Le Misantrope: LXII. Discours
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LXII. Discours
Livello 2
Quand j’étois à la fleur de mon âge je
me divertissoit extraordinairement à la Foire de la Haye, dont
j’attendois le retour avec impatience. Je me plaîsois sur-tout à
y voir les Personnes de Distinction des deux sexes, assemblées à
une certaine heure du matin, pour donner & pour recevoir des
présens. Si on ne donnoit pas toujours des choses estimables par
leur valeur, du moins troquoit-on de ces jolies bagatelles dont on peut tirer quelque usage ; & les
Dames étant masquées ne se faitoient pas une affaire de
provoquer les Cavaliers à cet agréable commerce. Cette coutume
fait bien sentir que la Galanterie est de toutes les Nations ;
& les François, qui se piquent de surpasser les autres
Peuples par rapport aux maniéres galantes, devroient être jaloux
de n’être pas les auteurs d’une si agréable coutume. J’ai voulu,
cette année, m’en rafraîchir la mémoire ; mais les choses m’ont
paru bien différentes de ce qu’elles étoient autrefois. Je veux
bien me rendre justice, & croire que le changement que l’âge
a fait dans mes sentimens, contribue à celui que je trouve dans
ce Commerce. Il est sur que tout ce que nous avons vu étant
jeunes, se présente à notre imagination d’une maniére plus
agréable ; que ce que nous voyons de plus brillant dans la
vieillesse. Le souvenir de nos plaisirs passés, raméne avec lui
l’idée de la jeunes où l’on goûtoit ces plaisirs avec vivacité,
& c’est ce dernier souvenir qui prête à l’autre la plus
grande partie de ses agrémens. Je m’imagine pourtant que le
changement que j’ai cru découvrir dans cette jolie maniére de
troquer, n’est pas tout-à-fait imaginaire. Peu de Gens de
Distinction s’en sont mêlés, & je n’ai guéres vu donner que
dans le dessein de jetter ce qu’on recevroit, & de faire jetter ce qu’on alloit donner. N’est-ce pas
une sottise risible, de remplir ses poches de babioles dont à
peine un enfant voudroit se charger, & de venir se hâler
deux heures pour prodiguer ces fadaises à toutes sortes de
personnes ? Quel bonheur pour certaines gens d’avoir
l’imagination déréglée ! ils ne se divertiroient jamais s’ils
n’avoient ce défaut de plus. D’un côté de la Foire on voit des
gens ridiculement déguisés, ne s’en pas tenir à donner des
bagatelles aux Dames ; ils veulent encore leur rendre le masque
utile, en leur donnant des sottises, qui naturellement doivent
répandre la honte & la confusion sur leur visage. Il est
vrai que le masque rend service à quelques autres, dérobant à
nos yeux leur incapacité de rougir, & qu’il n’y a qu’une
simple sotisse à insulter celles-là ; au-lieu qu’il y a de
l’insolence à ne pas ménager la pudeur de celles qui en ont. Si
ceux que je censure ici sont gens de famille, qu’ils répondent
mal à leur naissance ! Et si ce sont des faquins, qu’ils savent
bien leur métier ! D’un autre côté, on voit une troupe de
Comédiennes, étaler au grand jour des habits & dû fard, qui
naturellement ne devroient être éclairés que de la chandelle.
Elles sont suivies d’un détachement de la Synagogue, dont les
juste-au-corps magnifiquement brodés font paroli aux habits de
théâtre, de leurs Maîtresses. Ici des Femmes, dont l’infamie est
encore plus dégoûtante, viennent se mêler
effrontément aux honnêtes-gens. Elles ont beau se déguiser,
leurs airs canailleux ne leur permettent pas d’en imposer un
seul moment. Ne pourroit-on pas facilement tirer
quelques réflexions morales de ce troc de babioles ? &
n’est-ce pas une fidéle image de la conduite de presque tous les
hommes ? À quoi s’occupe-t-on pendant cinquante ou soixante ans
que l’on vit ? à faire un échange de colifichets. J’étois occupé, dans une rue écartée de
la Foire, à faire de pareilles réflexions, quand j’aperçus dans
une boutique un jeune homme de mes amis qui s’amusoit à écrire
quelque chose. J’aprochai, ne doutant point qu’à la faveur du
Commerce il ne voulût glisser quelque Billet-doux. Voici dequoi
rire, me dit-il, dès-qu’il m’aperçut ; je fais un Commerce de
Madrigaux avec une Inconnue, & voici déjà le quatrième
Inpromtu que je lui prépare. Je le priai de me montrer les
Billets de la Belle, & ses Réponses qu’il avoit écrites dans
ses tablettes. Le premier Madrigal qu’il avoit reçu, n’est pas
de la façon de cette Dame, elle l’avoit seulement apliqué au
sujet ;
Voilà qui n’est guéres galant, Monsieur Thyrsis, lui
dis-je ; n’avez-vous pas honte de répondre d’une maniére si
brusque à cette obligeante Inconnue ? Il y a aparence que son
air & ses maniéres ne vous ont pas prévenu en sa faveur. Au
contraire, me répondit-il ; elle est toute des mieux faites,
& la beauté de ce que le masque ne cache pas, m’a ébloui ;
mais vous êtes du vieux tems, & vous ne savez pas qu’il n’y
a rien de tel que les maniéres brusques pour réussir auprès des
Femmes.
J’avois bien de la peine à m’imaginer,
qu’effectivement ce jeune homme eût fait un pareil commerce de
Madrigaux, & je prenois tout cela pour une gasconnade
concertée. Le Lecteur sera sans doute de mon sentiment. Le moyen
de se persuader qu’en pleine Foire, au milieu de tout ce fracas,
on puisse faire sur le champ tant de Madrigaux, quelque peu
qu’ils puissent valoir. Je le dis naturellement à mon jeune ami,
qui me soutint fort & ferme qu’il n’y avoit pas la moindre
fiction dans cette avanture. Les protestations qu’il me fit
là-dessus, lui firent perdre le tems de répondre au dernier
Billet de la Dame. Il n’a pas un génie fort propre à faire des
impromtus ; & dans le tems au’il alloit donner encore la
torture à son esprit, pour ne pas démentir la bonne opinion que
son Inconnue paroissoit avoir de lui, on le tire par la manche,
il se tourne, c’étoit la personne en question. Elle vit bien que
sa réponse n’étoit pas encore prête, & lui fit signe de la
suivre. Je fis tous mes efforts pour ne les point perdre de vue,
& après avoir traversé quelques rues, en les suivant, je
m’aperçus que la Dame se découvrit. Jamais surprise ne fut
pareille à celle de notre jeune homme. Il vit, non pas un visage
desagréable, au contraire, un visage tout-à-fait mignon ; mais
il vit sa propre sœur, qui avoit emprunté les habits & la
main d’une Amie qui l’accompagnoit, pour voir si son frére étoit
homme à donner dans la bonne fortune. Je suis fâché
pour le Lecteur, que cette avanture, dont le commencement
promettoit une fin plus romanesque, n’ait pas répondu à son
attente, & qu’une Sœur se soit fourrée dans l’endroit où
l’on vouloit une Maîtresse : mais ce n’est pas ma faute, ni
celle du Cavalier non plus.
Citazione/Motto
En-vain vous
prétendez, grossiérement rusées, Par l’éclat emprunté d’un
habit imposteur,
Relever vos grâces usées,
Et sous le masque encore excroquer quelque cœur.
Si vous vous déguisiez en personnes d’honneur,
Que vous seriez bien déguisées.
Relever vos grâces usées,
Et sous le masque encore excroquer quelque cœur.
Si vous vous déguisiez en personnes d’honneur,
Que vous seriez bien déguisées.
Citazione/Motto
Que font ces Galans imposteurs, Qui
tous les jours changeant de Belles,
Leur vont débiter des nouvelles,
Et les accabler de douceurs ?
En échange on leur rend de petites saveurs,
Petits coups d’œil, petits souris trompeurs.
N’est-ce pas faire un troc de bagatelles ?
Que font ces deux Complimenteurs,
Qui paroissent être en extase ?
La langue à peine a-t-elle assez d’emphase
Pour exprimer leur zéle, & leurs ardeurs :
Un murmure confus leur tient lieu de paroles,
Ils donnent encens pour encens,
Pour vains discours phrases vuides de sens :
N’est-ce pas faire un troc le babioles ?
Que fait ce Courtisan flateur,
Dans sa folie ambitieuse
D’un Prince vicieux infame adulateur ?
Pour sa bassesse ingénieuse
On lui donne un espoir trompeur ;
Sa lâcheté se paye en promesses frivoles,
Ne fait-il pas un troc de babioles ?
Que fait ce livide Usurier,
Qui sans cesse donne en échange
Du papier pour de l’or, de l’or pour du papier ;
Et dans son coffre-fort toujours des sacs arrange,
Que pour son propre usage il n’ose manier ?
S’il ne se sert jamais de ses chéres pistoles,
Qu’est-ce que son commerce ? un troc de babioles,
Que fait un malheureux Auteur,
Par ses productions nouvelles,
Plus brillantes qu’essentielles ?
S’il s’acquiert à souhait un inutile honneur,
Ne fait-il pas un troc de bagatelles ?
Dans ce troc ridicule ainsi l’âge s’écoule,
Jusqu’à ce que la mort nous tire de la soule.
Alors dissipant son erreur,
Notre esprit s’aperçoit que dupé par le cœur,
Il a troqué du tems l’utilité réelle
Pour de la bagatelle.
Leur vont débiter des nouvelles,
Et les accabler de douceurs ?
En échange on leur rend de petites saveurs,
Petits coups d’œil, petits souris trompeurs.
N’est-ce pas faire un troc de bagatelles ?
Que font ces deux Complimenteurs,
Qui paroissent être en extase ?
La langue à peine a-t-elle assez d’emphase
Pour exprimer leur zéle, & leurs ardeurs :
Un murmure confus leur tient lieu de paroles,
Ils donnent encens pour encens,
Pour vains discours phrases vuides de sens :
N’est-ce pas faire un troc le babioles ?
Que fait ce Courtisan flateur,
Dans sa folie ambitieuse
D’un Prince vicieux infame adulateur ?
Pour sa bassesse ingénieuse
On lui donne un espoir trompeur ;
Sa lâcheté se paye en promesses frivoles,
Ne fait-il pas un troc de babioles ?
Que fait ce livide Usurier,
Qui sans cesse donne en échange
Du papier pour de l’or, de l’or pour du papier ;
Et dans son coffre-fort toujours des sacs arrange,
Que pour son propre usage il n’ose manier ?
S’il ne se sert jamais de ses chéres pistoles,
Qu’est-ce que son commerce ? un troc de babioles,
Que fait un malheureux Auteur,
Par ses productions nouvelles,
Plus brillantes qu’essentielles ?
S’il s’acquiert à souhait un inutile honneur,
Ne fait-il pas un troc de bagatelles ?
Dans ce troc ridicule ainsi l’âge s’écoule,
Jusqu’à ce que la mort nous tire de la soule.
Alors dissipant son erreur,
Notre esprit s’aperçoit que dupé par le cœur,
Il a troqué du tems l’utilité réelle
Pour de la bagatelle.
Metatestualità
le voici.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
Metatestualità
I. Madrigal
Citazione/Motto
Quand je vous donne Vers
on Prose, Galand Thyrsis, je le sai bien,
Je ne vous donne pas grand’chose,
Mais je ne vous demande rien.
Je ne vous donne pas grand’chose,
Mais je ne vous demande rien.
Metatestualità
Reponse
Citazione/Motto
Belle Iris vous me faites
rire ; Si vous ne me demandez rien,
Cette affaire vaut-elle bien,
Que l’on s’amuse à me l’écrire ?
Cette affaire vaut-elle bien,
Que l’on s’amuse à me l’écrire ?
Metatestualità
Voyez son second Billet.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
Metatestualità
II. Madrigal
Citazione/Motto
Vous n’avez pas l’esprit
qu’on diroit bien : Non, non, Thyrsis, votre air
nous en impose :
Qui dit qu’il ne demande rien,
Veut bien recevoir quelque chose.
Qui dit qu’il ne demande rien,
Veut bien recevoir quelque chose.
Metatestualità
Reponse
Citazione/Motto
J’en conviens, j’avois
tort de ne vous pas entendre : Mais vous pouviez
aussi vous faire mieux comprendre.
En donnant le premier on fait apercevoir,
Qu’on souhaite de recevoir.
Un Fichu, des Rubans, on quelque Tabatiére,
Croyez-vous, beau Thyrsis, que ce soit mon affaire ?
C’est bien un plus noble dessein
Qui m’a mis la plume à la main.
Je veux de vous ce qu’une Fille fiére
Ne sauroit se résoudre à donner la prémiére,
Et que plusieurs Amans me demandent en-vain.
En donnant le premier on fait apercevoir,
Qu’on souhaite de recevoir.
Un Fichu, des Rubans, on quelque Tabatiére,
Croyez-vous, beau Thyrsis, que ce soit mon affaire ?
C’est bien un plus noble dessein
Qui m’a mis la plume à la main.
Je veux de vous ce qu’une Fille fiére
Ne sauroit se résoudre à donner la prémiére,
Et que plusieurs Amans me demandent en-vain.
Metatestualità
Reponse
Citazione/Motto
Vous voulez donc mon
cœur, la Belle, Le prenez-vous pour une
bagatelle
Qu’on donne sans y regarder ?
Démasquez-vous du moins pour me le demander.
Quand on en fait maîtresse une Beauté connue,
Dont l’esprit & le cœur ont passé la revue,
C’est encore bien hasarder.
Qu’on donne sans y regarder ?
Démasquez-vous du moins pour me le demander.
Quand on en fait maîtresse une Beauté connue,
Dont l’esprit & le cœur ont passé la revue,
C’est encore bien hasarder.
Metatestualità
IV. Madrigal
Citazione/Motto
A me donner son cœur qui
trop longtems balance, Sans saisir le moment de ma
facile humeur,
Veut bien livrer son ame à la douleur
D’une tardive repentance.
Souvenez-vous, Thyrsis, qu’un excès de prudence
N’est pas la route du bonheur.
Veut bien livrer son ame à la douleur
D’une tardive repentance.
Souvenez-vous, Thyrsis, qu’un excès de prudence
N’est pas la route du bonheur.