Metatestualità
En parcourant les derniers Paquets
des Lettres qu’on m’a écrites, j’ai trouvé celle qui suit.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
Mr. le Spectateur, « Votre
Feuille volante est une partie de mon Equipage de Thé,
& ma Femme de Chambre me connoît si-bien là-dessus,
que ce matin, lorsque je lui ai demandé à déjeuner, elle
m’a répondu que le Spectateur n’étoit pas encore venu ;
mais qu’elle l’attendoit à toute heure, & que l’eau
bouilloit dans le Chaudron. Après vous avoir ainsi
marqué l’estime & la vénération que j’ai pour vous,
je vous ferai souvenir du Catalogue de Livres que vous
avez promis à notre Sexe ; & je vous avertirai
d’ailleurs, que je n’ai pas voulu en admettre aucun sur
les Tablettes de mon Cabinet, jusqu’à ce
que vous aïez donné vos avis là-dessus à celle qui sera
toujours votre fidèle Ecoliere & très-humble
servante, » Leonore.
Pour répondre à ma belle Ecoliere, dont je me glorifie
beaucoup, je l’avertirai, aussi-bien que toutes les autres, qui
daignent s’entretenir de mes Speculations, que, depuis le tems
que j’ai imploré le secours des Personnes intelligentes pour
m’aider à former une Biblioteque propre aux Dames, j’ai reçu
diverses Lettres sur cet article ; mais je ne raporterai ici que
la substance des principales. Je mets dans la premiere Classe
celles qui me sont venues de la part de quelques Libraires
considérables, qui me parlent tous avec éloge des Livres qu’ils
ont imprimez, & par conséquent pensent plus à leur intérêt
qu’à celui des Dames. L’un me dit qu’il croit absolument
necessaire qu’elles aïent une idée exacte du Droit & de
l’Equité, & qu’elles ne sauroient choisir pour cela un
meilleur Livre que le Juge de la Campagne de Dalton : Un autre
compte qu’elles ne sauroient se passer du Parfait Maquignon : Un
troisiéme, qui prétend avoir observé que la Curiosité est
naturelle au Sexe, croit que cette inclination, bien ménagée,
pourroit leur devenir très avantageuse, & c’est pour cela
même qu’il me recommande Joseph Mede sur
l’Apocalypse. Un quatriéme pose comme une Verité incontestable,
qu’une Dame ne sauroit être accomplie, à moins qu’elle n’ait lû
les Traitez Secrets & les Négociations du Maréchal
d’Estrades Mr. Jacob Tonson, le jeune, croit que le Dictionnaire
de Mr. Bayle seroit fort utile aux Dames, pour leur donner une
connoissance universelle. Un autre, dont j’ai oublié le nom,
s’imagine que toutes les Femmes enceintes devroient lire
l’Histoire de Mr. Wall sur le Baptême des petits Enfans :
pendant que le sixiéme veut à toutes forces que je recommande à
tout le beau Sexe le dernier coup de Pinceau, ou Défense du
Gouvernement Patriarchal, &c. Je placerai dans la seconde
Classe les Livres, qui me sont indiquez par des Maris, ou ceux
du moins qui se disent tels. Quoi qu’il en soit, voici les
titres des Livres qu’ils me recommandent : Paraphrase sur
l’Histoire de Susanne. Régles pour l’observation du Carême. Les
Moyens de prévenir la ruine des Chrétiens. Raisons pour
dissuader les Gens d’aller à la Comedie. Les Vertus du Camphre,
avec des Avis pour faire du Thé camphré. Les Plaisirs innocens
de la Vie Rustique. Le Gouvernement de la Langue. Une Lettre
datée de
1Cheapside me prie d’avertir
toutes les jeunes Femmes de posseder à fonds l’Arithmetique de
Wingate, & l’Ecrivain met dans une Apostille, que je n’oublirai pas sans doute les Recettes de la
Comtesse de Kent. La troisiéme Classe de mes Correspondans &
Conseillers privez, sur cet Article, est celle des Dames, dont
une me prie de mettre Pharamond à la tête de mon Catalogue,
& de donner la seconde place à Cassandre, si je le trouve à
propos. Coquetille m’exhorte à ne m’aviser pas de clouer les
Femmes sur leurs genoux avec des Manuels de Dévotion, ni de se
griller le teint auprès du feu avec des Livres sur le Ménage.
Florella me demande s’il y a quelques Livres contre les Prudes,
& me suplie, en cas qu’il y en ait, de les mettre dans mon
Catalogue. Les Piéces de Théatre de toutes les sortes ont leurs
Avocates : J’ai plus de quinze Lettres, en faveur de celle qui
est intitulée : Tout céde a l’Amour. J’en ai une douzaine qui me
parlent de Sophonisbe, ou la Ruine d’annibal ; L’innocent
Adultere est une Piéce fort approuvée ; Mithridate, Roy du Pont,
a bien des Amies ; alexandre le grand & aureng-Zeb ont le
même nombre de voix, mais Théodose, ou la Force de l’Amour,
l’emporte sur toutes les autres. Enfin, je devrois specifier les
Livres, que des Savans, fort experts en ceci, me proposent,
& remercier en particulier celui qui se cache sous les deux
lettres A. B. de l’avis qu’il m’a donné là-dessus : Mais
l’entreprise, où je me suis engagé, me paroît si
difficile, que j’en renverrai l’execution jusqu’à ce que je sois
mieux instruit de ce que mes judicieux contemporains en pensent,
& que j’aye le loisir d’examiner tous les Livres qu’on me
recommande, resolu de ne rien déterminer, dans une affaire de
cette importance, qu’après une longue & mûre délibération.
Cependant, puisque les Dames font le principal objet de mes
soins, je ne plaindrai pas mon travail, pour tirer des meilleurs
Auteurs, anciens & modernes, tout ce qui peut leur être de
quelque usage, & l’accommoder à leur goût du mieux qu’il me
sera possible ; convaincu que les plus raisonnables d’entre
elles me pardonneront, si je me moque, de tems en tems, de ces
petites Foiblesses qu’on voit dans quelques-unes de leur Sexe,
& qui méritent plûtôt la Raillerie que la Censure. Un tel
Ouvrage est d’autant plus à propos, que la plûpart des Livres
sont écrits pour les Savans ; outre qu’il me semble, s’il m’est
permis de le dire, que les Dames ont beaucoup profité de mes
Speculations. Cela est si vrai, qu’il y en a déja nombre de plus
savantes que les petits Maîtres : J’en connois quelques-unes qui
parlent mieux que bien des Cavaliers, qui se donnent des airs au
Caffé de Guillaume ; & après avoir reçu plusieurs Lettres de
l’un & de l’autre côté, j’avoue que celles des premieres
l’emportent, non seulement à l’égard de la pensée mais aussi
pour l’ortographe. En un mot, ceci ne peut que
produire un bon éfet sur le beau Sexe, & le garantir d’être
charmé par ces Diseurs de rien, qui ont été jusques-ici
l’admiration des Dames, quoiqu’ils fassent le jouet ordinaire
des autres Hommes. Je sai de bonne part que Mr.
2Blateron passe pour
un Impertinent ; que Mr.
3Trippit commence
à se décrier, & que Mr. Doucet sera bien-tôt reconnu pour un
Faquin, si je continue à publier mes Discours. Tous ces
Messieurs & leurs semblables peuvent être assurez que je n’y
manquerai pas, & que mon dessein est d’exposer à la risée de
tout le monde ceux qui cherchent à seduire les Esprits foibles,
sous les fausses apparences de bel Esprit, de bon Goût,
d’Enjouement & de Galanterie ; prêt à fournir au beau Sexe
toutes les lumieres qu’il me sera possible, pour l’aider à faire
ces nouvelles découvertes. L.