Sugestão de citação: Justus Van Effen (Ed.): "LXXXII. Discours", em: Le Misantrope, Vol.2\041 (1711-1712), S. 329-338, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1740 [consultado em: ].


Nível 1►

LXXXII. Discours

Nível 2► Metatextualidade► Ceux qui n’aiment pas à entendre parler de la Mort, feront bien de ne pas lire ce Misantrope-ci ; j’ai résolu d’en parler beaucoup. ◀Metatextualidade Ce n’est pas d’aujourd’hui que ce terme est insupportable aux hommes ; il a presque passé de tout tems pour une expression de mauvais augure. Les Anciens [330] l’évitoient avec soin, & dans leurs discours les hommes ne mouroient jamais, ils cessoient d’être, ils vivoient leur dernier jour, ils sortoient de la vie, &c. En un mot, ces Anciens ménageoient extrêmement leurs phrases sur cette matiére, comme si en adoucissant leurs expressions, ils rendoient aussi moins rude la triste nécessité qu’elles exprimoient. Les Philosophes Payens sentoient facilement combien la certitude du trépas devoit répandre d’amertume sur la vie ; ils voyoient qu’elle ne pouvoit que troubler leur tranquilité, & empoisonner tous leurs plaisirs. C’est pour cette raison que tous leurs différens Systêmes se réunissoient tous à familiariser les hommes avec l’idée de la mort, & à leur faire regarder cette redoutable ennemie sans cligner les yeux.

Leurs raisonnemens trop vagues sur l’immortalité de l’Ame, étoient peu propres à produire de pareils effets. Il leur étoit nécessaire d’appuyer leurs considérations métaphisiques sur quelque chose de plus réel & de plus sensible.

Ils apelloient donc à leur secours les infirmités de la Nature humaine, & les miséres inséparables même de la vie la plus heureuse ; ils employoient toute la force de leur éloquence à les dépeindre d’une maniére vive ; & travailloient ainsi à détacher les hommes de la partie la moins excellente d’eux-mêmes, comme d’un objet indigne de leur amour. Malheureusement l’ame a beau être convaincue de ces vérités, elle n’en est pas touchée ; & ce corps, [331] pour être si imparfait n’en est pas moins sien,

Citação/Divisa► Guenille tant qu’on veut, ma guenille m’est chére. ◀Citação/Divisa

Il n’y a que l’assurance d’une meilleure vie à venir, qui puisse nous faire renoncer sans regret à la vie présente : & les Sages du Paganisme, incapables de fonder cette assurance sur une base solide, y supléoient par des maximes hardies, & par des paradoxes outrés. Ils étonnoient la Raison au-lieu de la convaincre. La vie, selon eux, ne doit être considérée que comme un festin, duquel on sort après être rassasié. Ils louoient comme le plus glorieux effort de la Vertu, la hardiesse, non pas d’attendre le trépas, mais d’aller à sa rencontre, & d’ôter à la Nature qui nous a donné la vie, le droit de nous en priver.

Ils vouloient faire ressembler leurs Sectateurs à ces Soldats mal assurés, qui n’osent pas attendre l’ennemi dans le poste que leur Général leur a assigné : la vue du péril les trouble, ils perdent l’usage de la raison, & se précipitent dans le feu à force de le craindre.

Ces préceptes n’étoient dans le fond capables que d’éblouir certains esprits impétueux, qui aimoient mieux les sentimens extraordinaires & surprenans, que les opinions sensées & raisonnables. Mais d’autres Philosophes, qui examinoient cette vertu prétendue de sens rassis, en ont facilement compris la foiblesse & le ridicule.

[332] Ils ont vu qu’en se donnant la mort à soi-même, on donne des preuves plus sensibles de lâcheté que de courage ; que c’est se dérober aux attaques de la Fortune, faute de les oser attendre ; que c’est se défier de sa fermeté, & s’enfuir sur le point du combat ; enfin, que souvent c’est apeller la mort au secours contre elle-même. En effet, la plupart de ces Héros imaginaires se sont donnés la mort, de peur qu’un autre ne la leur donnât.

Citação/Divisa► Et de leur propre main recevant le trépas,

Ils sont morts pour ne mourir pas. ◀Citação/Divisa

Il est sûr même qu’en réfléchissant sur la maniére dont plusieurs d’entr’eux ont fini leur vie, on remarque que la peur seule a été le principe d’une action si hardie en apparence, ou du moins qu’on ne sauroit la raporter qu’à une source tout aussi impure. Scipion, par exemple, Général des Troupes de Pompée en l’Afrique, ne s’acquita dans la bataille que lui donna Jules-Cesar, ni du devoir de Général, ni de celui de Soldat. Il s’enfuit après une très légére résistance ; & au-lieu de périr les armes à la main, & de partager, tout vaincu qu’il étoit, la gloire du combat avec son Vainqueur, il se tua dans la fuite & cacha dans les ténébres de la mort la honte de sa défaite.

Othon, le plus lâche & le plus efféminé des hommes, quoiqu’il fût à la tête d’une bonne Armée, & qu’il ne tînt qu’à lui de vaincre Vitellius, ou de mourir glorieuse-[333]ment, aima mieux se percer le cœur dans son lit. L’idée du combat lui parut plus affreuse que celle de la mort ; son indolence & sa mollesse lui donnérent un air de constance, & sa peur se couvrit du masque de l’intrépidité.

La mort de Caton d’Utique est une des plus brillantes dans ce genre. Montagne, qui raisonne plus par sentiment que par principe, croit que la gloire n’en étoit point le motif, & que cependant ce grand-homme puisoit un plaisir très vif dans la haute vertu qui le poussoit à cette action éclatante. J’aurois souhaité que cet Auteur eût un peu développé le principe de vertu auquel il attribue la mort de Caton. Pour moi je ne vois que l’orgueil & l’opiniâtreté, dont elle puisse découler ; car il est sûr que cette grande ame étoit inaccessible à la crainte. Il ne vouloit pas survivre à la République, dira-t-on, & Caton avoit meilleure grace de cesser de vivre, que de ne pas vivre libre. Voilà qui est admirable dans une déclamation, mais rien n’est plus creux devant le tribunal du Bon-sens. Ce Romain, si je l’ose dire, ne connoissoit pas assez ni sa Patrie, ni Cesar, ni soi-même. Ce qu’il pouvoit faire de plus pernicieux pour la République, & de plus utile pour la Tirannie, c’étoit de se donner la mort. Si Caton, seul & desarmé, étoit allé trouver Cesar après la mort de Pompée, son air sévére auroit été capable de faire trembler ce Maître du Monde à la tête de ses Troupes victorieuses. Je doute fort que ce Vainqueur qui osoit tout, eût pour-[334]tant jamais osé mettre la main sur un homme dont tous les différens Partis respectoient également la justice & l’intégrité. Il l’auroit vu par-tout, comme un pédagogue rude & inflexible, contrôler ses actions & traverser ses entreprises. Enfin, après la mort de Cesar, Caton seul étoit capable de remettre Rome en liberté ; & il valoit bien mieux ressusciter la République, que de s’ensévelir avec elle. Mais l’inébranlable Caton avoit fait le projet de s’opposer à l’usurpation de Cesar, & quand la Destinée eut trahi une entreprise si belle, sa constance se changea en opiniâtreté. Ne pouvant pas forcer la Fortune à favoriser le Parti le plus juste, il aima mieux perdre la vie que de changer de mesures, quoiqu’en s’accommodant au tems, il eût pu rendre des services signalés à sa Patrie. Il ne mouroit pas tant pour ne pas survivre à la République, que pour ne pas survivre à son projet que le Sort venoit de renverser. D’ailleurs, il haïssoit autant le Tiran que la tirannie ; & par un principe de fierté & d’orgueil, il préféroit la mort au malheur d’avoir de l’obligation à son ennemi.

Enfin, quand on creuse par la réflexion dans la maniére de mourir de ce grand-homme, & de ceux qui lui ont ressemblé, au-lieu de fermeté, de courage & de grandeur d’ame, on n’y découvre que bassesse, orgueil & petitesse d’esprit. On se voit forcé de confondre la fin de ceux dont on a tant respecté la vertu, avec celle de ces misérables, qui condamnés à mourir pour leurs cri-[335]mes, divertissent par leurs turlupinades les Bourreaux & les Spectateurs, & paroissent insulter la mort par leurs railleries. Est-ce par fermeté qu’ils en agissent ainsi ? Point du tout. Toute la force de leur esprit consiste à se rendre foux de gayeté de cœur, & à dérégler leur imagination, pour la rendre inaccessible à l’idée de la mort & des horreurs qui la doivent suivre.

Pour nous autres Chrétiens, une Révélation Divine étant venue au secours de notre raison, nous a donné une assurance certaine d’un avenir heureux, par laquelle nous pouvons attendre la mort sans crainte, & passer la vie sans inquiétude. Pour nous mettre en possession de cette assurance consolante, nous n’avons qu’à observer certaines loix, qu’il est même de notre intérêt temporel d’accomplir. Elles ont en vue notre santé, la tranquilité de notre esprit, & notre union avec les autres hommes ; & l’on peut dire qu’elles nous obligent à être heureux dans cette vie, pour l’être encore davantage dans une vie sans bornes. Les Payens ont tâtonné après ce Systême, qui est échappé à leurs recherches : & nous à qui il est offert, nous en rejettons la salutaire évidence ; nous aimons mieux, à l’imitation des Payens les moins sages, nous affranchir de la frayeur de la mort, en en bannissant la pensée de notre esprit par une dissipation continuelle.

Jettons les yeux, par exemple, sur la conduite de Biophile : c’est un homme enivré des faveurs de la Fortune, ses plaisirs ne [336] sauroient épuiser sa richesse, il se fait une étude de les varier & de les rendre piquans ; il renferme tous ses desirs dans la vie présente, & ne daigne pas seulement examiner s’il y en a une autre ou non. Ses adorateurs n’osent pas prononcer le terme de mort devant lui : échappé par hasard à quelqu’un, il est capable de rendre un homme si indiscret, odieux à ce délicat Epicurien. Il faut se garder sur-tout de parler en sa présence des ravages que fait la Peste dans les Pays voisins, & de la rapidité dont elle aproche des bornes de notre Patrie. S’il chasse ses domestiques, ce n’est pas qu’ils soient indociles, négligens, infidéles. Ce sont des misérables qui ont osé avoir la fiévre chez lui. Il ne veut pas que les maladies se donnent la licence d’entrer dans sa maison. Malheureusement elles ne respectent point ses ordres, & c’est bien à lui-même qu’elles ont l’insolence de s’attaquer. C’en est fait, les Médecins desespérent, & il faut bien qu’à la fin il entende parler de la mort, quand il s’agit de lui-même. Il est étourdi du coup. Que la Nature est injuste ! Elle va l’arracher à ses flateurs, à ses plaisirs, à ses trésors. Biophile fait enfin un effort sur le trouble qui l’avoit saisi ; le tems qui lui reste est précieux, & il se résoud à le bien employer. Il fait venir un Notaire, pour rendre autentique la disposition qu’il va faire de ses biens immenses. Sa présence d’esprit n’est-elle pas admirable dans une si fâcheuse conjoncture ? Il fait son testament avec toute la précaution, & toute l’étendue imaginable. [337] Ses biens doivent aller d’abord à une telle branche de sa famille. Si les mâles viennent à y manquer, ils doivent passer à une autre, & de celle-là encore à une autre : il songe à ses descendans, à ses collatéraux, & à toute leur postérité. Un grand nombre de Siécles doit s’écouler, avant que sa derniére volonté n’influe plus sur ses richesses. Il se tranquilise après s’être déchargé d’un soin si important ; son esprit accompagnera sans doute ses trésors dans toutes leurs différentes révolutions, & il goûtera encore la satisfaction d’en être l’arbitre longtems après son trépas.

Retrato alheio► Cléone n’emploie pas d’une maniére moins judicieuse, les derniers momens de sa vie. Elle fait un ample catalogue de toutes les parties qui doivent composer la magnificence de son enterrement, elle en régle la dépense avec une exactitude surprenante. Le linge le plus propre doit couvrir son cadavre, & avant que de le mettre dans le cercueil, on aura soin qu’il soit mollement couché sur le duvet. Elle veut vingt-quatre carosses, & un grand nombre de flambeaux pour éclairer la fête la plus brillante. Enfin, elle n’oublie rien, elle songe à spécifier la moindre bagatelle. Après avoir de cette maniére épuisé un reste de force, elle se repose d’un esprit content & satisfait. N’a-t-elle pas raison ? la mort n’a plus rien d’effrayant pour elle ; elle se verra bientôt dans un cercueil de plomb, couvert d’un riche velours. Sa pompe funébre remplira des rues entiéres ; toute une Ville accourra à un [338] spectacle si magnifique ; & mille personnes, pleines de santé, lui envieront indubitablement des funérailles si pompeuses. Il est bien sûr que malgré le sort ordinaire des cadavres, elle jouira du plaisir d’être enterrée avec tant de distinction, & que son esprit sera sensible aux honneurs qu’on va faire à ce corps, dont elle a toujours fait ses seules délices. ◀Retrato alheio ◀Nível 2 ◀Nível 1