Cita bibliográfica: Justus Van Effen (Ed.): "LX. Discours", en: Le Misantrope, Vol.2\019 (1711-1712), pp. 157-164, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1718 [consultado el: ].


Nivel 1►

LX. Discours

Metatextualidad► Suite des Caractéres. ◀Metatextualidad

Nivel 2► Retrato ajeno► i. Artémise, Lucinde, & Clarice sentent couler dans leurs veines le plus pur sang des Dieux. Unies entr’elles par les plus forts liens d’une tendre amitié, elles n’en craignent point la fin ; leur vertu, qui est le fondement de leur union, lui assure une constance à l’épreuve de tous les événemens ; on les croiroit animées d’une noble émulation, à qui nourrira dans son cœur des qualités plus aimables & plus dignes d’estime. Avec tous les agrémens de leur sexe, elles ont tout le mérite solide d’un homme qui en a beaucoup. Si elles se souviennent de leur noblesse, ce n’est que pour penser plus fortement aux devoirs où elle les engage. Leur haute naissance ne passe dans leur esprit, que pour une lumiére qui répand un plus grand jour sur leur conduite. Elles ont soin que tout le monde qui à l’œil sur leurs actions, n’y reconnoisse rien qui ne soit vertueux & véritablement noble. Leur qualité n’est pas à charge à ceux qui les fréquentent ; elles s’abaissent vers ceux qui n’osent s’élever jusqu’à elles, sans être choquées de la fierté de ceux qui les traitent comme s’ils étoient leurs égaux. Leur vertu est toujours guidée par la Raison ; la justice ré-[158]gle leur générosité, & leur charité est conduite par la prudence. Qu’il est difficile d’être d’un rang élevé, & de savoir agrandir son ame par les sentimens les plus purs de l‘Humilité Chrétienne ! & qu’il est beau pour elles, d’avoir réuni ces choses presque incompatibles ! ◀Retrato ajeno

Dans le portrait que je viens de tracer, quelqu’inférieur qu’il soit à son sujet, tout le monde reconnoîtra Artémise, Lucinde & Clarice ; elles seules n’y trouveront point leurs traits ; elles ne songeront pas seulement qu’un Inconnu se soit sait un plaisir de rendre justice à leur mérite. Que la Noblesse est respectable, quand elle met ainsi la vertu dans tout son lustre ! & qu’on peut bien dire dans une pareille occasion,

Cita/Lema► « La Noblesse, Dangeau, n’est pas une chimére. » ◀Cita/Lema

Retrato ajeno► ii. L’admiration qu’on sent pour ces Héroïnes, doit redoubler encore quand on leur oppose l’altiére Dorise. Moins elle est en état d’étaler l’orgueil de sa noblesse par un éclat extérieur, plus elle le concentre dans son ame, & plus elle le découvre dans ses actions personnelles.

L’estime qu’on accorde à la véritable grandeur d’âme, la tendresse des hommes, ce tribut qu’ils payent avec tant de plaisir & la modération, à la douceur, ne lui sont d’aucune importance : elle ne veut être regardée que du côté de la noblesse, qui dans [159] le fond n’a rien de réel, qui n’est ni un agrément du corps, ni un sentiment du cœur ni une qualité de l’esprit.

Est-elle Créature humaine, Femme, Chrétienne ? Non, elle est noble. Cette pensée l’occupe entiérement, son imagination en est remplie, il ne s’y trouve point de vuide pour quelqu’autre idée. Elle veut étendre au-de là de la vie la considération due à son rang, elle songe à être encore noble après sa mort. Si l’on veut l’en croire, on ouvrira déja par avance les Monumens des Demi-Dieux, afin que son cadavre y soit mangé des vers honorablement. Voudroit-elle encanailler ses cendres ? Ses os toucheroient-ils à ceux d’un homme du Vulgaire, dont on ne sauroit les discerner ? elle se révolteroit contre un traitement si indigne, la voix lui reviendroit, pour dire à un cadavre si téméraire,

Cita/Lema► « Retire-toi, Coquin, va pourrir loin d’ici

Il ne t’apartient pas de m’aprocher ainsi. » ◀Cita/Lema

Pauvre Dorise, que vous êtes à plaindre de votre illustre naissance ! c’est le plus grand malheur qui pût vous arriver. Vous songez tant à ce que deviendra votre corps, qui bientôt réduit en un peu de poussiére se rejoindra à la terre dont il fut formé : que deviendra votre ame ? daignez y songer de grace. ◀Retrato ajeno

Savez-vous que le souverain bonheur de cette ame consiste à vivre dans un commerce éternel avec les ames roturiéres de pau-[160]vres Pêcheurs & de vils Artisans, dont vous croyez le corps paîtri d’un autre limon que le vôtre ? Jettez les yeux sur les Héroïnes que je viens de dépeindre, & aprenez d’elles que l’orgueil est une véritable petitesse, & que l’humanité est une véritable grandeur.

Retrato ajeno► iii. Damon est aimé de l’avare Ménippe ; il est bien avec le prodigue Ctésiphon ; il s’est insinué dans l’esprit du fier Lysandre ; le modeste Lycas le considére, il est ami du Dévot & du Libertin, des Petits-Maîtres & des Gens polis. Il faut que Damon ait l’esprit bien souple, & une grande connoissance de l’art de plaîre. Mais ne pourroit-on pas demander s’il est homme de bien ? ◀Retrato ajeno

Retrato ajeno► iv. Atticus & Caton ont vécu tous deux dans des tems difficiles, où la République Romaine étoit en proie à l’ambition de quelque particuliers, qui tour à tour vainqueurs & vaincus, immoloient à leur orgueil le plus beau sang de Rome. Sylla, Cesar, Pompée, Auguste, & Antoine, causérent ces desordres effroiyable, dans lesquels Atticus & Canton tinrent une conduite toute opposée. Atticus s’éloignoit du maniment des affaires, & ne songeoit qu’à couler ses jours dans une agréable tranquilité au milieu des troubles de la République. Tous les différens partis le considéroient également, & il leur marquoit une bonté égale, sans distinguer les Usurpateurs de l’Empire, des Défenseurs de la Liberté.

Il possédoit des trésors immenses, dont il [161] se servoit en aparence en homme généreux, & véritablement en homme habilement intéressé. Cicéron, le Conservateur de la République, ne trouvoit pas chez lui de plus grandes ressources contre ses malheurs, qu’Antoine qui n’aspiroit qu’à envahir l’Empire. Il faisoit du bien à tout le monde, s’insinuoit dans l’esprit de chacun, & le parti qui triomphoit avoit toujours quelque obligatoin à Atticus. Il étoit souple, complaisant, officieux, d’un agréable commerce, amateur du repos. ◀Retrato ajeno

Retrato ajeno► Caton avoit conservé dans Rome dégénérée le cœur d’un vieux Romain. Sobre, laborieux, bon soldat, grand Capitaine, censeur impitoyable du luxe, libre dans ses discours, amateur de la République, plus elle étoit exposée à l’orage, & plus il croyoit qu’en fidéle Pilote il falloit s’attacher au gouvernail. Il alloit au bien de sa Patrie par des voies directes ; & la haine du Peuple, le péril, une mort certaine, ne pouvoient pas l’en détourner. Incapable de flaterie, & même de complaisance, il considéroit la Verte comme le seul moyen légitime de parvenir aux prémiéres Dignités. La Fortune n’avoit rien à démêler avec ses sentimens ; il aimoit le vrai mérite indépendamment d’un éclat-étranger, & sa haine pour le Vice savoit le démêler d’avec les plus brillantes aparences. Son tempérament donnoit à sa probité un air féroce, & rendoit sa confiance semblable à l’obstination. Il étoit plus facile à Cesar de [162] domter l’Univers, que d’ébranler l’ame de Caton.

Qui de lui ou d’Atticus mérite la préférence dans notre esprit ? J’avoue que je suis pour Caton. C’étoit une espéce de Misantrope, dont la vertu étoit outrée, quoique véritable. Atticus au contraire me paroit homme poli, dont la vertu étoit agréable, mais fausse.

La conduite de Caton forçoit ses plus grands ennemis à le respecter, & même à lui accorder leur estime. Sa vertu alloit droit à l’intérêt de la Société, qui est le premier but de l’homme de bien ; mais en marquant tant de tendresse pour toute la République, il ne pouvoit gagner sur lui d’en marquer à chaque particulier ; se vertu n’entroit pas dans un assez grand détail. Atticus content de satisfaire à chaque particulier, ne songeoit pas seulement au bien de la Société générale ; il donnoit même par ses richesses, aux plus pernicieux ennemis de l’Etat, le moyen de se soumettre. Lui seul paroit avoir été l’unique but de ses actions ; en prodiguant ses bienfaits à tout le monde, il n’aimoit proprement que lui-même. Pourvu qu’il vécût d’une maniére agréable & tranquile, il lui importoit peu que Rome fût exposée aux caprices d’un Tyran. A force d’avoir de complaisance pour chaque homme à part, il s’éloignoit du but général de l’Humanité.

La Vertu a des principes surs & toujours les mêmes, elle ne permet pas quelquefois de se rendre agréable. Caton prenoit ces [163] principes à la derniére rigueur, & y conformoit sa conduite avec une sévérité outrée. Il étoit rustique, mais fort bon Citoyen. La politesse au contraire n’a rien de fixe, elle s’accommode à tout l’inclination de ceux qu’on fréquente en est la régle. ◀Retrato ajeno Retrato ajeno► Atticus sacrifioit l’essence de la Vertu à la Politesse, il étoit galant-homme, mais très mauvais Citoyen. ◀Retrato ajeno

v. Il y a des gens dont le ridiculé est bien dangereux pour eux-mêmes, & bien utile-pour nous, si nous y réfléchissons avec sa geste. Je ne parle pas de ceux qui jeunes & pleins de santé perdent leur raison dans un goufre de plaisirs, & croient éloigner la mort en se débarassant de sa fâcheuse idée ; je ne parle pas même de ceux qui atteints d’une maladie languissante, tâchent de se persuader que la maladie n’est pas un chemin à la mort.

Retrato ajeno► Je parle de Damon, qui est à l’agonie, & que les Médecins abandonnent. Il ne s’abandonne pas encore lui-même ; il fait contre le trépas une ressource que le Vulgaire ignore ; il prépare un festin, il y fait prier les plus fins gourmets de Paris, ses domestiques le portent à table. Est-il naturel que la Mort étende ses droits sur un homme qui se porte encore assez bien pour se divertir avec ses amis, pour inventer des ragoûts, & pour leur donner des noms bisarres ? Non assurement, la Mort sera la dupe de cette affaire-là, & les Médecins en auront le démenti. ◀Retrato ajeno

Retrato ajeno► Céliméne ne se porte pas mieux que Damon [164]  ; elle envoie en hâte chercher le plus fameux Carossier de la Ville, & lui commande, d’une voix mourante, une caléche de nouvelle invention, dont elle lui dépeint la figure avec la derniére exactitude. Ce seroit pécher grossiérement contre la bienséance, que d’aller mourir dans le tems qu’on fait faire un nouveau carosse. La Mort attendra, s’il lui plaît, que Céliméne soit lasse d’étaler au Cours son squelette dans ce char magnifique. Mais à tout hasard Céliméne, faites votre testament, qu’on fasse venir un Ecclésiastique. Bon ! elle est bien femme à suivre un tel conseil ; ces formalités aplaniroient le chemin à la Mort : tant qu’elles sont différées, la Mort ne sauroit se saisir de Céliméne, sans une irrégularité criante. La bonne Dame ne se servira jamais de Notaire, ni de Prêtre, que pour se remarier. Il n’est pas probable qu’elle meure jamais. ◀Retrato ajeno ◀Nivel 2 ◀Nivel 1