n’êtes certainement pas dans l’intention de renoncer à tout salaire ; vous n’êtes point riche ; vous avez des enfans ; il y a dix ans que vous êtes dévoué aux lettres, & cette passion estimable & malheureuse vous a privé d’une fortune pour laquelle vous étiez né. Il faut que le public sçache tout cela, que vous le lui disiez ; et croyez-moi, il vous sçaura gré de cette ingénuité louable ; il pensera que vous ne vous y livrez que dans la confiance la plus flatteuse pour lui. . . , Eh bien, lui dis-je, je conviens que vous avez raison : mais je ne [15] pourrois jamais écrire tout ce que vous me dites là, ni même tout ce que je pense. Je sens. . . . N’est-ce que cela, reprit-il, donnez-moi une plume & du papier, je vais vous en épargner la peine. . . . ◀Dialog

A ces mots il se mit à écrire. Il rioit en écrivant ; il s'interrompoit quelquefois, & me disoit : Ebene 3► Dialog► Je vous assure que cela reussira ; je connois le monde ; croyez que le cœur y donnera toujours le ton, quant d’honnête homme sçaura s’adresser à lui pour intéresser. ◀Dialog ◀Ebene 3 Il falloit qu’il fût bien convaincu de ce qu’il me disoit ; car sa plume alloit d’une rapidité inconcevable. Enfin, après qu’il eut fini, il me lut son griffonnage, & j’avoue, au hazard d’être moqué, que je n’y pus trouver rien à effacer. Il exigea que je le copiasse, & je cede à son imposante sécurité. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1