Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "LXXXIII. Discours", in: Le Misantrope, Vol.2\042 (1711-1712), S. 338-348, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1741 [aufgerufen am: ].


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LXXXIII. Discours

Ebene 2► Zitat/Motto► . . . Turpe senilis amor. ◀Zitat/Motto

Zitat/Motto► Un Vieillard amoureux avec honte couronne

De mirtes verdoyans sa tête qui grisonne. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► J’ai tâché de faire voir dans un autre endroit, combien le badinage de la galanterie s’accorde mal avec la gravité bienséante d’un Vieillard. La foiblesse de vouloir encore faire l’agréable quand l’âge de plaîre est passé, seroit-elle plus pardonnable au Beau Sexe qu’au nôtre ? Pour moi je suis de cet avis, & voici sur quoi je fonde mon opinion. ◀Metatextualität

Il est certain que tous ceux qui se sentent, & dont les réflexions ont quelque retour sur eux-mêmes, se laissent emporter naturellement à quelque desir de briller proportionné à leur humeur. Les gens qui n’ont nulle envie de se distinguer parmi les hommes, [339] sont plutôt poussés par un instinct, que guidés par une ame raisonnable ; ils n’ont aucune vanité, & ils en sont d’autant plus dignes de mépris.

Or le desir de passer pour aimable, & de s’acquérir quelque réputation par ses agrémens, est celui qui fait les prémiéres & les plus agréables impressions dans les cœurs. Il est en quelque sorte essentiel à l’homme, puisqu’il est fondé sur le panchant des deux Sexes à s’unir ensemble par les liens de la tendresse ; panchant que la Nature nous a donné elle-même, comme absolument nécessaire à ses vues.

Dans la prémiére jeunesse, cette envie de plaîre peut être également forte chez l’un & l’autre Sexe : mais elle doit être naturellement de moindre durée dans le cœur d’un homme. A proportion qu’il avance en âge, il voit devant lui des occupations plus graves, qui excitent dans son ame des passions plus mâles que l’amour. Les Sciences, les Dignités, la Fortune, se saisissent de son esprit, elles demandent absolument tous ses soins, & ne lui laissent qu’à peine le loisir d’être amoureux.

C’est ainsi qu’à notre égard l’envie de plaîre, & l’âge où l’on peut y réussir, peuvent sans peine s’évanouir en même tems.

Il n’en est pas ainsi des Femmes : les Postes honorables, les Emplois éclatans n’ont aucune relation avec elles, & comme dit Ovide,

[340] Zitat/Motto► . . . Superest præter amare nihil.

Quod superest faciunt.

Aucun soin ne peut les distraire,
L’Amour est leur unique affaire ;
Et dans l’espoir flateur d’exciter des soupirs,
Se concentrent tous leurs desirs. ◀Zitat/Motto

On me dira peut-être, que le soin de leur ménage, & l’éducation de leurs enfans, devroient être plus que capables de les faire revenir de la bagatelle. Mais cette objection ne sauroit m’être faite que par quelque franc Bourgeois. Les Femmes de quelque chose n’entrent pas d’ordinaire dans ces minucies ; il n’y a rien de brillant dans ces devoirs roturiers, dont on suppose que les Méres de famille du plus bas ordre s’acquitent avec la plus grande exactitude. Ce n’est pas ainsi qu’on se distingue, qu’on brille dans le Monde. En réglant avec soin les affaires de sa famille, en donnant les prémiéres impressions de la Vertu à l’esprit tendre de ses enfans, une Femme ne s’attire ni adorateurs, ni jalouses ; on ne songe pas à elle, elle est civilement morte.

Pour avoir de la réputation, pour être l’objet des discours de tout le monde, il faut traîner par-tout une foule d’Amans ; il faut disputer aux plus illustres Coquettes, l’honneur d’avoir la cour la plus nombreuse, & les soupirans les plus soumis. Ajoutons qu’il est bien difficile de remplacer le plaisir par le devoir : une passion ne céde d’ordinai-[341]re qu’à une passion plus forte ; & l’on passe plus facilement d’une agitation à une agitation plus violente, que du trouble à la tranquilité. Les hommes, pour cesser d’être amoureux, peuvent aller de la tendresse à l’ambition ; mais les Femmes doivent aller de l’amour à la sagesse.

Cependant, s’il est plus naturel, & plus excusable au Beau Sexe qu’au nôtre de laisser survivre sa tendresse à ses attraits, il faut avouer aussi que cette folie est plus dégoûtante dans les Femmes qu’en nous. Il en est des Beautés de la Nature, comme de celles de l’Art : plus elles sont délicates, & plus elles sont sujettes à pâtir des ravages du tems : les charmes du Beau Sexe ont cette destinée. Ces traits si délicats & si finis s’altérent très facilement, & ces couleurs si vives & si brilantes ne sont pas longtems sans se ternir. Les agrémens des hommes ont plus de corps, pour parler ainsi, & se soutiennent mieux contre les attaques de la vieillesse. D’ailleurs ce n’est pas tant le visage qui rend les hommes aimables, que la juste proportion de leurs autres membres, qui est plus solide & plus durable que la fraîcheur du teint & la beauté des traits.

Une Femme qui se trouve dans la triste situation de voir que son visage & son cœur ne sont plus d’accord ensemble, tâche d’ordinaire d’y supléer par des ajustemens brillans, & de donner à ses habits cet air de jeunesse qu’elle a perdu elle-même : mais malheureusement la laideur attifée est plus laide [342] que la laideur simple ; & tous les ornemens dont se pare une Vieille, paroissent répandre de la lumiére sur ses attraits délabrés, & creuser davantage les rides de son front.

Zitat/Motto► La vive image du Printems

Qu’on voit régner sur ses ajustemens,
Ne fait que marquer davantage
Le portrait de l’Hiver gravé sur son visage. ◀Zitat/Motto

Il est vrai qu’on tâche d’y pourvoir par le fard, & qu’on étudie avec soin la science de répandre sur un visage décrépit l’éclat de la plus verte jeunesse. Mais c’est en-vain ; & pour me servir des paroles de la Fontaine,

Zitat/Motto► . . . Ses soins ne peuvent faire

Qu’elle s’échappe au tems, cet insigne larron.
Les ruïnes d’une maison
Peuvent se réparer. Que n’est cet avantage
Pour les ruïnes du visage ! ◀Zitat/Motto

On peut dire qu’une Femme âgée ne peut rien trouver de plus souverain pour s’enlaidir encore davantage, que le fard même qui imite le plus la Nature. Dans la laideur, qui est l’effet de la vieillesse, il y a du moins une certaine symétrie, & toutes les piéces s’y accordent : mais quand l’Art en efface une partie, le tout en devient plus choquant. Quelle ridicule disproportion ne voit-on pas sur un visage, quand on y remarque d’un côté le blanc le plus éclatant & le rouge le [343] plus animé ; & de l’autre, un front sillonné, des yeux battus & éteints, en un mot tout le reste de l’extrait batistaire que les gens d’âge portent d’ordinaire écrit dans tout leur air !

On diroit même que les vieilles Coquettes travaillent à donner un démenti à leur jeunesse peinte, en s’obstinant à découvrir une gorge, qu’elles devroient cacher avec tout le soin imaginable, pour peu qu’elles entendissent leurs intérêts.

En-vérité quand on voit un sein, jusqu’auquel la vue descend par des degrés que l’âge a taillés dans la peau, le cœur se glace, les desirs s’éteignent ; & l’amour qui pourroit naître encore dans les faux apas d’un teint emprunté, doit indubitablement trouver-là son tombeau.

Zitat/Motto► Une gorge qu’en sa vieillesse

On expose encor au grand jour,
Loin de m’inspirer de l’amour,
Ne me prêche que la sagesse. ◀Zitat/Motto

Un superbe Palais tombé en ruïne, une Ville fameuse qu’on cherche en elle-même, voilà des objets propres à faire naître des réflexions morales à tout le monde. Pour moi je me sens un desir invincible de moraliser à l’aspect d’un sein indocile, que les artifices les plus rafinés de la coquetterie, tâchent en-vain de redresser : je ne fais jamais des réflexions plus sérieuses qu’alors, sur l’instabilité des choses humaines, & sur le cruel empire [344] que le tems exerce sur les plus beaux Ouvrages de la Nature. Les pauvres Dames feroient certainement mieux de nous épargner ces sujets de Morale ; & elles seroient plus finement coquettes, si elles étoient plus modestes.

Certaines Vieilles ont trouvé un autre secret de donner du dégoût aux hommes, elles prétendent se farder par de petites maniéres jeunes :

Zitat/Motto► Et se mêlant à la vive jeunesse,

Avec leurs tons de voix & leurs ris enfantins,
Elles logent les jeux badins
Dans les rides de la vieillesse. ◀Zitat/Motto

Elles vont à tous les Bals, & ne manquent jamais cette occasion de donner des preuves de leur vigueur ; qui plus est, elles ont un Maître à danser. Le moyen de leur disputer la jeunesse après cela ? il faudroit être ridicule au dernier point, pour aller croire qu’une Femme qui aprend à danser puisse avoir soixante ans.

Je connois d’autres Coquettes surannées, qui veulent briller dans les plaisirs de la Table, & qui par le secours de la bouteille prétendent ranimer leurs apas ?

Zitat/Motto► Hélas ! cette liqueur traîtresse,

Bien loin de les ressusciter,
Au contraire en leur cœur ne sauroit qu’augmenter
Le feu de la tendresse :
[345] Mais elle a beau redoubler leur foiblesse,
Personne n’en peut profiter. ◀Zitat/Motto

Il y en a encore qui tâchent de venir au secours de leurs apas surannés par des paroles libres & par des équivoques, dont la gaillardise va quelquefois jusqu’à l’impudence. Elles espérent émouvoir le cœur d’un jeune homme, & elles aiment mieux se faire un Amant par des moyens si honteux, que de n’en avoir point-du-tout.

Ces sortes de discours ont très mauvaise grace dans la bouche des Femmes de tout âge : mais les entendre tenir à une Femme d’âge, c’est prendre un vomitif par les oreilles, pour peu qu’on ait de délicatesse dans les sentimens.

Zitat/Motto► Femme qui veut échauffer nos esprits

Par des discours pleins d’impudence,
Nous ôte bien l’indifférence ;
Mais c’est pour la troquer contre un profond mépris. ◀Zitat/Motto

Il arrive que des Femmes qui n’ont pas senti cette passion, dans le tems qu’elles étoient propres à nous l’inspirer, commencent à se livrer à l’amour, quand on ne sauroit plus se résoudre à le partager avec elles. Dans leur printems elles étoient entiérement occupées du plaisir de se voir idolâtrer par les hommes ; leur unique passion étoit l’orgueil ; & tant que le nombre & le mérite de leurs Soupirans ont donné de la nourriture à leur vanité, leur ame a été satisfaite, il [346] n’y a point eu de vuide dans leurs desirs. Mais quand l’âge survenant peu à peu a fait défiler les Amans, leur cœur s’est réveillé tout d’un coup de sa létargie, & les hommes leur sont devenus précieux à mesure qu’ils leur sont échappés :

Alors l’Amour rusé, pour punir leurs rigueurs,

Déloge de leurs yeux pour loger dans leurs cœurs.

Horace trouve si grand ce malheur d’une Femme que le tems a privée de sa beauté, cette chére partie d’elle-même, qu’il trouve fortunées celles que la mort dérobe à cette disgrace, voici comme il s’en explique.

Zitat/Motto► O que ta mort est glorieuse,

Amarilis, à qui la Parque officieuse
A sauvé par un promt trépas,
Le chagrin de survivre à tes rares apas !
De mille Amans victorieuse,
Tes yeux ne lancérent jamais
La moindre œillade infructueuse :
Et sans souiller ta destinée heureuse,
Le tems faucha d’un coup tes jours & tes attraits. ◀Zitat/Motto

Celles qui n’ont pas une vie si illustre & si courte, achettent souvent un jeune Mari pour leur derniére ressource, & donnent par-là la preuve la plus éclatante de leur foiblesse & de leur extravagance.

[347] Une Vieille qui se résoud à un mariage de cette nature, fait indubitablement une plus grande folie, qu’un homme qui dans un âge avancé épouse une jeune Fille. Il peut avoir des raisons qui lui rendent un tel hymenée nécessaire en quelque sorte ; & le desir légitime de perpétuer sa race, a souvent engagé des hommes fort sages dans un tel dessein. Les Femmes d’âge ne sauroient pallier leur ridicule de cette raison spécieuse ; & par un mariage si mal assorti, elles font seulement un aveu public de leur incontinence. A quels troubles d’ailleurs, à quelle foule de chagrins ne s’exposent-elles pas ? Elles voient d’ordinaire un jeune Epoux employer leurs richesses à faciliter ses amours illicites, & se servir ainsi du prix de son infamie, à se dédommager avec ses Maîtresses des dégoûts que lui donne sa Femme. Et quand même une Femme de ce caractére trouveroit une espéce d’honnête-homme, qui, incapable de lui donner son cœur, veut bien y supléer par de la complaisance, elle ne laisse pas d’être bien malheureuse. La juste défiance qu’elle a de sa beauté, la doit jetter naturellement dans la jalousie ; & l’on sait combien cette passion est furieuse, & à quel point elle déchire une ame dont elle s’est saisie. Elle cause surtout de funestes desordres dans les esprits foibles ; & les qualités de Femme & de Vieille, ne sont que trop bien assorties avec cette cruelle maladie du cœur. On ne sauroit dépeindre comme il faut le malheur d’une Femme qui se fait une étude de s’inquiéter, & qui cherche du venin dans toutes les actions d’un [348] malheureux Epoux, qui dans le fond souffre encore moins de sa rage, qu’elle n’en souffre elle-même.

Zitat/Motto► « Elle ira tous les jours dans ses fougueux accès,

A son rire, à son geste, intenter un procès,
Souvent de sa maison gardant les avenues,
Les cheveux hérissés l’attendre au coin des rues ; »
Et son cœur agité nourrira tour à tour
L’amour par la fureur, la fureur par l’amour.  ◀Zitat/Motto ◀Ebene 2 ◀Ebene 1