Citazione bibliografica: Justus Van Effen (Ed.): "LXXIX. Discours", in: Le Misantrope, Vol.2\038 (1711-1712), pp. 303-312, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.3757 [consultato il: ].


Livello 1►

LXXIX. Discours

Livello 2► Metatestualità► Dialogue entre Mercure & le Misantrope. ◀Metatestualità

Dialogo► Le Misant. D’où vient donc le Seigneur Mercure, chargé de la sorte ? Aparemment que vous venez porter les Billets-doux des Habitans des Cieux aux Grisettes de la Terre : car vous fûtes toujours l’Intendant des plaisirs de ces Messieurs-là.

Merc. Eh ! d’où venez-vous vous-même, mon Ami ? Il y a longtems que j’ai renoncé à cet emploi. Il y avoit quelque chose à faire autrefois, en facilitant les amours des grands Seigneurs ; c’étoit même la route la plus abrégée de la Fortune. Mais à présent il n’y a pas de l’eau à boire.

L. M. Quelle peut être la cause de ce changement ?

M. C’est qu’au tems jadis il falloit pour gagner le cœur des Filles, de l’intrigue, de l’éloquence, en un mot toutes les qualités dont les Poëtes me font présent. Mais depuis que le Sexe est au dernier enchérisseur, les talens de Mercure ne sont point nécessaires pour faire ce commerce avec succès. Jupiter même auroit beau prendre la figure de toutes sortes d’animaux, à moins que ce ne fût celle d’un riche Juif, toutes [304] ces métamorphoses ne lui serviroient de rien pour conduire heureusement ses tendres entreprises.

L. M. De quoi vous mêlez-vous donc à présent ?

M. Je suis depuis plus de quarante ans Garçon Libraire pour vous rendre service.

L. M. Un Dieu de votre qualité, Garçon Libraire ! vous vous moquez de moi.

M. Garçon Libraire, vous dis-je ; mais Garçon Libraire de distinction. Il vaut mieux être grand dans un petit emploi, que petit dans un grand. Je suis de l’humeur de César, voyez-vous ; il aimoit mieux être le prémier dans une bicoque, que le second à Rome. C’est moi qui porte chaque mois, par tout l’Univers, un Recueil de Nouvelles & de Piéces d’esprit, les meilleures que je puis trouver ; & pour peu que vous soyez curieux, je vous montrerai ma marchandise d’à-présent.

L. M. Vaudra-t-elle la peine d’être vue ?

M. Vous en jugerez. Voilà d’abord des Avantures véritables, arrivées exprès pour augmenter mon Recueil. Voici de vieilles nouvelles auxquelles on a donné le bon tour ?

L. M. Qu’apellez-vous le bon tour ?

M. Diantre ! c’est de faire une rencontre d’une bataille, & une bataille d’une rencontre, selon l’exigence du cas. Voici en-[305]core des Enigmes, qui sont quelquefois si bien Enigmes, qu’il n’y a que l’Auteur qui puisse les deviner. Regardez bien ceci : ce sont des descriptions de Pompes funébres, où tout est rempli d’écussons, de tapis, de pavillons, de festons, de pilastres, & de girondelles.

L. M. « Ce ne sont que Festons, ce ne sont qu’Astrogales. »

Votre Livre est bien meublé, à ce que je vois.

M. Je vous en répons. Aimez-vous les Chansonnettes ? en voici à choisir. Il y en a de tendres, il y en a à boire, à dormir même. Celles qui sont bonnes ne sont pas trop nouvelles, & celles qui sont nouvelles ne sont pas trop bonnes : les moins goûtées pourtant ne sont pas celles qui ont pour elles la nouveauté.

L. M. Je n’en doute aucunement ; il y a même de l’aparence que la Vertu & la Raison ne sont si peu estimées dans le monde, que parce qu’elles sont vieilles. Mais vous ne débitez que de la bagatelle, ce me semble.

M. Qu’apellez-vous de la bagatelle ? ne voyez-vous pas ces grandes Piéces de Littérature ? cela est bien sérieux au moins.

L. M. En effet, voilà de la bagatelle sérieuse. Mais permettez-moi de vous dire que ceux qui lisent votre Ouvrage ne s’entendent guéres en Litérature, & que ceux qui s’entendent en Litérature ne lisent guéres votre Ouvrage.

M. Tant pis pour eux s’ils ne le lisent pas. Vous voudriez par la même raison [306] exclure encore de mon Recueil, la Physique, la Botanique, & la Chimie : mais quand ce ne seroit que pour varier les matiéres, je trouve tout cela d’une grande utilité.

L. M. Pour occuper de la place, n’est-ce pas ? Mais voilà des Vers, ce me semble ; sont-ils jolis ?

M. Je n’en répons point, ce n’est pas mon Maître qui les fait tous ; & comme ce Livre paroit tous les mois, on prend ce que l’on trouve.

L. M. Je vous entens. Aussi-bien le nombre des bons Poëtes est un peu diminué en France, depuis que la Guerre a tari la source des Pensions ; & Plutus inspire bien autant de bons vers, qu’Apollon.

. Mais vous qui vous donnez aisni les airs de censurer tout, quel homme êtes-vous, s’il vous plaît ?

L. M. Je suis l’Auteur du Misantrope : vous devez connoître cette Piéce-là.

. Il est vrai ; mais il faut être Mercure pour la connoître, & votre réputation est aussi obscure que votre stile. Il n’y a rien qui soit goûté universellement dans tout ce que vous avez écrit, que votre début. Peste soit du Titre & de l’Auteur ! C’est bien le moyen de plaîre, morbleu ! que de se faire un plan général de blâmer tout ce que les autres aprouvent, & d’aprouver la plupart des choses qu’ils blâment.

L. M. C’est que les hommes n’ont pas le [307] sens-commun ; & si vous aviez vu ce que j’ai écrit là-dessus.

M. Je ne l’ai que trop vu de par tous le diantres. Cette Piéce seule suffit pour décrier tout ce que vous écrirez de vos jours. C’est quelque chose de fort divertissant pour un Lecteur, de voir qu’on lui soutient en face, que tous ses sentimens & toutes ses actions sont autant d’extravagances.

L. M. Mais il me semble que je le prouve en forme : vous avez trop d’esprit pour n’en pas convenir.

. Tant pis, si vous le prouvez. Savez-vous, Monsieur le raisonneur, que la Raison est une insolente, qui ne sait pas son monde, & qui, pourvu qu’elle suive je ne sai quels principes, prétend avoir le privilége de rompre en visiére à tout le Genre-humain ?

L. M. Si les hommes ne veulent pas que la Raison dévoile leur ridicule & leurs vices, ils peuvent facilement l’éviter. Qu’ils se corrigent.

M. Qu’ils se corrigent ! vous me feriez rire. Lit-on pour se corriger ? Un Livre est un amusement qu’on prend quand on est las d’autres plaisirs. Et lire, c’est se dissiper plus modestement qu’on ne fait dans le tumulte des Sociétés.

L. M. Si le Siécle est assez perverti pour ne goûter que la fadaise, & pour dédaigner tout ce qui peut le rendre meilleur, je me contente de faire mon devoir, & de ne rien négliger pour désiller les yeux à des a-[308]veugles qui se plaîsent dans leur aveuglement ;

M. Vous parlez comme un Caton. Mais songez-vous que vous commencez à augmenter le nombre de ces Barbons que vous traitez si cavaliérement ? & que votre Ouvrage n’est qu’un composé desagréable de l’aigreur de votre bile & des glaces de votre esprit. Il vaudroit autant, à votre âge, affronter tous les écueils de l’hymenée, que d’entreprendre de corriger la sottise du Genre-humain. Il faut bien un autre Alcide que vous pour domter cette hydre, dont on ne sauroit abattre une tête, sans en voir renaître mille à la place. Vous ne serez jamais goûté, c’est moi qui vous le dis.

L. M. Tout Misantrope que je suis, j’ai meilleure opinion des hommes que vous. .On a dans le fond autant de raison à-présent que jamais ; & il y a une relation si naturelle entre la Raison & la Vérité, qu’en n’exposant que des vérités à l’esprit des humains, on peut espérer avec fondement de ne leur être pas desagréable.

M. Vous ne connoissez guéres les hommes, vous qui vous piquez de les avoir étudiés à fond. On se ruïne à coup sûr dans leur esprit avec la vérité ; & le chemin le plus abrégé de parvenir dans le monde, c’est l‘art de mentir avec adresse.

J’ai ici une Chanson qui convient le mieux du monde à ce sujet, sur l’Air, Ce n’est qu’une médisance.

[309] Quand les Princes rafinez

Savent mener par le nez
Un Voisin sans défiance ;
Quand leur souple conscience
Se prête à l’utilité ;
S’ils augmentent leur puissance,
Est-ce par la Vérité ?

Quand la fleur des Partisans,
Qui fut gueux il y a dix ans,
Se trouve dans l’opulence ;
Quand il sait par sa Finance
Se faire de qualité,
Pour éviter la potence,
Est-ce par la Vérité ?

Quand d’un Roi les Favoris,
Couvrent ses vices chéris
Sous un voile d’innocence ;
Si par cette manigance
De leur Protecteur gâté
Ils partagent l’opulence,
Est-ce par la Vérité ?

Quand un habile Avocat
Sait duper un Magistrat
Par le far de l’éloquence,
S’il étonne l’audience,
Et sait vers l’iniquité
[310] Faire pancher la balance,
Est-ce par la Vérité ?

L. M. Il n’est pas étonnant que le Dieu des Mensonges se déclare contre la Vérité.

M. Vous faites des Vers à ma louange, sans le vouloir apparemment ; & ce n’est pas un petit titre, que celui du Dieu des Mensonges. Mais supposez que la Vérité fût moins odieuse qu’elle n’est, il est toujours sûr que vous avez pris très mal vos mesures pour faire réussir votre Ouvrage. Peut-être auroit-il eu quelque bonté, si vous l’aviez fait imprimer à Paris, & que de-là il se fût répandu dans les Provinces & dans tous les endroits où l’on parle François. Mais d’entreprendre d’écrire bien hors de Paris, & qui pis est en Hollande, c’est ignorer que le Bel-Esprit est un droit attaché à la Capitale de France, & que tous les Auteurs sortent de leurs Provinces pour faire éclôre leurs productions dans une Ville qui a de si beaux priviléges.

L. M. A vous entendre parler, il semble que l’esprit ressemble aux fruits, à qui il faut un certain air, & un certain terroir pour être d’un goût excellent. Se peut-il une pensée plus extravagante ?

M. Vous prenez la chose trop à la lettre. N’est-il pas vrai qu’on trouve certains fruits délicieux, & certains vins exquis, parce qu’on se persuade qu’ils sont d’un tel terroir, ou d’un tel côteau ? Il en est tout de même des productions de l’esprit. Il ne [311] s’agit que de satisfaire l’imagination des Lecteurs.

Vous n’aviez qu’à donner votre Misantrope pour un Ouvrage venu de France, fait par Mr. … de l’Académie Françoise. Tout le monde y auroit couru comme au feu, & ç’auroit été un crime de léze-bon-goût de ne le pas admirer. Un titre de cette force rend le débit d’un Livre indubitable, sur-tout dans les Pays étrangers, où l’on est dans le véritable point de vue pour regarder l’Académie avec admiration.

L. M. Je serois bien fâché de plaîre à des admirateurs de ce genre, je me ris de leurs sottes décisions, & je ne prétens surprendre les suffrages de personne. Si je veux plaîre, ce n’est que par le mérite qui est réellement dans mes productions, & non par celui qui ne subsiste que dans l’imagination d’un Lecteur prévenu.

M. J’aime fort votre fierté misantropique : mais songez-vous qu’à ce compte-là il vous est absolument nécessaire de renoncer au plaisir d’être lu, ou bien de guérir le Genre-humain de ses préjugés ? Ce seroit une belle cure en-verité. Mais par malheur c’est vouloir prendre la Lune avec les dents. Les remédes ne servent qu’à aigrir un mal aussi invétéré que celui-là. Croyez-moi, il faut traiter les hommes commes des malades incurables. Au-lieu de les importuner par des remédes aussi desagréables qu’inutiles, il faut laisser agir la Nature & le Hasard, & qu’ils guérissent s’ils veulent. Adieu. Profitez de mes conseils. Je dois cher-[312]cher ici des Additions, & puis partir au plus vite.

L. M. C’est bien quelquefois la meilleure piéce de votre sac que ces Additions, pourvu que l’Alchimie ne vienne pas nous y alambiquer le cerveau. Mais je serois fâché de vous retenir. Vous avez un grand voyage à faire, & les mauvais Plaisans disent que vous ne battez plus que d’une aile. ◀Dialogo ◀Livello 2 ◀Livello 1